L'IAD A-T-ELLE ENCORE UNE PLACE DANS LE TRAITEMENT DE LA STERILITE
MASCULINE ?
C. HUMEAU, F. ARNAL, M. CHALET, D. LAUTON ET M.C. CANNAT
Avec le développement et le succès des techniques d'ICSI, il est logique de
s'attendre à une diminution des demandes d'IAD. En fait nous nous retrouvons dans la
situation que nous avons connue dans les années 85 à 90 quand les hypofertilités
masculines sont devenues des indications de FIV, à un seuil plus bas dans la qualité du
sperme. Et les mêmes questions qu'alors se posent : faut-il proposer l'ICSI aux couples
jusque là demandeurs d'IAD ? Y a-t-il des inconvénients à faire revenir les couples
engagés dans la procédure d'AMP avec donneur vers l'ICSI ? Mais cette fois deux
nouvelles données entrent dans la discussion et qui sont peut-être contradictoires.
D'une part avons-nous le droit d'affirmer aujourd'hui que les effets de l'ICSI sont
parfaitement évalués ? Et d'autre part la loi nous fait obligation de n'accepter les
demandes d'AMP avec tiers donneur que lorsqu'on a épuisé toutes les ressources
thérapeutiques possibles, parmi lesquelles l'ICSI tient une place de choix.
Accessoirement on peut se demander aussi quel sera le retentissement de l'ICSI sur
l'activité des CECOS.
I. QUELLES SONT LES INDICATIONS CONCERNEES ?
1. Les hypofertilités masculines
Tout d'abord les oligo-asthéno-térato-spermies sévères, à qui on proposait
d'emblée l'IAD, sachant d'avance par expérience que leur cas était hors de portée de
la FIV classique ; le seuil choisi pouvant d'ailleurs varier quelquefois dans des limites
assez importantes selon les équipes. On peut y ajouter les cas où le sperme est
qualifié de normal ou quasi-normal et qui cependant ne connaissent que des échecs de FIV
répétés et apparemment inexpliqués ; les proportions de ces cas étant aussi très
dépendants de l'efficacité des équipes, dans la manière de gérer convenablement le
côté féminin (pour ne pas attribuer au sperme des échecs dus en réalité à la
répétition d'une mauvaise réponse ovarienne) et de l'adresse dans la préparation du
sperme. L'IAD pouvant représenter une solution de facilité.
2. Les stérilités maculines
Il ne s'agit évidemment que des azoospermies excrétoires, qui nécessiteront donc une
ponction du canal déférent ou de l'épididyme ou encore une biopsie testiculaire. On
peut y ajouter, bien que ce problème fasse encore l'objet de polémiques, les cas ou la
spermatogenèse serait incomplète, ne produisant que des spermatides.
Mais en pratique et dans l'immédiat les couples concernés se répartissent en 4
catégories :
- les nouveaux cas qui consultent pour la première fois et pour lesquels on
aurait jusqu'alors envisagé une IAD ;
- ceux chez qui l'indication d'IAD est ancienne, qui ont déjà fait une demande
officielle au CECOS et qui sont en période d'attente ;
- ceux chez qui l'indication d'IAD est encore plus ancienne et qui sont déjà engagés
sans succès dans une série d'inséminations ou de FIV ;
- ceux qui ont déjà eu un enfant par IAD et qui font une 2e demande.
II. PAR QUI LES COUPLES SONT-ILS INFORMES ?
1. Par la rumeur publique
Ils sont relativement nombreux, appartenant à l'une ou l'autre des catégories
précédentes, à avoir eu connaissance, par les médias ou des proches confrontés au
même problème, de techniques nouvelles qui permettraient même aux dires de certains
journalistes de procréer sans spermatozoïde. Il s'agit donc en réalité d'une
mal-information, qui a cependant le mérite d'inciter les couples à venir s'informer dans
les centres d'AMP, soit spécialement soit à l'occasion des consultations ou des
tentatives de FIV ou d'IAD.
2. Par les praticiens
Il peut s'agir selon les cas de figure et le parcours des couples, des biologistes des
CECOS, des biologistes de la FIV, des andrologues, des gynécologues ou des psychologues.
Un des problèmes posés est alors celui de la cohérence de ces informations, quand les
patients s'adressent successivement à l'un ou à l'autre de ces praticiens ; car la
tonalité de l'information peut varier énormément en fonction de la culture, de
l'ancienneté de l'expérience, du degré d'investissement et de la disponibilité du
praticien, et aussi de son propre niveau d'information.
III. CES COUPLES SONT-ILS BIEN INFORMES ?
1. Sur les résultats de l'ICSI
La plupart du temps les couples arrivent persuadés, par la rumeur ou même par des
praticiens dont l'esprit critique a été pris en défaut, que l'ICSI est la panacée. Il
importe de leur faire savoir que cette technique n'est qu'une variante de fécondation in
vitro et qu'elle est soumise aux mêmes aléas que la FIV dite classique tenant en
particulier aux relatives incertitudes que l'on a sur la maturité ovocytaire et la
réceptivité de l'endomètre. Le taux de fécondation est le même qu'en FIV classique
avec un sperme dit normal et il y a donc production d'embryons et transfert d'embryons
dans 85 à 90 % des cas. Le taux de nidation est sensiblement meilleur que dans les
indications non masculines, par le biais bien connu dû au fait que les femmes sont
censées être normales dans les indications masculines sévères. Au total il y a
grossesse dans 20 à 25 % des tentatives. Et avec l'expérience que l'on a, en
particulier des indications tubaires en FIV classique, il ne faut pas espérer un taux
cumulé réel (compte tenu des abandons) d'accouchements supérieur à 60 %, entre de
bonnes mains.
2. Sur les éventuels effets pervers de l'ICSI
Avec le recul actuel il semble bien que l'on puisse être formel sur l'innocuité de la
technique elle-même ; mais nous sommes obligés d'avoir quelques doutes sur les effets
pervers dus à la nature même de l'indication.
a) Transmission de la stérilité
On connaît maintenant plusieurs gènes codant pour l'azoospermie ou l'oligospermie ;
en dépit ou à cause de notre ignorance dans ce domaine il est raisonnable d'envisager
que l'hypofertilité ou la stérilité sera transmise, peut-être pas à la génération
suivante mais après plusieurs générations (selon que ces gènes sont récessifs ou
dominants et selon leur degré de pénétrance ou d'expressivité). En dehors de quelques
cas, d'étiologie infectieuse ou traumatique par exemple, on ne peut donc pas affirmer que
certains descendants de ce couple ne se retrouveront pas dans la même situation. La
parade existe puisqu'ils pourraient alors bénéficier à leur tour de la micro-injection
eux aussi.
b) Transmission d'anomalies chromosomiques
On sait depuis longtemps que l'incidence d'anomalies chromosomiques équilibrées est
significativement supérieure chez les hommes hypofertiles ou stériles à celle de la
population générale. Elle varie de 2 % chez les hypofertiles à 6 % chez les
azoospermiques, contre 0,5 % dans la population générale. Et on sait également que dans
le cas d'une telle anomalie, le risque de donner naissance à un enfant porteur d'une
anomalie déséquilibrée est de 5 à 10 %. On dispose là aussi de la parade : après
avoir donné cette information au couple, il faut prescrire un caryotype et prévoir si
celui-ci porte une anomalie, une amniocentèse en cas de grossesse.
c) Transmission d'anomalies géniques
On est fondé à penser que par un effet pléiotrope la stérilité ou l'hypofertilité
puisse être associée à une maladie métabolique. On en connaît au moins deux cas,
susceptibles d'être traités par l'ICSI. Le syndrome de Kartagener, dont le diagnostic
est facile et en général déjà réalisé : tous les enfants seront hétérozygotes,
mais le risque qu'ils rencontrent à leur tour un autre hétérozygote est faible (1 sur
400). Le cas de la mucoviscidose est plus complexe : s'il s'agit de forme frustre
(agénésie du déférent) le diagnostic génétique peut être réalisé chez les deux
conjoints et on pourra prévoir un diagnostic prénatal en cas de grossesse si les deux
parents sont hétérozygotes (1 risque sur 4 de donner naissance à un enfant malade) ; si
seul l'homme est hétérozygote, on peut prédire que parmi ses enfants un sur deux sera
porteur, avec cette fois un risque élevé (1 sur 25) de rencontrer une partenaire elle
aussi hétérozygote. Mais il existe des formes inapparentes : plusieurs travaux déjà
publiés ou en cours montrent qu'un pourcentage non négligeable d'hommes hypofertiles,
sans agénésie du déférent, sont hétérozygotes pour une des 700 mutations du gène
mucoviscidose. Les conséquences de cette situation ne sont pas encore évaluées. Comme
il serait étonnant que cet effet pleiotrope n'existe que dans ces deux circonstances, on
mesure combien l'information objective des couples est difficile, d'autant qu'ils ne sont
pas toujours en mesure de comprendre ce jargon, même édulcoré.
d) ICSI avec spermatides
Indépendamment de l'extrême rareté des cas où on trouve des spermatides, sans
jamais un seul spermatozoïde, dans le liquide séminal, on ne peut pas affirmer
aujourd'hui à un couple que cette technique a fait ses preuves et est sans conséquence.
3. Sur la complication de leur parcours
- La nécessité d'explorations nouvelles : caryotype, diagnostic génétique de
mucoviscidose ;
- l'éventualité dans certains cas d'une amniocentèse et peut-être d'une ITG ;
- l'attitude à adopter en cas d'échec : inscription simultanée au CECOS pour les uns
ou retour éventuel à l'IAD pour les autres.
IV. QUELS SONT LES CHOIX DES COUPLES ?
On pense généralement qu'ils préfèrent évidemment procréer avec leurs propres
gamètes et qu'ils vont tous choisir l'ICSI ; mais les choses ne sont pas si simples et
plusieurs motifs de réticence interviennent : la nature du parcours déjà subi,
l'avancée du travail de deuil, l'éventuelle cohabitation d'enfants issus d'un sperme
d'un donneur ou du sperme du père ; mais les réticences dues à la technique ICSI ou à
ses effets pervers n'existent pratiquement pas ou en tout cas ne sont pas dites. Aussi les
décisions prises par les couples diffèrent-elles en fonction des 4 catégories définies
plus haut.
1. Les nouveaux couples
Ils choisissent tous l'ICSI sans hésitation ; ils n'ont pas subi en général les
différentes étapes de techniques d'AMP, il n'est pas question pour eux de travail de
deuil, convaincus qu'ils sont d'avoir une chance très sérieuse, et pour ce qui est des
éventuels effets indésirables de l'ICSI ils font confiance au corps médical. Un certain
nombre demandent toutefois, et le plus souvent sur le conseil des praticiens, une
inscription au CECOS, de manière à ne pas perdre de temps en cas d'échec, sachant que
la période d'attente des CECOS est très longue.
2. Les couples sur la liste d'attente du CECOS
Environ 80 % d'entre eux choisissent l'ICSI tout en restant par précaution inscrits
sur la liste d'attente et souvent après une période d'hésitation. Ce qui motive cette
réticence ou le refus des autres, c'est essentiellement que le travail de deuil est
précisément en train de se faire et qu'il se trouve contrecarré par la crainte de
nourrir de faux espoirs.
3. Les couples déjà en cours de traitement
La moitié environ reviennent en arrière et optent pour l'ICSI, le plus souvent au
terme d'assez longues discussions. C'est que le travail de deuil est en principe déjà
fait et quelquefois définitivement ; la crainte d'avoir à le refaire en cas d'échec est
déterminante ; d'autant qu'ils ont parfois un long parcours d'AMP, parsemé d'échecs de
FIV classique avant l'IAD et qu'ils ont quelquefois déjà épuisé le quota de leurs 4
tentatives remboursées. S'y ajoute parfois le facteur âge féminin qui peut les
dissuader d'aller faire une digression vers l'ICSI.
4. Les couples faisant une deuxième demande
C'est seulement 25 % d'entre eux qui choisissent l'ICSI et ce sont surtout ceux qui
n'ont pas gardé le secret ou qui envisagent de le lever un jour. Le refus des autres est
motivé essentiellement par les questions qu'ils se posent sur l'éventuelle cohabitation
d'un enfant à eux et d'un autre déjà né issu d'un sperme de donneur : crainte de
n'avoir pas le même comportement avec l'un ou l'autre ; sentiment d'obligation morale de
lever le secret alors qu'ils ne l'envisagent pas.
V. L'INFLUENCE DE L'ICSI SUR L'ACTIVITE DES CECOS
Si on se réfère aux chiffres publiés par la Fédération pour les dernières
années, 94 et 95, on constate que parmi les 2 000 nouvelles demandes c'est à peu près
un tiers, moins de 700, qui relèvent de l'indication d'ICSI. Comme c'est sans doute un
peu plus de la moitié qui obtiendront une grossesse, l'autre moitié reviendra en IAD. On
peut donc augurer qu'à terme il y aura une diminution de 15 à 20 % des demandes. Mais
pour l'instant la diminution est moins nette, elle est de l'ordre de 10 %, car il y a tout
le cumul des couples sur la liste d'attente ou déjà en traitement qui ne choisissent pas
tous de revenir à l'ICSI. Mais il faut y ajouter encore 700 deuxièmes demandes (dont un
tiers est susceptible d'être traité par l'ICSI) dont une minorité seulement opte
actuellement pour l'ICSI. Il est donc raisonnable d'envisager à terme une diminution de
l'activité IAD de l'ordre de 20 à 25 %. Cette réduction ne peut qu'être la bienvenue,
car la diminution régulière du nombre de donneurs à laquelle s'ajoute la contrainte
(non justifiée) de se limiter à 5 enfants par donneur, ne nous permet pas de satisfaire
la demande, tout au moins sans une liste d'attente très longue. Cette diminution est
d'ailleurs sensiblement la même que celle que nous avons observée dans la période
85-90.
CONCLUSION
Dans l'immédiat c'est surtout sur l'information donnée aux couples que devrait porter
l'effort, afin qu'elle soit aussi objective et complète que possible et surtout afin
qu'elle soit cohérente d'un praticien à l'autre ; elle devrait aussi être aussi
personnalisée et non pas mécanique, ce qui peut demander du temps. A noter que nous
prenons quelques libertés avec la loi, puisque nous devrions en la suivant à la lettre
imposer l'ICSI, c'est donc temporairement que nous avons à gérer les cas déjà engagés
dans l'IAD. En tout cas le devoir d'information est évident et il ne peut pas être
question de s'y soustraire.
C. HUMEAU, F. ARNAL, M. CHALET, D. LAUTON ET M.C. CANNAT* Maternité, Hôpital
Arnaud de Villeneuve, Montpellier.
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