Les XXVIIe JTA
> Présentation
> Programme
> Comité scientifique
> Intervenants
> Conference J. Cohen
> Contacter les JTA

En pratique
> S'inscrire
> Renseignements
> Vol et Hébergement

Les archives
> Andrologie
> Biologie
> Gynécologie
> Infertilité
> Médecine foetale
> Néonatologie
> Nutrition
> Obstétrique
> Pédiatrie
> Périnatalité
> Périnéologie
> Phlébologie
> Psychosomatique

> Authors' race

Rechercher

2002 > Gynécologie > pratique médicale  Telecharger le PDF

Médecine basée sur les preuves et médecine basée sur le bon sens : s'agit-il de deux notions antinomiques

J. Ghisolfi

Dans une science clinique qui a été jusqu'à peu de temps basée sur l'expérience, mais aussi l'empirisme, notre société demande, plus ou moins consciemment, avec plus ou moins de force, que soit considéré le principe de précaution. C'est particulièrement vrai, et on peut le comprendre en pédiatrie. On ne peut imaginer que le choix médical ne soit pas le bon choix pour nos enfants, que nos propositions diététiques et thérapeutiques puissent générer le moindre risque et n'amènent pas de bénéfices.

Une médecine non discutable mais encore difficile à prendre en compte

Sur ce plan du principe, la médecine pédiatrique quotidienne n'est pas différente de la médecine en charge de l'adulte. Basée sur les preuves, quand ces preuves sont véritablement établies, elle ne peut être que la seule " bonne " médecine. La remise en cause de nos réflexions, de nos certitudes non fondées, de ce qui est empirique dans nos attitudes, ne peut qu'être bénéfique pour l'enfant. En ce sens, on ne peut imaginer aujourd'hui ne pas utiliser ces données comme outil de formation et d'aide à la décision.

En pratique pédiatrique, l'utilisation de la médecine basée sur les preuves est cependant limitée par le faible nombre de publications se rapportant véritablement à ce thème. Un récent ouvrage français (1), traduction en grande partie d'éditions anglaises, apporte des données pour l'otite moyenne aiguë, la laryngite striduleuse, l'asthme, la constipation, l'énurésie, l'infection urinaire des enfants. On est étonné, à sa lecture par le nombre de fois où il est mentionné, " nous n'avons trouvé aucun essai comparatif, …. Les données limitées n'apportent aucune preuve … . De façon évidente, le travail qui reste à faire en pédiatrie est considérable et sera difficile à conduire. On sait que les essais cliniques menés avec une méthodologie rigoureuse sont difficiles à réaliser chez l'enfant, particulièrement lorsqu'il s'agit de pathologies " courantes ".

Le développement récent des conférences de consensus, des avis des experts a permis cependant d'améliorer la qualité de l'approche diagnostique ou de l'approche thérapeutique pour un certain nombre d'affections. Des exemples concrets peuvent être cités en gastroentérologie comme dans toutes les spécialités pédiatriques. Les indications de l'endoscopie dans le reflux gastro-oesophagien du nourrisson ont été précisées, évitant un examen traumatisant à de nombreux enfants. La réhydratation et la réalimentation des diarrhées aiguës ont été codifiées, diminuant la mortalité et la morbidité de ces affections, y compris en France. Les protocoles thérapeutiques de l'infection à helicobacter pylori chez l'enfant sont aujourd'hui bien évalués. Dans ces situations pathologiques spécifiques, la " médecine basée sur les preuves " doit à l'évidence, être considérée lors de la prise en charge individuelle et ne soulève guère de questions particulières.

La médecine basée sur les preuves a des limites

Les limites de l'utilisation de la médecine basée sur les preuves sont cependant fréquemment rencontrées en pédiatrie. La première difficulté est liée à l'observance des recommandations parfois difficile, voire impossible à obtenir. Une affection très fréquente en pédiatrie, la constipation, en est un bon exemple. Les ouvrages de référence sur ce thème nous disent " qu'il n'y a chez l'enfant pas de preuve directe que les fibres alimentaires exercent un effet bénéfique sur le temps de transit colique ou sur le taux de guérison de la constipation de l'enfant … " et que " …. il n'y a pas d'éléments de preuves suggérant que les laxatifs osmotiques ou stimulants augmentent significativement la fréquence des selles ".

Malgré ces " non évidences ", il est généralement proposé aujourd'hui par les meilleurs experts, de traiter la constipation de l'enfant par un régime riche en fibres, la prise médicamenteuse d'huile de paraffine et ou de laxatifs osmotiques ou stimulants. En pratique, la situation n'est pas aussi simple. L'expérience montre que la prescription diététique prévoyant un régime riche en fibres est difficile à mettre en œuvre et que la prise médicamenteuse de ces médicaments est souvent refusée ou rapidement interrompue. Les parents ont beaucoup de difficultés pour suivre, quotidiennement et pendant des mois ces conseils. Pour être efficace l'approche particulière de cette constipation devient nécessaire, basée avant tout sur la dimension sociale et humaine, .… le bon sens, qui peuvent amener à une médecine non rigoureuse, empirique.

Une médecine qui peut aboutir à des recommandations peu fiables

Chez l'enfant comme chez l'adulte, la médecine prédictive est à la mode. Elle peut avoir deux approches qui toutes les deux montrent les limites de la médecine basée sur les preuves.

Une est basée sur la reconnaissance et la prise en charge des sujets à risque. L'hypercholestérolémie chez l'enfant a fait, sur ce plan, l'objet de nombreux travaux. Sur la base de preuves " irréfutables " des milliers d'enfants ont été mis sous diététique spécifique parfois très contraignante, voire sous traitement médicamenteux pendant des dizaines d'années. On sait pourtant que nous ne savons pas détecter la plupart des enfants à risque de cardiopathie ischémique liée à une hypercholestérolémie essentielle (2). Le risque de décès prématuré et de maladie cardiovasculaire précoce au cours de l'hypercholestérolémie familiale a peut être été surestimé, en raison du fait que la plupart des études se sont intéressées essentiellement aux patients et aux familles qui ont fait l'objet d'un suivi médical et non à ceux qui en sont restés à distance.

L'étude de tous les membres d'une famille hollandaise atteinte, constituant un arbre généalogique de 1800 à 1989, montre que la plupart des patients non traités avait une durée de vie normale. Cette variation de mortalité suggère que le devenir de cette maladie est largement déterminé, au-delà des gènes, par une interaction avec des facteurs environnementaux, probablement largement sous estimés actuellement.

Le bon sens peut-il être un facteur d'avancées médicales non prouvées ?

La deuxième approche, en matière de médecine prédictive, fait discuter l'utilisation des avancées scientifiques alors même que les preuves n'existent pas ou restent insuffisantes. Les exemples sont nombreux en nutrition infantile. Les acides gras polyinsaturés supplémentent depuis plusieurs années les préparations pour nourrissons. Le but recherché sur la base de données expérimentales incontestables, est d'améliorer les performances neurosensorielles et intellectuelles des enfants. Le bon sens nous fait dire que beaucoup d'entre nous n'ont pas bénéficié de ce progrès scientifique et nous fait penser qu'apparemment nos acquisitions ne sont pas en deçà de la moyenne nationale des personnes de notre âge et de notre condition sociale. Conduite diététique basée sur les preuves et bon sens ne se rejoignent guère.

On peut se demander aussi si le bon sens ne peut pas être la base de progrès alors même que les preuves ne sont pas apportées. Sur ce plan, les probiotiques constituent un bon exemple. L'observation clinique depuis des millénaires a suggéré que les produits alimentaires contenant des bactéries lactiques pouvaient avoir un rôle bénéfique pour la santé de l'homme. En pédiatrie les études de Tissier, en 1900 ont attiré l'attention sur la relation possible entre la présence de bifidobactéries dans les selles, et la moindre incidence des diarrhées aiguës chez l'enfant au sein. Depuis lors de nombreuses recherches ont visé à isoler ces facteurs bifidogènes dans le lait de femme. L'importance physiologique d'autres germes que les bifidobactéries a été mise en évidence. Ces microorganismes sont désignés sous le terme générique de probiotiques, et supplémentent aujourd'hui les préparations pour nourrissons alors que l'effet bénéfique pour la santé de l'enfant n'est pas démontré.

Le bon sens conduit à l'évidence à ne proposer qu'une médecine basée sur les preuves. Encore faut-il que ces preuves existent, que les recommandations qu'elles amènent soient applicables et que, lorsqu'elles sont encore insuffisantes, elles ne soient pas un frein au progrès médical. Ce n'est pas de la rigueur médicale, mais du bon sens de considérer que les preuves sont évolutives en fonction du progrès des connaissances et que la vérité d'hier n'est pas toujours celle d'aujourd'hui et de demain.

Mots clés : . médecine basée sur les preuves. pratique médicale. pédiatrie

Bibliographie

1 - Décider pour traiter, Clinical evidence. Edition française, Editions Rand, France, 2001

2 - NCEP. Expert panel on blood cholesterol levels in children and adolescents. Pediatrics 1992 ; 89 : 495-501

3 - SIJBRABDS EJG, Survie au cours des hypercholestérolémies familiales : les gènes jouent un rôle et l'environnement également, Brit Med J. 2001 ; 322 : 1019-23

Hôpital des Enfants - CHU Toulouse