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Titre: De l'information scientifique à l'information médiatique : l'opinion des femmes
Année: 2001
Auteurs: - Lachowsky M.
Spécialité: Gynécologie
Theme: information médicale

Et l'opinion des femmes ?

Michèle Lachowsky

Gynécologue
Consultante - Service Gyn-Obs - Pr P. Madelenat. Hôpital Bichat - Paris

A la ménopause, il faut, il ne faut pas...On ne saurait bien vivre sans, on ne saurait bien vivre avec...Il est impossible de s'en passer, il est impossible de continuer...c'est un peu comme la retraite, les hommes s'en vont et les maladies arrivent.
Peu de moments de la vie féminine sont aussi fertiles en rebondissements médiatiques que cette fameuse ménopause, moment autrefois intime et peu évoqué, aujourd'hui public et controversé. Longtemps mal vue, elle est peut-être aujourd'hui trop vue, mais a-t-elle vraiment perdu ces notions de honte ou de ridicule qui l'entachaient, rien n'est moins sûr. A écouter nos patientes, elles ont toujours du mal à accepter ce que signifie cette période, même si l'an 2000 est passé par là. Prendre de l'âge est toujours synonyme de perte et non de gain, et les tempes argentées ne contribuent toujours pas à la séduction féminine. Certes la cinquantaine n'est plus ce qu'elle était mais le monde du travail ne lui est guère plus favorable. La perte de l'estime de soi, ce grand malheur moral qui définissait la dépression pour Freud, est souvent à fleur de peau, cette peau qui chagrine et trahit malgré les progrès d'une cosmétique qui se veut plus scientifique et surtout pas frivole, tout en noircissant des pages et des pages de magazines pas toujours féminins. Autre grande crainte liée à ce moment charnière de la vie, la prise de poids: encore une prise vécue comme une perte, encore un désaccord entre soignants et soignés. Les unes affirment, les autres nient, qui croire sinon peut-être la balance, et encore puisque le muscle pèse parfois plus lourd que la graisse, cette pesante graisse selon Queneau chanté par Juliette Gréco. Les hormones ne font pas grossir, c'est écrit noir sur blanc, mais... "Regardez ma voisine....et ma mère, la pauvre, elle a complètement changé en prenant au moins 10 kg. "Mais Madame, prenait-elle un traitement?" "Non, bien sûr, on en parlait peu à son époque, de toutes façons elle se serait méfié, elle aurait certainement laissé faire la nature." Dialogue souvent entendu dans nos cabinets, qui n'a d'ailleurs rien de risible car il prouve que nous médecins savons peut-être soigner mais pas communiquer.
Toutes nos patientes se voudraient légères et bien traitées, tous les médecins se voudraient pondérés et bien suivis. Comment expliquer que tant de nos ordonnances ne quittent le sac à mains de ces femmes -venues nous les demander- que pour être jetées, que tant d'autres franchissant l'étape de l'officine restent cependant lettre morte ?
La consultation, disait Balint, c'est l'atmosphère dans laquelle 1a prescription est donnée et prise. Et prise, me direz-vous... Que s'est-il donc passé, ou plutôt qu'est-ce qui n'a pas passé ? Si comme l'écrivait encore Balint, 1a drogue la plus prescrite est le médecin lui-même, force nous est de reconnaître que nous nous prescrivons mal, ou trop ou trop peu. Mais voilà, aucun enseignement ne nous a été dispensé, aucun livre ne nous en donne les doses, et le Vidal reste muet à ce sujet. Plus que notre - fameux - pouvoir médical, plus que notre moins fameux savoir, plus que notre séduction - dont on parle encore moins -, c'est ici la relation médecin-malade qui doit intervenir créant un climat de confiance réciproque, elle permet un échange authentique où dans les échanges verbaux et non verbaux, la patiente se sentira et le droit et le devoir de dire ce qui est important pour elle, où elle pourra aussi entendre ce que nous, nous voudrions pour elle. Qu'elle souhaite alors nous suivre sur ce chemin ou non, c'est encore une autre histoire, où nous avons aussi notre place, presque un droit de regard. Mais tout se passe au grand jour, sans jouer à cache-cache, sans faire semblant ou sans faux-semblant donc sans préjudice pour 1a santé physique de la patiente ou 1a santé morale de son médecin !
Les journaux écrivent, les radios disent, les médecins parlent, tous de la même chose, la ménopause, mais pas de la même voix: autant de voix, autant de ménopauses et surtout autant d'opinions et de modalités de traitements. Et nos statistiques, comment parlent-elles à nos patientes, que représentent pour elles les percentiles et les données corrigées, ou ces chiffres dits non significatifs qui leur paraissent parfois hautement significatifs? Un risque de 1%, 1%°, quel que soit le pourcentage pense Madame Tout-le-Monde, en fait c'est tout simplement 100% de ma personne qui serait touché si pour mon malheur j'entrais dans ce groupe.
Les hormones donnent le cancer, oui mais des petits, on les découvre plus tôt, on en meurt moins. "Vous pouvez me garantir cela, Docteur?"
"Non bien sûr, le risque zéro n'existe pas et n'existera jamais, pas plus avec que sans traitement."
"Bon, alors je préfère ne rien prendre....mais j'ai lu que c'est dangereux pour mes os? Que choisir? Le cancérologue de ma meilleure amie et le généraliste de ma sœur ne sont d'ailleurs pas du même avis non plus, alors que penser?"
"Les hormones, c'est dangereux."
"Mais non c'est une cure de jouvence. Et surtout avec la DHEA. Mais mon gynécologue ne veut pas m'en donner, je me demande bien pourquoi. Il a l'air si jeune et en forme, il en prend sûrement, lui!"
Au fait, les hormones, qu'est-ce que c'est? Là encore plus de question que de réponses, plus d'interrogations que de connaissances. La rumeur les a diabolisées, mais pourquoi? Peut-être parce qu'elles participent du mystère des humeurs qui sourdent du corps des femmes, les visibles comme le sang et le lait et les invisibles comme ces estrogènes et cette progestérone auxquelles on attribue tour à tour toutes les vertus ou tous les dangers. Dans le trop ou le pas assez, elles semblent la source de désordres symbolisant la féminité, l'inquiétante et délicieuse féminité que l'âge devrait effacer comme il va effacer le pouvoir de reproduction. Or les femmes et leurs hommes commencent à rendre à la féminité une place que la contraception lui a déjà dessinée, et que la ménopause ne doit plus gommer. Et là le médecin est lui aussi à un tournant, car on lui demande beaucoup: il lui faut être assez sûr de lui et de son savoir pour prendre certaines responsabilités et aider sa patiente à se déterminer ("après tout, c'est vous le docteur!", l'avons-nous assez entendu, cette phrase, nous qui nous targuons de donner des choix!) il lui faut prêter l'oreille aux bruits et faux bruits qui courent dans la communauté médicale comme dans les salons, jeter aussi un œil curieux sur la télévision et les journaux, autrement dit être au moins autant au fait que la femme en face de lui, qui lui a peut-être apporté une photocopie de sa dernière recherche sur Internet le contredisant...quoiqu'il dise.
Seulement voilà, cet " investissement mutuel " demande de la disponibilité, c’est-à-dire du temps. Du temps à donner et du temps à prendre, le temps de notre patiente et le nôtre, dont le synchronisme n'est pas toujours facile à assurer. Expliquer que la suppression des bouffées de chaleur ne doit pas marquer celle du traitement, faire admettre qu'une meilleure qualité de vie n'entraînera pas la vengeance d'une Mère Nature " contrecarrée ", c'est parfois le même challenge que d'admettre que la femme en face de nous a un autre rapport avec la médecine et le médicament, une autre vision de son corps ou de sa vie, que son projet ne coïncide pas avec le nôtre, et que toutes ces divergences sont riches et méritent notre attention. Rencontrant d'ailleurs souvent nos propres angoisses, elles peuvent expliquer nos difficultés personnelles vis-à-vis de telle patiente qui nous donnera l'impression de nous mettre en échec quoique nous fassions. Cela aussi, il faut bien pouvoir le tolérer.
La ménopause, ce tournant dans la vie d'une femme, ce " turn of age " des Anglo-Saxons, n'est pas une maladie, elle fait partie du programme physiologique, et c'est là une des raisons qui rendent l'idée de traitement si difficile à faire passer, chez les médecins comme chez leurs patientes. Garder ou retrouver des règles, ne plus en avoir, ne plus voir, avaler, étendre ou aspirer les médicaments, par la bouche, le nez ou la peau, avec ou sans interruption, que choisir et surtout qui choisir? Et puis, tant de possibilités, cela ne prouve-t-il pas un certain manque d'accord entre les prescripteurs, un certain manque de cohésion, que faut-il vraiment en penser se demandent notamment celles qui ne saignent plus face à celles qui saignent encore?
Concert baroque ou tragi-comédie, tous les ingrédients et tous les acteurs sont réunis pour troubler Madame Tout le Monde, qui voudrait bien savoir, avant que ne tombe le rideau, le rideau rouge comme le sang de sa jeunesse, à quel docteur se vouer pour profiter au mieux, de cette qualité de vie que la médecine lui fait miroiter...mais pour la post-ménopause.