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1997 > Obstétrique > Perte de grossesse avant 28 semaines  Telecharger le PDF

Facteurs de risque de perte de grossesse entre 22 et 27 semaines d'aménorrhée

M Bucourt , E Combier , D Lipczyk , E. Papiernik et B. Carbonne

Introduction

L'intérêt de l'analyse des pertes de grossesse avant 28 semaines a longtemps été sous-estimé. L'extrême rareté de la survie avant 28 semaines jusqu'à un passé récent en est sans doute une des raisons. De plus, l'absence de reconnaissance légale des naissances avant 28 semaines rendait difficile en France l'étude de ce type d'accidents. Les progrès de la prise en charge des enfants nés vivants avant le terme de 28 semaines ont changé la vision que nous avions des naissances entre 22 et 28 semaines d'aménorrhée.

L'enquête périnatale de Seine-Saint-Denis (SSD) a permis d'une part un recueil aussi exhaustif que possible des cas de perte de grossesse entre 22 et 28 semaines d'aménorrhée (SA), ainsi que le recueil pour chaque cas des données anamnéstiques, cliniques, microbiologiques et anatomopathologiques.

Ces données ont permis dans un premier temps d'étudier les causes paraissant directement impliquées dans le mécanisme de la perte de grossesse. L'étude présentée ici est une analyse multivariée par régression logistique des facteurs associés aux risques de perte de grossesse. Le but de ces deux études est d'identifier une population à risque ainsi que les circonstances cliniques conduisant à ce type d'accidents de la reproduction, et pourrait permettre de mettre en oeuvre des mesures de prévention adaptées [Bouyer, 1987].

Materiel et methode

L'enquête a porté sur la totalité des accouchements ayant eu lieu dans le département de la SSD du premier octobre 1989 au 30 septembre 1992 inclus. Il s'agit d'une étude de type cas-cohorte avec enregistrement prospectif des cas et des témoins et analyse rétrospective des données.

Enregistrement des cas

Il n'existait pas au moment de l'étude d'obligation légale de déclaration des accouchements ou des mort-nés avant 28 semaines d'aménorrhée. L'enquête a donc été réalisée en collaboration avec les gynécologues obstétriciens du département de SSD qui ont signalé aux coordinateurs de l'étude toute perte de grossesse entre 22 et 28 SA. Pour chaque cas déclaré, un dossier clinique spécifique a été ouvert avec recueil des données anamnéstiques, bactériologiques, biologiques et anatomopathologiques. L'exhaustivité du recueil des pertes de grossesse est certaine pour sept maternités.

Il s'agit des cinq maternités des hôpitaux publics et de deux des dix-sept maternités privées du département. Pour les autres, il n'est pas possible d'avoir la certitude de l'exhaustivité du recueil du fait de l'absence de registre légal des accouchements avant 27 semaines et de la séparation des activités obstétricales et chirurgicales qui explique que certaines naissances survenues avant 28 semaines n'ont pas eu lieu dans les services obstétricaux et n'ont donc pas fait l'objet d'un signalement.

Constitution des groupes témoins

Les témoins sont un échantillon stratifié représentatif de la population des femmes dont la grossesse n'a pas abouti à une naissance très prématurée avec mort néonatale ou à une mort foetale in utero entre 22 et 27 semaines. Les témoins sélectionnées étaient les deux patientes ayant accouché immédiatement avant un cas de perte de grossesse. Le nombre total de femmes composant l'échantillon témoin a été de 1 590.

Les grossesses multiples, les interruptions médicales de grossesse et les malformations ont été exclues de l'étude aussi bien pour les cas que pour les témoins.

Recueil des données

L'ensemble des données concernant chaque cas (dossier clinique, examen biologique, données microbiologiques et anatomopathologiques) a été collecté par des médecins enquêteurs et chaque dossier a été codifié par ceux-ci.

Analyse des données

Les méthodes statistiques utilisées pour comparer les deux groupes ont été celles du X2 ajusté de Mantel-Haenszel, et de la régression logistique pour l'estimation des risques relatifs par le calcul des odds-ratio, avec un intervalle de confiance à 95 %. Les données ont été ajustées sur les variables " qualité de l'interrogatoire de la mère " (non interrogée, interrogatoire difficile, ou interrogée sans difficulté) et sur la variable de stratification " maternité ".

Résultats

Deux cent quinze cas de perte de grossesse ont été enregistrées dans l'ensemble du département pendant l'étude. Les causes principales directement incriminées dans la perte de grossesse sont décrites : causes infectieuses (36,7 %), vasculaires (21,9 %), dues à une béance cervicale (18,1 %), liées au placenta ou aux annexes foetales (8,4 %), accidentelles ou iatrogènes (4,2 %), ainsi que de causes indéterminées (10,7 %).

Parmi les maternités dans lesquelles il était possible de s'assurer de l'exhaustivité de recueil des pertes de grossesse, 137 cas ont été enregistrés. Les variables dont nous avons étudié l'association avec le risque de perte de grossesse entre 22 et 27 semaines ont été classées en :

- conditions socio-économiques ;

- antécédents médicaux ;

- caractéristiques du suivi de grossesse ;

- origine ethnique ;

- antécédents obstétricaux ;

- déroulement de la grossesse en cours.

Conditions socio-économiques

Il n'existait pas de différence dans les conditions socio-économiques entre les cas et les témoins. Les paramètres analysés étaient : le niveau d'études, l'existence d'une couverture sociale, le lieu de résidence, l'âge inférieur à 20 ans ou supérieur à 37 ans, le nombre d'enfants à charge, le nombre de personnes vivant dans le foyer, l'exercice d'une activité professionnelle pendant la grossesse, la notion de mère isolée.

Antécédents médicaux et habitus

Ils n'étaient pas différents entre les cas et les témoins notamment concernant la consommation de tabac, la consanguinité, et la positivité de l'antigène HbS.

Les caractéristiques du suivi de grossesse

Elles ne montraient pas de différence significative en ce qui concerne l'absence de déclaration de grossesse, l'absence de consultation prénatale ou le nombre de ces consultations.

Origine ethnique

Il existait d'importantes différences dans l'origine ethnique des patientes. Les patientes originaires de France métropolitaine représentaient 47.4 % des témoins contre seulement 31.3 % des cas. A l'inverse les patientes originaires des départements et territoires d'Outre-mer (DOM-TOM), d'Afrique Noire ou d'Afrique du Nord, étaient en proportion beaucoup plus nombreuses parmi les cas que parmi les témoins.

Antécédents obstétricaux

Il n'existait pas de différence significative entre les 2 groupes concernant la grande multiparité ou les antécédents de césarienne. Par contre, les antécédents d'interruption volontaire de grossesse, d'interruption médicale de grossesse, d'enfant(s) mort-né(s), de grande gestité étaient significativement plus fréquents parmi les cas que parmi les témoins. Il existait de plus une différence très hautement significative concernant les antécédents de fausse(s) couche(s) spontanée(s), d'accouchement(s) prématuré(s) ou d'enfant(s) de moins de 2 500g.

Déroulement de la grossesse en cours

L'existence d'un diabète gestationnel, d'infections urinaires en cours de grossesse, ou d'une hypertension artérielle sans protéinurie n'était pas plus fréquente parmi les cas que parmi les témoins. A l'inverse l'existence d'une infection vaginale à streptocoque du groupe B, d'une hypertension artérielle avec protéinurie, des signes de menace de fausse couche spontanée ou l'existence d'une rupture de la poche des eaux étaient significativement plus fréquentes chez les cas que chez les témoins.

Analyse multivariée des facteurs de risque de perte de grossesse

Après ajustement pour les autres variables, les seuls paramètres restant significativement associés au risque de perte de grossesse étaient :

- l'origine des DOM-TOM, d'Afrique Noire ou d'Afrique du Nord ;

- les antécédents de fausse couche spontanée et d'accouchement prématuré ;

- et l'existence d'une pré-éclampsie (hypertension artérielle avec protéinurie).

Discussion

Il n'y a pas eu jusqu'à présent en France d'étude systématique sur une zone géographique, des pertes de grossesse avant 28 SA. Une des difficultés de ce type d'étude est le recensement des cas, d'autant qu'il n'existe pas en France de déclaration légale des enfants mort-nés avant 28 semaines malgré la loi de 1993 qui rend possible la déclaration des enfants nés vivants et viables avant 28 semaines. L'enquête périnatale de SSD a permis un enregistrement exhaustif de ces cas au moins dans les 7 plus grandes maternités concernées par l'étude.

Nombre de ces facteurs étant liés, seule la régression logistique permet de rétablir la part véritable imputable à chaque variable.

L'existence d'une fréquence supérieure d'infections à streptocoque du groupe B parmi les cas par rapport aux témoins semble corroborer une analyse précédente des causes des pertes de grossesse. Cette étude montrait en effet une fréquence très élevée de causes infectieuses (36,7 %) et le streptocoque B était le germe le plus fréquemment isolé dans cette analyse. Cependant après ajustement, la variable " infection à streptocoque B " n'est plus significative (odds ratio 0,97-11,88). Plusieurs explications peuvent être proposées :

1. d'autres germes que le streptocoque du groupe B peuvent intervenir dans les causes infectieuses de perte de grossesse, et cette éventualité concorde avec des études récentes montrant l'efficacité de l'antibiothérapie, en particulier la clindamicine pour réduire la prématurité imputée aux vaginoses bactériennes [Romero] ;

2. le caractère primitif ou secondaire de l'infection aboutissant à une perte de grossesse n'est pas toujours clairement établi. En effet il a été démontré qu'une infection pouvait être responsable de modifications du col et de contractions utérines. Mais à l'inverse l'existence de modifications du col ou d'une béance anatomique peut favoriser la progression ascendante de germes vaginaux et une infection secondaire.

Le fait que les antécédents de fausse couche spontanée ou d'accouchement prématuré, qui peuvent suggérer l'existence d'une béance, restent significativement associés au risque de perte de grossesse après ajustement, suggère que la béance ou l'incompétence cervicale pourrait être l'événement initial favorisant l'infection. Cette hypothèse concorde avec les résultats de l'étude de Chambers et al. qui montre que l'existence d'une infection vaginale lorsque le col utérin est long n'a pas de valeur prédictive d'accouchement prématuré. A l'inverse, en cas de raccourcissement du col, l'infection vaginale est associée au risque d'accouchement prématuré.

Contrairement aux morts foetales survenues plus tardivement au cours de la grossesse (au-delà de 27 SA) dans cette même enquête le suivi de grossesse n'avait pas d'influence sur la survenue d'une perte de grossesse dans cette étude. Ceci peut signifier soit que le suivi de grossesse n'a pas d'influence sur les pertes de grossesse précoce parce que leurs causes ne sont pas accessibles à un traitement, soit que les causes de pertes de grossesse n'ont pas été systématiquement recherchées ou que les mesures préventives et/ou curatives adéquates n'ont pas été prises. Cette deuxième hypothèse semble hautement probable du fait que les causes de pertes de grossesse sont mal connues et leur prise en charge est de ce fait souvent inadaptée.

Le fait que l'origine ethnique, notamment Afrique Noire et DOM-TOM, soit associée au risque de perte de grossesse précoce, même après ajustement pour les conditions socio-économiques, suggère que certaines pathologies de la grossesse pourraient leur être associées. La grande fréquence de causes vasculaires à l'origine des pertes de grossesse par mort foetale in utero pourrait être l'explication de ce phénomène.

En effet, l'hypertension et les signes cliniques de pré-éclampsie sont inconstants en cas de pathologie vasculaire ou de survenue retardée par rapport aux anomalies placentaires. De ce fait, l'origine vasculaire de l'accident ne peut souvent être affirmée que par l'étude anatomopathologique du placenta. Ceci pourrait expliquer que malgré l'ajustement pour les manifestations telles que l'HTA et la protéinurie, les ethnies originaires d'Afrique soient plus exposées aux pertes de grossesse. Aux Etats-Unis, la population noire semble également être la plus exposée aux risques de pathologie vasculaire en cours de grossesse (Eskenazy).

Bibliographie 

[1] BOUYER J., PAPIERNIK E. : Facteurs de risque de la prématurité : Facteurs de risque relevés lors des consultations prénatales. In : La prématurité. Enquête périnatale de Haguenau. (J. Bouyer, J. Dreyfus, S. Gueguen, P. Lazar, E. Papiernik, eds.). Editions INSERM. Doin, Paris, 1987 : 25-44.

[2] CHAMBERS S., PONS J.C., RICHARD A., CHIESA M., BOUYER J., PAPIERNIK E. : Vaginal infections, cervical ripening and preterm delivery. Eur. J. Obstet. Gynecol., 1990 : 38, 103-108.

[3] ESKENAZI B., FENSTER L., SIDNEY S. : A multivariate analysis of risk factors for pre-eclampsia. JAMA, 1991 : 266, 237-241.

[4] ROMERO R., GONZALEZ R., SEPULVEDA W., BRANDT F., RAMIREZ M., SOROKIN Y., MAZOR M., TREADWELL M., COTTON D.B. : Infection and labor VIII. Microbial invasion of the amniotic cavity in patients with suspected cervical incompetence : prevalence and clinical significance. Am. J. Obstet. Gynaecol., 1992 : 167, 1086-1091.