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1997 > Obstétrique > Anetshésie obstétricale  Telecharger le PDF

Prostaglandines et anesthésie obstétricale

D. Benhamou

Introduction

La plupart des anesthésistes travaillant en obstétrique sont peu familiarisés avec les propriétés pharmacologiques et l'emploi des prostaglandines (PG). En effet, les interactions entre l'anesthésie obstétricale et l'utilisation des PG sont rares. C'est ainsi que par une analyse exhaustive de la littérature au cours des dix dernières années, on ne peut retrouver qu'une vingtaine de publications indiquant que des anesthésistes ont été confrontés à des complications des PG employées par les obstétriciens.

Plus encore, ces publications sont presque en totalité des " case reports " relatant un voire deux cas d'interaction grave. En réalité si l'on se limite aux interactions proprement dites entre les agents (ou les techniques) anesthésiques et les PG, le nombre de publications est réduit à moins de dix. Les publications restantes relatent des effets systémiques induits par l'administration des PG que l'obstétricien n'a pu traiter par lui-même et qu'il a confiée à l'anesthésiste pour que celui-ci assure la réanimation immédiate.

Alors compte tenu de la rareté de ces interactions pourquoi ce sujet est-il intéressant ? Les raisons sont multiples. Tout d'abord par la gravité réelle de ces accidents, hémodynamique ou respiratoire le plus souvent et qui ne permet aucun retard thérapeutique. Autrement dit, l'anesthésiste doit connaître les propriétés pharmacologiques des PG afin d'être capable d'assurer en urgence la thérapeutique. De plus, alors que les nouvelles voies d'administration des PG réduisent la diffusion systémique de la molécule et donc incitent les obstétriciens à un emploi de plus en plus large, la survenue d'effets indésirables reste tout à fait possible et des accidents sévères peuvent en résulter.

Ce texte rappellera tout d'abord le (s) rôle (s) des PG dans la physiologie de la reproduction puis présentera les effets pharmacologiques sur l'utérus (col, myomètre) des PG utilisées en clinique, enfin discutera les effets systémiques générateurs de complications.

Prostaglandines et physiologie de la reproduction

Une excellente et exhaustive revue générale vient d'être récemment publiée [1] et pourra compléter l'information résumée ci-dessous.

Les prostaglandines sont issues de l'acide arachidonique et sont des acides gras à 20 atomes de carbone, un noyau cyclopentane, deux chaînes latérales dont l'une porte la fonction COOH (acide). Le nombre de doubles liaisons sur les chaînes latérales (1, 2 ou 3) permet de distinguer les PG des séries 1, 2 et 3 respectivement.

En physiologie humaine, les PG de la série 2 sont très largement prédominantes. L'acide arachidonique se trouve fixé en grande quantité (sous forme estérifiée) aux lipides membranaires dont il est libéré sous l'action de la phospholipase A2. Cet enzyme voit son action inhibée par la lipocortine dont l'activité est stimulée par les corticoïdes. De l'acide arachidonique, 3 voies métaboliques prennent naissance selon la nature de l'enzyme impliquée. La cyclooxygénase (inhibée par les anti-inflammatoires non stéroïdiens) permet la production des PG.

La lipoxygénase donne naissance aux leucotriènes. Enfin, sous l'action de l'époxygénase apparaissent des substances dont l'action physiologique est encore très mal connue.

Les prostaglandines jouent dans la physiologie de la reproduction un rôle important, complexe et démontré à plusieurs niveaux. La PGE2 stimule la libération de LH-RH hypothalamique et la PGF2a favorise la libération par l'hypophyse de FSH et de LH. La PGF2 a favorise également la maturation folliculaire et la lutéolyse. La PGF2 participe au processus d'ovulation et à la migration des gamètes dans la trompe.

Au cours de la grossesse, le taux intra-amniotique de PGE2 s'élève environ trois fois plus que celui de PGF2a. En revanche pendant l'accouchement, on assiste à une croissance intense des taux intraamniotiques (x 100 environ par rapport au taux de fin de grossesse) mais il s'agit alors surtout de la PGF2a. La PGF2a semble donc jouer un rôle majeur dans l'accouchement normal.

Proprietes pharmacodynamiques et utilisation des PG en obstetrique

Les propriétés pharmacologiques qui intéressent l'obstétricien sont doubles :

1. Augmentation de la contraction utérine par augmentation du taux de Ca2+ intracellulaire [2]. Cet effet est puissant et serait plus important avec la PGF2a qu'avec la PGE2 [3].

Mal contrôlée en particulier avec l'utilisation de doses excessives (plus de 5 mg avec les gels ou les ovules vaginaux de PGE2 ou plus de 0,5 mg pour la PGE2 intracervicale) ou en association avec l'ocytocine, la puissance utérotonique des PG (PGF2a ou PGE2) peut être responsable de rupture utérine, même en l'absence de cicatrice utérine antérieure [4, 5, 6].

2. Effet de maturation du col qui serait au contraire plus prolongé avec la PGE2 qu'avec la PGF2a [3]. Cet effet a été démontré comme ayant un support histochimique. L'assouplissement du col est associé à une diminution significative de la concentration de collagène à ce niveau, avec une raréfaction et une dispersion des fibres de collagène qui ne sont plus solidaires. Le maintien du taux tissulaire d'hydroxyproline traduit que la quantité totale de collagène et d'eau n'a pas diminué. A l'inverse, il existe histologiquement une augmentation de la substance de soutien responsable de la dispersion de collagène. De plus, les fibres lisses musculaires du col sont sensibles à l'action des PG, cette fois-ci de nature inhibitrice [7].

En raison de leurs propriétés mixtes à la fois sur le muscle et à la fois sur le col utérin, les PG représentent des substances de choix dans l'arsenal thérapeutique et ce, à toutes les périodes de la grossesse.

Dans l'interruption volontaire de grossesse au premier trimestre,

l'effet maturateur du col permet une approche mécanique du contenu utérin moins traumatisante et l'effet utérotonique favorise l'expulsion spontanée et la rétraction [8]. Cependant, il est indispensable de rappeler que les PG utilisées seules pour l'IVG au cours du 1er trimestre ne sont pas plus efficaces que l'aspiration sous vide. La nécessité fréquente d'une anesthésie générale pour l'aspiration sous vide - et des risques potentiels qui lui sont associés - doit également être prise en considération.

Actuellement largement utilisées en association avec le RU486 ou mifépristone, ce sont essentiellement les dérivés synthétiques de la PGE2 qui sont les plus efficaces (sulprostone ou NALADOR et Géméprost ou CERVAGEME). Depuis peu, on dispose d'une forme orale de prostaglandine utilisable dans cette indication : c'est le misoprostol (CYTOTEC) plus connu pour son action anti-ulcéreuse. Cette molécule est un analogue de la PGE1 et a été très étudiée au cours des deux dernières années. Récemment une étude significative a évalué l'efficacité comme inducteur de l'avortement de la mifépristone (RU486) en association avec du misoprostol administré soit par voie orale soit par voie vaginale à la dose de 800 mg [9].

L'expulsion du produit de conception sans intervention chirurgicale a été obtenue dans 95 % des cas d'administration vaginale et dans 8 % des cas d'administration orale (différence significative). Le taux de femmes ayant expulsé en moins de 4 heures était de 93 % après administration vaginale et seulement de 78 % après administration orale (différence significative). Les effets indésirables (nausées, diarrhée) étaient plus fréquents après administration orale. Cette étude semble démontrer clairement l'efficacité de la combinaison de ces produits et montre l'excellente tolérance lorsque la prostaglandine est administrée par voie vaginale.

- Déclenchement du travail au 2e et 3e trimestre pour interruption thérapeutique de grossesse ou mort foetale in utero [10]. Les voies d'administration sont identiques à la description précédente et ici encore, en raison de leur puissance utérotonique, les analogues de la PGE2 étaient les plus utilisés au début des années 1990. Cependant, comme pour les avortements du premier trimestre, l'association mifépristone-misoprostol a été récemment évaluée pour les avortements du second trimestre. Dans l'étude de El Refaey et Templeton [11], l'avortement était obtenu à 97 % dans un délai de 6,4 heures. A la différence des avortements du premier trimestre, il n'existait dans cette série pas de différence de résultat entre la voie orale et la voie vaginale.

- Le déclenchement artificiel du travail à terme ne peut faire appel qu'aux PG naturelles [12, 13] ou aux analogues de la PGE1 [14], les dérivés synthétiques exposant au risque d'hypertonie utérine et de souffrance foetale aiguë. L'effet bénéfique sur le col utérin est significatif surtout en cas de col " défavorable " (score de Bishop faible < 3-4). Dans le cas contraire, l'ocytocine produit d'aussi bons résultats.

- Enfin les PG synthétiques (NALADOR en particulier) retrouvent tout leur intérêt dans les hémorragies du post-partum. Toutes les voies d'administration sont possibles : parentérale iv ou im [15, 16] injection intramurale directe [17] ou l'emploi des ovules vaginaux [18]. Cependant, les voies intramurale directe et intramusculaire sont actuellement prohibées. Sur un plan pratique, rappelons que la plupart des PG sont instables à température ambiante et doivent être conservées au réfrigérateur. Lorsque le NALADOR est la molécule choisie, l'administration intraveineuse doit être lente, en perfusion ou au mieux à la seringue électrique pour éviter les effets indésirables qui se démasquent en cas de pic plasmatique élevé.

Dans notre expérience, l'emploi d'une ampoule de 500 =B5g représente la dose cliniquement utile et à l'exception des situations hémorragiques très instables il nous paraît raisonnable de s'accorder un délai d'observation de quatre à six heures au terme duquel l'efficacité des PG peut être jugée. Si l'efficacité se révèle alors insuffisante, il ne paraît pas légitime de réitérer l'injection de PG et un autre choix thérapeutique doit alors rapidement être proposé pour stopper le syndrome hémorragique.

Effets indesirables des pg et interactions avec l'anesthesie-reanimation

C'est malheureusement parce que les PGE2 et PGF2a possèdent des effets physiologiques dans d'autres territoires que des interactions négatives peuvent être observées en obstétrique. Malgré leur rareté, il est possible de les classifier et de résumer la situation de la façon suivante.

La PGF2 possède une action hypertensive qui a pu conduire à des hypertensions extrêmes (19,20). Cette action reste difficile à expliquer car si les travaux hémodynamiques retrouvent constamment une élévation de la pression artérielle pulmonaire, l'action sur le débit cardiaque, la pression artérielle et les résistances vasculaires semble moins claire [21]. L'élévation de 40 % du débit cardiaque et de 25 % de la pression artérielle systémique ne peuvent expliquer des accidents hypertensifs. Il est alors probable qu'à plus forte dose ou en cas d'injection ou de passage intravasculaire brutal, un effet sur le muscle vasculaire lisse soit prédominant. Sur le plan thérapeutique, notons que cet accident hypertensif ne doit être traité que s'il persiste, l'action de la PGF2a étant très transitoire, de l'ordre de quelques minutes.

Hypotension artérielle

L'administration et l'absorption de doses thérapeutiques de PGE2 produisent une hypotension artérielle modérée ou mineure [21]. La PGE2 en effet produit une vasodilatation et une réduction des résistances vasculaires systémiques [21]. Cette vasodilatation peut se manifester par un flush et une grande rougeur cutanée et faire évoquer un accident anaphylactoïde. Cependant il n'y a pas d'urticaire et pas de bronchospasme rendant ce diagnostic peu probable.

L'index cardiaque est cependant maintenu par une élévation de la fréquence cardiaque et du volume d'éjection systolique. En revanche, le passage intravasculaire - en particulier après injection intramyométriale pour hémorragie et atonie utérine - d'une quantité notable de PGE2 peut être responsable d'une hypotension artérielle profonde [22]. Cet effet hypotenseur pourrait être accentué par un traitement symptomatique insuffisant de l'hémorragie résultant en une hypovolémie associée.

Veeckman et collaborateurs ont également rapporté l'interaction négative entre l'administration intramyométriale de PGE2 et les effets hémodynamiques de l'anesthésie péridurale au cours de césariennes [23]. Ces auteurs insistent sur la résistance au traitement de cette hypotension par l'éphédrine et suggèrent un blocage de la libération de nor-adrénaline par la PGE2 [24].

La mise en oeuvre d'une thérapeutique symptomatique (catécholamines et remplissage vasculaire) dépendra de la profondeur de l'hypotension. A ma connaissance trois cas cliniques ont décrit la survenue d'un infarctus du myocarde à la suite d'une hypotension profonde après administration de PGE2. Dans le premier cas (enquête nationale sur la mortalité maternelle, non publiée) la PGE2 était administrée chez une femme, grande tabagique et en très mauvais état général, pour une interruption de grossesse au 1er trimestre.

Dans le second cas [25] l'interruption de grossesse au 2e trimestre était motivée par le retentissement maternel (HTA sévère et insuffisance cardiaque) d'une pathologie rénale sous-jacente. Dans le troisième cas, plus anciennement rapporté [26], une femme obèse aux lourds antécédents cardio-vasculaires familiaux est décédée d'un infarctus du myocarde à la suite de l'administration d'un ovule vaginal de 20 mg de PGE2 pour déclenchement du travail (dose actuellement recommandée : 3-5 mg). Ainsi dans les trois cas rapportés, bien qu'il n'y ait pas mention de coronaropathie cliniquement décelée, le terrain " vasculaire " peut être a posteriori considéré comme favorisant.

L'action hypotensive de la PGE2 n'est pas toujours retrouvée. La complexité d'action de ces substances est attestée par le cas clinique récemment rapporté par Veber et collaborateurs [27]. L'administration de 500 =B5g de PGE2 s'est accompagnée d'un pic hypertensif majeur et transitoire attribué par ces auteurs à un effet central de la PGE2 prédominant sur l'effet périphérique (hypotension) secondaire à une résorption vasculaire brutale (injection intramyométriale).

Enfin il faut insister sur la survenue fréquente d'une fièvre après administration de PGE2 (30-40 % des cas) [3]. Cette fièvre peut poser deux problèmes à l'anesthésiste-réanimateur :

1. Peut-il réaliser une anesthésie péridurale en présence d'une telle fièvre ?

2. S'agit-il d'un tableau hémodynamique de choc septique débutant ? Les réponses à ces questions impliquent une analyse de chaque cas séparément et une confrontation avec les données obstétricales.

Bronchospasme et PGF2

De la même façon que le passage intravasculaire brutal est susceptible de produire une hypertension, l'action sur le muscle lisse bronchique peut conduire à un bronchospasme. Dans les conditions difficiles dans lesquelles cette situation a été décrite, les diagnostics différentiels usuels (inhalation, anaphylaxie, malposition de la sonde, stimulation trachéale irritante, etc.) doivent être évoqués.

Cependant, à doses thérapeutiques la PGF2a ne produit une augmentation significative des résistances bronchiques que chez les patients asthmatiques [28]. Il n'existe qu'un seul cas rapporté de bronchospasme chez une patiente non asthmatique recevant de la PGF2a pour une hémorragie persistante du post-partum [29]. Cet effet bronchoconstricteur de la PGF2a s'oppose à l'effet bronchodilatateur de la PGE2 [30].

Conclusion-résumé

- L'emploi thérapeutique des PG en obstétrique a profondément modifié les attitudes. Leur puissance permet l'amélioration des résultats de nombreuses situations.

- Elles sont utilisées de par leurs propriétés (dilatation cervicale et contraction utérine) à tous les termes de la grossesse. Cependant, les dérivés synthétiques des PG sont contre-indiqués en cas " d'enfant vivant ".

- L'emploi des PG des voies locales (intracervicale, vaginale, extraamniotique) réduit les risques d'effets indésirables mineurs (nausées, vomissements, douleurs) et surtout graves (cardio-respiratoires).

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* Professeur des universités, praticien hospitalier, département d'anesthésie-réanimation, Hôpital Antoine-Béclère, 92141 Clamart.