L'allergie aux protéines du lait de vache (ALPV) correspond à l'ensemble des manifestations cliniques induites par une réponse immunitaire anormale du tube digestif, en présence des protéines du lait de vache. Son incidence est diversement appréciée en raison de la grande variabilité des formes cliniques et des critères de diagnostic pris en considération. De plus, cette incidence varie en fonction des habitudes alimentaires des différentes populations. Ainsi l'incidence de l'allergie aux protéines du lait de vache est de 0,5 à 3% chez les nourrissons. Il existe peu d'études effectuées dans la population des enfants prématurés. Dans une étude réalisée au cours des années 80, l'incidence de l'atopie à 45% a été évaluée chez des anciens prématurés âgés de 18 mois (1). Une ALPV étant présente chez 3 à 5% de ces enfants (1). Quelques années plus tard une population d'enfants nés prématurément a été étudiée à l'âge de 11 ans. On retrouve alors une incidence des phénomènes atopiques (57%) légèrement plus élevée que dans la population générale du même âge (36 à 54%) (2). L'incidence de l'atopie chez l'enfant né prématurément serait donc au moins équivalente à ce qui est observé dans la population générale. En théorie, le risque de sensibilisation et de développement d'une atopie est plus élevé chez les enfants nés prématurément. En effet, il existe chez les enfants une immaturité digestive. Celle-ci se traduit par une diminution de la digestion des protéines, une augmentation de la perméabilité intestinale aux macromolécules antigéniques et une immaturité de l'immunité locale. Il a été montré que les protéines antigéniques du lait, dont la principale est la b-lactoglobuline, sont mieux absorbées chez l'enfant prématuré que chez le nouveau-né à terme (3). L'absorption intestinale des molécules antigéniques chez le nouveau-né à terme est équivalente à celle d'un adulte, mais celle des enfants prématurés est 100 fois supérieure (3). La perméabilité intestinale aux antigènes macromoléculaires diminue avec l'âge gestationnel et l'âge postnatal (4, 5). Bien que la quantité de protéines antigéniquement intactes absorbée soit insignifiante elle suffit pour induire une immunisation (3). Il a été suggéré que l'augmentation de perméabilité intestinale aux macromolécules chez l'enfant prématuré pouvait correspondre à un phénomène physiologique ayant pour but de faciliter la maturation du système immunitaire intestinal (6). Cela serait suivi d'une diminution rapide de la perméabilité intestinale afin d'assurer une fonction intestinale mature. Le problème de la prévention de l'atopie a été étudié, en prenant en compte que les enfants prématurés présentent un risque au moins aussi élevé que dans la population générale. Ainsi des études ont essayé d'évaluer l'intérêt de l'alimentation exclusive au lait maternel (exclusion des protéines du lait de vache) sur la survenue ultérieure d'une pathologie atopique. Leurs résultats sont discordants. Lucas et coll ne retrouvent pas d'effets protecteurs du lait maternel, même chez les enfants ayant été alimentés avec du lait maternel durant 2 à 5 mois (Table 1). Quant à Savilahti et coll, ils retrouvent 3 fois plus de dermatite atopique (en rapport avec des allergènes alimentaires) chez des anciens prématurés alimentés avec du lait maternel que chez ceux qui avaient été alimentés avec du lait artificiel. Cet effet, potentiellement néfaste du lait maternel a été récemment rapporté, non plus dans le cadre de la prévention mais dans le cadre de la prise en charge des enfants présentant une dermatite atopique (7). Chez des enfants nés à terme, âgés de quelques mois, la poursuite de l'allaitement maternel peut être délétère du point de vue de l'intensité des manifestations allergiques et de la qualité de la croissance. Cela serait en rapport avec la présence, dans le lait maternel, d'antigènes provenant de l'alimentation maternelle (8). Ainsi l'administration de lait maternel à l'enfant prématuré a de nombreux avantages nutritionnels et immunologiques (immunité passive), l'efficacité de l'administration de lait de mère exclusif sur la survenue de pathologie atopique ultérieure reste à démontrer. De plus, il a été clairement démontré que le lait maternel non supplémenté en protéines, énergie et minéraux n'est pas adapté aux besoins de l'enfant prématuré. Dans ces conditions, il est souvent proposé de supplémenter le lait maternel avec des poudres à base de protéines du lait de vache (hydrolysées ou non) pendant les deux premiers mois de vie. Dans ces conditions, l'utilisation du lait maternel supplémenté ne représente plus le même avantage vis à vis de l'utilisation de formules pour prématurés en regard du risque atopique. L'étude effectuée par Lucas et coll a cependant montré que les enfants prématurés ayant des antécédents atopiques familiaux (1er degré) présentaient un risque significativement plus élevé de survenue de pathologie atopique à l'âge de 18 mois (Table 2). Au cours de cette même étude, les auteurs ont évalué l'influence de la dose de protéines ingérés en période néonatale sur la survenue de l'atopie. Pour cela ils ont comparé des groupes d'enfants prématurés alimentés avec des laits pour enfants à terme (protéine = 1,5 g/100 ml) ou avec des laits pour enfants prématurés (protéine = 2 g/100 ml) durant les 2 premiers mois de vie. La quantité de protéines dans l'alimentation initiale n'a d'influence sur la survenue d'une atopie ultérieure, que dans le population des enfants prématurés ayant des antécédents familiaux (1er degré) d'atopie. Toutefois, les besoins nutritionnels spécifiques des enfants prématurés ne sont pas couverts par l'administration d'une préparation pour nourrissons (insuffisance d'apport protéique, calorique, minéral et composition inadaptée de l'apport lipidique) Chez des enfants nés à terme dont les parents présentent des antécédents d'atopie, il n'est actuellement par courant de proposer des hydrolysats extensifs de protéines. En effet, bien que quelques études randomisées aient démontré leur efficacité, leur goût est mauvais et leur coût est élevé. Quoi qu'il en soit, ces hydrolysats extensifs sont plus proches des préparations pour nourrissons que des laits pour prématurés et ne sont donc pas adaptés aux besoins de ces derniers (Table 3). Il en est de même pour les formules à base d'acides aminés synthétiques (Neocate®) dont la composition en mineraux est inadaptée, même si la composition en acides gras est proche de celle du lait maternel (9). Chez l'enfant à terme, des laits dont la source protéique est partiellement hydrolysée ont pu être proposés. Chez l'enfant prématuré, la mise au point d'un lait couvrant leurs besoins nutritionnels n'a fait l'objet de quelques études préliminaires (10, 11). Toutes ces études ont montré que les enfants prématurés alimentés avec des laits à source protéique partiellement hydrolysée présentent une moins bonne absorption de l'azote ainsi que des distorsions aminoacidémiques, en comparaison des enfants alimentés avec les mêmes laits dont la source protéique est entière. Nous avons récemment effectué une étude randomisée afin de contrôler la valeur nutritionnelle d'un lait pour prématuré dont la source protéique est partiellement hydrolysée (Table 4). Ce lait est bien toléré chez l'enfant prématuré et la vitesse de transit intestinal est accélérée avec ce lait par rapport au transit d'enfants alimentés avec un lait à base de protéine entière. Cet élément est important à prendre en compte pour des enfants qui présentent volontiers une stase intestinale qui est l'un des facteurs de risque d'entérocolite nécrosante. La tolérance clinique de cette formule est parfaite même chez les enfants pesant moins de 1000 g. L'évaluation du bénéfice de l'utilisation de tels laits pour prématurés sur le devenir de ces enfants et la survenue de pathologie atopique devra être évaluée par des études de plus larges populations. Par ailleurs, il a été proposé de supplémenter les laits pour prématurés en nucléotides (6). En effet des études avaient montré un effet bénéfique des nucléotides alimentaires sur le développement et la croissance intestinale (12) et sur la fonction immunitaire (13). Pour l'instant, les résultats sont peu concluants puisque la supplémentation en nucléotides des laits pour prématurés n'a pas induit la diminution attendue de la perméabilité intestinale aux macromolécules chez les enfants prématurés. Cependant cette supplémentation semble induire une meilleure réponse immunitaire (augmentation des immunoglobulines G) aux antigènes alimentaires (b-lactoglubines, a-caseine). Au total, les enfants prématurés présentent un risque de développement d'une APLV au moins équivalent au reste de la population. Lorsqu'il existe des antécédents familiaux d'atopie, l'exposition aux protéines antigéniques du lait de vache accroît ce risque. Dans ces situations, on peut proposer l'utilisation de lait pour prématurés dont la source protéique est partiellement hydrolysée. Bibliographie 1 - Lucas A, Brooke OG, Morley R, Cole TJ, Bamford MF. Early diet of preterm infants and development of allergic or atopic disease : randomised prospective study. BMJ 1990;300:837-840 2 - Savilahti E, Tuomikoski-Jaakkola P, Järvenpää AL, Virtanen M. Early feeding of preterm infants and allergic symptoms during childhood. Acta Paedia 1993;82:340-344 3 - Roberton DM, Paganelli R, Dinwiddie R, Levinsky RJ. Milk antigen absorption in the preterm and term neonat. Arch of Dis Child 1982 57;369-72 4 - Jakobsson I, Lindberg T, Lothe L, Alexsson I, Benediktsson B. Human a- lactalbumin as a marker of macro-molecular absorption. Gut 1986;27:1029-1034 5 - Alexsson I, Jakobsson I, Lindberg T, Polberger S, Benediktsson B, Räihä N. Macro-molecular absorption in preterm and term infants. Acta Paediatr Scand 1989;78:532-537 6 - Martinez-Augustin O, Boza JJ, Del Pino JI, Lucena J, Martinez-Valverde A, Gil A. Dietary nucleotides might influence the humoral immune response against cow's milk proteins in preterm neonates. Biol Neonate 1997;71:215-223 7 - Isolauri E, Tahvanainen A, Peltola T, Arvola T. Breast-feeding of allergic infants. J Pediatr 1999;134:27-32 8 - Hattevig G, Kjellman B, Sigurs N,Grodzinsky E, Hed J, Björkstén B. The effect of maternal avoidance of eggs, cow's milk and fish during lactation on the development of IgE, IgG, and IgA antibodies in infants. J Allergy Clin Immunol 1990;85:108-15 9 - Kaila M, Salo MK, Isolauri E. Fatty acids in substitute formulas for cow milk allergy. Allergy (In Press) 10 - Rigo J, Salle BL, Picaud JC, Putet G, Senterre J. Nutritional evaluation of protein hydrolysate formulas. EJCN 1995;49(Suppl 1):S26-S38 11 - Rigo J, Senterre J. Metabolic balance studies and plasma amino acid concentrations in preterm infants fed experimental protein hydrolysate preterm formulas. Acta Paediatr Suppl 1994;405:98-104 12 - Uauy R, Stringel G, Thomas P, Quan R. Effect of dietary nucleotides in growth and maturation of the developing gut in rate. J Pediatr Gastr Nutr 1990;10:497-503 13 - Carver JD, Pimentel B, Cox WI, Barness LA : Dietary nucleotide effects upon immune function in infants. Paediatrics 1991;88:359-363 Hôpital Edouard Herriot, Lyon |