Préparations
lactées pour nourrissons /
Préparations de suite et infections du jeune enfant
J.
Ghisolfi
Hôpital
des Enfants CHU Toulouse
Il
est aujourd'hui bien démontré que la fréquence des infections
bactériennes et virales, mais aussi la morbidité et la mortalité,
sont plus faibles chez les enfants nourris au sein que chez ceux alimentés
avec une préparation artificielle (1). Ces effets sont reliés
à la présence dans le lait de femme de nombreux éléments
anti infectieux qui n'ont certainement pas tous été isolés
et qui ont des mécanismes d'actions encore mal élucidés.
Sans envisager de retrouver cette action particulièrement bénéfique
en terme de santé publique, depuis des dizaines d'années, les
nutritionnistes et les laboratoires de recherche des sociétés
qui conçoivent les préparations pour nourrissons ont essayé,
en prenant en compte l'évolution des connaissances sur le lait de femme,
de supplémenter ces formules avec des nutriments et ingrédients
supposés avoir une action préventive vis à vis des infections.
Les axes de recherche ont été nombreux et, en dehors de l'amélioration
de la composition des formules lactées, n'ont guère abouti jusqu'à
ces dernières années. Aujourd'hui, sans doute pour la première
fois, des pistes intéressantes apparaissent qui vont certainement ouvrir
une voie nouvelle en nutrition infantile.
Lorsque, de nos jours un enfant ne peut être alimenté au sein,
la prise de préparations pour nourrissons et de suite permet assurément
de prévenir un état de malnutrition que l'on sait source de désordres
immunitaires. Il y a longtemps que ces formules permettent une croissance somatique
normale et préviennent tout déséquilibre nutritionnel sévère.
Elles sont suffisamment supplémentées en oligoéléments,
en particulier en fer et zinc, en vitamines, pour éviter toute sensibilité
aux infections pouvant résulter d'une carence d'apport.
Les questions posées par l'utilisation des préparations lactées
pour prévenir les infections du jeune enfant ne se situent plus à
ce niveau. Elles résultent d'une approche plus spécifique, visant
à supplémenter ces formules avec des nutriments ou ingrédients
qui peuvent avoir par eux-mêmes une action préventive.
Supplémentation
en acides gras polyinsaturés
-
Les acides gras polyinsaturés à longue chaîne (AGPI-LC)
sont utilisés
depuis quelques années chez le nourrisson pour favoriser son développement
somatique et neurosensoriel. Il est bien connu qu'ils ont une action immunomodulatrice
qui s'exerce à la fois sur les fonctions immunitaires spécifiques
et non spécifiques (2). On dispose aujourd'hui de preuves expérimentales
et cliniques mettant en évidence l'amélioration de la réponse
immunitaire et une meilleure défense contre les infections après
prise d'huiles de poissons ou, plus spécifiquement, supplémentation
par les acides eicosapentaénoïque et docosahexaénoïque.
Ces propriétés bénéfiques, utilisées en nutrition
artificielle, n'ont pas fait l'objet d'études en nutrition infantile.
Les données sont certes encore trop superficielles, mais cette approche
mériterait une meilleure attention.
La supplémentation en acides gras polyinsaturés à longue
chaîne des préparations pour nourrissons et de suite pose le problème
inverse d'une augmentation de la sensibilité aux infections. Un excès
d'apport en AGPI n-6 diminue la capacité de réaction de l'hôte
(2). Cette question, compte tenu des teneurs élevées en AGPI n-6
parfois notées dans les formules lactées destinées aux
jeunes enfants nécessiterait une recherche spécifique qui n'a
guère été à ce jour abordée.
Acidification
des laits
L'acidification des préparations lactées a été considérée,
depuis des décennies comme une mesure permettant de prévenir la
survenue des infections intestinales. L'obtention théoriquement obtenue
pour ces laits d'un milieu plus acide dans la lumière intestinale aurait
pour effet de diminuer le risque de croissance des bactéries pathogènes,
d'augmenter les bifidobactéries, et donc de réduire l'incidence
des diarrhées aiguës (3). Cette approche n'a pas été
l'objet d'études permettant véritablement de se faire une opinion
sur des bases scientifiques validées.
Nucléotides
La supplémentation en nucléotides est autorisée au Japon
depuis 1965, en Espagne depuis 1983, aux Etats-Unis depuis 1989, et a fait l'objet
d'une directive européenne en 1981. Elle reste cependant relativement
peu employée. Parmi les effets bénéfiques recherchés
figurent la prévention des infections gastro-intestinales. Les nucléotides
en effet, parmi de nombreux rôles physiologiques auraient une action sur
le système immunitaire, en particulier la production de lymphocytes,
seraient un facteur important pour une bonne trophicité de la muqueuse
intestinale et pour le maintien d'un bon équilibre de la flore intestinale,
favorisant le développement de la flore bifide (3, 4). Il a été
suggéré que l'emploi d'une préparation lactée supplémentée
en nucléotides permettait de diminuer l'incidence et la sévérité
des diarrhées aiguës de l'enfant (5). Malgré ces données,
il est toujours considéré que la démonstration des effets
favorables de l'administration de nucléotides aux préparations
lactées pour jeunes enfants n'a pas encore été apportée
(3).
Probiotiques
et prébiotiques
Plus intéressante sans doute est la voie offerte dans la prévention
des infections par la supplémentation des préparations pour nourrissons
/ de suite par les probiotiques et prébiotiques.
La possibilité de prévenir les affections gastrointestinales par
l'utilisation de lait enrichi en ferments lactiques est connue depuis des millénaires.
Ces données cliniques empiriques n'ont cependant été véritablement
étayées que ces deux dernières années. L'importance
métabolique, immunitaire, de la microflore intestinale a été
démontrée. Le rôle bénéfique pour la santé
de l'homme de " bons " germes de la flore autochtone de l'intestin,
les bifidobactéries et les lactobacilles, a été mis en
évidence. Ces avancées scientifiques ont abouti aux concepts de
probiotiques et prébiotiques de plus en plus couramment appliqués
en nutrition infantile.
Six études publiées, ou ayant fait l'objet de communications,
randomisées, en double aveugle, montrent de façon concordante
que la supplémentation en probiotiques d'une préparation lactée
permet de diminuer le nombre d'épisodes, la sévérité
de la diarrhée (in 6). Cet effet préventif semble particulièrement
s'exercer vis à vis des infections à rotavirus. Il a été
observé avec des souches de bifidobactéries et de lactobacilles.
Les mécanismes de ces actions préventives sont certainement multiples
: acidification du milieu intestinal, compétition avec les agents bactériens
pathogènes, effet barrière, modification des relations cellules
épithéliales-bactéries, renforcement des défenses
immunitaires.
Il est possible que dans ces mécanismes d'action, les constituants des
bactéries utilisées jouent un rôle prédominant. Pour
Salminen et al, un probiotique est une préparation de cellules microbiennes
ou de composants de cellules microbiennes qui ont une effet bénéfique
sur la santé (8). Pour ces auteurs, un probiotique n'est pas nécessairement
une cellule vivantes. Cette approche permettrait d'expliquer que la supplémentation
de préparations lactées par des " ferments actifs "
issus de cultures de bifidobactérium brève et streptococcus thermophilus,
ces germes étant secondairement tués par la chaleur, permettrait
de diminuer la sévérité des épisodes de diarrhée
aiguë du jeune enfant (9).
On ne sait pas aujourd'hui si ces effets préventifs sont particulièrement
liés à des souches spécifiques de bifidobactéries
et de lactobacilles. Si comme cela semble probable, cette action est développée
par des composants de la flore intestinale autochtone, les prébiotiques
devraient aussi permettre de prévenir les diarrhées aiguës
du nourrisson. Aucune étude n'a cependant été publiée
à ce jour permettant de confirmer cette hypothèse.
Aussi intéressante apparaît la perspective de prévention
des infections ORL et systémiques par la prise orale de probiotiques.
Dans une étude randomisée, en double aveugle, réalisée
en Finlande, dans 18 ,centres de séjours pour enfants, comparant 282
enfants en bonne santé, âgés de 1 à 6 ans, à
289 enfants dans une situation comparable, avec une suivi de 7 mois, sur la
période hivernale, il est noté chez ceux du premier groupe prenant
5-10 x 105 CFU/24 h de lactobacillus GG mélangé à 200 ml
de lait, une diminution de la fréquence des infections respiratoires
et digestives et une moindre consommation d'antibiotiques (10).
Ces diverses études, qui apportent des résultats concordants,
paraissent bien montrer que la prise quotidienne de bifidobactéries ou
de lactobacilles pendant de longues périodes, serait susceptible d'avoir
une effet préventif sur les infections digestives et peut être
systémiques du jeune enfant. Cette approche particulièrement intéressante
devra être confortée par d'autres essais cliniques avant qu'il
puisse être envisagé une commercialisation de telles préparations
sur la base d'allégations indiquant un effet préventif vis à
vis des infections de l'enfant.
Autres
effecteurs
D'autres voies font aujourd'hui l'objet de recherches. Le lait de femme étant
toujours considéré comme la référence, il est logique
d'envisager de supplémenter les préparations lactées pour
nourrissons avec ce que l'on appelle les effecteurs de lait, lactoferrine, polyamines,
lysozyme, facteurs de croissance, qui peuvent avoir une action de prévention
vis à vis des infections de l'enfant.
On sait utiliser ces effecteurs quand ils sont extraits des produits animaux.
Si les résultats expérimentaux de leur utilisation sont bons,
chez l'animal il n'en est pas de même en clinique humaine. On est donc
conduit à proposer l'utilisation des protéines humaines recombinantes
obtenues par génie génétique. Cependant, même dans
ces conditions d'obtention, les protéines obtenues n'ont pas toujours
la même séquence nucléotique, la même phosphorylation
ou glycosylation, ce qui modifie leurs effets biologiques. Il n'est par ailleurs
pas prouvé que ces protéines obtenues par procédé
génétique soient sans risques potentiels. En l'état actuel
de nos connaissances, il est certainement prématuré d'envisager
leur emploi chez l'enfant. De toute façon, à juste titre, les
parents ne l'accepteraient pas.
CONCLUSION
Parmi les diverses hypothèses actuellement proposées, seule l'addition
de bifidobactéries ou de lactobacilles vivants (probiotiques) ou de produits
visant à stimuler de façon spécifique la croissance de
ces germes intestinaux (prébiotiques), dans les préparations lactées
pour nourrissons, de suite, et laits de croissance, constitue une avancée
intéressante en nutrition infantile. Il est bien démontré
que cette supplémentation permet d'augmenter la population de bifidobactéries
et/ou de lactobacilles dans les selles, ce qui traduit le maintien ou le développement
de ce type de flore à un niveau élevé dans le colon. Cependant,
on ne peut affirmer aujourd'hui que cet effet sur la microflore colique a de
façon constante des effets bénéfiques sur la santé
et en particulier pour la prévention des infections de l'enfant. Beaucoup
de questions restent posées. La grande variabilité des méthodologies
mises en uvre dans les études publiées (nombre de cas, populations
sociologiquement différentes, âges, mode d'emploi, véhicule
alimentaire des pro et prébiotiques, durée de la supplémentation,
souches et doses utilisées ….) et le faible nombre de travaux de
qualité publiés, ne permettent pas aujourd'hui de répondre
de manière générale. Chaque supplémentation conduit
à un produit alimentaire spécifique, qui doit être justifié
par un dossier scientifique et clinique qui lui est propre.
Mots
clés : . préparations lactées. pédiatrie - enfants.
prévention
Références
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2 - Ghisolfi J. Lipides, acides gras polyinsaturés et fonctions immuntaires.
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mois de la vie. Arch Fr Pédiatr 1993 ; 50 : 921-5
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10 - Hassaka K, Savilahri E, Pönkä A et al. Effect of long term consumption
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