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1999 > Andrologie > Androgènes  Telecharger le PDF

Surveillance prostatique du traitement par les androgènes

G. Cariou

Introduction

Les traitements androgéniques sont prescrits essentiellement dans 2 circonstances :

d'une part chez les jeunes athlètes, sous forme de stéroïdes anabolisants pour augmenter la masse musculaire ; une enquête a estimé à 6,6 % leur utilisation parmi les sportifs mâles universitaires nord-américains (10). D'autre part chez les personnes âgées comme traitement de "l'andropause".

En effet le vieillissement de l'homme s'accompagne d'une diminution du taux sérique de testostérone totale et libre. Contrairement à la femme, cette diminution est progressive et variable d'un individu à l'autre. Cet hypogonadisme physiologique a des conséquences qui sont mieux connues actuellement, et l'on est amené de plus en plus souvent à prescrire des androgènes dans cette situation.

Les effets secondaires de ces stéroïdes sont maintenant bien documentés, mais les conséquences prostatiques de leur utilisation à long terme est mal connue et contreversée : favorise-t-elle l'hypertrophie prostatique avec son cortège de troubles mictionnels ? Surtout, augmente-t-elle le risque de survenue d'un cancer prostatique ? cette mise au point va tenter de répondre à ces questions.

Action des androgènes sur la glande prostatique.

Le développement de la prostate est sous la dépendance de la testostérone et de la dihydro-testostérone (DHT) qui est son métabolite actif après action de la 5-alpha-réductase. Le volume prostatique passe d'environ 1 g à la naissance à environ 4 g en début de puberté ; puis sa croissance va s'accélérer sous l'effet de secrétion testiculaire de testostérone pour atteindre environ 20 g à 20 ans. Chez l'adulte, bien que le taux de testostérone s'abaisse progressivement avec l'âge, la prostate continue souvent de s'hypertrophier puisque l'incidence de l'hypertrophie bénigne de la prostate (HBP) est d'environ 50 % à 50 ans. On sait d'autre part que les hommes en état d'hypogonadisme prolongé ou de déficit en 5-alpha-réductase ne présentent que très rarement une HBP.

Les synthèses protéiques intraprostatiques sont sous la dépendance de la testostérone libre qui entre dans la cellule épithéliale, se convertit en 5-alpha-DHT et active les recepteurs androgéniques cytosoliques. Ces derniers vont commander alors les synthèses protéiques et notamment celle du PSA.

Le PSA est excrété dans sa plus grande part dans le sperme et pour une très petite fraction passe dans la grande circulation pour atteindre à l'état normal un taux inférieur à 4 ng/ml. Dans certaines circonstances, HBP, infection, cancer, la secrétion exocrine est gênée par les modifications tissulaires locales et le taux sanguin de la protéine augmente au-dessus de la normale.

Epidémiologie et hormono-dépendance du cancer prostatique.

Bien que le cancer prostatique devienne actuellement la tumeur maligne la plus fréquemment rencontrée chez l'homme, elle n'est pas la première cause de décès.

En effet malgré une prévalence élevée (30 % après 50 ans), la fréquence des cancers "latents" ou infra-cliniques explique que la maladie ne s'exprime cliniquement que dans 10 % des cas ; le fait qu'elle touche surtout des hommes âgés explique qu'elle ne devienne léthale que dans 1 % des cas.

L'histoire naturelle de ces cancers microscopiques bien différenciés qui n'évolueront pas vers une forme invasive et métastatique est mal connue. Elle est probablement soumise à des facteurs génétiques et environnementaux. On sait que les asiatiques, qui présentent le même taux de microcarcinomes prostatiques que les autres races en terme d'autopsie, développent rarement un cancer clinique. Par contre, après émigration vers Hawaï ou San-Francisco, les colonies asiatiques vont présenter au bout de 3 générations la même mortalité par cancer prostatique que la population nord-américaine globale. Le changement d'alimentation, avec notamment la diminution de consommation de soja dont les propriétés "oestrogène-like" ont possiblement un effet protecteur, est peut-être à l'origine de cette curiosité épidémiologique.

Le cancer de prostate est une tumeur hormono-dépendante : ainsi il n'a jamais été publié de cas de cancer prostatique chez le trans-sexuel castré (sous oestrogènes ou non). La castration, quelqu'en soit le procédé, oestrogénique, par agoniste LH-RH, ou chirurgicale, est le traitement palliatif de choix des formes localement avancées ou métastatiques. Elle entraîne une apoptose celullaire bien visible sur les coupes histologiques de la tumeur prostatique ou de sa métastase, accompagnée d'une rémission clinique et biologique spectaculaire, mais d'une durée variable en raison d'une hormono-indépendance tumorale qui survient à plus ou moins longue échéance.

Effets prostatiques du traitement hormonal.

Nous avons vu que le développement de la prostate s'effectue sous l'effet de la testostérone. Pour le biologiste, il existe donc un mécanisme de rétrocontrôle qui assure la limitation de la croissance de l'organe cible sous l'influence de la stimulation androgénique (5). De plus, on peut remarquer que physiologiquement le récepteur prostatique des androgènes est presque complètement saturé par la DHT endogène. En d'autres termes, le système fonctionne à peu près au maximum de sa capacité. L'administration de doses pharmacologiques d'androgènes n'a donc pas à priori de raison de provoquer une augmentation de la taille, ni même d'induire une hyperactivité des secrétions prostatiques. Les études cliniques modèrent cependant ce point de vue.

L'étude des effets du traitement hormonal doivent être distingués selon qu'il s'adresse à un homme hypo ou eugonadique. En effet, il est logique de penser qu'un traitement substitutif permet de restaurer un état prostatique tel qu'il aurait été si la fonction gonadique avait été normale. Par contre, les conséquences d'un traitement hormonal amenant la testostérone à un taux supraphysiologique ont été plus spécialement étudiées. La testostérone peut-être administrée par voie intramusculaire, par patch cutané (scrotal par exemple), ou par voie orale.

Chez le sujet jeune hypogonadique, un apport de testotérone restitue un volume prostatique qu'aurait eut un homme eugonadique de même âge ; ainsi A.WAYNE-MEIKLE et coll (4) ont administré de la testostérone sous forme de patch dermiques à 29 hommes hypogonadiques d'âge moyen 39 ans. Le volume prostatique moyen calculé par échographie est passé de 14 à 18 g, c'est-à-dire à un volume normal pour l'âge.

Chez l'homme âgé hypogonadique les études concernent le plus souvent des patients ayant des troubles de l'érection. JS TENOVER et coll (8) ont étudié les effets d'un traitement par 100 mg de testostérone versus placebo avec cross-over. Ils ont noté dans le groupe traité, outre une augmentation du poids corporel et du nombre des globules rouges, une augmentation de la testostérone à un taux moyen de 19,7 nmol/ml, une légère augmentation du PSA qui passe significativement d'un taux moyen de 2,1 à 2,7 ng/ml, mais ils n'observent de variation ni du volume prostatique ni du résidu post-mictionnel. Quant aux signes mictionels subjectifs, ils ont été difficiles à analyser ici dans la mesure où le patient devinait la nature de son traitement (principe actif ou placebo) en fonction des effets secondaires ressentis (libido agressivité professionnelle).

Certains auteurs ont plus spécialement étudié l'évolution du taux de PSA sous traitement androgénique. Ainsi DA SVETEC et coll (7) ont mesuré la vélocité du PSA (c-à-d sa variation dans le temps) dans une étude rétrospective chez 48 patients hypogonadiques d'âge moyen 66 ans traités par testostérone parentérale. Le PSA moyen est passé de 1,03 à 1,32 ng/ml, ce qui représente une vélocité de 0,29 ng/ml/an (28 %). Onze biopsies prostatiques ont été réalisées pour anomalie au toucher rectal survenue au cours de l'étude ; aucune n'a révélé de cancer. Les auteurs rappellent les travaux d'Oesterling et Catalona qui situent la limite de vélocité du PSA à 0,8 ng/ml/an au delà de laquelle il existe un risque de cancer de prostate. Ils montrent ainsi que la testostérone parentérale chez l'homme âgé hypogonadique avec dysérection ne provoque pas de variation significative du taux de PSA ni de sa vélocité au delà des normes pour l'âge.

Chez l'homme eugonadique les études sur l'apport d'androgènes concernent essentiellement les sportifs et les hommes sous contraception hormonale. CS COOPER et coll (1) ont procédé à des injections de testostérone chez des volontaires sains pour amener la testostéronémie à une valeur supranormale et en ont mesuré les effets prostatiques : après 3 mois de traitement aucune variation significative n'a été observée sur le taux de PSA sérique et séminal, ni sur le volume de l'éjaculat, ni sur le volume prostatique.

D'autres études ont vérifié l'absence de variation du PSA sérique chez les dialysés chroniques dont l'anémie est traitée avec autant d'efficacité mais à meilleur coût par testostérone plutôt que par érythropoïétine (9).

Enfin il ne faut signaler que quelques rares cas cliniques publiés d'hommes culturistes sous fortes doses d'anabolisants stéroïdiens qui manifestent des troubles mictionnels avec augmentation de la pollakiurie nocturne et dysurie (10).

Traitement hormonal et cancer prostatique

Malgré l'importance de l'utilisation des anabolisants stéroïdiens chez les sportifs, il n'existe que très peu de cas documentés publiés de cancer prostatique ayant coïncidé avec un traitement hormonal. JT ROBERTS (6) rapporte le cas d'un culturiste de 38 ans prenant des anabolisants depuis 20 ans et chez lequel une résection endoscopique de prostate pratiquée pour dysurie a permis de diagnostiquer un cancer peu différencié avec métastases ganglionnaires. Chez les hommes plus âgés la corrélation est plus difficile à affirmer étant donné la forte prévalence du cancer prostatique dans cette tranche de la vie. PD GUINAN et coll (2), puis KR LOUGHLIN et coll (3) rapportent les cas de 3 patients âgés de 58, 61 et 68 ans dont l'examen clinique était normal avant la mise en route du traitement pour trouble de l'érection ; après respectivement 8, 22 et 12 mois de traitement, l'apparition d'un nodule prostatique a amené à pratiquer une biopsie qui a fait poser le diagnostic d'adénocarcinome peu différencié.

La question est de savoir si dans ces cas, la testostérone exogène a stimulé le développement d'un cancer pT1 (infraclinique) pré-existant, ou a favorisé l'apparition de novo d'un cancer. Aucun modèle expérimental ne permet de répondre à cette question.

Le comportement des cellules néoplasiques prostatiques sous traitement hormonal laisse à penser que leur réaction à un stimulus androgénique est différente de celle d'une cellule prostatique normale ; ainsi la phase initiale du traitement par agoniste LH-RH provoque normalement une stimulation hypophysaire et testiculaire avec augmentation de la testostéronémie. Cette dernière ne va provoquer une augmentation du PSA que chez les patients porteurs d'un cancer prostatique, alors que nous avons vu que l'homme sain n'augmente pas ou très peu son PSA en situation d'hypertestostéronémie. Ceci est peut être lié en partie à la perturbation de la morphologie cellulaire et de l'architecture du tissu tumoral qui rejette plus de PSA dans le sang qu'un tissu normal ou adénomateux ; mais il est également possible que le récepteur aux androgènes de la cellule néoplasique ait une réponse différente en raison d'une mutation génétique liée à la prolifération tumorale.

Bien que le nombre de cas publiés soit faible, et quelque soit le mécanisme intervenant dans la cancérogénèse, il est important de souligner la nécessité de surveiller les patients soumis à un traitement androgénique ; et ce d'autant que nombre de prescriptions émanent de médecins généralistes ou de médecine sportive, pas forcément rompus à l'examen clinique de la prostate et à sa surveillance biologique.

Conclusions

Etant donné la forte prévalence du cancer prostatique après 50 ans, le traitement hormonal substitutif des troubles de l'érection du sujet ne se conçoit qu'en cas d'hypogonadisme documenté par un dosage de la testostérone. Dans ce cas il s'agit d'un traitement efficace, et dans la majorité des cas anodin car restituant la testostérone à un niveau normal.

Chez l'homme jeune sain, le traitement andogénique n'a pas ou peu de conséquence sur la prostate : il ne modifie ni le volume prostatique, ni le volume de l'éjaculat, ni le taux de PSA.

Les cas publiés d'apparition d'un cancer prostatique sous traitement androgénique restent exceptionnels et concernent probablement la stimulation d'un cancer infra-clinique pré-existant.

Malgré ce faible risque, la surveillance prostatique et notamment du PSA, est importante car la cellule prostatique et néoplasique semblent avoir une réponse biologique différente à la testostérone. Ainsi toute augmentation du marqueur doit faire suspecter un cancer et faire discuter la biopsie.

Bibliographie

1) COOPER C.S, PERRY P.J, SPARKS A. E.T, MacINDOE J.H, YATES W.R, WILLIAMS R.D, "Effect of exogenous testosterone on prostate volume, serum and semen prostate specific antigen levels in healthy young men". J.Urol., 1998 : 159, 441-443.

2) GUINAN P.D, SADOUGHI W., ALSHEIK H., ABLIN R.J, ALRENGA D., BUSH I.M, "Impotence therapy and cancer of the prostate". Am. J. Surg., 1976 : 131, 599-600.

3) LOUGHLIN K.R., RICHIE J.P, "Prostate cancer after exogenoux testosterone treatment for impotence". J.Urol., 1997 : 157, 1845.

4) MEIKLE A.W., ARVER S., DOBS A.S, ADOLFSSON J., SANDERS S.W, MIDDLETON R.G, STEPHENSON R.A, HOOVER D.R, RAJARAM L., MAZER N.A, "Prostate size in hypogonadal men treated with a nonscrotal permeation-enhanced testosterone transdermal system". Urol., 1997 : 49, 191-196.

5) ROBEL P., JARDIN A., Androgènes et prostate. Progr.Urol., 1991 : 1, 476-483.

6) ROBERTS J.T, ESSENHIGH D.M, "Adenocarcinoma of prostate in 40-year-old body-builder". Lancet, 1985 : 27, 742.

7) SVETEC D.A, CANBY E.D, THOMPSON I.M, SABANEGH JR E.D, "The effect of parenteral testosterone replacement on prostate specific antigen in hypogonadal men with erectile dysfunction". J.Urol., 1997 : 158, 1775-1777.

8) TENOVER J.S, "Effects of testosterone supplementation in the aging male". J.Clin.Endocr. Metab., 1992 : 75, 1092-1098.

9) TERUEL J.L, AGUILERA A., AVILA C., ORTUNO J., "Effects of androgen therapy on prostatic markers in hemodialyzed patients". Scand. J.Urol.Nephro., 1996 : 30, 129-131.

10) WEMYSS-HOLDEN S.A, HAMDY F.C, HASTIE K.J, "Steroid abuse in athletes, prostatic enlargement and bladder outflow obstruction - is there a relationship ?".Br.J.Urol., 1994 : 74, 476-478.

 G.CARIOU. Service d'Urologie de l'Hôpital des Diaconesses