PRISE
EN CHARGE DE LA FEMME MENOPAUSEE A RISQUE : LA MENOPAUSE PRECOCE CHIRURGICALE,
PLACE DU TRAITEMENT PAR LES ANDROGENES.
Patrice
LOPES , Emmanuel MIANNAY, Marc BOUDINEAU, Pascal GUIHARD
Service de Gynécologie et Médecine de la Reproduction, CHU-HME,
7 Quai Moncousu, 44093 NANTES CEDEX 1
On parle de ménopause précoce lorsque celle-ci survient avant
l'âge de 40 ans. C'est la traduction clinique d'une insuffisance ovarienne.
Ses étiologies sont variées et vont de l'insuffisance ovarienne
de cause génétique, avec ou sans anomalies chromosomiques, aux
causes immunologiques, iatrogènes et infectieuses.
Cette insuffisance ovarienne est complète et de diagnostic évident
lorsqu'elle est d'origine chirurgicale.
Le
pronostic fonctionnel est dans ce cas particulièrement péjoratif.
Il expose aux conséquences organiques de la carence estrogénique
prolongée, notamment osseuse et cardio-vasculaire et nécessite
donc une prise en charge thérapeutique précoce et adaptée
aux insuffisances hormonales qui ne sont pas exclusivement estro-progestatives.
Trois
questions se posent en face d'une ménopause chirurgicale :
- La cause de la castration autorise-t-elle le THS ?
- Existe-t-il un déficit androgénique imposant une substitution
hormonale plus complète ?
- Comment permettre une excellente observance afin de ne pas exposer la patiente
aux risques de l'insuffisance hormonale ?
DIAGNOSTIC
POSITIF et ETIOLOGIQUE :
Le
diagnostic de ménopause chirurgicale est en règle général
évident et les manifestations fonctionnelles sont souvent marquées.
La prise en charge par le THS se fera 2 à 4 semaines après la
chirurgie lorsque les risques thrombo-emboliques liés à la chirurgie
deviennent négligeables. L'indication du traitement substitutif peut
se discuter en fonction de la cause de la castration chirurgicale. Les causes
des ovariectomies bilatérales sont variées :
- cancer de l'ovaire borderline ou invasif,
- tumeurs bénignes bilatérales ayant empêché la conservation
d'une partie de l'ovaire,
- castration de nécessité devant une pathologie bénigne
comme l'infection, l'endométriose, les adhérences,
- insuffisance ovarienne secondaire à des troubles vasculaires après
hystérectomie avec conservation ovarienne. En cas de doute diagnostique,
c'est l'élévation des gonadotrophines hypophysaires qui permet
d'affirmer le diagnostic.
La
ménopause précoce d'origine chirurgicale expose d'autant plus
aux risques prolongés de l'insuffisance estrogénique que cette
insuffisance est particulièrement profonde.
Les risques cardio-vasculaires sont augmentés [13]. Le risque d'ostéoporose
est majeur en l'absence de substitution à doses efficaces. Le risque
de cancer du sein est diminué en cas de ménopause précoce.
PARTICULARITES DE LA PRISE EN CHARGE PAR LE THS :
1/
Elle doit être précoce, à posologie efficace et le traitement
doit être prolongé.
- Compte
tenu du pronostic fonctionnel des ménopauses précoces
et des durées de l'insuffisance estrogénique il est fondamental
que la prise en charge thérapeutique soit précoce et prolongée
et c'est le traitement hormonal substitutif qui s'impose ici.
C'est un traitement estrogénique seul en cas d'hystérectomie associée,
sinon le traitement est estro-progestatif.
Le THS doit être initialement prescrit à dose suffisante pour prévenir
la perte osseuse. Lorsque les posologies sont inférieures à 2
mg pour l'estradiol oral, à 50 mcg/j pour les patchs, à moins
de 1,5 mg de gel pour la voie transcutanée et à moins de 300 mcg
pour la voie nasale, un contrôle ostéodensitométrique à
2 ans s'impose.
L'observance
du THS est un point fondamental sur lequel il faut insister. Toutes les recettes
permettant cette amélioration de l'observance doivent être employées
car la durée du THS conditionne la prévention des maladies induites
par la ménopause. [14]
2/
La prescription du THS peut poser problème en cas de cancer invasif de
l'ovaire ou de cancer borderline.
- La majorité
des études confirme l'absence d'augmentation du risque de cancer de
l'ovaire par le THS [9] mais, des données récentes suggèrent
un possible effet promoteur du THS sur le cancer de l'ovaire.
- La
ré-analyse [15] de 4 études européennes cas-témoins,
colligeant 1 470 cancers de l'ovaire comparés à 3 271 témoins,
fait état d'une augmentation significative du risque de cancer
de l'ovaire chez les utilisatrices du THS (109 cas (8,0%) vs 146 témoins
(4,7%) avec un OR ajusté de 1,71 (IC 95% 1,30-2,25).
L'effet promoteur est suggéré par une association (bien
que faible) entre durée du THS et cancer de l'ovaire et une diminution
du risque avec la durée de l'arrêt du THS.
- Grant
[10] en reprenant les travaux de la littérature cite plusieurs
publications faisant état d'une augmentation du risque induit par
le THS : RR de 1,2 (IC 95% 1,1-1,4) pour Béral et coll. [7], de
3,6 (IC 95% 1,2-11,0) pour Kaufman et coll [11] pour les épithéliomas
indifférenciés et de 1,89 (IC 95% 1,01-3,54) pour Risch
et coll [17] pour les tumeurs endométrioïdes.
Chez les femmes traitées plus de 5 ans, ce risque de tumeur endométrioïde
serait même majoré, de 2,81 (IC 95% 1,15-6,89).
- Enfin
très récemment Rodriguez [18] a rapporté son étude
de cohorte de 211 581 femmes ménopausées suivies de
1982 à 1996. Il objective une augmentation de la mortalité
par cancer de l'ovaire chez les femmes ayant pris pendant plus de 10 ans
des estrogènes. Le risque relatif est de 2,20 (IC 95 % 1,53 - 3,17)
chez les utilisatrices d'estrogènes depuis plus de 10 ans. Pour
les anciennes utilisatrices d'au moins 10 ans, le risque est de 1,59 (IC
95 %¨1,13 - 2,25). Le calcul de la mortalité annuelle par cancer
de l'ovaire corrigé est de 64,4/100 000 pour les utilisateurs de
plus de 10 ans, de 38,3/ 100 000 pour les anciens utilisateurs de plus
de 10 ans d'estrogènes, contre 26,4/ 100 000 chez les témoins.
- Au
total, le THS peut être prescrit, chez les femmes opérées
pour cancer de l'ovaire, compte tenu des résultats discordants et de
la gravité des risques liés à la ménopause précoce.
Cependant, une certaine prudence s'impose, tout en sachant que le niveau de
risque des récidives dépend du stade initial du cancer ovarien.
Pour les stades I voire II, l'importance de la qualité de vie et de
la prévention de l'ostéoporose et des maladies cardio-vasculaires
justifie très souvent la prescription de ce THS.
3/
L'association d'un traitement substitutif androgénique se pose également
chez les femmes ayant été ovariectomisées.
1/
Les dosages des androgènes chez la femme ovariectomisée.
Les
androgènes chez la femme sont synthétisés et sécrétés
par les surrénales et les ovaires.
L'ovaire est responsable de la synthèse d'environ 50 % de la testostérone.
Tableau
1 : Concentrations moyennes des Précursuers et des androgènes
en pré- et post-menopause :
Schifren
[20] a donné les résultats des dosages hormonaux chez les femmes
castrées :
Tableau
2 : Résultats des dosages hormonaux chez les femmes ovariectomisées
[20] avec ou sans traitement substitutif par testostérone transdermique.
On
remarque que les normes avant la ménopause ont des écarts importants
et que la castration diminue la testostérone libre.
2/
Le syndrome de déclin androgénique (SDA) chez la femme ménopausée
Le syndrome de déclin androgénique chez la femme n'est pas spécifique
mais le clinicien doit être atttentif à plusieurs signes surtout
en l'absence de correction par le THS :
a) Des signes fonctionnels comme la diminution de la vitalité, de la
sensation de bien être, l'asthénie et la fatigabilité
b) Des troubles du comportement : un syndrome anxio-dépressif, une perte
de l'estime de soi.
c) Des modifications corporelles comme la raréfaction et la perte de
forticilisation des poils pubiens, une atrophie génitale ne répondant
pas au THS estro-progestatif de la ménopause, une diminution de la masse,
de la force et du tonus musculaire, une anomalie de répartition des graisses.
d) Des troubles sexuels : la perte du désir, des fantasmes et des rêves
érotiques une diminution de l'excitabilité, de la capacité
orgasmique, une diminution de l'activité sexuelle.
L'association de ces signes et la non modification par le THS doivent faire
évoquer le SDA.
3/
L'intérêt des androgènes chez la femme ménopausée
castrée (en dehors de la sexualité).
De
même que se discute chez l'homme l'indication de la testostérone
dans le syndrome de déclin androgénique, les androgènes
peuvent être intéressants pour certaines indications :
- Le THS permet l'amélioration ou la cessation des BVM. Généralement
les BVM sont contrôlées dans plus de 90 % des cas par les estrogènes.
En cas d'insuffisance du THS, l'ajout d'androgènes pourrait améliorer
l'efficacité du traitement [5].
- Les androgènes, par leurs effets anabolisants, améliorent l'état
général en diminuant l'asthénie et la fatigabilité.
- Leur action sur l'insomnie, la dépression, la sensation de bien être
méritent une évaluation complémentaire.
- L'augmentation de la DMO. Certains progestatifs à effets androgéniques
(NETA) améliore par rapport aux estrogènes seuls, le maintien
ou l'augmentation du contenu minéral osseux. Les androgènes ont
également un effet positif sur l'os en inhibant le remodelage osseux.
La testostérone augmente la DMO et modifie le dosage des marqueurs osseux
[16].
4/
L'amélioration de la Libido et de la sexualité [19].
Sherwin
et Gelfand [21] sont depuis 1987 d'ardents défenseurs du rôle des
androgènes pour améliorer les fonctions sexuelles de la femme
ménopausée. Plusieurs études randomisées ont démontré
l'efficacité des androgènes dans le traitement des insuffisances
génésiques. [4]
L'étude
récente de Schifren [20] vient confirmer cette application chez les femmes
ovariectomisées en insuffisance androgénique. Il s'agit d'une
étude randomisée comparant un patch matriciel de testostérone
contre placebo. Le patch délivrait soit 150 soit 300 µg de testostérone
par jour. Les résultats de l'étude sont évalués
sur le BISF (Brief Index of Sexual Functionning for women) et sur le PGWBI (Psychological
general well being Index).
- L'amélioration de la libido, de la fréquence des rapports sexuels,
l'amélioration des dysfonctions sexuelles est prouvée, mais il
faut souligner l'importance également de l'effet du placebo (amélioration
significative à 12 semaines des index sexuels).
Tableau
3 : Résultats sur les paramètres sexuels du patch de testostérone
vs placebo [20]
On
remarque l'importance de l'effet du placebo sur les paramètres d'évaluation
de la sexualité. Les seules différences significatives sont observées
avec le patch à 300 µg,j ; L'observation est la même pour
l'évaluation du score PGWBI.
Pour
la tolérance du traitement, Schifren [20] donne les résultats
sur certains effets secondaires.
Tableau
4 : Résultats sur les lipides et les effets cutanés du patch de
testostérone vs placebo [20]
Notons
que la période d'observation est courte (36 semaines) et que la seule
différence significative est le nombre d'épilations faciales avec
le dosage de testostérone le plus élevé.
5/
Les androgènes disponibles en France.
Parmi
les médicaments commercialisés, la testostérone et ses
dérivés peuvent être administrés par voie parentérale
(IM), par voie percutanée et transdermique et par voie orale.
Tableau
5 : Androgènes actuellement disponibles.
Certains auteurs proposent des tests thérapeutiques avec 1/3 d'ampoule
IM d'enanthate de testostérone. Rappelons cependant, que la raucité
de la voix est un effet secondaire irréversible.
La patch de testostérone n'est pas commercialisé.
L'andractim* apparaît pour l'instant la voix d'administration la mieux
adaptée.
6/
LES TRAITEMENTS ALTERNATIFS AUX ANDROGENES
-
LA TIBOLONE :
La tibolone est un stéroïde de synthèse de type 19-norstéroïde
qui après métabolisme tissulaire (3 dérivés : 3a-
et la 3ß-hydroxy-tibolone et le ?4-isomère) possède des
propriétés à la fois de type estrogénique, progestative
et androgénique faibles selon le tissu considéré.
Tableau
6 : Affinité de la tibolone et de ses dérivés pour les
récepteurs aux stéroïdes sexuels :
La
tibolone entraine des modifications du profil lipidique de type androgénique
qui associent diminution du cholestérol total, du LDL-cholestérol,
de la Lp(a) et des triglycérides, mais également du HDL-cholestérol.
La tibolone diminue la SHBG et augmente les taux de testostérone libre
[8]. La tibolone évaluée dans plusieurs études randomisées
améliore la sexualité en ce qui concerne la fréquence des
rapports, le plaisir et la satisfaction [12].
-
LA DHEA et la Prégnénolone sont des précurseurs des androgènes
qui font actuellement l'objet d'études prospectives et il n'y a pas d'AMM
pour ces produits. La substitution par la DHEA apparait utile en cas d'insuffisance
surrénalienne [1, 3], et chez la femme de plus de 70 ans. En évaluant
la libido, Baulieu [6] montre une augmentation significative induite par la
DHEA vs Placebo de 3 des 4 paramètes étudiant la libido et ceci
essentiellement chez les femmes de plus de 70 ans. Pour l'AFSSAPS [2], il faut
refuser l'association de la DHEA à un traitement substitutif et des études
prospectives sont nécessaires pour mieux préciser l'indication
de la DHEA.
LA
CONDUITE PRATIQUE
A la lecture des données de la littérature, il ne semble pas pour
l'instant légitime d'associer systématiquement les androgènes
au THS chez les femmes dont la ménopause précoce est secondaire
à une ovariectomie bilatérale. L'évaluation des effets
secondaires doit comporter un suivi prolongé. Cependant il paraît
dès à présent utile en cas d'efficacité limitée
du THS ou des autres traitements alternatifs : asthénie, fatigabilité,
troubles de l'humeur, dépression, mauvaise réponse sur la DMO,
troubles sexuels, d'évaluer le taux des androgènes plasmatiques
: dosage de la testostérone libre ou biodisponible, dosage de la sulfate
de DHEA.
En cas de symptomes cliniques associés au syndrome d'insuffisance androgénique
biologiqus (T totale < 30 ng/dl, T libre < 3,5 pg/ml, diminution de la
S DHEA) il peut être licite d'associer un traitement susbtitutif par la
testostérone, par ses dérivés.
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