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1997 > Néonatologie > acides gras polyinsaturés et grossesse  Telecharger le PDF

Acides gras polyinsaturés à chaîne longue et antioxydants (vitamine E en particulier) au cours de la grossesse

P. Sarda

Chez le foetus humain, les besoins en acides gras polyinsaturés, notamment des séries essentielles n-6 et n-3, sont d'une extrême importance pour sa croissance et tout particulièrement pour celle du tissu cérébral qui se développe intensément en période périnatale.

Rappel du metabolisme des acides gras polyinsatures (agpi)

Il existe trois grandes familles d'acides gras insaturés : n-3, n-6 et n-9. Les acides gras de ces trois séries sont des constituants fondamentaux de toutes les membranes cellulaires et ont des rôles majeurs dans tous les métabolismes cellulaires.

Les deux premières séries n-3 et n-6 ne sont produites qu'à partir de leur molécule mère respective, l'acide alpha -linolénique ou C18:3 (n-3) et l'acide linoléique ou C18:2 (n-6). Ces deux acides gras ne sont pas synthétisés par l'homme, ils doivent donc impérativement être apportés par l'alimentation. C'est pour cette raison qu'ils sont dits "essentiels".

Les acides gras de la série n-9 ont pour molécule mère l'acide oléique ou C18:1 (n-9). Les acides gras de la série n-9 peuvent être synthétisés à partir du glucose ou des acides gras saturés.

A partir des molécules mères, les molécules d'acides gras sont allongées (élongases) et désaturées (désaturases D 6, D 5 et D 4). Les acides gras particulièrement importants dans les structures tissulaires sont pour la série n-6, l'acide arachidonique (AA) ou C20:4 (n-6), et pour la série n-3 l'acide docosahexaenoïque (DHA) ou C22:6 (n-3). L'acide eicosapentaenoïque (EPA) ou C20:5 (n-3), précurseur du DHA, joue un rôle particulier dans les régulations des systèmes enzymatiques élongases et désaturases. Sa présence en excès inhibe la synthèse des acides gras de la série n-6 entraînant de ce fait une synthèse moindre de l'acide arachidonique.

Enfin, à côté de cette fonction de constituants des structures membranaires cellulaires, jouée par ces acides gras essentiels, il importe de ne pas oublier que certains sont à l'origine de la synthèse des eicosanoïdes (prostaglandine, thromboxane et prostacycline). Ces médiateurs cellulaires jouent des rôles fondamentaux dans les phénomènes inflammatoires, de coagulation et de vasomotricité.

Schema du metabolisme des agpi

Besoins en acides gras polyinsatures du fœtus

Le développement cérébral foetal passe par deux périodes de croissance intense :

¦ la première s’étendant essentiellement sur le second trimestre, elle correspond à la période de prolifération des neuroblastes.

  • la seconde survenant dès la fin du second trimestre va durer pendant les deux premières années de la vie, elle correspond à une prolifération massive du tissu glial des réseaux dendritiques et synaptiques (10)

Les tissus nerveux et sensoriels sont d’une très grande richesse en AGPI, particulièrement en acides gras à longues chaînes, hautement insaturés, des séries n-6 et n-3.

CLANDININ (3) et MARTINEZ (7) ont apprécié l’accrétion des acides gras des séries n-6 et n-3 chez le foetus durant le dernier trimestre de gestation.

L’accrétion des AGPI de la série n-6 dans le cerveau est de 32,3 mg/semaine, celle des AGPI de la série n-3 de 14,5 mg/semaine.

En comparaison, pour la même période, la croissance hépatique nécessitera 7,6 mg/semaine d’AGPI de la série n-6 et 3,5 mg d’AGPI de la série n-3.

A partir de la 33ème semaine de gestation, le DHA devient l’acide gras le plus important dans le cerveau humain .

Les travaux que nous avons effectués sur la composition de la rétine neurale du foetus (6,9) ont montré que dès la 20éme semaine de gestation le DHA et l’AA subissent une poussée accrétionnelle dans les deux principales classes de phospholipides (phosphatidyl-choline et phosphatidyl-éthanolamine). Cette poussée se situe entre la 20ème et la 22ème semaine pour les phosphatidyl-cholines et entre la 22ème et la 23ème semaine pour les phosphatidyl-éthanolamines

Après la naissance à terme, et jusqu'à l’âge de 1 an, les besoins en DHA ont été estimés à 4,7 mg/jour.

Par quels moyens le foetus peut-il couvrir ses besoins ?

Les AGPI foetaux peuvent être :

- soit synthétisés par le foetus ou le placenta

- soit transportés par le placenta de la mère au foetus.

  • In utero le foie foetal peut synthétiser l’AA et le DHA respectivement à partir de l’acide linoléique et l’acide alpha -linolénique. Cependant, les activités désaturases et élongases de cet organe étant extrêmement faibles, ses capacités de synthèse de l’AA et du DHA ne sont pas suffisantes pour assurer les besoins du foetus.

Les activités D -6 désaturases des microsomes hépatiques retrouvées chez deux foetus à 15 et 17 pmol/min/mg sont très inférieures à celles de l’adulte (60 pmol/min/mg) (2). Nous avons de même montré que les activités D -6 et D -5 désaturases dans les microsomes hépatiques, chez deux nouveau-nés à terme, n’étaient pas supérieures à 10,7 pmol/min/mg (8). Le foetus ne peut donc assurer ses propres besoins en AGPI.

Ces mêmes activités enzymatiques, D -6 et D -5 désaturases, étant absentes dans le placenta, cet organe ne peut synthétiser les AGPI nécessaires au développement foetal (2) .

Compte tenu de cette incapacité de l’unité foeto-placentaire à assurer la synthèse des AGPI nécessaires aux besoins du foetus, il est logique de penser que les AGPI foetaux proviennent d’un transport sélectif placentaire.

Durant la grossesse le statut lipidique maternel est profondément modifié. Dès le second trimestre, le cholestérol total, le cholestérol LDL, les acides gras libres et les triglycérides augmentent. Au cours du troisième trimestre, des variations dans le même sens sont retrouvées : cholestérol total (+ 36%), cholestérol LDL (+ 30%), LDL/HDL (+ 16%), triglycérides (´ 3 par rapport aux valeurs hors grossesse). Ces élévations des paramètres lipidiques se font de manière indépendante de l’alimentation et sans augmentation du risque cardio-vasculaire. Le foetus peut-il tirer bénéfice de ces modifications maternelles ?

Le concept de « biomagnification » décrit par CRAWFORD (5) plaide en faveur d’un mécanisme permettant un transfert sélectif des longues chaînes désaturées du compartiment plasmatique de la mère vers son foetus .

Dans une étude analysant les taux plasmatiques des acides gras chez 72 foetus et 59 mères entre 18 et 37 semaines de gestation, nous avons retrouvé chez les foetus des taux d’AGPI supérieurs à leur mère : pour l’AA dès la 18ème semaine de gestation et jusqu’au terme, et pour le DHA entre la 18ème et la 28ème semaine. Ces résultats, compte tenu de l’absence d’activités D -6 et D -5 désaturases du placenta humain, confirment l’existence d’un transfert préférentiel des AGPI à travers le placenta (4).

Si la vie foetale semble être une période de grands besoins en AGPI, elle devient dès lors une période à haut risque de stress oxydatif, car les acides gras insaturés, du fait des doubles liaisons le long de leurs chaînes carbonées, sont des cibles privilégiées des radicaux libres.

L’arrachement des ions « Hydrogène » d’un AGPI par des radicaux libres initie un processus destructif connu sous le nom de lipoperoxydation. Les lipides membranaires dégradés par les acides gras peroxydés altèrent les fonctions ou la structure des protéines membranaires pouvant aboutir jusqu'à la mort cellulaire.

Les systèmes antioxydants et tout particulièrement la Vitamine E permettent de protéger la cellule contre la toxicité de l’oxygène.

Les systemes antioxydants de la cellule

Il existe plusieurs systèmes antioxydants assurant la protection de la cellule contre les phénomènes de peroxydation

Enzymatiques

¤ La superoxyde dismutase (SOD) intervient aux premiers stades du processus formant de l’eau oxygénée.

¤ La catalase détoxifie alors l’eau oxygénée.

¤ La glutathion peroxydase selenium dépendante permet aussi d’éliminer l’eau oxygénée

par l’oxydation du glutathion.

Non enzymatiques

¤ Le glutathion.

¤ La Vitamine E est une substance organique non synthétisée par l’organisme ; elle fait

partie de la famille des tocophérols.

Ses propriétés antioxydantes tiennent à trois caractéristiques :

- Sa nature hydrophobe la place au contact étroit des acides gras peroxydables et en particulier à proximité des AGPI membranaires.

- L’affinité de la Vitamine E pour l’hydroperoxyle est supérieure à l’affinité d’un autre lipide insaturé.

- La Vitamine E ne rentre pas dans la chaîne de peroxydation, elle est capable d’en interrompre le processus du fait de la stabilité du radical tocophéroxyle formé.

Vitamine et grosssesse

Les connaissances des systèmes antioxydants chez le foetus sont extrêmement parcellaires. Il est habituel de parler de carence en Vitamine E chez l’adulte ou le nouveau-né pour des taux plasmatiques inférieurs à 5mg/l. Il a été montré que les nouveau-nés ont des taux inférieurs à ceux de leur mère et que les enfants nés prématurément sont à risque de carence alors qu’ils sont soumis à des stress oxydatifs importants dans leurs premiers jours de vie.

In utero les besoins physiologiques majeurs en AGPI créent une situation à haut risque de peroxydation si les systèmes de protection et en particulier la Vitamine E ne sont pas présents chez le foetus.

Afin d’analyser le transfert placentaire de la Vitamine E, 24 couples mère-foetus ont été explorés à des âges de gestation allant de 20 à 40 semaines. L’étude a porté sur l’analyse des paramètres lipidiques, le dosage de la Vitamine E dans le plasma et les globules rouges chez les foetus (ponction de sang foetal d’indication foetale : suspicion de toxoplasmose, bilan de malformation, etc.) et chez leur mère. Par ailleurs, un dosage de la Lp(a), lipoprotéine considérée comme un marqueur génétique d’athérogénicité, a été effectué dans le sang maternel (1).

Les résultats obtenus ont montré que :

¤ Il n’y a pas d’évolution des taux de Vitamine E pendant la grossesse, il n’existe pas de corrélation entre les taux plasmatiques et érythrocytaires, il n’existe aucune corrélation entre les taux de Vitamine E plasmatiques des foetus et de leurs mères.

¤ Si les taux plasmatiques des mères sont normaux (16,83 ± 5,90 mg/l), à l’opposé les valeurs chez les foetus sont effondrées (3,03 ± 0,87 mg/l).

¤ Il existe une corrélation générale entre les taux de Vitamine E érythrocytaire des foetus

(0,75 ± 0,35 mg/l) et de leur mère (1,06 ± 0,33), (r = 0,55 avec p = 0,002).

Cette corrélation est encore plus forte dans le groupe des mères (n = 9) avec Lp(a) élevées supérieures à 300 mg /l (r = 0,94 avec p = 0,0005) ; alors que les mères dont les Lp(a) sont normales (n = 15) inférieures à 300 mg/l n’ont pas de corrélation significative (r = 0,43 avec p = 0,17).

¤ Il existe une corrélation entre les taux de Vitamine E érythrocytaire et l’âge des mères. Cette corrélation est encore plus forte chez les mères ayant des taux de Lp(a) normaux (r = 0,79 avec p = 0,001)

A l’opposé les femmes à haut risque d’athérogénicité, avec des taux de Lp(a) élevés ont une corrélation inverse mais non significative (r = 0,51 avec p > 0,05)

Les résultats de cette étude ont permis de définir des « premières normes » des valeurs de Vitamine E chez le foetus, ils confirment que la Vitamine E plasmatique n’est pas le meilleur index pour évaluer le statut vitaminique E.

Le statut vitaminique d’un foetus semble être bien mieux apprécié par les valeurs de la Vitamine E érythrocytaire foetale, elle-même en relation avec la Vitamine E érythrocytaire maternelle dans un rapport de 1 à 1,5.

Enfin il apparaît important, au vu des besoins élevés et des risques foetaux, de poursuivre les études sur les systèmes antioxydants du couple mère-foetus aussi bien dans des conditions physiologiques que physiopathologiques en particulier chez les femmes à haut risque d’athérogénicité ou au cours de grossesses évoluant dans un contexte de toxémie.

Bibliographie

1) CACHIA O., LEGER C., BOULOT P. et al. Red blood cell vitamine E concentrations in fetuses are related to but lower than in mothers during gestation. Am. J Obstet. Gynecol. 1995 ; 173 : 42-51.

2) CHAMBAZ J., RAVEL D., PEPIN D. et al. Essential fatty acids interconversion in the human fetal liver. Biol. Neonate 1985 ; 47 ; 136-140

3) CLANDININ M.T., CHAPPELL J.E., HEIM T., SWYER P.R., CHANCE G.W. Fatty acid utilization in perinatal de novo synthesis of tissues. Early Hum. Develop., 1981 ; 5 : 355-366.

4) CRASTES DE PAULET P., SARDA P., BOULOT P. et al. Fatty acids blood composition in foetal and maternal plasma. In : Essential fatty acids and infant nutrition. John Libbey Eurotext. 1992 ; 65-77.

5) CRAWFORD M.A., HASSAM A.G. et WILLIAMS G. Essential fatty acids and fetal brain growth. Lancet 1976 ; 28 ; 452-453

6) LEGER Cl.L., FOURET G., BOUVIER S., SARDA P., DESCOMPS B. Acide docosahexaénoïque et développement rétinien. OCL, Vol. 2, n° 1, Janvier-Février 1995.

7) MARTINEZ M. Tissue levels of polyunsaturated fatty acids during early human development. J Pediatr. 1992 ; 120 ; S129-38.

8) POISSON J P., DUPUY R P. ,SARDA P., et al. Evidence that liver microsomes of human neonates desaturate essential fatty acids Biochim. Biophys. Acta , 1993 ; 1167 ; 109-113.

9) SARDA P., BENNAZZOUS M., BABIN F. et al.

Docosahexaenoïc 22 : 6 n-3 (DHA) accretion in human fetus retinas : evidence for a critical period. Pediatric research, 1993 (33), n° 4 part. 2, 321 A.

10) WHARTON B. A. Food for the brain Proc. R. Coll. Physicians Edinb. 1992 ; 22 ; 336-346.

Service de pédiatrie néonatale CHU Arnaud De Villeneuve Montpellier