DEFECOGRAPHIE
OU COLPO-CYSTO-DEFECOGRAMME ?
A. Dubreuil
Imagerie Médicale
- Clinique du Mail - 43, avenue Marie Reynoard - 38100 Grenoble
INTRODUCTION
La défécographie
a été réintroduite en Europe depuis 1984 grâce à MAHIEU. Elle a permis une description
précise des différentes anomalies morphologiques de l’ampoule rectale et du
canal anal lors de la défécation (examen réalisé en position assise avec de
la baryte épaisse).
Antérieurement,
BETTOUX avait décrit une méthode d’exploration radiologique dynamique de la
partie antérieure du plancher pelvien : le colpo cystogramme, réalisé en position
debout, décrivant toutes les anomalies morphologiques des compartiments antérieurs.
Ces
dernières années, une vision globale des troubles du plancher pelvien s’est
imposée, on parle de périnéologie. L’imageur a pris tout naturellement sa place
dans le bilan des troubles de la statique pelvienne puisqu’il peut étudier simultanément
les 3 étages pelviens après les avoir opacifiés, grâce au colpo cysto défécogramme.
Dans
un premier chapitre, nous envisagerons la technique et les résultats normaux
et pathologiques du colpo cysto défécogramme.
Dans
un deuxième chapitre, nous analyserons de façon plus spécifique les données
de la défécographie en nous interrogeant sur la responsabilité des anomalies
morphologiques mises en évidence dans les troubles fonctionnels de l’évacuation
rectale (dyschésie, incontinence fécale).
La comparaison
avec les données urologiques (dysurie, incontinence urinaire), la connaissance
des lois rhéologiques régissant l’évacuation rectale et nos données de débitmétrie
nous amèneront, dans un troisième chapitre, à discuter nos conceptions de la
physiologie de la défécation.
I – LE COLPO
CYSTO DEFECOGRAMME
1- Les principes
Opacifier
chacun des trois organes du plancher pelvien : vessie, vagin, rectum et analyser
leurs variations morphologiques avant, pendant et après la défécation. L’opacification
rectale utilise une baryte dont les caractéristiques rhéologiques sont proches
de celles de matières fécales normales (cf plus bas). La défécation a lieu en
position physiologique assise. Des efforts répétés de poussée abdominale sont
demandés en fin d’évacuation pour révéler des défects qui auraient pu rester
"latents" lors de la première poussée.
Après un interrogatoire précis et un examen clinique soigneux, toute la procédure
est expliquée clairement à la patiente ainsi que les principales informations
qu’on est en droit d’attendre. Un climat de confiance doit s’installer, il est
le garant d’une bonne coopération et de l’excellente tolérance de l’examen.
2- La technique
a) Opacifier
successivement :
-
La vessie par une cystographie classique (50 ml de produit iodé concentré).
La sonde urinaire est laissée en place grâce à un ballonnet gonflé d’air.
Elle permet de situer exactement la position du col vésical et de voir le
trajet de l’urètre.
- Le
vagin sur toute sa longueur avec de la baryte liquide pure introduite avec
une seringue de 10 ml.
- Le
rectum avec une pâte barytée épaisse (traitement préalable de la baryte liquide
par de la fécule de pomme de terre puisque
les laboratoires ne produisent pas à notre connaissance une telle baryte).
La réplétion rectale nécessite un pistolet injecteur. Elle est poursuivie
jusqu’à la sensation franche du besoin d’évacuation.
b)
Prendre des clichés radiologiques (numérisés avec post traitement de l’image)
en position assise en incidence de profil, aux différents temps de l’évacuation.
Cinq clichés sont utiles : avant évacuation au repos, à la contraction des releveurs,
en cours d’évacuation rectale, en fin de poussée d’évacuation et lors du retour
au repos après évacuation.
c) Enregistrer
la totalité de la procédure radiologique sur une bande vidéo, l’enregistrement
du son dans la salle de radiologie est une aide importante à la relecture du
film.
3 – Les résultats
L’étude
différée des cinq images radiologiques et de la bande vidéo doit être rigoureuse
: à chacun des cinq différents temps, on analyse les variations morphologiques
et les positions respectives des trois différents organes opacifiés. Le temps
le plus riche en informations est celui en fin de poussée d’évacuation.
a)
Les images normales
- Au repos, la région ano-rectale se projette, de profil, sur les ischions superposés.
La base de la vessie est juste au dessus du bord inférieur de la symphyse pubienne.
Le canal anal, souvent repérable grâce à la mucographie de ses plis, est fermé.
Le vagin suit la courbure antérieure de l'ampoule rectale, il n’en est séparé
que par un espace étroit. La contraction des releveurs déplace en avant et en
haut la jonction ano-rectale.
- En poussée d’évacuation, descente de la jonction ano-rectale, inférieure à
3 cm. Le canal anal est court, largement ouvert (2 à 3 cm). Le volume global
de l'ampoule rectale diminue de façon harmonieuse en longueur et en diamètre
pendant l'évacuation. L'espace recto-vaginal reste constant, inférieur à un
centimètre. L’axe du vagin se rapproche de l’horizontale. La longueur totale
du vagin n’est pas modifiée. La base vésicale n’est pas mobile. En fin d'évacuation,
l'ampoule rectale est pratiquement vide.
- Au repos après évacuation, la jonction ano-rectale reprend sa position de
départ.
b)
La descente périnéale
Classiquement, la descente périnéale correspond à la mesure en centimètres
de la descente de la jonction ano-rectale depuis sa position de repos jusqu’à
sa position en fin de poussée d’évacuation. On opposait ainsi les périnées normaux,
dont la descente est inférieure à trois centimètres et les périnées descendants
dont la descente était supérieure à trois centimètres. En fait, l’imagerie permet
une analyse plus objective. Cette appréciation doit être pondérée en tenant
compte de la position de repos du périnée avant l’évacuation par rapport aux
plans osseux fixes. Ignorer cette correction ferait classer comme normal un
périnée qui descendrait peu en poussée s’il partait d’une position de repos
déjà trop basse.
Cette classification radiologique plus précise définit les périnées normaux
(projection de la jonction ano rectale au repos sur les ischions, descente en
poussée inférieure à 3 cm), les périnées descendants vrais (position normale
de repos, descente en poussé supérieure à 3 cm) et les périnées descendus
(projection au repos plusieurs centimètres sous les ischions, descente en poussée
inférieure à 3 cm).
En pratique,
cette classification a un intérêt très limité. Certes la pathologie d’étirement
des nerfs pelviens par une descente périnéale excessive favorise l’apparition
d’une incontinence. Mais tous les périnées descendus ne présentent pas d’incontinence
et la plupart des périnées descendants ne sont pas incontinents.
c) Les
cystocèles
La base
de la vessie descend en dessous de la ligne horizontale passant par le bord
inférieur de la symphyse pubienne. L’urètre devient horizontal. On parle de
cervico cysto ptose.
Une descente vésicale plus importante isole, en arrière du col vésical, une
poche vésicale postérieure (cystocèle). Son volume augmente lors des efforts
de poussée réalisant une véritable colpocèle antérieure. L’axe de la portion
initiale de l’urètre est inversé, dirigé vers le haut. Ces anomalies doivent
être très importantes pour être responsables d’une dysurie.
d)
Les variations de l’angle ano-rectal
La mesure de l’angle entre l’axe du canal anal et celui de l’ampoule rectale
(ou sa tangente au bord postérieur) et son ouverture en poussée est aussi une
mesure classique. En fait, ces mesures sont peu reproductibles pour un même
observateur et entre des observateurs différents. En pratique, seule l’appréciation
à " l’oeil " de son absence d’ouverture en poussée est utile
car elle est assez bien corrélée à l’existence d’un anisme vrai.
e) Les prolapsus rectaux
La totalité de la paroi rectale, muqueuse et musculeuse, sont extériorisées
par l’anus. La relecture des bandes vidéos montre une évacuation habituellement
rapide du contenu baryté intrarectal immédiatement suivie de l’invagination
des parois rectales, puis leur extériorisation à travers l’anus. Ces prolapsus
rectaux élargissent le diamètre de l’appareil sphinctérien qui reste en place.
Ils peuvent être très volumineux, contenant le cul de sac de Douglas avec des
anses grêles. L’appareil sphinctérien trop sollicité perd de son tonus, et ne
peut plus assurer une continence parfaite.
Si l’extériorisation des parois rectales invaginées ne se produit pas complètement,
la tête d’invagination peut rester dans l’ampoule rectale. On parle alors de
prolapsus interne du rectum, d’invagination intrarectale ou d’intussusception
intra-rectale.
Si la tête d’invagination pénétre dans le canal anal, on parle alors de prolapsus
rectal intra-anal ou d’invagination ou d’intussusception intra anale.
Ces prolapsus rectaux ne doivent pas être confondus avec de simples prolapsus
muqueux hémorroïdaires où les parois rectales restent en place. Ces derniers
ne "forcent" pas l’appareil sphinctérien et n’entrainent pas d’incontinence.
f)
Les rectocèles et colpocèles postérieures
Très fréquentes, elles ont une expression radiologique variable en fonction
de leur taille et de leur association ou non à une élytrocèle et à un prolapsus
rectal vrai. On peut classer les rectocèles en quatre catégories qui déboucheront
sur des indications thérapeutiques différentes :
-
les rectocèles isolées, petites. Leur taille est inférieure à 2 ou 3 cm. Il
s’agit d’images normales. 80 % des femmes nullipares de moins de 35 ans ont
une telle petite rectocèle de moins de 3 cm de profondeur sur des images défécographiques
réalisées en fin de poussée d'évacuation. Aucune correction chirurgicale ne
peut être justifiée.
- Les
rectocèles isolées, volumineuses : lorsqu’elles deviennent plus profondes
(4 à 6 cm), elles peuvent séquestrer en fin d’évacuation une certaine
quantité de matières. Celles-ci peuvent n’être évacuées, de façon complémentaire,
que par la manuvre du soutien digital sur la face postérieure et inférieure
de la vulve (habituellement la dernière phalange du pouce). Plus profondes
encore (8 à 10 cm), elles réalisent une véritable colpocèle postérieure
basse qui peut sortir par la vulve, gêner la marche ou les rapports. Une correction
chirurgicale va s’imposer. Une voie basse paraît suffisante.
- Les rectocèles associées à une élytrocèle :
Le cul de sac de Douglas contenant des anses grêles ou le sigmoïde vient s’insinuer
entre la face postérieure du vagin et la face antérieure du rectum élargissant
l’espace recto-vaginal à plusieurs centimètres alors qu’il n’excède normalement
pas 1 cm. Il peut descendre jusqu’à la vulve, réalisant une colpocèle postérieure
à deux étages : l’un inférieur, la rectocèle ; l’autre supérieur, l’élytrocèle.
L’élytrocèle peut n’être présente que pendant les efforts de poussée d’évacuation
et échapper à l’examen clinique le plus soigneux, même en station debout.
L’analyse rétrospective de la bande vidéo est fondamentale. Elle montre le
conflit entre les volumes respectifs de l’élytrocèle qui augmente au cours
de l’évacuation rectale alors que celui de la rectocèle diminue. La correction
chirurgicale devra comporter un temps sur le cul de sac de Douglas.
- Les rectocèles associées à un prolapsus rectal extériorisé.
La paroi supérieure de la rectocèle peut aussi s’invaginer dans l’ampoule
rectale. Cette invagination peut être, comme pour les intussusceptions, plus
ou moins profonde : rectale, anale ou extériorisée. Plus l’invagination progresse,
moins le volume radiologique de la rectocèle est important, ce que montre
bien la relecture des enregistrements vidéos. La correction chirurgicale
devra comporter, outre la résection du Douglas, une rectopexie.
L’appréciation radiologique du volume d’une rectocèle n’est pas toujours corrélée
avec celui de l’examen clinique par toucher rectal et flexion de l’index.
En effet, l’index de l’examinateur mesure le " volume clinique maximum
possible " refoulant en avant les autres organes pelviens. L’exploration
radiologique mesure " le volume physiologique " au repos
et en fin de poussée d’évacuation. Ces mesures radiologiques sont toujours
inférieures aux volumes cliniques puisque cystocèle, élytrocèle et invagination
peuvent, chacune pour leur propre compte, réduire l’expansion volumétrique
de la rectocèle. Une correction chirurgicale limitée à une rectocèle volumineuse
peut favoriser l’apparition, après l’intervention, d’une élytrocèle ou d’une
cystocèle méconnue.
Le volume de la rectocèle ne peut pas non plus être corrélé avec l’importance
de la dyschésie (cf plus bas).
II – LA DEFECOGRAPHIE
– ANALYSE CRITIQUE
Quelle
est la part de responsabilité des anomalies morphologiques de la sphère ano
rectale décrites au chapitre précédent, dans les troubles de l’évacuation rectale
? (dyschésie et incontinence fécale).
La
correction chirurgicale de ces anomalies entraînera-t-elle une amélioration
fonctionnelle ? Ne risquerait-elle pas de révéler secondairement un trouble
fonctionnel latent voire d’en faire apparaître un qui n’existait pas antérieurement ?
Ces interrogations fondamentales sont-elles réellement éclairées par nos connaissances
de la physiologie ano-rectale ?
Un parallèle doit être fait avec la sphère urologique. Ces 20 dernières années,
nos connaissances en physiologie urinaire ont été considérablement enrichies
par les données des explorations fonctionnelles. Au terme de ces explorations,
on peut habituellement savoir si une incontinence urinaire est due à un déficit
sphinctérien ou à une instabilité contractile de la vessie et si une dysurie
est due à un obstacle sphinctérien ou à un défaut de contraction du muscle detrusor.
Pour l’étage rectal, nos connaissances sont beaucoup plus réduites et des données
aussi fondamentales en pathologie urinaire que la mesure du résidu post-mictionnel
et la débitmétrie d’évacuation n’ont pas d’équivalent dans l’exploration fonctionnelle
ano-rectale classique.
Pour les incontinences fécales, on évalue l’intégrité anatomique de l’appareil
sphinctérien anal par échographie et sa valeur fonctionnelle au repos et en
poussée par la manométrie et l’exploration électromyographique. Pour les dyschésies,
on dispose des mêmes données sur l’appareil sphinctérien permettant d’identifier
les anismes vrais par augmentation du tonus sphinctérien en poussée. La mesure
du temps de transit colique apporte une information complémentaire permettant
de reconnaître des constipations de transit qu’elles soient globales ou segmentaires.
(On peut relever toute l’imprécision du terme constipation). Quoi qu’il en soit,
tous les auteurs s’accordent pour reconnaître qu’on ne peut pas déterminer avec
certitude l’origine exacte d’environ 50 % des incontinences fécales et des dyschésies.
Ce
grand contraste d’efficacité diagnostique dans l’analyse des troubles de l’évacuation
urinaire et ceux de l’évacuation rectale, l’absence d’amélioration tangible
ces dernières années, nous a amené à nous demander s’il ne faudrait pas, pour
espérer quelques progrès, mesurer d’autres paramètres qu’on aurait jusqu’à maintenant
négligé. C’est ce que nous voudrions exposer maintenant en nous focalisant sur
quelques données rhéologiques de base des matières fécales et de la géométrie
de l’appareil recto-anal et sur nos résultats préliminaires de la débitmétrie
moyenne d’évacuation rectale avec mesure du résidu post-défécation.
1) Rhéologie
des matières fécales :
Des
mesures rhéométriques précises des selles liquides, moulées ou dures n’ont,
à notre connaissance, jamais été publiées. Nous ne pouvons pour l’instant que
nous baser sur les données connues de la mécanique des fluides (rhéologie) et
celles de notre expérience clinique.
Ces
lois rhéologiques nous apprennent qu’il existe deux types d’écoulement, bien
différents, suivant que l’on est en présence d’un liquide pur (fluide de Newton)
ou d’un liquide à seuil (fluide de Bingham) (cf schéma 1).
Pour le premier , qui s’applique à l’urine et qui doit aussi s’appliquer à des
selles liquides diarrhéiques, un écoulement débute dès qu’une contrainte lui
est appliquée. Ainsi dès que la pression vésicale ou rectale est supérieure
à la pression sphinctérienne, l’évacuation débute. Evacuer des selles liquides
est toujours plus facile que d’évacuer des selles dures (la difficulté est plutôt
de pouvoir les garder sans fuite !).
Pour le deuxième, fluide à seuil, pour que débute un écoulement, il faut que
la contrainte qui lui est appliquée soit supérieure à celle d’une certaine valeur
seuil. Cette valeur de seuil (mesurée en kiloPascal grâce à un rhéomètre) augmente
avec la densité du liquide considéré. Il apparaît raisonnable de penser que
des matières fécales moulées ont un tel comportement de fluide à seuil. Il apparait
aussi logique de penser que ce seuil d’écoulement augmente à mesure que les
selles deviennent de plus en plus dures. En d’autres termes, conformément à
notre expérience clinique, plus le liquide arrivé de l’iléon séjourne longtemps
dans le colon, plus les matières qui viendront remplir l’ampoule rectale seront
dures, nécessitant pour leur évacuation des forces propulsions croissantes.
(A l’inverse, les risques de fuites spontanées diminuent).
2) Géométrie
de l’appareil ano-rectal :
Rectum
et canal anal ont la géométrie d’une filière d’extrusion qui obéit aussi à des
lois rhéologiques connues : tout passage de fluide, du réservoir dans la filière,
est d’autant plus facile que celle-ci est plus courte et que le rapport des
diamètres du réservoir et de la filière est peu important. Il existe des cas
où la géométrie de la filière recto-anale est favorable à l’évacuation : canal
anal large et court, diamètre rectal pas trop élevé. Ce sont les conditions
physiologiques habituelles d’une évacuation rectale normale, non dyschésique.
A l’inverse, il existe des cas où la géométrie de cette filière est défavorable
: canal anal long et de faible diamètre (anisme), diamètre rectal trop élevé
(megarectum). Dans chacune de ces deux conditions anatomiques, pour que l’évacuation
rectale puisse avoir lieu, il faut que l’ampoule rectale dispose de forces de
propulsions plus importantes que dans les conditions anatomiques habituelles.
Si elles sont limites, l’évacuation devient dyschésique.
3) Données
de la débitmétrie d’évacuation rectale :
-
Technique :
Une débitmétrie grossière peut être réalisée de façon simple en défécographie
en utilisant une balance et un chronomètre qui permettent de mesurer les deux
paramètres indispensables : la quantité de baryte évacuée pendant l’examen d’une
part (Q2 exprimée en grammes) et le temps qu’a duré l’évacuation d’autre part
(T en secondes). Le rapport Q2/T est la mesure en g/sec du débit moyen d’évacuation
rectale. Si on avait pris préalablement la peine de mesurer la quantité
de baryte qui avait été mise en place dans l’ampoule rectale (Q1 en grammes),
le rapport :
(Q1 – Q2) x 100 / Q1
exprime le résidu post- défécation en pourcentage du poids de baryte mis en
place.
-
Nos résultats
154 patients dyschésiques et 25 sujets normaux ont été analysés avec précision.
Ils ont fait l’objet d’une publication récente. Les résultats sont résumés dans
le tableau I.
Les patients normaux, non dyschésiques, avaient un débit d’évacuation de 14
g/sec. Pour les patients dyschésiques, les 13 anismes et les 12 avec megarectum
avaient un débit effondré respectivement à 3 et 6 g par seconde et un résidu
significatif.
Le débit moyen des 60 rectocèles et des 11 invaginations intrarectales était
globalement un peu inférieur aux valeurs de référence avec de grandes variations.
Curieusement, les 26 patients avec élytrocèle et les 10 patients avec un prolapsus
rectal extériorisé avaient un débit supérieur aux valeurs moyennes normales
de référence, respectivement mesurées à
15 et 20 g par seconde sans résidu.
L’interrogation de la base de données faisait aussi ressortir une correlation
schématique entre l’existence ou non d’une dyschésie aux selles molles et les
valeurs moyennes de débitmétrie d’évacuation rectale. 50 patients voyaient
leur dyschésie disparaître quand ils évacuaient des selles molles. Ils avaient
une débitmétrie moyenne d’évacuation normale à 15 g / sec.
Les 57 patients dont la dyschésie n’était pas modifiée par la consistance dure
ou molle des matières évacuées avaient une débitmétrie d’évacuation effondrée
à moins de 4 g / sec.
Un groupe de 9 patients dyschésiques a été isolé. Ces patients ne présentaient
aucune des étiologies connues de dyschésie. Leur dyschésie persistait aux selles
molles. Ils ne présentaient aucune anomalie morphologique, leur manométrie était
normale. Malgré d’épuisants efforts d’évacuation, leur rectum radiologiquement
normal, un anus court et grand ouvert en poussée, leur débit d’évacuation restait
inférieur à 5 g / sec et leur résidu post-défécation supérieur à 30 %.
-
Discussion
Les données de la rhéologie et ces résultats préliminaires de débitmétrie, à
priori étonnants, sont pourtant conformes à notre expérience clinique. N’est-il
pas toujours plus facile d’évacuer des selles liquides que des selles dures
? La plupart des incontinences fécales ne surviennent-elles pas surtout quand
les matières sont liquides et ne disparaissent-elles pas habituellement quand
les matières durcissent et que leur seuil rhéologique augmente ? Jamais la taille
des rectocèles n’a pu être corellée aux symptomes présentés par les patients,
et les patients qui présentent un prolapsus rectal extériorisé sont rarement
dyschésiques.
Si on se réfère à nouveau à l’urologie où il est bien admis que la valeur du
débit d’évacuation reflète grossièrement la qualité de la contraction du muscle
détrusor vésical on peut se demander si le débit moyen d’évacuation rectale
ne serait pas aussi le reflet de la qualité de la contraction de la musculature
propre du rectum au cours de la défécation, paramètre souvent évoqué en proctologie,
mais jamais mesuré.
Prendre en considération ce nouveau paramètre qu’est la valeur de la contraction
rectale permet aussi d’expliquer l’absence de baisse significative de nos mesures
de débitmétrie dans la plupart des anomalies purement morphologiques observées
dans les troubles de la statique pelvienne : rectocèles, élytrocèles et prolapsus
rectaux qu’ils soient internes, anaux ou extériorisés.
Les
invaginations rectales sont classiquement considérées comme un obstacle anatomique
à l’évacuation du rectum. En fait, l’analyse retrospective des bandes vidéo
d’évacuation montre bien que de telles plicatures rectales ne surviennent que
sur une ampoule qui vient de se vider. Elles ne se produisent jamais sur une
ampoule rectale en réplétion. La présence du boudin d’invagination rectale peut
être à l’origine d’une fausse perception par le patient d’une vidange incomplète.
Cette fausse information sollicite des efforts ultérieurs de poussée d’évacuation
qui ne peuvent bien sûr pas entraîner d’évacuation complémentaire d’une ampoule
rectale qui vient d’être vidée. Ces échecs itératifs des efforts d’évacuation
sont faussement interprétés par patients et médecins comme une dyschésie.
III – PHYSIOLOGIE
DE LA DEFECATION – NOUVELLES CONCEPTIONS : DYSCHESIE ET INCONTINENCE FECALE
L’intégration
de ces nouvelles données de rhéologie et de débitmétrie nous amènent à voir
d’un il neuf la physiologie de l’appareil recto-anal. S’il est, de façon caricaturale,
régi par le jeu des forces résistives des pressions anales qui s’opposent au
passage du contenu intrarectal et celles des pressions propulsives rectales
qui en permettent l’évacuation tout en tenant compte de la consistance des matières
fecales, dures ou molles, le fonctionnement de cet appareil pourrait être comparé
à celui de la mise en mouvement d’une bicyclette : la contraction rectale serait
la force de pédalage, le tonus du canal anal serait les freins et les matières
fécales la bicyclette elle-même.
Lors
d’une évacuation normale non dyschésique, la relaxation du canal anal est
(relachement des freins) induite par le réflexe recto-anal inhibiteur. La poussée
abdominale qui l’a déclenchée est suivie d’une contraction du muscle rectal
(mouvement de pédalage). L’évacuation rectale peut avoir lieu (la bicyclette
avance). Si l’appareil sphinctérien ne se relache pas complètement ou même s’il
se contracte un peu en poussée comme c’est le cas dans l’anisme des sujets asymptomatiques,
l’évacuation peut cependant avoir lieu tout à fait normalement si les forces
de propulsions rectales sont supérieures aux forces résistives de l’anus. (On
peut faire avancer une bicyclette dont les freins sont un peu serrés si on pédale
assez fort ).
Pour les évacuations dyschésiques, 3 éventualités seraient à envisager.
a) Les forces de rétention anale augmentent soit par défaut d’ouverture du canal
anal, c’est le cas de l’anisme soit par sténose anale (les freins sont trop
serrés).
b) Les matière fécales trop dures ont un seuil rhéologique trop élevé pour les
forces de propulsion dont dispose l’ampoule rectale (la bicyclette est trop
lourde pour être mise en mouvement par les forces de pédalage pourtant normales
du cycliste).
c) Les forces de propulsion rectale sont insuffisantes, la musculature rectale
se contracte mal, quelle qu’en soit la cause, même si l’appareil sphinctérien
se relâche correctement, l’évacuation ne peut avoir lieu (lâcher les freins
n’est pas suffisant pour faire avancer la bicyclette). C’est l’akinésie rectale.
Cette dernière éventualité n’est habituellement pas prise en considération.
Pour
les incontinences fécales, 3 éventualités "en miroir" sont à envisager
:
a)
les forces de rétention anale diminuent par défaut de fermeture du canal anal,
c’est le cas des lésions sphinctériennes visibles en échographie et des hypotonies
sphinctériennes avec ou sans lésion nerveuse (les freins sont déficients)
b) les matières fécales, trop liquides, n’ont plus de seuil rhéologique, la
moindre augmentation de la pression intra abdominale peut déclencher une fuite.
c) Les forces de propulsion rectale se déclenchent involontairement, une onde
de contraction rectale se propage à l’insu du patient, une évacuation de matière
de consistance normale peut avoir lieu même si l’appareil sphinctérien est tout
à fait normal et fonctionne normalement. Ce sont les incontinences nocturnes
des sujets âgés et les vidanges massives des jeunes encoprésiques.
CONCLUSION
Les
troubles de la statique pelvienne sont fréquents. Leur analyse et leur traitement
ne peuvent plus actuellement être envisagés étage par étage par des spécialistes
différents. Une vision globale des différentes fonctions urinaires, génitales
et proctologiques du plancher pelvien s’impose. L’imageur peut aujourd’hui,
grâce au colpo cysto défécogramme, aider le clinicien dans le bilan pré-opératoire
des anomalies présentes et latentes.
Si on se réfère à ce qui est pratiqué en pathologie urinaire, il peut aussi
évaluer, par la mesure du débit moyen d’évacuation d’une baryte à seuil rhéologique
stable, la valeur de la contraction du muscle rectal. Un débit d’évacuation
rectale pré-opératoire autour de 15 g / sec est probablement le garant du maintien
post-opératoire de bonnes fonctions d’évacuation rectale (à condition que l’innervation
rectale soit bien respectée). Un débit pré-opératoire inférieur à 5 g / sec
devrait inciter à la plus grande prudence dans l’espoir d’amélioration d’une
dyschésie par la correction chirurgicale d’un trouble de la statique pelvienne.
Bien sûr, des études complémentaires doivent être entreprises pour vérifier
l’exactitude de ces résultats préliminaires.
Tableau
1 :
Résultats de la vidéo colpo proctographie dynamique chez 154 patients dyschésiques
et 25 sujets normaux
|
Nombre
de
Patients
|
Débit
moyen en g/sec
et écart type
|
Résidu
en %
Moyenne et écart type
|
Normaux
|
25
|
14 (7-20)
|
8 (0-20)
|
Anisme
|
13
|
3 (1-8)
|
56 (40-90)
|
Megarectum
|
12
|
6 (4-8)
|
35 (30- 45)
|
Rectocèle
|
60
|
9 (4-16)
|
13 (5-20)
|
Invagination
rectale
|
40
|
11 (5-17)
|
10 (0-25)
|
Elytrocèle
|
26
|
15 (7-24)
|
11 (5-15)
|
Prolapsus
rectal extériorisé
|
10
|
20 (11-27)
|
0
|
Akinésie
rectale
|
9
|
2 (2-4)
|
54 (30-65)
|
Total supérieur à 179 patients en raison de multiples associations : anisme
+ anomalie morphologique ; élytrocèle + rectocèle ou + prolapsus rectal.
Un groupe de 9 patients, très dyschésiques sans étiologie reconnue, est isolé.
Ils ont à notre avis une akinésie rectale.
Schéma 1 :
courbes viscosimétriques des selles. Selles liquides : courbes identiques à
celles de fluides de Newton. Selles pâteuses : courbes identiques à celles des
liquides à seuil de Bingham.
S1 : seuil des selles molles S2 : seuil des selles normales S3 : seuil des selles
dures
Ce seuil augmente de S1 à S3. Il est plus bas pour les selles molles que pour
les selles dures. Lorsqu’il est trop élevé pour les forces’évacuation disponibles,
un fécalome se forme.
BIBLIOGRAPHIE
MAHIEU P, PRINGOT
J, et BODART P,"Defecography : contribution to the diagnosis of defecation
disorders".
Gastrointest Radiol. 1984 : 9, 253-261.
FOEGLE M, GARBIN
O, CARTIER J et DELLENBACH P, "Apports de la colpocystodéfécographie dans
la prise en charge des prolapsus complexes et/ou récidivés". Gynécologie
Intern. 1999 : 8, 224-229.
HOCK D, LOMBARD R,
JEHAES C, MARKIEWICZ S, PENDERS L, FONTAINE F, GUSUMANO G et NELISSEN G, "Colpocystodefecography".
Dis. Colon Rectum vol 36 1993 : 11, 1015-1021.
KELVIN F.M, MAGLINTE
D.T, BENSON J.T, BRUBAKER L.P et SMITH C, "Dynamic cystoproctography :
a
technique for assessing disorders of the pelvic floor in women". Amer.
Roent. 1994 : 163, 368-370.
KELVIN F.M, HALE
D.S, MAGLINTE D.T, PATTEN B.J et BENSON J.T, "Female Pelvic Organ Prolapse
:
diagnostic contribution of dynamic cystoproctography and comparison with physical
examination". AJR 1999 :
173, 31-37.
SHORVON P, McHUGH
S et DIAMANT N.E, "Defecography in normal volunteers ; results and
implications". Gut. 1989 : 30, 1737-1749
BUZELIN J.M, La dysurie.
Urodynamique du bas appareil urinaire. Masson 1984 : 124-138
DUBREUIL A et PIERRARD
J.M, "Quelques lois rhéologiques simples régissant l’évacuation des selles
in :
Kujas A., Coussement A., Villet R. Imagerie dynamique des troubles pelvi périnéaux
de la femme". Vigot éd. 1998
: chap 8, 65-69
FAUCHERON J.L et
DUBREUIL A, "Rectal akinesia, a new etiology of impaired defecation".
Dis Colon Rectum
2000, in Press.
VAN DAM J.H, GOSSELINK
M.J, DROGENDIJK A.C, HOP W.C.J et SCHOUTEN W.R, "Changes in bowel
function after hysterectomy". Dis Colon Rectum 1997 : 1342-1347
|