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2000 > Psychosomatique > Baby blues  Telecharger le PDF

Baby blues , petit essai de définition

M. Lachowsky

Tout s'est bien passé, la mère l'enfant et même le père ont été sauvés, le caméscope et l'album ont fait leur plein, Internet est au courant et voilà que les bonnes fées semblent déserter non pas le berceau mais le lit.

Fatiguée, d'humeur changeante,insatisfaite d'elle-même et des autres, elle pleure sans trop savoir pourquoi, une petite musique de chambre, dit-elle dans un pâle sourire, comme en s'excusant.

Les baby blues, cela ne se joue ni au saxo, ni à la trompette, La Nouvelle-Orléans n'en a jamais eu le privilège. Il est vrai qu'ici le franglais a beaucoup plus de charme que l'expression canadienne de " cafard du post-partum ". Ce sont d'ailleurs les Anglo-Saxons qui le retrouvent le plus fréquemment ; pour eux 80% des femmes accouchées en sont victimes. Alors, ces baby blues, qu'est-ce donc ?

C'est un épisode de la puerpéralité qui se définit par des limites très précises dans le temps et dans l'espace. Contemporain de la montée laiteuse, il survient du 3ème au 9ème jour du post-partum, avec des extrêmes allant de quelques heures à 15 jours après la délivrance, mais pas au-delà. Fièvre de lait distincte de la terrible fièvre puerpérale, puis dépression du 3ème jour, c'est maintenant un état bien distinct de la dépression comme de la psychose du post-partum, un état psychophysiologique pour les uns, psychopathologique pour les autres, état d'hypersensibilité et d'anxiété toujours transitoire mais dont il importe de faire le diagnostic différentiel au plus vite.

Diagnostic

Ce syndrome d'inadéquation entre la situation et l'humeur de la patiente, d'installation brutale ou progressive, durant de quelques heures à quelques jours est donc une entité particulière de la pathologie psychiatrique de la grossesse et des suites de couches immédiates, d'où l'intérêt pour tous ceux qui suivent mère et enfant à la maternité de le connaître pour le reconnaître.

En effet, 30 à 80% des femmes - selon les critères adoptés - vont présenter cet état spécifique d'émotivité et de sensibilité de la mère nouvellement accouchée, à tout ce qui a trait à son enfant, une anxiété que Winnicott qualifie de " préoccupation maternelle primaire ". Pour certaines, cette sensibilité va s'exacerber, devenir une trop grande inquiétude quant à leurs possibilités, doublée d'une hyper-susceptibilité aux réactions de l'entourage.

Il s'y ajoute aussi des doutes sur l'état, l'apparence physique, voire la normalité de leur enfant. Cette peur qu'elles ressentent confusément, d'être incapable d'être une " bonne " mère ou tout simplement une mère, se double de la peur de n'avoir pas plus été capable de faire un " bon " enfant.

On le voit bien, c'est l'anxiété qui domine et non la dépression, mais souvent aussi avec une note discrète de confusion, ou d'onirisme nocturne. Les crises de larmes et l'insomnie doublées de nombreuses questions sur la qualité de leur lait ou l'intégrité de leur enfant, autant de petits faits qui pourraient passer – presque - inaperçus si l'on n'y prenait garde. Mais la plus grande vigilance, comme la plus grande rigueur sont ici de mise pour deux raisons : en effet d'une part, ce moment est celui de l'instauration de la relation mère-enfant et il est donc capital, d'autre part ce post-partum blues peut aussi être le coup d'envoi d'une manifestation pathologique autre, plus aiguë et plus dangereuse, dépression vraie du P-P, ou psychoses puerpérales quelles qu'elles soient.

Plus que l'obstétricien, ce sont les infirmières et les puéricultrices, sans oublier les sages-femmes qui suivent les suites de couches, qui vont trouver en entrant dans la chambre, une jeune femme en larmes, pas maquillée, alors qu'elles l'avaient quittée la veille épuisée certes, mais radieuse devant son bébé. C'est à elles qu'elle va dire ses craintes, " Je ne me sens plus moi-même, je n'arriverai jamais à m'occuper de l'enfant, et vous trouvez que c'est normal, cette couleur du visage, moi je trouve qu'il n'était pas comme ça hier. Et puis on n'est pas très aimable avec moi, je n'ai pourtant pas appelé souvent cette nuit "... et de refondre en larmes...

Que faire ?

Une réponse immédiate de l'équipe soignante, une écoute active de la psychologue aussitôt avertie peuvent suffire à passer ce cap. Il faut parfois une prescription d'anxiolytiques, à faible dose, comme du Tranxène 5® par exemple pour que la patiente retrouve sa sérénité. Il est bien entendu que l'allaitement sera poursuivi, car l'interrompre serait conforter la mère dans son fantasme de mère " mauvaise " ou ne pouvant donner à son enfant qu'un lait insuffisant ou même nocif. Pour les mêmes raisons, on ne séparera pas la mère et l'enfant mais au contraire, on la rassurera sur l'intégrité et pourquoi pas, sur la beauté de son nouveau-né. Peut-être sera-t-il bon de tranquilliser le jeune mari ou de déculpabiliser les nouveaux grands-parents des deux côtés. Le nouveau venu pourra ainsi, avec notre aide, prendre sa place d'enfant bien réel et présent, non plus rêvé et attendu, comme son rang dans la filiation.

La séparation qu'est l'accouchement, cette délivrance qui en français ne concerne que le placenta, est pour certains une rupture-continuité qui engendre donc ces baby blues si fréquents, toujours transitoires et toujours bénins, rites de passage - pourrait-on dire - de la puerpéralité à la maternalité. Bien sûr, on ne saurait nier que cette période est celle d'un grand bouleversement somatique aussi, avec la chute brutale des estrogènes et de la progestérone circulants, et la sécrétion accrue de prolactine dans un système dopaminergique modifié. Mais aucune étude sérieusement documentée avec dosages répétés à l'appui n'existe encore, du moins à ma connaissance.

Mais est-ce vraiment ces Post-Partum blues qui sont décrits et connus depuis l'antiquité ? La folie des parturientes pour Hippocrate est devenue pour les aliénistes français du XIXème siècle la " folie des femmes enceintes, des nouvelles accouchées et des nourrices ". Des nourrices, car on avait noté le rapport entre la lactation et la survenue des troubles. En fait le vrai problème que nous posent ces baby blues, est bien là, dans le diagnostic différentiel entre cet épiphénomène à la limite du physiologique et ces états franchement pathologiques relevant de la compétence exclusive du psychiatre que sont les dépressions vraies, les psychoses puerpérales, et autres entités psychiatriques plus rares.

Pour conclure

Certes, nos baby blues, pour mériter ce gracieux nom, doivent remplir certaines conditions, notamment commencer très tôt mais surtout rétrocéder très tôt aussi. Une durée au-delà de 8 jours doit déjà faire douter de la bénignité, au-delà de 15 jours la suspicion se change en quasi-certitude et l'appel au psychiatre devient indispensable. Car nous l'avons vu, ce syndrome se caractérise par une remarquable fixité dans sa survenue, sa durée et sa clinique : survenue entre 3ème et 9ème jour, durée n'excédant pas 8 jours et souvent moins, avec une symptomatologie où dominent inadéquation, anxiété et discrète confusion, le tout spontanément résolutif.

Seulement voilà, aucun élément ne nous permet a priori d'affirmer qu'il ne s'agit pas là du coup d'envoi vers la dépression vraie, l'état délirant ou les psychoses, aucun élément non plus pour affirmer a priori que nous ne sommes pas entrés d'emblée dans une forme aiguë, avec risques pour la mère ou l'enfant, risques morbides mais aussi mortels.

La fréquence cependant plaide pour l'optimisme ou au moins l'expectative armée : 30 à 80% de baby blues selon pays et auteurs.

Une femme sur 10 fera une dépression du post-partum, de gravité variable, et seulement 1 sur 1 000 une psychose puerpérale, moins nombreuses encore seront celles qui entreront dans la schizophrénie.

Et nous ne serons guère plus avancés pour la grossesse suivante. En effet, il n'y a pas de profil particulier, pas de situation socioculturelle spécifique, pas de grossesse plus à risque que d'autres vis-à-vis de ces curieux blues du post-partum.

Maladie qui en mérite à peine le nom, qui débute à la maternité même aujourd'hui où les séjours sont si courts, cette pseudo dépression du 3ème jour demande cependant l'attention de tout le service. A cette jeune femme triste, il conviendra d'apporter un soutien chaleureux, une présence, une aide efficace pour les soins au bébé et ce, surtout s'il y a des difficultés d'allaitement. On n'hésitera pas à prescrire un tranquillisant type Tranxène, Seresta, Lexomil pour calmer l'insomnie et l'agitation créées par l'anxiété, on demandera son diagnostic au psychologue. Bien sûr, dans les formes très mineures, on se contentera de surveiller... en comptant les jours !

Si le psychologue sent qu'un virage s'amorce ou que la symptomatologie lui paraît suspecte, si une discordance de dates s'y ajoute, si une bouffée délirante survient, alors nous ne sommes plus ni dans le registre du bénin, ni dans notre domaine, et c'est une consultation de psychiatrie qui s'impose.

Baby blues, les blues du bébé, un éphémère bémol dans la partition d'une nouvelle vie, ou plutôt le blues de la Maman, petite musique de chambre dont nous ne savons pas encore très bien qui en sont les principaux exécutants, mais qui s'éloigne doucement, sans tambour ni trompette si nous savons l'écouter avec tact et mesure...

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