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Introduction En France, le cancer de l'ovaire est actuellement la troisième cause de décès par cancer chez la femme, après ceux du sein et du colon-rectum. Durant les vingt dernières années, de nombreuses hypothèses concernant l'étiologie de ce cancer ont été formulées. A l'évidence et comme pour d'autres cancers gynécologiques, il semble exister un rôle particulier des hormones sexuelles dans la pathogénie du cancer de l'ovaire. Nous étudierons donc les effets des contraceptifs oraux et des traitements hormonaux substitutifs de la ménopause sur le risque de survenue de cancer de l'ovaire. Contraception orale et cancer de l'ovaire La prise de contraceptifs oraux est, dans la majorité des études, retrouvée comme un facteur protecteur. Cet effet n'est pas retrouvé pour les microprogestatifs. Deux hypothèses ont été avancées pour expliquer cette diminution du risque. La première repose sur le fait que plus les cicatrices d'ovulations sont nombreuses, plus le risque d'apparition d'un cancer est élevé [3]. La contraception orale supprimant l'ovulation, cet effet protecteur serait ainsi manifeste. Certains ont d'ailleurs proposé de définir un index de nombre d'années, pour quantifier ce risque [2]. Dans la seconde hypothèse, la diminution par les oestroprogestatifs combinés d'un taux initialement élevé de gonadotrophine hypophysaire réduirait le risque [14]. Une vingtaine d'études initiées dans les années 70 et trois métaanalyses ont ainsi clairement démontré l'effet protecteur important des contraceptifs oraux. Le risque relatif varie dans les études entre 0,25 et 0,8. Seules deux études ont des résultats différents, voire contradictoires : l'une conduite par Hartge [9] aux Etats-Unis (OR : 1,0 ; 95 % CI : 0,7 - 1,7), l'autre par Shu [15] en Chine (OR : 1,8 ; 95 % CI : 0,8 - 4,1). Cet effet protecteur augmenterait également avec la durée de la prise. Les résultats de plusieurs études montrent une diminution du risque à 0,5 lorsque la durée de la prise est supérieure à cinq ans. Hankinson et al. estiment que le risque chute de 11 % par année d'utilisation, jusqu'à 46 % après cinq ans [7]. Cependant, après six ans ou plus de prise de contraception orale, le bénéfice serait moins marqué [20]. Cette protection existerait également même en cas de prise sur une courte période et persisterait dix ans et plus après l'arrêt [5, 7, 17]. L'âge des patientes au moment de la prise de la contraception orale a également un rôle. En effet, certains auteurs trouvent une diminution du risque encore plus importante quand la première prise a eu lieu avant 25 ans [2, 6]. Cet effet protecteur est retrouvé de façon similaire chez les patientes nullipares ou multipares [18]. Concernant les tumeurs "borderline", il semble que la contraception orale ait aussi un effet protecteur, sans que cela soit aussi net dans le temps. Traitement hormonal substitutif et cancer de l'ovaire Les études concernant l'influence du traitement hormonal substitutif de la ménopause ne montrent pas des résultats aussi évidents que pour la contraception par oestroprogestatif. La coïncidence entre l'augmentation de la mortalité par cancer de l'ovaire aux Etats-Unis chez les femmes de plus de 50 ans et l'utilisation plus fréquente de traitement hormonal substitutif a attiré l'attention. Cela a fait poser la question du rôle des oestrogènes dans la genèse des cancers de l'ovaire. Les résultats des différentes études sont globalement discordants. Certaines publications concluent à des diminutions significatives du risque. Smith et al. [16] et Annegers et al. [1] trouvent respectivement un risque relatif de 0,36 (95 % CI : 0,2-0,6) et 0,7 (95 % CI : 0,2-1,8). Pour Hartge [9], le risque diminue avec la durée du traitement hormonal substitutif après trente mois : 0,4 (95 % CI 0,2-0,7). Harlap [8], en reprenant onze études cas-témoins, trouve que le risque relatif varie entre 0,5 et 1,6. Dans la métaanalyse de Whittemore et al. [20], il n'y avait pas d'augmentation de l'odd ratio après trois mois de traitement hormonal substitutif (OR 0,93 vs 1,1), ou même après deux ans ou plus de traitement (OR 0,89 vs 1,1). Il n'y avait pas non plus de différence en fonction de l'âge, du type de ménopause ou du délai après la dernière prise de traitement hormonal substitutif. Hoover [10] a réalisé une étude rétrospective chez les patientes ayant pris du Prémarinæ comme traitement hormonal substitutif pendant au moins six mois. Le risque relatif global est de 2,6 (95 % CI : 1,2-5,0) ; ce risque accru est indépendant de l'âge au début du traitement hormonal substitutif, de la durée du traitement et de la dose totale cumulée. Mais cette augmentation du risque est surtout confinée aux femmes ayant reçu d'autres oestrogènes et notamment du diéthylstilbestrol (DES). Booth [2] a mené une étude cas-témoins comparant les données pour 235 patientes traitées pour un cancer de l'ovaire à 451 témoins. Le risque relatif pour les patientes ayant pris un traitement hormonal substitutif est de 1,5 (95 % CI : O,9-2,6). Le risque relatif chez les patientes ayant eu une hystérectomie est de 10,9, mais porte sur un petit effectif et n'est pas significatif. Dans la métaanalyse de Whittemore [20], on retrouve au contraire chez les patientes hystérectomisées et ayant eu un traitement hormonal substitutif une diminution de risque. Rodriguez [13], dans une étude récente, met en évidence une augmentation du risque relatif après un traitement hormonal substitutif prolongé au-delà de onze ans : 1,71 (95 % CI : 1,06-2,77). Cela est également retrouvé par Kaufman [11]. Concernant les cancers endométrioïdes, Weiss [19] trouve une augmentation du risque relatif dans une étude cas-témoins. Les résultats de toutes ces études ne permettent pas actuellement d'incriminer le traitement hormonal substitutif comme facteur de risque de cancer de l'ovaire. Il semble cependant se dessiner une légère augmentation de risque lorsque le traitement hormonal substitutif est poursuivi plus de dix ans. Peut-on prescrire un traitement hormonal substitutif apres un cancer de l'ovaire ? Ce problème se pose relativement fréquemment, puisque 25 % des carcinomes ovariens surviennent avant 50 ans. Le pronostic des formes disséminées étant très défavorable, il existait une certaine réticence à instaurer un traitement hormonal substitutif. L'hésitation à la prescription d'un tel traitement reposait sur des expériences in vitro. Des doses physiologiques d'oestrogènes stimulent la croissance de cellules tumorales. De plus il a été mis en évidence des récepteurs aux oestrogènes et à la progestérone sur quelques adénocarcinomes ovariens. A des doses pharmacologiques (100 fois les doses physiologiques), il n'existe cependant aucun effet. La crainte de stimuler d'éventuelles cellules résiduelles avait donc fait jusqu'à il y a peu de temps contre-indiquer le traitement hormonal substitutif chez ces patientes. Cette tendance est aujourd'hui remise en question bien que la littérature sur ce sujet soit très succincte. Les hormonothérapies par anti-oestrogènes pour traiter le cancer l'ovaire se sont révélées inefficaces [12]. Les taux de réponse sont inférieurs à 10 %. Une étude réalisée par Eeles [4] au Royal Marsden Hospital ne retrouve aucune différence pronostique pour des patientes ayant reçu un traitement hormonal substitutif par rapport à un groupe témoin. La survie globale, et la survie sans récidive selon la prise ou non de traitement hormonal substitutif. La prescription d'un traitement hormonal substitutif, dont le bénéfice n'est plus à démontrer, est particulièrement importante surtout pour les femmes jeunes en cas de tumeurs stade I ou II pour lesquelles la survie à cinq ans est supérieure à 55 %. Conclusion La contraception orale exerce un rôle protecteur important avec une réduction de risque d'environ 40 %, augmentant avec la durée d'utilisation. Cet effet dure environ une dizaine d'années après l'arrêt de la contraception. Elle intervient quels que soient l'âge au moment de la première prise et la parité. Concernant le traitement hormonal substitutif, il persiste des interrogations sur un éventuel risque. Il semble plus probable que s'il existe ce risque soit beaucoup plus lié à la durée du traitement. L'éventualité d'un traitement hormonal substitutif après traitement d'un cancer de l'ovaire a été longtemps écartée. Actuellement, l'innocuité du traitement substitutif n'a fait l'objet que d'une étude cas-témoins. Il n'existe pas de différence significative entre le groupe des patientes avec traitement hormonal substitutif et le groupe témoin. Il n'y a pas d'argument formel pour réfuter un traitement hormonal substitutif à des patientes traitées pour un adénocarcinome ovarien. Bibliographie [1] Annegers J.F., Strom H., Decker D.G., Dockerty M.B., O'Fallon M. : Ovarian Cancer =CCncidence and case-control study. Cancer, 1979 ; 43 : 723-729. [2] Booth M., Beral V., Smith P. : Risk factors for ovarian cancer : a case-control study. Br. J. Cancer, 1989 ; 60 : 592-599. [3] Cramer D.W., Welch W.R. : Determinant of ovarian cancer risk ; Interferences regarding pathogenesis. J. Natl. Cancer. Inst., 1983 ; 71 : 717. [4] Eeles R.A., Tan S., Wiltshaw E., et al. : Hormone replacement therapy and survival after surgery for ovarian cancer. Br. Med. J., 1991 ; 302 : 259-62. [5] Franceschi S., La Vecchia C., Booth M., et al. : Pooled analysis of three European case control studies ; Age at menarche and at menopause. Int. J. Cancer., 1991 ; 49 : 57-60. [6] Franceschi S., La Vecchia C., Negri E., Booth M., Trichopoulos D. : Ovarian cancer: age at menopause and first oral contraceptive use. Int. J. Cancer., 1992 ; 51 : 335-336. [7] Hankinson S.E., Colditz GA., Hunter D.J., Rosner B., Stampfer M.J. : A quantitative assessment of oral contraceptive use and risk of ovarian cancer. Obstet. Gynecol., 1992 ; 80 : 708-714. [8] Harlap S. : The epidemiology of ovarian cancer. In Markman M., Hoskin W.J., (eds) : Cancer of the Ovary. Raven Press, New York, 1993 : 79-93. [9] Hartge P., Hoover R., McGowan L., Lesher L., Nocris H. J. : Menopause and ovarian cancer. Am. J. Epidemiol., 1988 ; 127 : 990-998. [10] Hoover R., Gray L.A., Franmeni J.F. : Stilboestrol (diethylstilboestrol) and the risk of ovarian cancer. Lancet, 1977 ; 10 : 533-534. [11] Kaufman D.W., Kelly J. 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[18] The WHO Collaborative Study of Neoplasia and Steroid Contraceptives : Epithelial ovarian cancer and combined oral contraceptives. Int. J. Epidemiol., 1989 ; 18 : 538-545. [19] Weiss N.S., Lyon J.L., Krishnamurthy S. Dietert S.E., Liff J.M., Daling J.R. : Non contraceptive estrogen use and the occurrence of ovarian cancer. J. Natl. Cancer. Inst., 1982 ; 68 : 95-98. [20] Whittemore A.S., Harris R., Itnyre J., and the Collaborative Ovarian Cancer Group Characteristics relating to ovarian cancer risk : collaborative analysis of 12 case-control studies ; Invasive epithelialovariancancer in white women. Am. J. Epidemiol., 1992 ; 136 : 1184-1203. Clinique chirurgicale et gynécologique (Pr J. Blondon), Hôpital de la Pitié-Salpétrière, 47-83 boulevard de l'Hôpital, 75651 Paris Cedex 13. |
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