Génétique moléculaire de l’axe gonadotrope : le cas de la ménopause précoce
Charles Sultan (1-2) , Nicolas Poujol(2) et Serge Lumbroso (2)
(1) Unité d’Endocrinologie et Gynécologie Pédiatriques, Hôpital A. de Villeneuve
Montpellier
(2)Unité BEDR, Hôpital Lapeyronie et INSERM U439, Pathologie moléculaire des récepteurs nucléaires, Montpellier
A la ménopause, l’insuffisance ovarienne est un phénomène physiologique, conséquence de l’apoptose et de l’atrésie folliculaire survenant au sein de l’ovaire vieillissant.
Quand l’insuffisance ovarienne survient avant 40 ans, elle est dite prématurée (IOP, insuffisance ovarienne prématurée) (1) et correspond alors à un processus pathologique, de fréquence élevée puisque touchant plus de 1% des femmes (2).
L’atteinte ovarienne peut survenir à différents stades du développement ovarien (in utero, en pré-puberté, pendant la puberté ou à l’age adulte). L’expression clinique des IOP est donc variable : impubérisme avec aménorrhée primaire, développement pubertaire normal avec aménorrhée primaire ou secondaire, ménopause précoce (3).
Les IOP sont dans 20 à 50 % des cas idiopathiques. Elles peuvent également être d’origine auto-immune, iatrogène (post-chirurgicale, chimiothérapique et radiothérapique), infectieuse ou enzymatique (galactosémie). Enfin un certain nombre d’anomalies chromosomiques, observées en cytogénétique, et de mutations géniques sont associées à une insuffisance ovarienne (4).
L’apport de la biologie moléculaire dans l’expertise des IOP se situe à plusieurs niveaux.
- Diagnostique. Il s’agit de rechercher des anomalies de gènes connus dont des mutations sont associées à certaines formes d’IOP. Nous détaillerons les découvertes récentes dans ce domaine. L’analyse de ces observations apporte, de plus, des informations essentielles sur le rôle joué en physiologie ovarienne par certaines protéines (en particulier les gonadotrophines et leurs récepteurs).
- Recherche de gènes. La biologie moléculaire participe alors, en complément des techniques de cytogénétiques, à la recherche de nouveaux loci et gènes impliqués dans le développement et la maintenance ovarienne. Ces études reposent sur l’analyse de cas d’IOP associés à des anomalies chromosomiques, ou sur l’analyse de liaison dans des familles d’IOP.
- Physiopathologique et fondamental. Les études in vitro et surtout les techniques d’invalidation génique ("knock-out") chez l’animal constituent un formidable outil permettant d’analyser la fonction de gènes candidats.
Les dysgénésies ovariennes d’origine génétique peuvent être classées en deux catégories.
1. dysgénésies ovariennes avec anomalies du nombre ou de la structure du chromosomeX
* le syndrome de Turner en est de loin la cause la plus fréquente
* les autres anomalies de l’X (XXX, translocations etc…) sans signes turnériens
Dans sa forme typique (45XO), le syndrome de Turner est associé à un épuisement prématuré du stock folliculaire avant la puberté.
Dans certains cas, la destruction prématurée des follicules ovariens (habituellement fetale) peut être retardée : dans 10 à 2O% des cas, la puberté spontanée s’accompagne de menstruations régulières, pendant quelques années avant l’installation d’une ménopause précoce.
* Les anomalies du nombre ou de la structure du chromosome X sont retrouvées dans environ 15 à 20% des IOP.
Il s’agit essentiellement de mosaïque de Turner portant sur l’X mais aussi de modification de l’X = Xr (en anneau), Xqi (Iso chromosome pour le bras long de l’X), délétion d’un bras de l’X. Les femmes ayant une délétion du bras long de l’X présentent souvent une ménopause précoce (5). La délétion de la région Xq25-Xq28 est invariablement responsable d’une ménopause précoce.
2 - dysgénésies ovariennes sans anomalies du chromosome X : les dysgénésies gonadiques XX
Notre propos sera centré sur les progrès récents de la biologie moléculaire dans le cadre des dysgénésies gonadiques (DG) XX terme qui désigne l’association d’une insuffisance ovarienne précoce à un caryotype 46,XX normal et à un hypogonadisme hypergonadotrope (6). La dysgénésie ovarienne XX est caractérisée, sur le plan clinique, soit par un impubérisme, soit par aménorrhée primaire ou parfois secondaire, une taille normale et l’absence de dysmorphies turnériennes. Les gonades sont le plus souvent réduites à l’état de bandelettes fibreuses analogues à celles observées dans le syndrome de Turner, mais l’histologie ovarienne est en fait très variable selon les étiologies.
dysgénésies gonadiques XX syndromiques
L’insuffisance ovarienne peut être associée à diverses anomalies morphologiques : les associations les plus fréquentes sont le blépharophimosis et la surdité congénitale (syndrome de Perrault). Elles peuvent représenter jusqu’à 20 % des DG XX (7).
- Le syndrome de Perrault (8) correspond à l’association d’une dysgénésie ovarienne et d’une surdité de perception. La localisation du gène est inconnue.
- Blépharophimosis familial.
Le blépharophimosis familial est un syndrome qui associe plusieurs anomalies oculaires regroupées sous le terme de Blepharophimosis-Ptosis-Epicanthus inversus Syndrome ou BPES. Deux formes particulières ont été décrites. Le BPES de type I, le plus fréquent est caractérisée par l’existence d’une insuffisance ovarienne. Cette dernière est absente dans le type II (9). Dans le BPES I, le mode de transmission est autosomique dominant avec une transmission uniquement par les hommes (10). L’expression de l’insuffisance ovarienne est variable : le plus souvent il s’agit d’une oligoménorrhée avec aménorrhée secondaire définitive correspondant à une ménopause précoce, parfois la dysgénésie gonadique peut être complète avec impubérisme et aménorrhée primaire. Dans tous les cas les femmes sont stériles, avec à la biopsie ovarienne présence exclusive de bandelettes fibreuses. Il est important de noter, pour le conseil génétique, qu’au sein d’une même famille toutes les femmes présentent une forme identique qu’elle soit partielle ou complète (11).
A partir d’anomalies cytogénétiques (délétions, translocations), puis d’études familiales par utilisation de microsatellites, le gène responsable du BPES de type II a été localisé sur le bras long du chromosome 3 en position 3q22-q23 (12). L’analyse de 3 familles indépendantes a permis à la même équipe de montrer que le gène du BPES de type I était situé au même locus (13). Ainsi le BPES I pourrait être un syndrome de gènes contigus, à moins que les deux types de BPES proviennent de mutations différentes d’un même gène (11). Tout récemment, Maw et al. ont mis en évidence dans une famille indienne une liaison du BPES de type II avec une région du chromosome 7 (7p13-p21) (14). L’utilisation de YACs devraient permettre, par clonage positionnel, de mettre en évidence le ou les gènes situés aux locus morbides des BPES.
dysgénésie ovariennes XX isolées
A. les gonadotrophines et leurs récepteurs
1. mutations des récepteurs de LH et de FSH et fonction ovarienne
Les récepteurs de LH et FSH appartiennent à la famille des récepteurs à 7 domaines transmembranaires couplés aux protéines G. Le clonage et le séquençage des gènes humains du récepteur de LH (15) et du récepteur de FSH (16), qui partagent la même localisation chromosomique en 2p21-p16, ont permis l’analyse moléculaire de ces gènes dans différentes pathologies.
* Mutations activatrices du récepteur de LH
Les premières mutations rapportées du R-LH étaient des mutations hétérozygotes activatrices constitutives, entrainant une puberté précoce chez le garçon (17, 18, 19). Il est intéressant de noter que ces mutation activatrices n’ont semble-t-il pas de conséquence chez les femmes homozygotes ce qui est en contradiction avec l’étude réalisée chez des souris transgéniques qui surexpriment LH et qui présentent une infertilité, des ovaires polykystiques et des tumeurs ovariennes (20). Le faible nombre de cas féminins rapportés et l’absence de description morphologique détaillée des ovaires ne permet pas, à l’heure actuelle de conclure formellement quant au rôle éventuel chez la femme des mutations activatrices du R-LH.
* Mutations inhibitrices du récepteur de LH
Elles sont responsables chez les sujets XY, à l’état homozygote ou hétérozygote composé, de pseudohermaphrodismes masculins d’expression variable avec hypoplasie des cellules de Leydig (21, 22, 23). La reproduction in vitro des mutations identifiées a confirmé qu’elles rendaient le R-LH non fonctionnel. De rares cas de femmes XX homozygotes pour une mutation inactivatrice du R-LH ont été rapportés (21, 22, 24). Ces femmes présentent une aménorrhée primaire (ou secondaire, avec 1 seul épisode menstruel, pour le cas rapporté par Latronico), avec développement pubertaire et morphologique tout à fait normal. La concentration en LH est très élevée, alors que FSH, E2 et les androgènes sont normaux et que la progestérone est effondrée. L’utérus est de petite taille, ce qui pourrait refléter une diminution de l’effet cumulatif des estrogènes. La biopsie ovarienne a montré l’absence de corps jaune et des follicules normaux en taille et en nombre. Ces observation suggèrent l’absence de rôle majeur de LH sur le développement pubertaire chez la fille (22) et confirment, bien sûr, son rôle sur l’ovulation et la lutéinisation. Précisons que les mutations inactivatrices du R-LH n’ont, à l’état hétérozygote, pas de conséquences cliniques chez la femme (comme chez l’homme).
* Mutation inhibitrice du récepteur de FSH
Le concept de résistance ovarienne, qui correspond à l’association d’une aménorrhée hypergonadotrope et de follicules ovariens normaux a trouvé récemment un substratum moléculaire avec la description d’une mutation inactivatrice du récepteur de FSH (R-FSH) (25). L’équipe finlandaise de de la Chapelle a étudié 6 familles comportant au moins 2 femmes avec dysgénésie gonadique hypergonadotrope. Les étude de liaison ont aboutit à la définition d’un locus morbide sur le bras long du chromosome 2, dans la région du gène du récepteur de FSH (26). L’analyse de ce gène a permis l’identification, chez toutes les femmes atteintes, d’une mutation homozygote Ala189Val située dans l’exon 7 du gène, dans le domaine extra cellulaire. Les expertises in vitro ont montré une diminution de la capacité de liaison de la FSH (sans altération de l’affinité) responsable d’une diminution de la transduction du signal hormonal objectivée par la production d’AMPc dans les cellules transfectées.
Cliniquement, la résistance à FSH se présente comme une aménorrhée primaire, avec un retard pubertaire dans 30 % des cas, un taux d’estradiol effondré et une augmentation de LH et surtout de FSH. La comparaison avec un groupe témoin de dysgénésies gonadiques hypergonadotropes idipathiques (27), a révélé que la résistance à FSH était associée à une plus petite taille et à la présence quasi constante de follicules ovariens.
Les mères hétérozygotes pour la mutation Ala189Val sont normalement fertiles et ne présentent aucun trouble des règles.
Enfin, il faut souligner qu’à l’heure actuelle, à notre connaissance, cette anomalie du R-FSH n’a été rapportée, semble-t-il, que dans la population finlandaise. Il existe donc probablement un effet fondateur. Il n’en reste pas moins que la possibilité de l’exploration du gène du R-FSH ne peut être ignorée dans les cas cliniques évocateurs.
L’expression clinique de la même mutation chez les hommes apparentés est variable. Dans la série finlandaise, 2 hommes sont fertiles, le statut précis d’un troisième homme sans enfant n’est pas clairement établi. Un travail récent de Tapanainen (28) confirme que l’inactivation du R-FSH n’est pas obligatoirement responsable d’une stérilité chez l’homme.
2. Mutations de FSHb et fonction ovarienne
En 1993, Matthews rapportait la présence d’une mutation homozygote (délétion de 2 nucléotides avec rupture du cadre ouvert de lecture) chez une femme avec aménorrhée primaire et infertilité caractérisée par un déficit isolé en FSH avec LH normale (29). Un cas analogue vient d’être rapporté par Layman et al. (30) avec mutation de chacun des allèles du gène de la sous-unité beta de FSH par deux mutations différentes (Cys51Gly et
DVal61X). Contrairement à l’observation de Matthews, les cas simple-hétérozygotes dans la famille décrite par Layman sont toutes fertiles.
De plus, un polymorphisme du gène de FSHb a été retrouvé dans certaines obseravtions d’IOP par l’équipe de McDonough (31, 32).
Ces cas rares sont bien sûr exemplaires car ils correspondent à une invalidation naturelle d’un gène et constituent ainsi des modèles privilégiés d’étude du rôle de ces hormones. Dans le cas de FSH, les données obtenues chez la souris viennent conforter et préciser les observations chez l’homme. En effet, le knock-out (l’invalidation) du gène FSHb, récemment rapporté (33) confirme le caractère indispensable de FSH pour la croissance folliculaire et ovocytaire, pour la production d’estrogènes et donc à la fois pour le développement pubertaire et l’acquisition d’une fertilité normale. Les souris males ont une virilisation normale et un degré variable d’altération de la spermatogénèse qui ne va jamais jusqu’à l’infertilité. Ces données expérimentales et les observations de mutations inhibitrices du récepteur de FSH chez l’homme, suggèrent que la FSH n’est pas indispensable à la spermatogénèse.
B. Autres anomalies génétiques associées à une insuffisance ovarienne
* ménopause précoce et hétérozygotie pour l’X fragile
Evoquée dès 1991 (34), la survenue d’une ménopause chez certaines femmes hétérozygotes pour la prémutation FRAXA a été confirmée par plusieurs travaux et en particulier, Schwartz et al. (35) trouve une fréquence de 19% de ménopause précoce chez ces femmes. Plus récemment, Partington (36), dans une étude portant sur 203 femmes hétérozygotes pour FRAXA, a observé une proportion de ménopause précoce de 28%, la ménopause survenant 6 à 8 ans plus tôt que dans la population générale. Enfin, Vianna-Morgante rapporte une famille dans laquelle 4 femmes porteuses de la mutation FRAXA présentent une ménopause précoce (37).
Ces différents travaux permettent d’envisager une relation causale entre l’expansion de CGG dans le gène FMR1 et la survenue d’une insuffisance ovarienne prématurée. L’explication physiopathologique est cependant mystérieuse. Il est important de préciser que l’altération de la fonction gonadique ne s’observe que dans le cas de la prémutation FRAXA (amplification de 50 à 200 du nombre de triplets CGG), la mutation complète (> 200 CGG) qui est responsable d’une absence d’expression de l’allèle, n’est pas associée à une insuffisance ovarienne. Cette dernière ne devrait donc pas être due à une perte de fonction du gène FMR1 (37).Certains auteurs mettent en parallèle la ménopause précoce et la plus grande fréquence de grossesses gémellaires observée chez les femmes porteuses de la mutation. La prémutation pourrait agir sur un gène proche par un effet sur le phénomène de méthylation. Cette dernière hypothèse est corroborée par la proximité du gène FMR1 (Xq27) et de certains loci du chromosome X impliqués dans la maintenance ovarienne, en position Xq26-q27 (Krauss, 1987).
* anomalies des gènes de la stéroïdogenèse
Précisons, pour être complets, que les mutations des gènes de la stéroïdogenèse (StAR, 17 hydroxylase, 3bhydroxydéshydrogénase, aromatase) sont toutes susceptibles d’entraîner une insuffisance ovarienne, dans un contexte clinico-biologique le plus souvent évocateur.
C. Vers l’identification de gènes impliqués dans le développement ovarien: Zfx
C’est bien sûr l’objectif des recherches qui sont menées actuellement au niveau international et qui reposent sur les méthodes de biologie moléculaire. Un travail très récent du groupe de David Page examine les conséquence sur la souris de l’invalidation du gène Zfx (38) homologue murin du gène humain ZFX. ZFX et son homologue (non identique) du chromosome Y, ZFY, sont des protéines en doigt de zinc qui sont supposées jouer un rôle dans les mécanismes de différenciation sexuelle, la spermatogénèse et dans la survenue du syndrome de Turner. L’inactivation du gène Zfx est responsable chez les souris males d’une diminution de moitié du nombre de spermatozoïdes, sans conséquences sur la fertilité, et les souris sont de p)lus normalement virilisées. Les souris femelles Zfx-/- ont des organes genitaux féminins normaux mais présentent une diminution du nombre d’ovocytes avec hypofertilité et insuffisance ovarienne prématurée. Les souris XX hétérozygotes Zfx +/- ont une fertilité à peu conservée. La réduction du nombre d’ovocytes chez les souris -/- correspond à une déplétion en follicules à tous les stades de développement. De plus, les auteurs montrent qu’il existe un déficit en cellules germinales primordiales (chez les mâles -/Y comme chez les femelles -/-) dès la fin de leur migration au niveau des crêtes génitales, avant même le début de la différenciation sexuelle.
De plus, il est important de noter que l’inactivation de Zfx est responsable, dans les deux sexes, d’un retard de croissance in utero, persistant en post-natal; il n’existe donc pas de compensation par Zfy. Il est donc vraisemblable que le gène Zfx est responsable du maintien du capital folliculaire.
En conclusion, en dehors des altérations du chromosome X détectées en cytogénétiques, les causes génétiques des troubles de la détermination ovarienne sont encore peu connues. De rares gènes autosomiques tel que le gène du recepteur de FSH ont récemment été associés à des insuffisances ovariennes précoces. L’exploration de ces gènes devant un tableau clinico-biologique évocateur de ménopause précoce doit aujourd’hui être envisagée.
Bien que rares, ces cas sont bien sûr exemplaires car ils correspondent à une invalidation ou une surexpression naturelles d’un gène et constituent ainsi des modèles privilégiés d’étude du rôle de ces facteurs dans la physiologie ovarienne. Leur analyse exhaustive repose sur une collaboration étroite des gynécologues pédiatres et des généticiens moléculaires, collaboration qui peut faire espérer l’isolement à court terme, de l’ensemble des gènes impliqués dans la détermination et dans la maintenance ovariennes.
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