Le marché
des produits alimentaires destinés aux nourrissons et aux enfants âgés de moins
de trois ans, normaux, a toujours été, depuis plus d’un siècle, sous l’impulsion
constante des sociétés qui conçoivent et/ou commercialisent ces aliments, en
constante évolution. Pour cette période de la vie, les progrès portent essentiellement
sur les préparations pour nourrissons, de suite et de croissance.
I – EVOLUTION
DE LA VALEUR NUTRITIONNELLE DES PREPARATIONS LACTEES POUR JEUNES ENFANTS AGES
DE MOINS DE TROIS ANS
Jusqu’aux
années 1950, l’alternative alimentaire, lorsque le nouveau-né n’était pas nourri
au sein, n’était pas sans risques. Vers les années 1950-1960, l’évolution des
connaissances scientifiques et des procédés industriels de fabrication, a permis
de modifier cette situation. Le lait de vache, base principale de ces préparations,
a été de plus en plus modifié pour le rendre plus digeste et plus proche des
apports nutritionnels alors recommandés. Il a été aussi conçu des préparations
à base de soja convenant mieux aux jeunes enfants. Pour assurer que la composition
de ces formules serait toujours bien adaptée, en France, deux arrêtés ont, dès
1976 et 1978 (1, 2), imposé un cadre réglementaire à ces laits infantiles industriels.
Aujourd’hui
la réglementation européenne, transcrite en droit national, définit de façon
plus élaborée la composition des deux types de préparations lactées autorisées
à être commercialisées, soit les préparations pour nourrissons (pour les enfants
nés à terme, de la naissance à 4 à 6 mois), et les préparations de suite, (pour
les nourrissons âgés de 4-6 mois à 12 mois). Les laits de croissance, proposés
pour mieux couvrir que le lait de vache les besoins nutritionnels des enfants
âgés de 1 à 3 ans, n’ont pas fait l’objet à ce jour, de texte réglementaire
spécifique et sont commercialisés dans le cadre de la réglementation des laits
de suite.
L’évolution
de la composition de ces préparations lactées a ainsi constitué un progrès considérable
sur le plan de la nutrition infantile. La meilleure adaptation aux besoins nutritionnels
et aux capacités digestives du jeune enfant de la formule protéique, lipidique
et glucidique, des teneurs en sels minéraux, oligoéléments et vitamines, a fait
que lorsque la mère ne pouvait ou ne voulait pas allaiter, ou lorsque l’allaitement
au sein après l’âge de 6 mois ne suffisait plus, ces préparations, permettaient
d’obtenir une croissance somatique « normale », un développement psychomoteur
paraissant satisfaisant, sans risque pathologique majeur.
L’évolution
des conceptions sur ce que devrait être la composition optimale de ces formules
infantiles était essentiellement basée, d’une part sur les progrès des connaissances
sur le lait de femme, sur de nombreuses études expérimentales, in vitro, et
conduites chez l’animal, sur des études réalisées chez l’homme adulte et, une
recherche clinique effectuée sur de jeunes enfants normaux dont on peut parfois
discuter la validité (3). La présentation était claire et compréhensible pour
le milieu médical. Il s’agissait de préparations pour nourrissons, de suite
et de croissance, entrant strictement dans le cadre réglementaire en vigueur,
supplémentées, en nutriments, « utiles »,
sinon
nécessaires, sur la base de données scientifiques reconnues. Ces supplémentations
ne posaient aucune interrogation car elles figuraient, parfois certes à posteriori,
sur des listes de nutriments ou ingrédients autorisés dans la composition de
ces formules pour jeunes enfants. L’allégation, figurant dans les textes sous-tendant
la commercialisation du produit et sur l’étiquetage, ne portait que sur le nutriment
ajouté (… enrichi en taurine, en acides gras polyinsaturés (AGPI), à protéines
hydrolysées ou hypoantigéniques, etc…) et était donc autorisée. Pour certaines
présentations cependant, l’allégation allait plus loin comme par exemple, (source :
dictionnaire Vidal 1997) : AGPI nécessaires au bon développement du nourrisson,
acidification par des ferments lactiques améliorant la digestibilité des protéines
et du lactose, présence de nucléotides pour maintenir une bonne activité immunitaire,
addition de probiotiques pour participer au développement de la barrière digestive,
etc…
II – DE L’APPROCHE
NUTRITIONNELLE A L’APPROCHE FONCTIONNELLE
Dans
le même temps, au-delà de ces dispositions réglementaires, les sociétés industrielles
produisant et/ou commercialisant ces préparations lactées pour jeunes enfants,
prenant en compte l’évolution des connaissances, ont introduit, dans ces formules
sur cette base réglementée de composition, des nutriments ou ingrédients, pour
les rendre «encore plus adaptées aux besoins du nourrisson », pour
leur donner un « effet santé » voire un effet prévention de troubles
cliniques ou même de maladies. C’est ainsi qu’a été confortée la commercialisation
de laits acidifiés qui devaient permettre de diminuer « les petits troubles
digestifs ». Ont été aussi proposés sur le marché des laits enrichis en
acides gras polyinsaturés pour améliorer le développement cérébro-sensoriel
et psychomoteur, en taurine, pour son rôle éventuel dans l’absorption lipidique
intestinale et dans la maturation cérébro sensorielle, en particulier rétinienne,
en nucléotides, en raison de leur action sur le système immunitaire. Des préparations
lactées à protéines partiellement hydrolysées ont été par ailleurs commercialisées
dans le but annoncé de diminuer leur charge antigénique, et en conséquence de
réduire le risque de survenue de maladies allergiques.
Depuis
un ou deux ans, et particulièrement ces derniers mois en France, on assiste
ainsi à la mise sur le marché, en pharmacie et en grandes surfaces commerciales,
de préparations pour nourrissons, de suite et de croissance, avec une justification
de présentation, pour le milieu médical et pour le public, qui a beaucoup changé.
Si ces types de préparations pour nourrissons et enfants en bas âge aujourd’hui
commercialisées entrent dans le cadre réglementaire en vigueur sur le plan de
leur composition, si le (ou les) nutriment(s), le (ou les) ingrédient(s) utilisé(s)
en supplémentation sont généralement mentionnés, l’accent est davantage mis
sur l’effet fonctionnel, lié à cette supplémentation. Ces préparations sont
ainsi présentées (sources dictionnaire Vidal 2000 et documents de présentation
des sociétés) comme étant à effet anti régurgitations (laits AR), proposées
pour pallier à l’immaturité digestive, pour la tranquillité, le bon confort
digestif, pour la constipation, pour régulariser le transit, pour favoriser
le développement d’une flore bifide, pour apporter une activité lactasique,
pour renforcer les défenses naturelles de bébé, pour prévenir les infections
intestinales, pour le bien être du nourrisson ….
La dénomination
a été jusqu’à ce jour peu employée en pédiatrie, mais on peut percevoir que,
comme cela est observé depuis une dizaine d’années en nutrition adulte, les
aliments pour jeunes enfants sont entrés dans l’ère des préparations fonctionnelles.
Cette
évolution n’est pas sans signification et n’est pas sans soulever de nombreuses
interrogations.
III – PREPARATIONS
LACTEES POUR NOURRISSONS - ENFANTS EN BAS AGE ET ALIMENTS FONCTIONNELS
Ces
« nouvelles » préparations, nouvelles parfois uniquement par leur
présentation, répondent sur tous les points à la définition, aujourd’hui à peu
près unanimement admise des aliments fonctionnels (4). Il s’agit bien :
…. d’un aliment qui fait partie du régime quotidien, qui par son goût, son apparence
ou son odeur, ne se différencie pas d’un aliment habituel à cet âge …. d’un
aliment qui est proposé parce qu’il exerce un effet bénéfique spécifique sur
une ou plusieurs fonctions du corps, cet effet allant au-delà des effets nutritionnels
habituels de la préparation
…. d’un aliment pour lequel on allègue qu’il a un effet bénéfique sur une fonction
de l’organisme, sur le bien être, l’état de santé du jeune enfant, ou pour la
prévention de maladies.
Une
préparation alimentaire fonctionnelle, en pédiatrie comme chez l’adulte, n’entre
pas dans le cadre d’une nouvelle catégorie d’aliments. Toutes ces formules pédiatriques
respectent le cadre réglementaire des préparations pour nourrissons, de suite
et de croissance. Comme le souligne M. Roberfroid, un aliment fonctionnel ne
correspond qu’à un concept. Sa particularité ne vient pas de sa composition.
Elle ne découle que de ses effets bénéfiques éventuels et donc n’existe que
par son allégation (5).
IV – PREPARATIONS
« FONCTIONNELLES » EN PEDIATRIE. CADRE REGLEMENTAIRE ET CONDUITE DE
COMMERCIALISATION
Le développement
rapide de la commercialisation de ces préparations « fonctionnelles »
en pédiatrie soulève cinq types de questions qui concernent les conditions de
conception du produit, l’utilisation de nouveaux nutriments et/ou ingrédients
qui pourraient être considérés comme étant « nouveaux » en nutrition
infantile, la procédure utilisée avant mise sur le marché, l’allégation qui
sous-tend la commercialisation, l’autorisation de mise sur le marché.
1 – Conditions de
conception du produit
La procédure
que devrait suivre la conception d’un aliment fonctionnel a fait l’objet, pour
des aliments destinés à l’homme adulte, de récentes recommandations (5). Il
est généralement proposé que quatre points devraient être particulièrement pris
en compte :
1 –
connaissances scientifiques reconnues sur l’effet fonctionnel : identification
des « principes » actifs et de leurs effecteurs, des modifications
observées de (ou des) fonction(s) et/ou structure(s), compréhension des mécanismes
(études expérimentales in vitro et in vivo chez l’animal, données épidémiologiques
en rapport véritablement avec l’objet de commercialisation du produit).
2 –
identification et validation de marqueurs qui devraient être spécifiques, pratiques,
standards, reproductibles, sensibles, éthiques. Ces marqueurs doivent permettre
effectivement d’évaluer le bénéfice attendu, la sécurité d’emploi de l’aliment,
les risques potentiels, à court, moyen et long terme.
3 –
essais cliniques préalables (volontaires sains) sur les bénéfices attendus (preuves
des changements bénéfiques), les risques potentiels. Ces essais cliniques devraient
être réalisés en utilisant des concentrations du « principe » actif
(nutriment ou ingrédient), supplémentant
véritablement
l’aliment considéré (on sait que l’action du « principe » est liée
en partie au substrat dans lequel il est placé) en respectant des conditions
d’emploi correspondant à celles prévues ou possibles dans le cadre de la commercialisation.
4 –
études cliniques préalables, en situation d’emploi, telles que le prévoit la
mise sur le marché, donc, dans ce cas, chez le jeune enfant, à des périodes
d’âge bien définies, afin de s'assurer que l'aliment fonctionnel est bien accepté,
bien toléré, ne comporte pas de risques et a bien les effets bénéfiques attendus.
Ces études devraient être conduites en utilisant les marqueurs précédemment
identifiés et validés.
Pour
ce dernier point, les conditions particulières de la recherche clinique en pédiatrie,
dans le cadre de la loi n° 88-1138 du 20 décembre 1988 relative à la protection
des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales dite loi Hurriet-Serusclat,
sont un frein indiscutable et majeur à cette approche pourtant nécessaire (6).
Ces dispositions, dont on comprend le bien-fondé, peuvent conduire à condamner,
de fait, la mise en uvre en France de ces nécessaires études cliniques préalables
à la commercialisation de ces produits alimentaires pour jeunes enfants. Le
risque est grand, et il existe aujourd'hui, de voir des préparations mises sur
le marché avec comme seule justification, des essais réalisés en dehors de France,
en Europe ou ailleurs, alors que les conditions de l’expérimentation ne sont
pas celles qu’on est en droit d’attendre. La France apparaîtra, pour ces études
cliniques conduites chez l’enfant normal, comme un pays qu’il n’est pas nécessaire
de consulter, voire qu’il faut éviter, puisque la mise en uvre de ce qui est
une action de recherche est quasi impossible à envisager. Une réflexion sur
ce que doit être l’interprétation de cette loi, et probablement sur son adaptation
à la nutrition infantile, paraît nécessaire et urgente.
Sur
un plan général, sur cette question de procédures à respecter lors de la conception
des préparations « fonctionnelles » pour jeunes enfants, on peut se
demander si tous les points sont toujours bien considérés.
2 – Utilisation des
nutriments ou ingrédients à l’origine de l’effet fonctionnel
La plupart
de ceux utilisés depuis quelques années comme les acides gras polyinsaturés,
les nucléotides, les protéines hydrolysées, entrent dans le cadre de nutriments
ou ingrédients réglementairement autorisés pour les aliments destinés aux enfants.
Pour ces produits, aucune question particulière ne se pose donc pour leur emploi
pédiatrique.
Il ne
peut s’agir de compléments issus de procédés de génie génétique puisque les
nutriments et ingrédients génétiquement modifiés sont interdits en Europe, en
pédiatrie.
La recherche
d’un effet fonctionnel innovant peut cependant, et c’est ce que l’on observe
ces derniers mois, conduire à supplémenter ces préparations avec des nutriments
ou ingrédients, isolément ou en association, jamais utilisés chez le jeune enfant
ou qui n’ont fait l’objet d’aucune commercialisation à visée pédiatrique en
Europe.
Sur ce point, la réglementation en vigueur peut prêter à discussion et peut
être l’objet, pour les produits relevant de la nutrition pédiatrique, d’interprétations
qui peuvent interroger. Deux textes peuvent ainsi être rappelés :
1 –
Règlement CE 258/97, relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients
alimentaires (7). Il est indiqué dans l’article premier de ce règlement (alinéa
f) que « le présent règlement s’applique à la mise sur le marché dans la
communauté de nouveaux aliments et de nouveaux ingrédients alimentaires …. qui
relèvent des catégories suivantes ». Parmi ces catégories
sont
cités « les aliments et ingrédients alimentaires auxquels a été appliqué
un procédé de production qui n’est pas couramment utilisé, lorsque ce procédé
entraîne dans la composition ou dans la structure des aliments ou des ingrédients
alimentaires, des modifications significatives de leur valeur nutritive, de
leur métabolisme ou de leur teneur en substances indésirables".
Peut-on
considérer aujourd’hui que cette disposition, dont la signification et la portée
mériteraient des éclaircissements, est bien prise en compte pour les produits
présentés comme étant nouveaux, commercialement, offerts pour le jeune enfant ?
Ce même
texte précise que ce règlement s’applique aussi (article premier, alinéa f),
aux aliments et ingrédients alimentaires présentant une structure primaire nouvelle
ou délibérément modifiée.
Cette
disposition est-elle à respecter lorsqu’il s’agit de nutriments dont la structure
a été modifiée, pour lesquels on dispose de données scientifiques validées prouvant
l’intérêt, qui ont été utilisés chez l’adulte, mais jamais en pédiatrie ?
S’agit-il dans ce cas d’un nouveau nutriment pour les jeunes enfants ?
Dans
le même règlement figure à l’article 8 (alinéa a) la mention : « un
nouvel aliment ou un nouvel ingrédient est réputé …. ne plus être équivalent
à un aliment ou ingrédient existant …. si une évaluation scientifique fondée
sur une utilisation appropriée des données existantes peut démontrer que les
caractéristiques évaluées diffèrent de celles d’un aliment ou ingrédient alimentaire
classique, compte tenu des limites admises des variations naturelles de ces
caractéristiques.
Cette
proposition réglementaire ne s’applique-t-elle pas à des préparations infantiles
déjà commercialisées en France ?
2 –
Directive 91/321 du 14 mai 1991 (JOCE du 04.04.91) concernant les préparations
pour nourrissons et les préparations de suite.
Un article de cette directive peut être retenu (article 3, alinéas 1 et 2).
« Les préparations pour nourrissons et de suite sont fabriquées ….. à partir
d’ingrédients alimentaires dont il a été démontré par des données scientifiques
généralement admises qu’ils conviennent à l’alimentation particulière du nourrisson
dès sa naissance ».
Dispose-t-on,
toujours, avant commercialisation de données scientifiques validées assurant
de l’intérêt et de l’absence de risques pour un emploi dès la naissance ?
L’analyse
de ces textes réglementaires suscite par ailleurs quelques commentaires généraux.
Ainsi, dans le texte se rapportant aux préparations pour nourrissons et de suite
(directive 91/321), il est bien précisé qu’il doit être démontré « scientifiquement »
que les ingrédients supplémentés conviennent à l’alimentation particulière des
jeunes enfants. Sur ce point, on peut donc poser la question du bien fondé et
du risque potentiel de décisions basées sur l’autorisation, ou la non nécessité
de demande d’autorisation d’utilisation d’aliments, de nutriments et d’ingrédients
alimentaires, destinés aux nouveau-nés et aux nourrissons parce qu’ils figurent
sur une liste de produits autorisés chez l’adulte, parfois d’ailleurs pour des
indications très différentes de celles prévues pour le jeune enfant. Pendant
au moins les premiers mois de sa vie, l’enfant a un organisme en développement,
une immaturité physiologique, des conditions métaboliques, biologiques, des
modes d’alimentation, qui peuvent être très différentes de ceux de l’adulte.
On devrait sur ce plan appliquer strictement la recommandation du « scientific
committe on foods de la CE » : « any change in the form in which
a food is placed ont the market, its production, processing or use of
unusual
ingredients, will lead to the necessity of special attention to this product
and its examination on the safety and health of the consumer ». Cette proposition
mériterait qu’elle soit explicitée par une réglementation spécifique à la nutrition
infantile lorsqu’il s’agit d’aliments ou ingrédients qui peuvent, en application
du règlement CE 258/97 être considérés comme nouveaux pour l’alimentation du
jeune enfant.
3 – Procédure utilisée
avant mise sur le marché
Comme
le souligne M. Roberfroid (5), cette procédure devrait impliquer, dans une étroite
collaboration, dans un dialogue constant, tous les intervenants issus des milieux
hospitalo-universitaires, des organismes de recherche et des sociétés, chercheurs,
nutritionnistes, pédiatres, responsables du marketing, ayant compétence sur
l’innovation considérée. On peut comprendre l’importance du frein que constitue
la diffusion d’informations concernant l’innovation avant commercialisation.
Cependant cette disposition devrait pouvoir être considérée comme un principe
de précaution pour les jeunes enfants, mais aussi pour les sociétés distributrices.
Les
conditions permettant d’assurer l’absence totale de risque à court, moyen et
long terme, d’affirmer que les conditions de sécurité totale d’emploi du produit
alimentaire « fonctionnel » chez
l’enfant sont remplies, de garantir que les bénéfices attendus seront bien obtenus,
ne pourront être que le fruit de ce type de démarche collaborative. Elle implique
pour la pédiatrie, outre la mise à disposition de compétences réelles, une approche
spécifique qui comporte une recherche clinique chez l’enfant dont on a souligné
la difficulté de mise en uvre (6) et le caractère très aléatoire (3).
Dans
tous les cas, une approche scientifique, rigoureuse, est indispensable. Elle
est la base incontournable de la légitimité de mise sur le marché pédiatrique.
4 – Allégation qui
sous-tend l’intérêt de la commercialisation
Le codex
alimentarius, les comités scientifiques d’experts de la CE , de la CEDAP en
France, se préoccupent de cette question encore en discussion. Des lignes générales
de recommandations pour l’emploi des allégations se dégagent. Il est généralement
considéré qu’une allégation nutritionnelle est autorisée (par exemple, aliment
source de calcium, d’acides gras polyinsaturés, de nucléotides ….). Elle ne
devrait cependant jamais faire référence, même de façon implicite, au fait que
le nutriment pourrait permettre de guérir, traiter, prévenir une maladie (Commission
du Codex alimentarius – 22ème session – 1997). Par ailleurs, les
allégations santé, distinguées en allégation de type physiologique (effets sur
une fonction organique) et pour la prévention d’une maladie ou des effets santé
liés à un nutriment, à une substance contenue dans l’aliment, ne sont pas clairement
autorisées (seules les allégations thérapeutiques sont
strictement interdites) (Alinorm 99/22). Faire la différence entre ces types
d’allégations n’est pas toujours facile et les décisions prises sont souvent
ambiguës. On peut comprendre l’emploi autorisé d’une allégation de type lait
de transit mais est-il légitime d’utiliser lait anticonstipation ou préparation
pour prévenir les infections intestinales ?
Un autre
aspect des directives européennes mériterait d’être considéré avec plus d’attention
en pédiatrie. La directive 79/112 de la CEE indique que « si une allégation
est portée quand à une composition particulière d’une préparation, il doit être
fourni une information objective et scientifique vérifiée ». Certaines
préparations pour jeunes enfants actuellement sur le marché font état d’allégations
dont on peut se demander si elles répondent bien à cette directive, comme par
exemple « renforce les défenses naturelles du bébé, ou immodulation active ».
Une
ambiguïté peut aussi résulter de la façon dont est libellée l’allégation induisant
que la préparation a bien un effet bénéfique. Par exemple, pour une préparation
présentée comme favorisant la présence d’une flore bifide fécale, il peut difficilement
être admis l’allégation qui en résulterait : préparation anticolique du
nourrisson ou renforce les défenses naturelles du bébé, ou améliore les défenses
de l’organisme. En application de la directive CE 79/112, cet effet « médical »
spécifique bénéfique devrait être prouvé, avant que l’allégation ne soit utilisée,
sur des bases scientifiques validées, dans les conditions d’emploi de l’aliment
(recommandation de la CEDAP) (8).
Les
membres du corps médical ont parfois des difficultés pour bien appréhender les
innovations en matière de nutrition infantile. Les préparations lactées, et
autres produits alimentaires de l’enfant, sont vendus au public en grande surface.
L’allégation, parce qu’elle est affichée, touche directement les parents du
consommateur. Ils doivent être assurés de la validité scientifique des allégations.
L’allégation doit être prouvée, non trompeuse, non ambiguë, claire pour le consommateur
(5).
Par
ailleurs, une directive européenne (n° 91/321) parue au JO-CE du 04.07.91 mériterait
des compléments d’information quant à sa portée. Cette directive, concernant
les préparations pour nourrissons et de suite, à notre connaissance toujours
en vigueur, précise dans son article 7 (alinéa 7) et son annexe IV, que « l’étiquetage
ne peut comporter des allégations quant à une composition particulière d’une
préparation pour nourrissons que dans les cas énumérés dans l’annexe IV, dans
les conditions qui y sont fixées ». On peut lire dans cette annexe IV que
ces critères de compositions particulières autorisant une allégation sont des
formules comportant des protéines adaptées, ayant une faible teneur en sodium,
sans saccharose, sans lactose, ou avec enrichissement en fer, ou ayant un effet
sur la réduction du risque d’allergie aux protéines du lait. Cette directive,
implique-t-elle une application restrictive, correspondant strictement à cette
liste, pour les allégations utilisées en nutrition infantile ?
Il apparaît
que la réglementation concernant les allégations sous-tendant la commercialisation
des préparations pour nourrissons, de suite et de croissance nécessiterait,
pour le moins, une clarification ….
5 - Autorisation de mise sur le
marché
La procédure
aujourd’hui en vigueur est source de confusion et de difficultés de situation.
Il revient
à la société qui commercialise le produit de décider s’il est conforme ou non
à la
réglementation en vigueur. La réglementation est claire si ses responsables
perçoivent qu’il n’est pas conforme. Dans ce cas, ils doivent soumettre le dossier,
pour avis, à la Direction Générale de la consommation, de la concurrence et
de la répression des fraudes. Si, par contre, ils jugent que le produit est
en règle, ils peuvent le mettre sans formalité administrative préalable sur
le marché. Le dossier peut être l’objet, alors que la préparation est commercialisée,
d’une expertise demandée par l’administration. Si des remarques sont à faire,
à fortiori si le produit ne semble pas correspondre aux normes réglementaires
en vigueur, françaises et/ou européennes, on peut se trouver dans la situation
curieuse d’avoir à disposition une expertise qui pourrait conduire à un avis
d’interdiction pour une préparation commercialisée depuis plusieurs mois.
V - CONCLUSIONS
Que
le concept de préparations « fonctionnelles » pour nourrissons, de
suite et de croissance,
soit
admis ou non, il correspond à une réalité de commercialisation sans cesse croissante
en France. Les textes réglementaires qui peuvent être utilisés pour « contrôler »
cette mise sur le marché de produits alimentaires pour les jeunes enfants, sont
la plupart du temps basés sur des directives relatives à la nutrition adulte,
ne sont pas adaptés et prêtent à discussion, à interprétation.
L’évolution
de ce marché interroge. Ces produits aujourd’hui ne sont pas généralement compris
par le corps médical, peut être parce que l’innovation est trop rapide, parfois
difficile à percevoir. Leur qualité nutritionnelle n’est plus le support essentiel
de la présentation. L’aliment destiné aux nourrissons et enfants en bas âge
a tendance de plus en plus à être perçu comme un simple milieu de transport
de nutriments ou ingrédients à effets fonctionnels bien plus bénéfiques que
la préparation elle-même. Il en résulte une perte d’identité qui ne peut être
bénéfique de ces préparations qui avaient une image de qualité remarquable d’abord
du fait de leur composition.
Nous
ne sommes probablement qu’au début d’un nouveau tournant de la nutrition infantile.
Si on doit comprendre et soutenir ces innovations, si on doit se féliciter de
l’action constante et de grande qualité des sociétés pour fournir de « meilleurs
aliments » pour le jeune enfant, il ne faudrait
pas qu’une réglementation incomplète, soit source, parce qu’elle est mal comprise,
ou sujette à interprétation, d’insuffisances de communication, voire d’erreurs
de positionnement ou de dérapages. Comme pour l’adulte, mais plus que pour l’adulte,
la prudence, la rigueur scientifique, doivent être la base de toute innovation
en nutrition infantile.