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2001 > Pédiatrie > Thérapeutique  Telecharger le PDF

Les traitements pharmacologiques dans la mucoviscidose: aspects théoriques

G. Lenoir , A Edelman et I. Sermet

La mucoviscidose, aussi appelée fibrose kystique du pancréas, (Cystic Fibrosis -CF- pour les anglo-saxons) est la plus fréquente des maladies autosomiques récessives graves dans les popula tions nord-européennes. Ces dernières années, la survie s'est considérablement améliorée, passant d'une médiane de moins de 5 ans il y a 20 ans à plus de 30 ans actuellement, avec une augmentation de la survie estimée à 30 % ces 10 dernières années(1). L’année 1989 marque en effet un tournant décisif dans le domaine de la mucoviscidose avec la découverte du gène codant pour la protéine CFTR (Cystic Fibrosis Transmembrane Conductance Regulator) (2). Généticiens, biologistes moléculaires, physiologistes et cliniciens ont alors mis en commun leur compétence en vue d’une meilleure compréhension de la physiopathologie de la maladie et la mise au point de nouveaux traitements pharmacologiques.

Les bases physiopathologiques

Du gène à la protéine

Le gène de la mucoviscidose est situé sur le bras long du chromosome 7 (7q31-3). Il code pour une protéine transmembranaire de 1480 acides aminés appelée CFTR(3). La comparaison de la séquence d’acides aminés de CFTR avec celles des banques de données a permis de l’apparenter à la famille des ABC protéines (ATP-binding Cassette)(4). CFTR est formée de 2 parties symétriques. Chacune comprend 6 domaines transmembranaires et un domaine de liaison à l'ATP ou Nucléotide Binding Fold (NBF). (Figure 1).

Ces 2 structures sont liées entre elles par un domaine cytoplasmique appelé R pour régulateur, riche en sites de phosphorylation pour la protéine-kinase-A (PKA) ATP-dépendante. R est spécifique de CFTR. La maturation de CFTR a lieu dans le réticulum endoplasmique et dans l’appareil de Golgi. Une glycosylation correcte est indispensable pour assurer sa localisation membranaire et son caractère fonctionnel (5). La mucoviscidose est due à un dysfonctionnement de la protéine CFTR. L’évolution de l’électrophysiologie et de la biologie moléculaire a permis de préciser les fonctions normales de CFTR et ses anomalies dans la mucoviscidose.

Rôles de CFTR

La lumière des voies aériennes est bordée par le fluide de surface bronchique. Ce film liquidien est composé d’une couche hydrique profonde au contact des cellules épithéliales sur laquelle glisse une couche plus superficielle épaisse et muqueuse. L’homéostasie hydrique du film de surface bronchique est un facteur essentiel de la clairance mucociliaire. Elle dépend de la qualité de la sécrétion hydroélectrolytique des cellules épithéliales dont un facteur essentiel est le transfert transépithélial d’ions Cl- (Figure 2). En effet, les ions Cl- pénètrent à la face basale de la cellule par le co-transporteur Na/K/2Cl. Ils sont ensuite sécrétés à travers les canaux chlore apicaux.

Les ions Na+ et K+ absorbés en même temps que le Cl- sont recyclés à la face basale de la cellule par la pompe Na/K-ATPase pour les ions Na+, et par des canaux potassiques pour le K+. Seuls les ions Cl- sont sécrétés à la membrane apicale. Ceci est du au gradient électrique favorable maintenu par la sortie basolatérale des ions K+. Le flux net de charges négatives portées par les ions Cl- entraîne de plus une disparité de charges corrigée par un flux paracellulaire d’ions Na+ vers la lumière bronchique. Ce transfert net de NaCl induit ensuite un flux d’eau à travers l’épithélium (6). CFTR est impliquée dans la régulation du transfert de fluides à plusieurs titres.

    • CFTR est un canal chlore Des expériences de transfection du gène cftr normal dans des cellules pulmonaires de patients, de reconstitution de CFTR dans une bi-couche lipidique et de mutagénèse dirigée dans des cellules qui normalement n’expriment pas CFTR ont montré que CFTR était un canal chlore de faible conductance régulé par la voie de l’AMP cyclique (AMPc) (7). L’ouverture du canal se fait selon les étapes suivantes (Figure 3) . La phosphorylation par la PKA d’une ou plusieurs des sérines régulatrices du domaine R permet la fixation de l'ATP sur NBF1. L'hydrolyse de l'ATP provoque la modification de la protéine qui ouvre le pore. Si R n’est que partiellement phosphorylé, l'ATP hydrolysé se dissocie rapidement de NBF1 et le canal reprend sa forme fermée.
    • Si toutes les sérines sont phosphorylées, une molécule d'ATP peut se fixer sur NBF2 et le canal restera ouvert plus longtemps, la fixation de cette seconde molécule stabilisant le canal dans sa conformation ouverte (8). Les ions chlorures passent à travers ce pore selon un gradient électro-chimique. Dans les cellules bronchiques, le gradient favorise le passage de l'intérieur vers la lumière ; dans les cellules sudoripares, c'est l'inverse : la sécrétion se fait de la lumière vers la cellule.
    • Ainsi, un défaut de CFTR a pour conséquence la rétention d'ions Cl- dans les cellules épithéliales bronchiques. Ceci s'accompagne d'une rétention passive d'eau, d'une déshydratation du film hydrique de surface et donc d'une diminution de la clairance muco-ciliaire avec finalement une obstruction des petites voies aériennes par des sécrétions peu mobiles créant ainsi un milieu favorable au développement d’agents infectieux (9). A l'inverse, au niveau sudoripare, ceci se solde par le maintien d'une sécrétion sudorale riche en chlorure de sodium et en eau.
    • CFTR régulateur d'autres canaux ioniques (Figure 4) CFTR active un autre canal chlore, appelé ORCC pour " canal chlorure rectifiant sortant ou Outwartly Rectifying Chloride Channel ". La libération d’ATP intracellulaire par la CFTR activée permettrait en effet l’activation des canaux ORCC par un mécanisme autocrine : l’ATP extrudé se fixerait sur un récepteur purinergique. qui lui même activerait l’ouverture du canal ORCC. CFTR activerait également les canaux chlore calcium dépendant par l’intermédiaire de l’ATP.
    • Ceci provoque une sécrétion d'ions chlorures supplémentaire (10). CFTR régule par ailleurs négativement l'activité d'un canal sodium appelé ENaC ou canal sodique sensible à l'amiloride, responsable de l'absorption d'ions sodium au pôle apical de la cellule épithéliale. Finalement, le défaut de CFTR se traduit donc par une rétention intra-cellulaire de chlore résultant du défaut d'activité de CFTR et du canaux chlorure non CFTR en association avec une hyperabsorption sodique via le canal ENaC (10).
    • Autres fonctions de CFTR Le mécanisme de la mucoviscidose ne peut se résumer à la seule altération des mouvements ioniques. En effet, des études récentes ont notamment montré l'élévation de concentration en chlorure de sodium et le caractère non systématique de diminution du contenu en eau du liquide de surface bronchique, alors qu'on s'attendrait au contraire compte tenu des modèles énoncés ci-dessus (11). De plus, la faible expression de CFTR au niveau pulmonaire, alors que c’est l’atteinte de cet organe qui fait le pronostic de la maladie, laisse penser que d'autres facteurs interviennent dans la physiopathologie. CFTR semble avoir de multiples autres fonctions.
    • Rôle dans l'inflammation

      L'inflammation pourrait être le phénomène initial constitutif de la maladie. Elle semble précéder l'infection. Des lavages broncho-alvéolaires réalisés chez des nourrissons, en dehors de toute infection, montrent en effet un taux de polynucléaires neutrophiles 100 fois supérieur à celui des témoins non malades ainsi qu’une augmentation des cytokines pro-inflammatoires (IL1b , IL6, IL8) et une nette diminution de la sécrétion de cytokines anti-inflammatoires. Ce déséquilibre de la balance cytokines pro-inflammatoires et antiinflammatoires aboutit à une suractivation du polynucléaire neutrophile avec surproduction d’élastase leucocytaire.

      Il en découle l'augmentation de la synthèse de mucus et son hyperviscosité, une inflammation muqueuse chronique avec constitution d'un épithélium dysplasique où les récepteurs bactériens sont à découvert, permettant ainsi l'adhésion bactérienne, la pérennisation de l’infection et finalement la destruction du parenchyme. Lorsqu’elle existe, l’infection chronique majore à son tour l’inflammation (12).

      Rôle dans la défense anti-infectieuse

      Il a été démontré que la concentration en NaCl anormalement élevée du liquide de surface bronchique des patients inhibe l’activité bactéricide de petits peptides antibactériens, les ß-défensines, actifs sur P.aeruginosa et S.aureus (13). Cette activité est directement liée à CFTR car elle est restaurée après transfection cellulaire du gène CFTR normal.

      D’autres fonctions sont actuellement en cours d’investigation :

      transport actif d’autres molécules que Cl- ,rôle dans la sécrétion des composés du mucus, les processus de recyclage des membranes cellulaires….

La mucoviscidose est une maladie génétique

Plus de 800 mutations ont été identifiées à ce jour (Figure 5). Welsh & Smith ont proposé une classification des mutations en 4 classes selon le niveau de CFTR (14).

  • Classe 1 ou mutation générant soit une protéine tronquée (mutation non sens, ou mutation décalant le cadre de lecture), soit une protéine aberrante (mutation au niveau d'un site d'epissage).
  • Classe 2 ou mutation altérant le processus de maturation cellulaire de la protéine. La mutation D F508 en est l’exemple le plus fréquent. Il s'agit de la délétion de 3 paires de bases dans l’exon 10 du gène entraînant la perte d'une phénylalanine en position 508, indispensable au repliement correct de la molécule. Ceci modifie la conformation de la protéine, entraîne une organisation tridimensionnelle défectueuse et interfère avec la maturation, le trafic et l’adressage de la protéine à la membrane apicale. La protéine ne peut pas de ce fait remplir les « contrôles qualité » lors du passage dans le réticulum endoplasmique. Ceci empêche les modifications post-traductionnelles, notamment la glycosylation, nécessaires pour orienter la protéine vers sa localisation membranaire. La protéine, restée ainsi immature, est rapidement dégradée dans le compartiment pré-golgien (15).
  • Classe 3 ou mutation altérant la régulation du canal chlorure : il s'agit d'une mutation au niveau de NBF1 ou du domaine R.
  • Classe 4 ou mutation perturbant la perméabilité du canal chlorure incluant des mutations dans les domaines transmembranaires qui peuvent altérer la conductance aux ionsCl-.
  • Les progrès de la connaissance de la pathologie moléculaire ont amené à identifier une 5ème classe qui est associée à une diminution de l'expression membranaire d'une protéine CFTR fonctionnelle.

Implications pour la definition de nouvelles orientations therapeutiques

Les différentes étapes de la physiopathologie de la maladie ont permis de définir 2 types de stratégie thérapeutique (tableau).

  • La thérapie génique s’attache à corriger le gène anormal.
  • Le principe consiste à introduire dans les cellules cible de l’appareil respiratoire une copie du gène CFTR normal pour transformer les cellules malades en cellules comparables à des cellules hétérozygotes phénotypiquement normales. Après une première phase d’engouement pour cette approche thérapeutique, il est apparu qu’elle est encore loin d’avoir l’efficacité clinique escomptée. De plus, plusieurs problèmes cruciaux ont été soulevés (16). Faire subir des explorations invasives à des patients dont la durée de vie s’approche désormais de 40 ans sans espoir d’effet clinique dans l’immédiat pose un réel problème éthique. Il s’y associe un potentiel effet délétère de l’incorporation sur un poumon en pleine croissance d’un génome extrinsèque ainsi que le théorique risque de transmission à la descendance. A ce véritable dilemme s’ajoutent d’importants obstacles fondamentaux.
  • Le critère de jugement (différence de potentiel nasale (ddp) et brossage nasal pour étude de l’expression de CFTR et de sa fonction sur cellules ciliées).est incertain du fait du très faible niveau d’expression de CFTR au niveau cellulaire et de sa diminution dans le temps malgré des administrations répétées. Les cellules cible -les cellules épithéliales bronchiques et bronchiolaires- sont incapables de réplication et l’ADN introduit par le vecteur doit s’y exprimer en l’absence de multiplication cellulaire. Une efficacité thérapeutique durable exige donc la répétition des administrations.
  • Les vecteurs les plus employés sont les adénovirus. Ils peuvent induire un risque potentiel d’infection, d’excrétion virale, de réaction inflammatoire et immunitaire compromettant ainsi l’efficacité d’une réadministration. Ce risque n’existe pas avec les vecteurs inertes. Mais ils ont l’avantage d’une immunogénicité et d’une toxicité faibles mais leur efficacité est faible comparé à celle des virus.
  • Ces résultats décevants ont orienté les chercheurs vers la thérapie pharmacologique. Celle ci s’attache à corriger les conséquences du défect génétique. On regroupe ces traitements en 4 groupes (tableau) : les thérapies protéiques interviennent au niveau de la régulation post-trancriptionnelle de cftr et visent à pallier l’effet délétère de certaines mutations ; les thérapies de substitution recherchent des voies alternatives aux anomalies de transport ionique ; les thérapies de complémentation cherchent à surexprimer des protéines partageant des fonctions communes avec CFTR ; d’autres traitements plus symptomatiques s’attaquent à la composante inflammatoire, aux troubles rhéologiques du mucus… On ne développera dans ce texte que les 3 premiers.

Thérapie protéique

Substitution d’un codon stop

Certains aminosides, comme la gentamycine, peuvent court-circuiter l’effet d’une mutation codon stop et aboutir à la formation d’une protéine CFTR de taille normale et fonctionnelle (Figure 6) (17). Howard et al ont montré, à partir de cellulles transfectées avec l’ADNc de CFTR portant la mutation G542X (qui introduit un codon stop à la place de la glycine) ou R553X (qui introduit un codon stop à la place de l’arginine), la synthèse d’une protéine CFTR normale et fonctionnelle en présence de gentamycine. Ceci serait du à la capacité de l’aminoside à insérer un acide aminé à la place du codon stop. Un essai sur un petit nombre de patients a démontré un effet positif sur la différence de potentiel nasale (18). Cette approche ne concerne toutefois que les patients porteurs d’une mutation codon stop (5% de l’ensemble des patients).

Correction des défauts de maturation de la protéine

Un deuxième approche est proposée pour les mutations entraînant un défaut des modifications post-traductionnelles, comme D F508. Des travaux fondamentaux ont notamment montré que l’augmentation de la température ou le traitement par glycérol de systèmes cellulaires exprimant la mutation D F508 favorisait l’expression membranaire de CFTRD F508. Le glycérol pourrait agir en stabilisant la forme initiale de la protéine, lui permettant de franchir ainsi le contrôle du reticulum endoplasmique (19). Le sodium-butyrate permet également une augmentation de la quantité de CFTRD F508 membranaire dans les cellules épithéliales bronchiques. Ceci s’associe à une augmentation de la sécrétion de Cl- en réponse à l’AMPc.

Ce type de réponse étant le reflet de l’activité de CFTR, on peut en déduire que le favorise l’expression d’une protéine CFTR fonctionnelle. Le mécanisme d’action serait l’augmentation de la synthèse de la forme initiale de la protéine, dont une petite quantité pourrait ainsi « forcer » le contrôle qualité de la cellule, s’exprimer à la membrane et y fonctionner correctement (Figure 6) Le sodium-butyrate pourrait également favoriser la diminution du catabolisme de la protéine et la synthèse de molécules chaperonnes stabilisatrices de CFTR (20). Le 4-sodium-phéhnylbutyrate par voie orale est actuellement en essai thérapeutique chez le sujet atteint de mucoviscidose.

Les premiers résultats rapportent des corrections des anomalies de la ddp nasale. Ceci suggère que la protéine CFTRD F508, lorsqu’elle atteint la membrane, peut être activée partiellement et que ceci peut conduire à une réponse clinique. Les inhibiteurs des protéines G (comme la toxine pertussique (PTX)) augmentent également le transport de Cl- AMPc dépendant en favorisant l’expression membranaire de CFTR. En effet, la protéine G inhibe le trafficking des vésicules du réticulum endoplasmique à la membrane. Des inhibiteurs des protéines G sont à l’étude (21).

Activation d’une protéine CFTR normalement insérée à la membrane mais non fonctionnelle

La troisième approche vise à corriger le défaut de fonction de la protéine lorsque celle ci est correctement insérée à la membrane (Figure 6). La modification de la conformation de la protéine et l’ouverture du canal résultent de la phosphorylation du domaine R par la PKA. L’augmentation de l’AMPc qui majore l’activité de la PKA, pourrait donc optimiser le fonctionnement de CFTR. Ceci pourrait être obtenu soit en inhibant la dégradation de l’AMPc (inhibiteurs de la phosphodiestérase comme l’isobutyl-méthylxanthine ou IBMX et le milnirone) soit en augmentant sa synthèse (activateurs de l’adénylate cyclase comme la forskorline) (22). Des études sur modèles murins ont montré que l’utilisation combinée de milnirone et forskorline corrigent la ddp nasale de souris hompozygotes pour la mutation D F508 (23). Un deuxième mécanisme est l’inhibition de la déphosphorylation de la protéine et donc la fermeture du canal qui en résulte. par les inhibiteurs des phosphatases. Le troisième mode d’action fait intervenir une activation de la protéine CFTR au niveau de la membrane cellulaire par liaison directe avec les domaines NBF. Ce mécanisme a été proposé pour la génistéine (un inhibiteur des tyrosine kinases) et le CPX (un dérivé de la xanthine) (24).

Les Thérapie de substitution

Ces stratégies thérapeutiques pallient au défaut de CFTR par l’utilisation d’autres voies de rééquilibration des mouvements ioniques. Le dysfonctionnement de CFTR se traduisant par un défaut de sécrétion de chlore et une absorption accrue de sodium à la face apicale de la cellule épithéliale, il existe 2 options : les bloqueurs des canaux Na+ et les activateurs des canaux non CFTR.

Les bloqueurs des canaux Na+

L’amiloride inhibe le fonctionnement du canal EnaC (Figure 2). In vivo, l’amiloride inhibe l’absorption de Na+ au travers de l’épithélium des voies respiratoires de sujets normaux et de sujets malades. Il en découle la diminution de la concentration en Na+ dans les sécrétions bronchiques et de ce fait, une diminution des mouvements d’eau, une meilleure hydratation des sécrétions bronchiques et une amélioration de la clairance muco-ciliaire et de la ddp de façon dose-dépendante (25). Un premier essai mené sur un petit nombre de patients adultes traités pendant 6 mois par amiloride en aérosol a montré un ralentissement de la dégradation des fonctions respiratoires (notamment la Capacité Vitale Fonctionnelle et le Débit Expiratoire Maximum 25-75) et une nette amélioration des caractéristiques rhéologiques du mucus. Ces modifications sont corrélées aux changements de composition des sécrétions bronchiques.

A la suite de cette étude très favorable, des essais ont été menés pour explorer un éventuel bénéfice à court (2 semaines), et à long terme (24 semaines en moyenne). Sur les 7 études concernant l’évolution à court terme, 3 montrent un bénéfice sur les paramètres respiratoires et/ou la clairance muco-ciliaire. Par contre, les études prolongées n’ont pu montrer de bénéfice tant sur le déclin de la fonction pulmonaire que le nombre d’exacerbations infectieuses à P.aeruginosa (26).

Ceci pourrait être du à l’inhibition des défenses anti-bactérienne (défensines) du fait de l’augmentation de la concentration en Na+ du film liquidien bronchique. Un apport local insuffisant pourrait également être une explication. Des propositions utilisant de plus fortes doses, des formes galéniques différentes et des bloqueurs de canaux Na+ de seconde génération (benzamil) sont à l’étude.

Les activateurs des canaux Cl- non CFTR

La sécrétion de Cl- dans des épithéliums humains des voies aériennes se fait à travers 2 sortes de canaux : ceux activés par l’AMPc (CFTR) et ceux activés par les nucléotides triphosphates (principalemnt ORCC). Ces derniers (uridine triphosphate UTP, adénosine triphosphate ATP) activent des canaux Cl- non CFTR directement ou par l’intermédiaire d’une interaction avec les récepteurs purinergiques P2Y2. La stratégie thérapeutique consiste donc à activer cette voie de conductance Cl- alternative (Figure 2).

Les études in vitro dans des cultures primaires de cellules épithéliales bronchiques ont montré que l’incubation avec l’ATP ou l’UTP augmentait la conductance du Cl-, l’activation des battements ciliaires et de la dégranulation cellulaire. Ceci souligne le rôle physiologique des nucléotides endogènes dans la défense anti-infectieuse, particulièrement l’ATP présent à la surface de l’épithélium bronchique. Dans les essais réalisés chez l’homme, l’utp est plus volontiers utilisé du fait de l’effet bronchoconstricteur de l’ATP. Les études préliminaires semblent également en faveur d’une meilleure conductance Cl- et d’une meilleure clairance mucociliaire (27). Cette réponse est plus importante chez les sujets malades. Elle peut être potentialisée de façon dose-dépendante par l’amiloride.

Elle est cependant de faible durée du fait de l’hydrolyse rapide de ces composés par les nucléotidases des voies aériennes. Un nucléotide de synthèse, l’UTPg S, plus résistant à l’hydrolyse pourrait être une alternative (28). Une étude récente sur des malades adultes a démontré que l’inhalation d’UTP et d’amiloride normalisait la clairance mucociliaire au niveau des petites bronches pendant la période d’administration. Des études sont en cours pour tester l’effet de fortes doses d’UTP chez des enfants de plus de 6 ans.

Thérapie de complémentation

Cette stratégie thérapeutique innovante est basée sur l’analogie structurale et fonctionnelle entre CFTR et d’autres proteines ABC. Les ABC protéines représentent la plus grande famille des transporteurs connue à ce jour. Chez l'homme, les plus connues sont outre CFTR, la P-glycoprotéine (P-gP), produit du gène MDR (multidrug resistance), MRP (multiresistance protéine), et le produit du gène SUR impliqué chez l’homme dans l’hyperinsulinisme néonatal. Ces protéines sont des canaux ioniques (CFTR), ou contrôlent des canaux ioniques (CFTR, SUR) (4). Elles peuvent également être impliquées dans les mécanismes d'extrusion hors de la cellule de xénobiotiques en particulier à visée médicamenteuse anticancéreuse (P-gP, MRP).

Les protéines de la famille MRP sont impliquées dans la phase III de la détoxification c'est à dire le rejet hors de la cellule de conjugués liés au glutathion, notamment des substances proinflammatoires synthétisées localement telles les leucotriènes (29). MRP pourrait donc assurer une fonction de défense de l'épithélium bronchique par épuration de xénobiotiques et efflux de toxines endogènes proinflammatoires. Des données d'origine clinique et fondamentale ont conduit à .formuler l'hypothèse d'une nouvelle fonction de CFTR.

Observations cliniques Plusieurs patients ont eu une nette amélioration de la symptomatologie pulmonaire (disparition quasi complète de l'encombrement et absence de nécessité de cures antibiotiques, amélioration des fonctions respiratoires) pendant 1 à 2 ans après une chimiothérapie anticancéreuse. Ces chimiothérapies ont en commun des anthracyclines (Epirubicine, Dauxorubicine) et un agent alkylant (Cyclophosphamide). Ces agents sont connus pour induire la P-gp et la MRP. Ceci a amené à s'interroger sur le rôle thérapeutique éventuel de ces drogues dans la mucoviscidose (30).

Observations fondamentales Il existe une analogie de structure entre CFTR et P-gP et surtout MRP (31). Ceci s‘associe à une analogie de fonction : contrôle commun de la transcription de CFTR et MDR (32,33) ; rôle de multi-drug-resistance analogue à celui assuré par la P-gP joué par CFTR lorsqu’elle est surexprimée (34). Une étude récente vient de mettre en évidence le transport de conjugués du glucuronate et du glutathion par CFTR à l’instar de MRP(35).

Hypothèse A la lumière des observations cliniques et faits expérimentaux décrits ci dessus, on peut postuler que la protéine CFTR pourrait être impliquée dans l’élimination des métabolites endogènes proinflammatoires. Ce phénomène participerait à la défense des cellules contre l’inflammation. Son absence chez les malades atteints de mucoviscidose conduirait à l’aggravation des effets consécutifs à l’inflammation. Dans ce cadre, l’induction de la synthèse de MRP par des drogues anticancéreuses aboutirait à la correction du défaut de transport des molécules complexées avec le glutathion assuré chez les sujets sains par CFTR (36).

La conséquence ultime de ce phénomène de complémentation protéique permettrait par des mécanismes encore inconnus, de corriger le transport de fluides dans les organes atteints et d’assurer une substitution fonctionnelle de CFTR par MRP. Cette hypothèse est corroborée par le rôle aggravant pour la symptomatologie pulmonaire de la mucoviscidose de l'allèle 0/0 du génotype GSTM1 codant pour la glutathion-5-transférase (autrement dit lorsqu'il existe un déficit intracellulaire en glutathion)(37). Surtout, la substitution fonctionnelle est une propriété conservée au sein des protéines ABC pendant l’évolution tant au niveau des cellules procaryotes que eucaryotes (38). Lorsqu’une population cellulaire est déficiente en une ABC protéine , le déficit fonctionnel qui en résulte peut être pallié par la surexpression d’une autre ABC protéine. La condition requise est l’analogie structurale et fonctionnelle entre les 2 protéines, ce qui est le cas ici entre CFTR et MRP et à un mondre degré entre CFTR et la P-gP.

Ce phénomène de complémentation protéique de CFTR par MRP induit par la chimiothérapie aurait des perspectives thérapeutiques importantes pour les malades atteints de mucoviscidose. Une nouvelle approche serait en effet de complémenter l'absence de CFTR par d'autres ABC protéines dont l'expression est activable par des drogues connues (37). Certaines sont très toxiques, tels les antitumoraux. D’autres, comme la colchicine, et certains nouveaux macrolides peuvent aussi être de bons inducteurs. Cette hypothèse de biologie fondamentale et ces faits cliniques doivent être confortés par des travaux fondamentaux et des essais cliniques.

Conclusion

La compréhension des nombreux rôles de CFTR est essentielle pour développer des approches pharmacologiques rationnelles (40,41). La pléthore de fonctions attribuées à CFTR devrait logiquement trouver une hypothèse uniciste. C’est ce rôle central qui reste à découvrir pour avoir des avancées thérapeutiques majeures.

Physiopathologie de la mucoviscidose et différentes stratégies thérapeutiques

Gène anormal

Thérapie génique

Protéine défectueuse

Thérapie protéique

Anomalie de fonction de la protéine

Transport ionique altéré

Thérapie de substitution

Autre fonction

Thérapie de complémentation

Mucus anormal

Fluidifiants du mucus

Mucokinétiques

Inflammation tissulaire

Anti-inflammatoires

Infection parenchymateuse chronique

Anti-infectieux

Destruction tissulaire

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    Service de Pédiatrie Générale. Hôpital Necker-Enfants Malades, 149 rue de Sèvres, 75015 PARIS. 2. INSERM U 467, Faculté de Médecine Necker, 156 rue de Vaugirard, 75730 PARIS