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Les unites "mères kangourous »: Soigner les nouveau-nes aupres de leur mère en maternite

M. Vial-Courmont

Depuis une vingtaine d'années, l'implantation progressive des pédiatres dans les maternités et leur collaboration avec les équipes obstétricales ont permis l'amélioration de la prise en charge des nouveau-nés et contribué à la diminution de la mortalité et de la morbidité néonatales. Malheureusement ces progrès, qui ont surtout porté sur le dépistage des situations à risques et les soins aux nouveau-nés pathologiques, se sont faits au prix d'une inflation du nombre de transferts dans les services de néonatologie (qui atteignent parfois 25 % des naissances !).

En effet, les restrictions budgétaires aidants, les structures pédiatriques dans les maternités n'ont souvent pas subi les mêmes progrès, de sorte que les soins plus spécialisés ne peuvent y tre assurés en permanence et en toute sécurité. En dehors des situations rares (1 à 2 % des naissances) où la vie mme de l'enfant est menacée et où le transfert dans un service de réanimation est inévitable, un nombre non négligeable de nouveau-nés (10 à 15 %) requière, du fait de leur âge gestationnel, de leur poids, ou d'une pathologie relativement bénigne (infection, ictère, hypoglycémie...) une surveillance et des soins spécialisés.

Ces soins de pédiatrie ne pouvant généralement être assurés en maternité, la plupart d'entre-eux est transférée dans un service de néonatologie ou de pédiatrie plus ou moins distant de la maternité. Depuis longtemps, les travaux sur la relation précoce ont bien démontré le rôle essentiel des premiers contacts entre l'enfant et ses parents et les conséquences graves que peut avoir une séparation au cours de cette période de grande vulnérabilité. D'autant qu'à l'absence physique détresse vitale, qui relèvent obligatoirement d'une unité de soins intensifs ou de réanimation.

Seuls les deux niveaux intermédiaires, II et III, regroupent des soins qui pourraient être effectués dans la maternité, à proximité des mères, à condition de disposer des structures adaptées (tableaux I et II). Il s'agit bien sur d'une classification nécessairement schématique et qui ne peut prendre en compte toutes les éventualités. Son intérêt est de permettre à chaque service d'évaluer ses possibilités et d'en déduire les pathologies et donc les enfants susceptibles d'etre traités sur place. A cette classification correspond celle des maternités, précisée par les décrets de périnatalité de 1998, en trois types définis par les structures pédiatriques disponibles au sein de l'établissement: maternité isolée (niveau de soins I ± II) présence d'une unité de néonatologie, avec ou sans unité de soins intensifs (niveau II et III ± IV) présence d'une unité de réanimation (niveau IV et V).

Les niveaux de soins

Le groupe des pédiatres de maternité du G.E.N.U.P.-R.P  a proposé, en 1990, une classification basée sur les pathologies, les soins et les besoins matériels et humains (2) répartissant les nouveau-nés en cinq groupes : Le niveau I concerne les nouveau-nés à terme, eutrophiques et bien portants, et représente le niveau de soins de base de toute maternité. A l'opposé, les niveaux IV et V s'adressent aux nouveau-nés de très petit poids (<1500 g) et/ou très prématurés (<32 semaines d'aménorrhée) et/ou en instance. Il lui faut éviter de s'approprier l'enfant, ce qui est habituel dans un service classique, afin de privilégier le lien de celui-ci avec sa mère. Cette mise en retrait peut etre, au moins initialement, source de frustration, mais elle permet de découvrir, ou d'approfondir, un nouveau mode relationnel avec les parents, désormais considérés comme de véritables partenaires compétents et responsables. 4.4.

La reconnaissance et l'individualisation de l'enfant: La présence de la mère auprès de son bébé, empche les soignants d'effectuer les gestes de façon automatique : elle les incite à mieux identifier chacun comme une personne qu'il faut respecter tout en aidant sa mère à le découvrir. Chaque nouveau-né est désormais considéré comme un sujet, dont on observe le comportement, à qui l'on s'adresse directement et qui participe, et non plus comme un simple objet de soins. Dès lors, finies les attitudes rigides, les protocoles systématiques, en terme d'horaires, de nombre de biberons et de quantité d'alimentation, de conditions pour sortir de l'incubateur, tre mis au sein, voire rentrer à la maison Les conduites et les prescriptions ne peuvent qu'être discutées ensemble (mère-soignante-pédiatre), adaptées aux capacités et à l'évolution propres à chaque enfant, pour autant qu'on prenne la peine de l'observer et d'écouter ce qu'exprime sa mère.

Une telle attitude exige de chacun un effort d'observation et d'écoute et une grande souplesse d'adaptation, au risque de donner parfois à certains observateurs extérieurs une impression de désorganisation, inhabituelle dans un service de néonatologie. Privilégier l'humanisation en assurant les meilleurs soins constitue désormais l'objectif des équipes médicales : en maternité, cela signifie préserver la relation mère-enfant sans compromettre leur sécurité et les unités "mères kangourous" en constituent un des moyens. Il s'agit là d'une innovation non pas technique mais fonctionnelle, d'une autre pratique qui exige de l'ensemble de l'équipe une bonne cohésion et une solide conviction afin d'affronter les obstacles et de continuer à progresser. Mais le bonheur des mères et des bébés, et peut être leur avenir, ne valent-ils pas ce prix ? "Il est bien d'empêcher les enfants de mourir, il est mieux de leur permettre de vivre, sans oublier que vivre c'est d'abord être accepté et accueilli." (M. Titran ).

Les unités "kangourous"

Le principe

L'idée est simple, du moins en théorie : inverser la pratique habituelle qui consiste à amener le patient dans la structure de soins, en déplaçant au contraire les soignants vers leurs patients, en l'occurrence les bébés, maintenus à leur place normale, c'est-à-dire dans la chambre de leur mère. L'image de "mère-kangourou" symbolise l'élevage du nouveau-né petit et fragile tout près de sa mère. D'autres expériences, un peu différentes, ont choisi le mme symbole : le service de Néonatologie de Bogota en Colombie a utilisé le portage et l'allaitement maternels, non seulement pour préserver la relation de l'enfant avec sa mère, mais surtout pour palier à un déficit en matériel et en personnel soignant, et réduire ainsi les complications iatrogènes (3) ;

en Europe et aux Etats-Unis, plusieurs équipes de réanimation proposent le contact peau à peau intermittent de l'enfant avec ses parents, comme une véritable "technique" complémentaire de soins (4) ; dans notre service, le portage, le contact peau à peau et l'allaitement maternel ne sont pas considérés comme un moyen thérapeutique mais simplement comme faisant partie de la relation entre l'enfant et ses parents. La première structure de ce type en France, dont nous rapportons ici l'expérience, fonctionne depuis 1987 à l'hôpital Antoine Béclère à Clamart (5).

L'idée et la dénomination ont été reprises par Madame Simone Veil à l'occasion de la présentation du plan gouvernemental de périnatalité 1995-2000 (conférence de presse du 12 avril 1994) : "Les hôpitaux seront donc incités à créer des chambres mère-enfant dans les services de gynécologie-obstétrique - ce que l'on appelle les unités kangourous - de façon à limiter les séparations entre la mère et le nouveau-né". Depuis de nombreuses autres unités ont été créées, selon des structures et surtout des modalités de fonctionnement assez diverses, d'autant qu'il n'en existe aucune définition précise.

Les enfants admis dans cette unité

L'unité "mères kangourous" de Clamart accueille les enfants, en principe nés à la maternité et dont la mère est présente, qui ont besoin de soins pédiatriques, à l'exclusion de tout geste de réanimation (niveau II et III) : bébés nés prématurément (à partir de 31 semaines d'aménorrhée), ou de petit poids (à partir de1500 grammes), ou présentant une pathologie peu sévère (infection, hypoglycémie, ictère, troubles digestifs, syndrome de sevrage de drogues ou de médicaments...), ou porteurs d'une malformation (trisomie 21, fente labiopalatine), mais dont la vie n'est pas menacée. Ces nouveau-nés bénéficient d'une admission administrative propre, ce qui n'est pas le cas des bébés séjournant en suites de couches, mais restent, le plus souvent possible, y compris la nuit, en fonction de leur état et des soins, dans la chambre de leur mère.

Celle-ci n'est pas distincte des autres chambres de suites de couches de façon à ce que la maman ne se sente pas différente des autres mamans et vive son séjour à la maternité "normalement". Toute la famille, en particulier les frères et sœurs, est autorisée à leur rendre visite librement. Si nécessaire, le séjour de la mère à la maternité peut tre prolongé, dans les limites de la prise en charge prévue par la sécurité sociale ou la mutuelle, de façon à permettre leur retour ensemble à domicile. La sortie est décidée en fonction uniquement de l'autonomie de l'enfant et de sa mère, sans poids ou âge gestationnel minimum. Elle peut, en cas de situation limite (enfant encore petit, recevant un traitement un peu compliqué, maman anxieuse), se faire en hospitalisation à domicile qui permet une transition progressive vers l'autonomie complète et définitive.

2Les soins

La surveillance et les soins (incubateur, gavages, perfusion, photothérapie, prélèvements...) sont donc pratiqués dans la chambre de la maman, après avoir été expliqués. Ils sont effectués en présence des parents et éventuellement avec leur participation, dans la mesure où ceux-ci le souhaitent. Les soignants s'adaptent aux besoins de chaque bébé et de sa maman, en privilégiant toutes les occasions de contact et de plaisir (câlins, peau à peau, allaitement maternel précoce). Cette attention particulière portée à l'écoute et au respect du bébé et de sa mère a conduit l'équipe à une réflexion sur leur bien-être (6-7). Afin de limiter les occasions de stress ou d'inconfort, les indications de surveillance de soins et d'examens complémentaires sont soigneusement pesées, pour chaque enfant individuellement, sans négliger bien sér les exigences de sécurité. Un protocole "antidouleur" est utilisé systématiquement, comme d'ailleurs dans l'ensemble de la maternité. L'allaitement maternel est bien sûr favorisé et encouragé, mais sans dogmatisme, en évitant de le présenter comme la "meilleure" alimentation pour ce bébé fragile, afin d'éviter de culpabiliser la mère en cas de refus ou d'échec

L'alimentation "à la tasse", plus facile qu'au biberon pour un bébé dont la succion est encore insuffisante, permet dans certains cas d'éviter les gavages : elle convient à certains enfants et à certaines mamans, mais pas à tous. Les gavages ne sont pas considérés comme un traumatisme et un échec, à éviter à tout prix, mais comme une étape intermédiaire parfois nécessaire pour permettre au bébé de prendre des forces et de ne pas se fatiguer initialement. L'incubateur est remplacé dès que possible par d'autres solutions, matelas ou couverture chauffants par exemple. Lorsque le séjour en couveuse est indispensable, il est aménagé afin d'en limiter l'inconfort : le bébé peut être habillé d'un vêtement léger ou recouvert d'une simple couche, ce qui le rassure, entouré d'un rouleau qui limite son espace, sorte de "cocon" dans lequel il se love ; on évite de poser des objets sur le dessus de l'incubateur, de claquer les hublots, ce qui lui épargne beaucoup de sursauts ; le chauffage peut tre transitoirement arrêté afin de lui permettre de mieux entendre la voix de sa mère. L'ambiance sonore et lumineuse qui règne dans la plupart des services constitue aussi une source d'agressions et a fait l'objet d'une réflexion au sein de la maternité : les éclairages indirects ont remplacé les plafonniers, l'attention a été attirée sur les portes qui claquent, le bruit des talons sur le carrelage, les voix qui résonnent, surtout la nuit.

Même dans la chambre de sa mère, le nouveau-né n'est pas toujours à l'abri : qui, soignant ou visiteur, se préoccupe de son sommeil en entrant dans la chambre, en allumant la lumière, en s'adressant à sa mère à haute voix ? sans parler du son de la radio ou de la télévision qui fonctionnent souvent à longueur de journée. L'immobilisation par des sacs de sable, de l'élastoplaste, des attelles, des menottes, est aussi très mal supportée : non attaché, I'enfant est plus calme, bouge moins la tete et n'arrache pas plus sa perfusion ; des petites moufles sont bien plus efficaces que des menottes contre l'agrippement intempestif sur un cathéter ; un cathlon est plus facile à fixer qu'une aiguille épicrânienne et évite l'immobilisation sur une planchette ; un bouchon posé sur ce cathlon entre les injections le protège aussi bien que le maintien d'une perfusion continue et entrave moins les mouvements.

Certaines situations non exceptionnelles sont sources d'inconfort, voire de douleur transitoire : les traumatismes obstétricaux, bosse sérosanguine ou céphalhématome après extraction par forceps, hématome du siège, fracture de clavicule, les immobilisations par langeage en abduction ou sur attelle pour pieds malposés. Quelques précautions dans les manipulations, à montrer à la maman, la mise en place d'un matelas d'eau sous la tête ou le corps, le choix d'une position plus confortable, l'administration à la demande d'un antalgique léger permettent de franchir plus confortablement ces petites épreuves.

La place de chacun

La relation triangulaire qui s'établit ainsi conduit les soignants à prendre une certaine distance afin de respecter et favoriser la relation entre la mère et son enfant. Chacun prend ainsi sa place : L'enfant est individualisé, observé, ses besoins sont pris en compte, les soins ajustés à son rythme et à celui de sa mère puisqu'ils vivent ensemble. Sécurisé, il manifeste ses compétences, pour peu qu'on lui fasse confiance ; il devient disponible aux interactions, gratifiant ainsi sa mère. Mère et bébé évoluent ensemble, s'influencent réciproquement dans une "spirale transactionnelle positive". La mère, entourée, "contenue" par les soignants, s'occupe de son bébé sans crainte, et reprend confiance en elle, malgré le sentiment d'échec provoqué par cette naissance. Elle prend conscience des capacités de son enfant, mme fragile ou malade, qui la rassurent. Elle découvre ses besoins, sa façon de les manifester et comment y répondre. Confiante et libérée de ses angoisses et de ses inhibitions, elle ose se laisser aller aux caresses, aux câlins, au peau à peau ; elle marque les soins de son empreinte propre qui permet à l'enfant de trouver ses repères, de la différencier des soignants, de distinguer les soins et les échanges sources de plaisir.

En meme temps, en maternité, à la différence d'une unité mère-enfant en service de pédiatrie, la mère bénéficie pour elle-mme de I'attention des soignants d'obstétrique : elle n'est pas qu'une "accompagnante", elle est aussi une "accouchée" dont on reconnaît le statut, dont on s'occupe à un moment où elle se sent particulièrement fragile et vulnérable. Les soignants, bien que dépossédés de l'activité de maternage, sont gratifiés par le rôle d'encadrement, par la "fonction contenante" particuliers à cette structure. Ils n'ont pas à apprendre à la mère comment faire, encore moins à faire à sa place : leur rôle est de la rassurer, I'écouter, la guider dans la découverte de son enfant et de sa fonction de mère.

Car "la mère et son bébé ont moins besoin de conseils que d'un environnement qui encourage la mère à avoir confiance en elle... On peut aider à mieux faire les mères qui ont en elles la capacité de donner des soins suffisamment bons, il suffit de s'occuper d'elles d'une manière qui reconnaît la nature essentielle de leur tâche" (Winnicot). Le "holding" ne s'adresse plus à l'enfant mais à sa mère qui devient alors capable de "porter" elle-mme son enfant.

Les avantages

Le bénéfice, pour les mères et les enfants, de ce nouveau mode de prise en charge est évident et s'est confirmé au fil de notre expérience :

Le maintien du contact physique entre l'enfant et sa mère :

Il est nécessaire à leur découverte réciproque et constitue un élément essentiel à l'établissement de leur relation. Les occasions de rapprochement sont donc privilégiées et les obstacles limités au minimum : Le contact peau-à-peau, le portage, contribuent à cette relation physique et sont largement favorisés, mais sans tre érigés en recette ni en règle : le but est de permettre, voire de suggérer, à la mère d'agir selon ses désirs, en toute spontanéité et à son rythme, afin de privilégier le plaisir sans se sentir contrainte ni craindre d'etre dangereuse pour son enfant.

Même lorsque le séjour en incubateur est indispensable, il ne constitue en aucun cas un obstacle au séjour du bébé dans les bras de sa mère, éventuellement peau à peau, autant qu'elle le souhaite. Mais celle-ci n'a cependant pas les contraintes d'un portage permanent, tel qu'il est imposé par la "méthode kangourou", indispensable à Bogota mais pas en France, et n'a pas à jouer ce rôle de véritable "couveuse". Le bébé est mis au sein le plus tôt possible, dès qu'il manifeste le désir de tter, sans tenir compte de l'âge gestationnel, autant "pour le plaisir" que dans un but nutritionnel, en évitant cependant de le fatiguer et en complétant si nécessaire par les gavages.

La sérénité de la mère

La participation de la mère aux soins de puériculture, mme s'ils sont parfois un peu compliqués (comme une toilette en incubateur ou l'alimentation à la tasse), lui permet de reprendre confiance dans ses capacités à tre mère. Elle est aussi invitée à observer son enfant, son comportement, ses réactions, pour les communiquer aux soignants, occasion de participer à sa surveillance mais surtout de découvrir les compétences insoupçonnées de ce bébé qu'elle percevait comme si fragile et dépendant. Ce partage des soins et cette confiance manifestée par les soignants sont le plus souvent bien acceptés et mme souhaités par les mamans, une fois levées leurs appréhensions initiales, à condition de veiller à ne pas faire peser sur elles une trop lourde responsabilité, source alors d'inquiétude et de tension au détriment du repos et du plaisir. Cet apprentissage progressif rassure la mère, lui permet de se familiariser à ce bébé un peu différent et d'tre autonome plus rapidement, ce qui facilite un retour à domicile serein et souvent plus précoce.

La dédramatisation de la pathologie :

Le plus souvent bénigne, la pathologie est pourtant vécue de façon très anxieuse, surtout du fait de l'ignorance. Un dialogue constant entre soignants et parents et un effort de totale transparence permet de la dédramatiser : les décisions thérapeutiques sont expliquées, le résultat des examens transmis, l'évolution communiquée au fur et à mesure. Mme les soins désagréables (pose d'une sonde gastrique) voire douloureux (pose d'une perfusion, prélèvement sanguin) peuvent tre effectués en présence des parents à condition de les avoir expliqués, car l'expérience prouve qu'ils imaginent souvent bien pire que la réalité. Cependant si la présence de sa maman rassure sans doute le bébé, la question peut se poser du risque pour celui-ci d'associer alors cette présence avec des situations douloureuses.

Le bien-tre de l'enfant :

Le calme et la sérénité du bébé sont aussi les conditions de sa disponibilité relationnelle : sans cesse dérangé, réveillé voire agressé par les soins, les visites, et mme l'atmosphère ambiante, il est d'autant moins disponible pour entrer en relation avec son entourage. Son bien-être est le souci permanent des soignants qui veillent à son confort, limitent les agressions au strict nécessaire, respectent son rythme et ses besoins, en un mot le considèrent comme une personne, et non comme un objet de soins, au mme titre que n'importe quel patient. Ce respect de l'enfant par l'équipe soignante constitue d'ailleurs un exemple pour les parents, eux-mêmes souvent spontanément peu sensibilisés à cette exigence.

Le vécu familial et social de la naissance :

Veiller à la place du père, qui se sent parfois un peu "intrus" à la maternité, l'impliquer s'il le souhaite dans les soins en s'adaptant à sa disponibilité, autoriser les visites en présence de l'enfant, notamment des frères et sœurs, permet enfin de privilégier le vécu familial et social de cette naissance : les parents peuvent présenter leur bébé, avec joie et fierté comme les autres parents, et partager leur bonheur avec leurs proches. Car quoi de plus triste qu'une chambre d'accouchée vide du bébé ?

Les difficultés

Les soignants, en revanche, ont dé s'adapter à ce nouveau mode de fonctionnement et ont rencontré un certain nombre d'obstacles, car il n'est jamais facile de modifier de façon aussi radicale les habitudes de travail. Il a fallu innover et inventer, parfois à l'occasion de difficultés ou de conflits, ce qui est aussi une occasion de progresser et une source de satisfactions.

Le sentiment d'insécurité :

La dispersion des enfants dans les chambres des mères rend plus difficile la surveillance pour les soignants habitués aux chambres vitrées des services de pédiatrie classiques. Le passage régulier dans chaque chambre impose beaucoup de va-et-vient et d'échanges avec les mères, sources de fatigue physique et de tension psychologique. D'autre part la liberté des visites entra”ne théoriquement un risque de contamination et de manipulation intempestive du matériel. Il est donc nécessaire de concilier les impératifs d'hygiène et de sécurité avec un certain "libéralisme" : en pratique réévaluer, et parfois nuancer, les règles classiques souvent appliquées par habitude, et surtout faire confiance aux mères, qui dans leur grande majorité s'en montrent tout à fait dignes.

Le risque de contamination s'avère en fait assez théorique : les parents sont prudents voire inquiets, et il est simple de leur expliquer que la flore du milieu familial est bien préférable à la flore hospitalière pour la colonisation nécessaire du nouveau-né, et que donc les contaminations les plus dangereuses ne proviennent pas de sa famille mais des soignants... ce qui n'exclue évidemment pas les précautions à faire respecter par tous. Quant au matériel, les mères sont particulièrement vigilantes, veillant jalousement sur les différents boutons de réglage de l'incubateur ou de la pompe d'alimentation et en interdisant tout accès aux visiteurs.

D'une façon générale, chacune n'ayant en charge que son, ou ses, propre(s) enfant(s), dans un espace limité, est beaucoup plus disponible et attentive, et parfaitement capable de donner l'alerte en cas d'anomalie, à condition de savoir les soignants disponibles au moindre appel.

Le travail en présence des parents :

Il constitue une source de difficultés supplémentaire. L'habitude en effet, en pédiatrie, est plutôt d'éloigner les parents lors des soins faits à leur enfant, surtout si ceux-ci sont douloureux. Ils imaginent alors souvent pire que la réalité et contestent parfois ces gestes vécus comme agressifs voire injustifiés. Les pratiquer devant la maman, à condition qu'elle le souhaite, permet de la rassurer en montrant et en expliquant, et peut être aussi d'aider le bébé par la présence sécurisante de sa mère. Mais la soignante peut craindre d'être jugée voire critiquée en cas de maladresse ou d'échec d'un geste difficile (prélèvement vasculaire ou mise en place d'une perfusion) ; elle se sent aussi parfois perçue comme la "méchante", celle qui "fait mal au bébé" (termes souvent employés par la maman en consolant son enfant). Accepter cette confrontation nécessite donc à la fois de bonnes connaissances théoriques, permettant d'apporter toutes les explications nécessaires, et une solide expérience pratique, afin de ne pas se remettre en question et perdre confiance en soi au moindre échec.

La participation de la mère aux soins :

Celle-ci augmente le temps de réalisation de chaque geste et nécessite beaucoup de patience, tant il est plus facile de faire soi-mme que de faire faire ou de laisser faire ! A l'inverse, quelle que soit notre conviction du bien fondé de ce mode de fonctionnement, il est aussi important de respecter la fatigue de la mère, parfois ses craintes et ses réticences, sans les juger : donc de proposer sans jamais imposer et de respecter la demande et le rythme de chacune. Enfin la mère n'est pas une soignante, et ne doit pas lui tre assimilée, dans son esprit comme dans le vécu du bébé : chacun a sa place, qui doit être respectée, en particulier en réservant à la maman uniquement les soins agréables et gratifiants, mme si la soignante peut alors ressentir son activité réduite aux gestes désagréables, pour le bébé mais aussi pour elle !

Le respect du couple mère-enfant, ou parents-enfant:

Au sein de la relation triangulaire parents-enfant-soignant, propre à la pédiatrie, la soignante doit prendre une certaine ds'ajoute pour la mère l'angoisse vis à vis de la pathologie, souvent imaginée pire que la réalité, et la culpabilité de n'avoir pas "réussi un enfant normal". Un énorme effort a été réalisé dans les services de néonatologie pour améliorer l'accueil des parents et favoriser l'établissement des relations, quelle que soit la gravité de la pathologie de l'enfant. Malgré tout, les contacts sont intermittents et les parents restent des "visiteurs". Pour éviter cette frustration se sont créées progressivement dans les maternités des unités mère-enfant dites "kangourous" : celles-ci s'inspirent de l'expérience menée à Bogota, en Colombie, où les médecins, pour pallier à des moyens techniques insuffisants, ont fait participer avec succès les mères à l'élevage de leur nouveau-né de très petit poids (1). Le but, en France, n'est évidemment pas d'améliorer la qualité des soins mais de préserver la relation de l'enfant avec sa mère, facteur essentiel de son développement physique et mental ultérieur.

BIBLIOGRAPHIE

WHITELAW A., SLEATH K. Myth of the marsupial mother: home care of very low birth weight babies in Bogota, Colombia. Lancet, 1985, 1: 1206-1208.

FRANCOUAL C, BOULEY A M, CARLUS C, VIAL M, WALLET A. Comment soigner un nouveau-né malade près de sa mère. In 20èmes Journées nationales de Médecine Périnatale, Paris, Arnette, 1990: 71-83

WHITELAW A. Kangaroo baby care: just a nice experience or an important advance for preterm infants? Pediatrics, 1990, 85: 604-605.

ANDERSON G C. Current knowledge about skin-to-skin (kangaroo) care for preterm infants. J Perinatol, 1991, 3 : 216-226.

VIAL M. Organisation d'une unité "kangourous" in Obstétrique, Paris, Flammarion Médecine-Sciences, 1995: 1451-1454 VIAL M. L'environnement du bébé hospitalisé: comment l'améliorer? in: Le bébé à l'hôpital, Bordeaux, Syros, 1995: 53-67

VIAL M., BENOIT A, SCHNEIDER Z, SOUBBARAMAYER J. Maltraitance du fÏtus et du nouveau-né. Ann Pédiat, 1996, 43, 6 : 446-55  Pédiatre de Maternité, Hôpital Antoine Béclère, 92141, Clamart.  Groupe d'Etudes en Néonatologie et Urgences Pédiatriques de la Région Parisienne

Tableau I : NIVEAU II

PATHOLOGIES

SOINS

EQUIPEMENT

2000 g =< PN < 2500 g

34 SA =< AG < 37 SA

Enfant de mère diabétique

Surveillance après SFA modérée

Suspicion d'infection

Syndrôme de sevrage

Ictère simple

Troubles métaboliques asymptomatiques

Difficultés d'alimentation (Fente labiopalatine, trisomie 21)

Surveillance pour traitement (b bloquants, barbituriques...) ou pathologie (toxoplasmose, VIH) maternels

Réchauffement

Surveillance glycémique

Supplémentation orale (maltose, calcium...)

Alimentation à la tasse

Gavages transitoires

Perfusion brève (albumine pour ictère, g-globulines…)

Photothérapie

Médicaments per os ou par voie IM (antibiotiques...)

Incubateurs

Berceaux chauffants

Lampe de photothérapie

Possibilité d'examens complémentaires simples 24h/24 (radiologie, biochimie, hématologie, bactériologie…)

______________________

Auxiliaires de Puériculture

Puéricultrice ou Sage-femme disponible 24 h/24

Pédiatre présent le matin + contre visite + disponible sur appel

Tableau II : NIVEAU III

PATHOLOGIES

SOINS

EQUIPEMENT

1600g =< PN < 2000g

32 SA =< AG < 34 SA

SFA sévère

Trouble de l'adaptation

Infection symptomatique

Ictère important

Trouble métabolique sévère

Rhinite obstructive

Malformation sans indication chirurgicale urgente (cardiopathie, uropathie...)

Situation pathologique instable, à l'exclusion de toute détresse vitale

Gavages continu ou discontinu

Perfusion

Surveillance hémodynamique et respiratoire

Oxygénothérapie à faible

concentration

Mise en condition en cas

d'aggravation

incubateurs, tables chauffantes

pompes électriques

cardiomoniteurs

matériel d'aspiration et de ventilation

hood, humidificateur

analyseur d'oxygène

oxymètre de pouls, dinamap

matériel d'intubation, ventilateur

examens complémentaires 24h/24

_______________________

Personnel soignant qualifié et

Pédiatre sur place 24h/24