La mucoviscidose,
décrite il y a plus de 60 ans par G. FANCONI et D.H. ANDERSEN, est la plus fréquente
des maladies récessives autosomiques dans les populations blanches d'origine
caucasienne (1). Elle atteint 5 500 à 6 000 personnes dans notre pays.
Parmi les facteurs reconnus comme importants pour l'avenir de cette population
figurent, à côté du type de mutation, la précocité du diagnostic et la rigueur
dans la prise en charge respiratoire et nutritionnelle.
Sur
le plan nutritionnel, l'objectif est celui d'un développement staturo-pondéral
le plus proche possible de la normale. Le régime à proposer dépend du degré
de l'insuffisance pancréatique présente chez 85 à 90 % des sujets; si, pour
les enfants, les adolescents et les adultes, la réalisation pratique en a été
très largement facilitée avec la mise sur le marché à la fin des années 80 d'extraits
pancréatiques gastro-protégés très efficaces (2), chez le nouveau-né
et le nourrisson, des questions se posent quant au choix du régime avec des
réponses variables selon les auteurs.
En outre,
dans les premiers mois de la vie, de nombreux problèmes de réalisation pratique
se posent. C'est dans ces conditions que nous avons réfléchi à la mise au point
d'une préparation destinée à la population des nouveau-nés et nourrissons atteints
de mucoviscidose et qui répondrait à deux objectifs : assurer avec une seule
préparation la couverture des besoins énergétiques, minéraux et vitaminiques,
et obtenir une préparation facilement acceptée.
LE CYSTILAC
Pour
la réalisation
de cette préparation, nous avons pris en compte les données de la littérature
proposées pour la première fois par H. SHWACHMAN en 1958, puis confirmées par
d'autres équipes et validées par une conférence de consensus en 1992
quant à la nécessité d'apports énergétiques élevés : 130 à 150 % des apports
de la
population comportant un enrichissement en protéine (2,5 à 3 g/kg/j), en acides
gras essentiels, en minéraux sodium (3 à 5 mmol/kg), potassium (3 à 4 mmol/kg),
en vitamines liposolubles, particulièrement en vitamines A et E, en vitamine
C, et en oligo-éléments (3, 4, 5, 6).
Pour
l'élaboration de cette préparation, nous avons opté pour un hydrolysat de protéines,
une adjonction de triglycérides à chaine moyenne (TCM) de 20 % avec des graisses
végétales pour apporter des acides gras essentiels, une répartition des glucides
entre lactose 57 %, dextrine-maltose 28 %, amidon 14 %, maltose 0,7 %, et glucose
0,4 % (tableaux n° I et II).
La densité énergétique est de 83 kcal/100 ml; malgré la concentration en minéraux
Na : 25 mmol/l, K 21 mmol/l, Cl 20 mmol/l, l'osmolarité est limitée à 285 mosml/l
(tableau n° III). Les vitamines liposolubles sont présentes à des concentrations
élevées (tableau n° IV).
L'étape
suivante a été celle d'une étude de l'efficacité et de la tolérance de cette
formule chez des nouveaux-nés et nourrissons atteints d'une mucoviscidose confirmée
par la présence de deux mutations du gène et par celle d'un test de la sueur
positif avec un chlore supérieur à 60 mmol/l.
Cette
étude s'est déroulée entre juillet 1998 et décembre 1999 dans deux C.H.U., celui
de Caen et celui de Necker-Enfants malades. L'accord du CCPPRB de Necker a été
obtenu, de même que le consentement des familles.
Les nouveau-nés ou nourrissons recevaient 150 ml/kg de Cystilac pendant au moins
2 mois, aucun ajout d'extrait pancréatique avant l'âge de quatre mois, aucune
supplémentation minérale ou vitaminique hormis éventuellement un complément
de vitamine E. La diversification alimentaire était retardée après l'âge de
6 mois. Les nourrissons bénéficiaient d'une visite clinique mensuelle, de contrôles
biologiques : NFS, ionogramme sanguin et urinaire, concentrations plasmatiques
du RBP, de la préalbumine, des vitamines liposolubles et C, du fer et du zinc
chaque trimestre. Enfin, une stéatorrhée a été réalisée en début de traitement
puis tous les trois mois. Le reste du traitement de la mucoviscidose a été pour
ces enfants identique aux habitudes des services.
RESULTATS
19
nourrissons sur les 20 prévus ont été inclus dans cette étude : 7 à Caen, 12
à Paris. Leur âge à l'inclusion a été de 15 jours à 33 mois.
L'acceptabilité
du produit a été excellente (19/19), la tolérance clinique parfaite chez 18
d'entre eux. Un nourrisson malnutri a eu des selles liquides et acides avec
présence de sucre à la bandelette, obligeant à arrêter provisoirement toute
alimentation au profit d'une nutrition parentérale.
Sur
le plan clinique, le gain pondéral et statural a été satisfaisant : 25 g/jour
chez les nouveau-nés et nourrissons d'âge inférieur à 6 mois, 15 g/jour entre
6 et 12 mois, 12 g/jour au-dessus de 1 an. Ils ont eu entre 2 et 3 selles par
jour avec des stéatorrhées entre 3 et 6 g/jour, en fin de traitement.
Sur
le plan biologique sanguin et urinaire, les protidémies, natrémies, RBP et préalbuminémies
se sont maintenues à des valeurs normales, les concentrations de vitamines A
sont restées supérieures à 400 µg/l, celles de vitamines E entre 9 et 12 mg/l,
celles de vitamines C entre 13 et 11 mg/l ; les taux de fer sont restés entre
15 et 11 µmol/l, ceux de zinc entre 13 et 14 µmol/l.
COMMENTAIRES
Il apparait
que cette formule a été parfaitement acceptée par les enfants, que sa tolérance
a été excellente à une seule exception, chez un enfant malnutri dont les possibilités
d'absorption intestinale devaient être très réduites.
Sur
le plan nutritionnel, les gains staturaux et pondéraux ont été satisfaisants
avec une efficacité légèrement supérieure chez les garçons. Le nombre de selles
a été normal pour une préparation dont les protéines sont hydrolysées et les
stéatorrhées inférieures à 6 g/24 h en l'absence d'extrait pancréatique avant
l'âge de 4 mois.
Cette
formule a l'avantage d'apporter 83 kcal/100 ml, soit effectivement 120 à 140
kcal/kg/24 h avec des volumes liquidiens adaptés dans cette période de la vie.
Le choix et la concentration en huiles végétales utilisées dans notre formule
(tableau n° II) permet d'apporter, comme le suggère l'équipe de FARRELL, plus
de 12 % de l'énergie sous forme d'acides gras essentiels (7) ; l'hydrolyse
des protéines et l'adjonction de 20 % de TCM (tableau n° I) permettent de retarder
l'âge d'introduction des extraits pancréatiques. L'enrichissement en minéraux
et vitamines permet de maintenir des valeurs plasmatiques normales de chacun
de ces éléments sans aucune adjonction complémentaire. Tout ceci représente
pour les familles une simplification notable.
CONCLUSION
Au cours
des vingt dernières années, le pronostic de la mucoviscidose a été transformé,
la médiane de survie inférieure à 1 an en 1948 atteignait 10 à 15 ans en 1964
; en 2000, elle est estimée à 40 ans pour les enfants nés après 1990 (8).
Toutes les équipes soulignent l'importance du maintien d'un état nutritionnel
normal et les liens entre nutrition et infection ont été largement démontrés
depuis plus de 40 ans (9). Cette formule apporte aux enfants et aux familles
une réponse à la nécessité d'une prise en charge nutritionnelle rigoureuse et
jusqu'alors complexe. Sa tolérance et son efficacité sont excellentes. Même
si dans l'avenir, afin de prévenir les conséquences du stress oxydatif élevé
dans la mucoviscidose, on pourrait réfléchir à la justification d'un complément
en (carotène, voire en acide docohexaenoïque (10, 11), cette formule
permet de couvrir les besoins énergétiques et en micronutriments particuliers
à la mucoviscidose. Elle représente en complément une simplification souhaitable
et s'intègre parfaitement dans la prise en charge des nouveaux-nés et nourrissons
atteints de fibrose kystique du pancréas dans leur environnement familial.
Ce produit fera l'objet d'une demande de prise en charge par la Sécurité Sociale.
Ce travail a été
présenté le 05 juin 2000 en Communication orale, au XIIIème Congrès International
sur la Mucoviscidose à Stockholm.
BIBLIOGRAPHIE
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