Les lésions
infracliniques du sein
Les nouveaux
problèmes posés par l'histologie des lésions frontières ou a minima
M. ANTOINE*
Les lésions frontières correspondent à des lésions histologiques de
diagnostic difficile, hésitant dans le spectre des lésions proliférantes entre le
diagnostic d'hyperplasies florides et de carcinomes in situ, pour garder la dénomination
de lésions atypiques. La définition de celles-ci rappelle celle d'une boisson célèbre
: prolifération épithéliale évoquant un carcinome in situ mais n'en n'ayant pas tous
les caractères. L'ensemble de ces lésions proliférantes, atypiques, et carcinomateuses
in situ n'ont pas la même signification en tant que facteur de risque de survenue d'un
cancer invasif. Elles se comportent soit comme des marqueurs de risque, soit comme des
états précancéreux. Ces termes devront également être différenciés de la notion de
lésion pseudocarcinomateuse, dont la problématique est avant tout diagnostique, comme la
cicatrice radiaire, à distinguer d'un carcinome tubuleux.
Les lésions à minima peuvent être considérées comme l'ensemble des
lésions ayant une traduction clinique minime, voire absente.
Les progrès des techniques mammographiques et l'apparition des campagnes
de dépistage ont en effet vu l'émergence de lésions infracliniques, révélées par la
présence de microcalcifications, de surdensités ou d'anomalies de trame du parenchyme
mammaire. Si plus de la moitié de ces lésions infracliniques correspondent en histologie
à des lésions bénignes, l'exploration chirurgicale (fonction de l'aspect du signal
radiologique et de l'expérience des équipes) met en évidence pour environ un tiers
d'entre elles des carcinomes in situ ou des cancers invasifs de petite taille ("
minimal breast carcinoma " ). Ainsi, les cancers in situ qui ne représentaient que
moins de 5 % de l'ensemble des cancers il y a 20 ans, voient leur fréquence actuelle
atteindre 30 %, avec une augmentation également sensible des lésions atypiques et des
cancers invasifs inférieurs à 1 cm.
Les réflexions que suscitent ces modifications de la pathologie mammaire
seront ainsi axées sur la prise en charge diagnostique, sur les difficultés
histologiques et sur la signification pronostique de ces lésions. La thérapeutique en
est toujours, quant à elle, ambiguë et paradoxale, oscillant de la mastectomie proposée
au carcinome intracanalaire, opposée au traitement conservateur des cancers invasifs de
petite taille.
I - PRISE EN CHARGE DIAGNOSTIQUE
a - Coopération diagnostique
La prise en charge des lésions infracliniques impose une excellente
coopération entre le radiologue, chirurgien et anatomopathologiste, du fait des
techniques de repérage préopératoire, et des conditions de préservation du traitement
à respecter : orientation de la pièce, radiographie de la pièce, examen extemporané
non souhaitable en l'absence de lésion palpable respect de l'intégrité du fragment à
communiquer pour l'étude anatomopathologique après fixation avec un fixateur non
décalcifiant.
b - Règles de prélèvement
Le pathologiste doit se plier également à des règles de prélèvement.
Après encrage de la pièce, ceux-ci sont orientés sur l'emplacement des
microcalcifications, et les zones adjacentes, selon des techniques variables, en grille ou
en tranche, repérées sur un schéma. La pièce est incluse en totalité d'emblée si
elle est de petites dimensions, ou secondairement si sont mises en évidence des lésions
atypiques ou carcinomateuses. Le compte rendu mentionnera toujours, outre le type exact
des lésions carcinomateuses ou atypiques, la taille de celles-ci, leur diffusion sur le
fragment, la distance par rapport aux limites d'exérèse, la corrélation avec le signal
radiologique, microcalcifications ou autre lésion infraclinique.
c - Stratégie diagnostique
Les temps diagnostiques et thérapeutiques sont souvent multiples, faisant
succéder des biopsies chirurgicales diagnostiques, devant être complétées lors de
malignité avérée par des exérèses plus larges, voire radicales, parfois avec curage.
C'est ici que les trucut peuvent trouver leur place dans la stratégie diagnostique, en
particulier lors de foyers multiples, imposant encore des règles très strictes de
réalisation et de lecture.
II - DIFFICULTES DE DIAGNOSTIC HISTOLOGIOUE
a - Technique anatomopathologique
Ces lésions sont de diagnostic histologique délicat, imposant au
pathologiste tout d'abord une technique d'inclusion, coupe et coloration d'excellente
qualité. Il doit ensuite, avant d'utiliser le terme de lésion atypique, connaître les
deux extrémités du spectre lésionnel afin de déterminer les limites avec des aspects
très proliférants de la mastose sclérokystique, et les limites avec les carcinomes in
situ en particulier canalaires bien différenciés. La reconnaissance de ces lésions
atypiques se fait sur des critères architecturaux et cytologiques, sur des documents
histologiques. Si une orientation peut être apportée par une ponction cytologique, le
diagnostic ne peut être certifié que sur des fragments tissulaires.
Enfin, les techniques spéciales, comme l'immunohistochimie sont de peu
d'apport dans l'étude histologique de ces lésions. Si est faite abstraction de l'actine
musculaire lisse (marqueur des cellules myoépithéliales), utile dans le diagnostic
différentiel entre carcinome tubuleux et cicatrice radiaire, les marqueurs de
prolifération, oncogènes, ou hormones n'ont pas apporté jusqu'à présent de moyen
infaillible de distinction entre lésion atypique et carcinome in situ. Ces techniques ont
toutefois l'avantage d'être réalisées sur les blocs de paraffine ayant permis l'étude
histologique, et ne nécessitent pas de prélèvement complémentaire. La préservation de
la totalité du fragment tissulaire pour l'étude histologique est en effet impérative
pour le diagnostic. Les recoupes du bloc de paraffine, l'inclusion en totalité du
fragment, ainsi que l'expérience d'un ou plusieurs pathologistes restent encore la clef
du diagnostic
.b - Terminologie
Ces difficultés sont reflétées d'une part par la multiplicité des
terminologies utilisées pour la dénomination de mêmes images, d'autre part par le
manque de reproductibilité intra et interobservateur qu'a mis en exergue Rosai.
Toutefois, les critiques émises par cet auteur peuvent être, comme l'a montré Schnitt,
en partie minimisées par un accord préalable précis sur les critères utilisés pour le
diagnostic de ces lésions.
c - Enseignement
La conséquence de cet état de fait est la nécessité d'éducation et
d'information de tous les protagonistes, et en particulier des anatomopathologistes,
enseignement tel qu'il est réalisé dans le cadre du GEDCAS* et de l'AFORSPE**. La
confrontation entre anatomopathologistes et la relecture de lames est souhaitable pour ces
lésions atypiques. La mise en place de contrôles de qualité, à tous les échelons de
la prise en charge diagnostique, s'harmonisant avec les pratiques d'autres pays européens
avancés dans la réalisation des campagnes de dépistage, est en cours d'instauration,
avec l'édition de " guides lines " à respecter.
d - Trucut en pathologie mammaire
La lecture des trucut mammaires réalisés dans le cadre de ces lésions
infracliniques et en particulier des microcalcifications est parfois difficile. Si la
rentabilité est largement dépendante de l'expérience du radiologiste, du nombre de
biopsies, du diamètre et de l'avancée du trocard, de la qualité du repérage,
l'exploitation histologique doit être extrêmement prudente. Ces fragments manipulés
précautionneusement pour être posés bien à plat pour l'inclusion, font l'objet de
coupes sériées afin de confirmer la présence des microcalcifications, authentifiées
par la radiographie des trucut. Ces coupes sériées permettent par ailleurs d'explorer
dans l'espace, en 3 dimensions, des lésions, qui du fait du diamètre du trucut, n'ont
été visualisées que partiellement, en particulier par rapport à la taille du canal.
L'absence de structures adjacentes ne permet pas, par défaut de comparaison, d'apprécier
toujours à leur juste valeur, ces images. Il existe un risque de surestimation par
focalisation de loeil sur les anomalies présentes, opposé à la sous-estimation
habituelle retrouvée lors de la confrontation trucut/biopsie chirurgicale dans les
séries américaines. Enfin, la technique de trucut induit des artefacts de déplacements
des structures épithéliales qui peuvent avoir une importance dans une pathologie où les
critères différentiels s'appuient sur des aspects de rigidité architecturale, de
fenestration irrégulière, de monotonie... Il ne semble pas, par contre, que cette
technique induise, par la fibrose de réparation, de majoration de la difficulté
diagnostique sur les biopsies chirurgicales plus tardives.
III - INCIDENCE PRONOSTIQUE
a - Facteur de risque histologique
Le démembrement et la reconnaissance des différentes lésions
élémentaires de la mastose sclérokystique, et le suivi de femmes ayant eu des biopsies
chirurgicales de lésions bénignes, ont permis à Dupont et Page en 1985, sur des
critères statistiques, de définir la notion de lésions à risque. Ce risque est établi
en comparaison d'une cohorte de femmes de même âge.
Ce facteur de risque relatif a permis de regrouper les lésions en niveau
de risque :
- Pas d'augmentation de risque :Kystes, adénose, métaplasie apocrine,
hyperplasie épithéliale minime, galactophorite ectasiante.
- Risque faible (x 1,5 à 2) :Hyperplasie épithéliale
modérée ou floride, adénose sclérosante, papillome.
- Risque modéré (x 4 à 5) :Hyperplasie atypique.
- Risque élevé (x 8 à 10) :Carcinome lobulaire in situ, quel que soit
le sein ; carcinome intracanalaire bien différencié, avec un risque de récidive
homolatéral, dans le même quadrant. Tiré de Page et Jensen, World J Surg, 1994 ; 18 :
32-38.
Ce risque est dépendant également de l'âge au moment du diagnostic, du
statut ménopausique, du temps écoulé par rapport à la biopsie, étant limité à une
période donnée du suivi, des antécédents familiaux. Ainsi le facteur de risque des
lésions atypiques rejoint celui des carcinomes in situ en présence d'antécédents
familiaux de cancer du sein. Ces facteurs de risque histologique se placent bien devant
les facteurs que représentent la nulliparité, l'âge des premières règles, de la
première grossesse, de la ménopause.
La connaissance de ces notions est indispensable à l'anatomopathologiste,
qui, au terme d'un compte rendu anatomopathologique doit conclure à l'existence d'une
mastose sclérokystique simple, complexe, proliférante ou atypique (voir tableau) ou de
lésions de carcinome. Il fournira ainsi au clinicien les moyens de l'évaluation de ce
risque. L'adénose sclérosante, le papillome et la cicatrice radiaire seront également
notés dans cette conclusion, du fait de l'intérêt des corrélations anatomocliniques
(présentation clinique et radiologique particulière, pouvant mimer un cancer). La
signification d'une cicatrice radiaire n'est pas encore parfaitement claire, et son
potentiel peut être lié à l'intensité des lésions proliférantes.
b - Carcinome intracanalaire
L'observation de l'évolution naturelle de cancers in situ diagnostiqués
rétrospectivement sur des biopsies chirurgicales non thérapeutiques, ont permis de
donner une estimation du potentiel de récidive sous forme invasive de ces cancers.
Celui-ci est multiplié par 2 à 11 par rapport à la population tout-venant, ou survient
avec une fréquence de 20 à 60 % selon les auteurs. Mais les différences entre les
séries sont majeures en termes de nombre de patients, longueur de recul, distribution de
population, et terminologie utilisée. Ce risque paraît toutefois majeur pour les formes
peu différenciées, ou à grade nucléaire élevé, ou comédocarcinomateuses.
L'évolution est plus péjorative en rapidité de survenue, en gravité de la maladie
(métastase), à prédominance ipsilatérale. Là encore, une uniformisation de la
terminologie est souhaitable, permettant entre autres la comparaison de ces analyses de
survie et thérapeutiques. Les techniques immunohistochimiques sont par contre utiles à
la compréhension de ces lésions et apportent un support aux nouvelles classifications de
carcinome intracanalaire qui se mettent en place à l'échelon européen.
c - Marqueur de risque et état précancéreux
Toutes ces données ont enfin permis de différencier la notion de
marqueur de risque et état précancéreux. Le marqueur de risque est une lésion, comme
le carcinome lobulaire in situ, associée à un risque significativement élevé de voir
survenir un cancer invasif, avec un risque similaire pour les deux seins. L'état
précancéreux est une lésion comportant un risque ipsilatéral et local d'apparition
d'un cancer invasif comme le réalise le cancer intracanalaire. Ces éléments sont à
prendre en compte pour la thérapeutique et le pronostic.
CONCLUSION
Les modifications de la pathologie qu'ont engendrés les progrès
mammographiques et les campagnes de dépistage imposent à tous les intervenants en
pathologie mammaire un travail coopératif et soigneux. Parmi ceux-ci, le pathologiste
garde une grande place non seulement pour la distinction " bénin-malin ", mais
également dans le cadre des lésions proliférantes de la mastose sclérokystique, pour
l'individualisation de facteurs de risques histologiques. Il doit enfin garder une
certaine humilité devant les difficultés diagnostiques et de reproductibilité de ces
lésions frontières dont la signification biologique n'est pas encore bien connue.
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M. ANTOINE Hôpital Tenon, Paris.
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