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2012 > Obstétrique > Thrombopenie  Telecharger le PDF

Critères de choix de la voie d’accouchement devant une thrombopénie, précautions en per-partum

J. Voluménie

QCM Pré-Test / Choisir la bonne réponse :
Parmi les pathologies suivantes, laquelle (lesquelles) peu(ven)t s’accompagner de thrombopénie fœtale?
  • A.   Purpura thrombopénique idiopathique
  • B.   Purpura thrombotique thrombocytopénique
  • C.   HELLP syndrome
  • D.   Thrombopénie gestationnelle
Parmi les propositions suivantes concernant le purpura thrombopénique idiopathique, laquelle (lesquelles) est (sont) exacte(s)?
  • A.   La thrombopénie maternelle est rarement inférieure à 70000 plaquettes/mm3
  • B.   Les risques fœtaux sont assez bien corrélés au degré de thrombopénie maternelle
  • C.   Les immunoglobulines intraveineuses et les corticoïdes constituent les traitements de 1ère intention en cas de thrombopénie sévère
  • D.   La césarienne limite les risques encourus par le fœtus dans cette pathologie
Parmi les propositions suivantes concernant le HELLP syndrome, laquelle (lesquelles) est (sont) exacte(s)?
  • A.   Les complications du HELLP syndrome sont principalement conséquences de la thrombopénie
  • B.   Le traitement corticoïde à forte dose est validée pour tenter de prolonger la grossesse en cas de HELLP syndrome
  • C.   La profondeur de la thrombopénie constitue un facteur de gravité du HELLP syndrome
  • D.   La chute des plaquettes cesse dès lors que la grossesse est terminée dans le HELLP syndrome

Introduction

La thrombopénie, définie comme un taux de plaquettes < 150000/mm3, affecte 5 à 12% des grossesses [1-7].

Elle répond à des étiologies diverses qui sont à l’origine de risques également différents. Toutefois, le danger commun à toutes les thrombopénies est celui du trouble de coagulation qui pose d’évidents problèmes lors de l’accouchement, période où l’hémorragie menace. La profondeur de la thrombopénie mais aussi sa tendance évolutive [8] constituent des éléments à prendre en considération pour apprécier le risque.

Le risque hémorragique lié à la thrombopénie peut concerner deux individus : la mère chez laquelle la thrombopénie est découverte mais aussi le fœtus et futur nouveau-né chez lequel une thrombopénie liée à la pathologie maternelle peut apparaître en cours de gestation, notamment en cas de purpura thrombopénique idiopathique mais aussi de prééclampsie ou de HELLP syndrome [1]. Les décisions devront prendre en compte dans ces étiologies les deux individus dont les intérêts seront parfois divergents (césarienne potentiellement protectrice d’un nouveau-né à risque de saignement mais plus risquée chez une mère, notamment si la thrombopénie est profonde [9, 10]).

La décision de voie d’accouchement sera donc plus aisée à prendre lorsque le risque de thrombopénie est limité à la mère, plus complexe quand le fœtus est lui aussi concerné. Nous dirons également un mot d’une situation qui sort du cadre strict de cette présentation en évoquant l’alloimmunisation plaquettaire, entité clinique où le risque de thrombopénie est exclusivement fœtal et néonatal avec plaquettes maternelles normales, mais où le choix de la voie d’accouchement du fait de la moindre accessibilité de la numération fœtale pose difficulté.

Il convient de répondre à plusieurs questions :

  1. quelles sont les étiologies de thrombopénie pendant la grossesse ?
  2. quels taux de plaquettes sont compatibles avec un accouchement voie basse en sécurité ? Avec une césarienne ? Avec une analgésie péridurale ?
  3. quelles sont les pathologies où existe un risque de thrombopénie fœtale, quels sont les risques encourus et comment les anticiper ?
  4. quelles sont les pathologies où un traitement avant l’accouchement est susceptible de réduire la thrombopénie, d’améliorer la sécurité de l’accouchement et quelles en sont les modalités ?

Etiologies des thrombopénies de la grossesse

Elles sont multiples mais certaines sont très rares. Le tableau ci-dessous les reprend [8] :

Fausses thrombopénies (agrégation de plaquettes dans le tube)

Thrombopénie gestationnelle (75% des thrombopénies de la grossesse)

Prééclampsie et HELLP syndrome (21% des thrombopénies de la grossesse)

Thrombopénie auto-immune :

Idiopathique (purpura thrombopénique idiopathique, 5% des thrombopénies de la grossesse)

Médicamenteuse (héparine)

Lupus

Syndrome des antiphospholipides (10% des thrombopénies de la grossesse)

VIH

CIVD

Purpura thrombotique thrombocytopénique/syndrome hémolytique et urémique

Déficit en folates

Thrombopénies congénitales, maladie de Willebrand IIb

Maladie intercurrente de la moëlle

Hypersplénisme

Parmi ces étiologies multiples, quatre dominent : la thrombopénie gestationnelle (75% des cas), le HELLP syndrome et la prééclampsie (21%° des thrombopénies gradiviques), le purpura thrombopénique idiopathique (5% des étiologies) [11] et les pathologies auto-immunes types lupus et syndrome des antiphospholipides (10% des thrombopénies [3]) qui peuvent coexister avec un authentique purpura thrombopénique idiopathique. Les autres sont des situations rares, hormis la fausse thrombopénie qui correspond à des agrégats plaquettaires sur lame par anticorps dépendants de l’EDTA (d’où le principe du contrôle d’une thrombopénie sur tubes citratés) [4]. Le syndrome des antiphospholipides et le lupus, en sus de la thrombopénie qui peut les accompagner, (dans 30 à 46% des syndromes des antiphospholipides [1] et dans 26% des lupus [4]) induisent d’autres risques potentiels sur la grossesse.

La grossesse s’accompagne d’une chute de 10% des plaquettes, notamment au 3ème trimestre [1]. Cette diminution est modérée avec des taux de plaquettes en général aux alentours de 110000-120000/mm3, très rarement inférieure à 100000/mm3 [1]. La thrombopénie gestationnelle concerne 5 à 9% des grossesses [8]. Elle est peu vraisemblable en deçà de 70000/mm3 et il paraît raisonnable d’envisager un autre diagnostic si tel est le cas, car la thrombopénie gestationnelle reste un diagnostic d’élimination.

Elle peut s’accompagner de 4% de thrombopénies néonatales ce qui n’est pas différent du taux ce thrombopénie néonatale général [8]. Globalement, cette thrombopénie gestationnelle ne comporte de risque ni pour la mère ni pour l’enfant à naître et l’attitude se doit donc d’être expectative. Le seul souci dans les formes les plus marquées, entre 80 et 100000 plaquettes/mm3 peut être celui de l’analgésie péridurale sur lequel nous reviendrons [12, 13]

Le HELLP syndrome frappe 0,5 à 0,9% des grossesses et est à l’origine d’environ 12% des thrombopénies gravidiques [1]. Il complique 10 à 20% des prééclampsies dont il constitue une forme de gravité. A l’inverse, il peut être isolé, sans HTA ni protéinurie dans 15 à 20% des cas, posant des problèmes délicats de diagnostic différentiel avec d’autres pathologies induites par la grossesse telle la stéatose aiguë gravidique, ou d’autres affections non liées à la gestation mais éventuellement favorisées par elle à l’instar du purpura thrombotique thrombocytopénique.

La profondeur de la thrombopénie constitue un facteur de gravité de la pathologie [14], mais les risques du HELLP ne sont pas majoritairement conséquence de cette thrombopénie (OAP, insuffisance rénale aiguë, hématome sous capsulaire du foie, décollement de rétine, hématome rétroplacentaire) même si elle peut aggraver certains d’entre eux [1]. Nous reverrons quelles thérapeutiques ont pu être tentées pour faciliter le choix de la voie d’accouchement et tenter de prolonger les grossesses atteintes de cette complication dont la guérison est obtenue par la naissance de l’enfant.

Le lupus et le syndrome des antiphospholipides sont des pathologies relativement plus fréquentes chez la femme jeune donc potentiellement chez la femme enceinte. Elles comportent des risques de complications sur le déroulement de la grossesse qui vont bien au-delà de la thrombopénie qui peut les accompagner. La présence d’anticorps auto-immuns classiques du lupus et du syndrome des antiphospholipides peut être constatée dans d’autres pathologies dont il sera largement question telles que le purpura thrombopénique idiopathique sans qu’il n’y ait pour autant de lupus ou de syndrome des antiphospholipides constitués [7]. Le syndrome des antiphospholipides fait courir des risques thrombotiques et de pertes fœtales dont le traitement préventif classique est composé de l’association héparine de bas poids moléculaire – aspirine.

Les risques thrombotiques sont majorés en post-partum alors que l’existence d’une thrombopénie peut rendre délicate la prescription d’anticoagulants si elle est trop profonde. Plus que la voie d’accouchement, le principal problème dans les grossesses compliquées de lupus ou de syndrome des antiphospholipides va être celui de la surveillance fœtale (croissance notamment) et maternelle (thromboses, prééclampsies) et de la fonction d’organes éventuellement atteints par la pathologie (rein en particulier). La thrombopénie ne joue dans ce contexte qu’un rôle relativement anecdotique.

Le purpura thrombopénique idiopathique est une pathologie auto-immune dont l’incidence est de 1 à 2 pour 1000 [4, 5, 6, 15] caractérisée par la production d’anticorps spécifiques de certains épitopes antigéniques plaquettaires tels IIb/IIIa, Ib/IX, Ia/II, IV ou V, impliqués pour certains dans l’adhésion au facteur Willebrand [2]. Toutefois, la production des ces anticorps n’est nullement spécifique du purpura thrombopénique idiopathique [4] et on peut les retrouver dans de nombreuses autres affections, y compris la thrombopénie gestationelle, avec lequel le diagnostic différentiel n’est pas toujours aisé car le purpura thrombopénique idiopathique est aussi un diagnostic d’élimination [9]. A la différence de ce qui est constaté dans la thrombopénie gestationnelle, la thrombopénie du purpura thrombopénique idiopathique apparaît généralement avant le 3ème trimestre de la grossesse même si elle se majore parfois à cette période.

Le purpura thrombopénique idiopathique est souvent connu avant la grossesse (60 à 70% des cas) [9, 16] ce qui simplifie bien entendu le diagnostic différentiel. S’il n’a pu être fait au moment de la grossesse, l’évolution post-partum permettra de trancher, la thrombopénie gestationnelle disparaissant en 2 à 12 semaines après l’accouchement [2]. De même, la profondeur de la thrombopénie (< 70000/mm3) peut orienter vers le purpura thrombopénique idiopathique plutôt que la thrombopénie gestationnelle. La distinction entre les deux entités n’est pas d’intérêt uniquement nosologique car le purpura thrombopénique idiopathique peut, du fait du passage transplacentaire des anticorps anti-plaquettes, induire une thrombopénie fœtale et néonatale parfois sévère (<50000/ mm3) dans 9 à 16% des cas [1, 2, 8, 15]. Les risques d’hémorragie sévère chez les enfants de ces mères avoisinent les 3% et celui d’une hémorragie intra-crânienne, potentiellement lourde de conséquences car grevée d’une létalité de 10 à 15% et de 15 à 30% de séquelles neurologiques sévères reste inférieur à 1% [2, 17]. Les mères elles-mêmes auront des thrombopénies < 50000 plaquettes/mm3 dans 15% des cas [16]. Le choix de la voie d’accouchement permettant de concilier l’intérêt maternel et néonatal sera donc délicat et l’on y reviendra. 

Le purpura thrombotique thrombocytopénique est une microangiopathie thrombotique associant une anémie hémolytique, une thrombopénie, des signes neurologiques (confusion, convulsions, faiblesse, céphalées), fièvre et trouble de la fonction rénale. L’ensemble des signes est rare et la majorité a la triade anémie, thrombopénie, signes neurologiques. La pathogénie du purpura thrombotique thrombocytopénique est liée à l’absence d’enzyme de clivage du facteur Willebrand ADAMTS13 [4]. Il ne s’agit pas d’une pathologie gravidique mais les manifestations peuvent être déclenchées par la grossesse. Le diagnostic différentiel peut être difficile avec le HELLP syndrome ce qui pose problème car le traitement n’est pas du tout le même.

Or la mortalité périnatale de ce syndrome est considérable (32 à 44%) [18] et la mortalité maternelle n’est pas négligeable (jusqu’à 24% dans des séries anciennes, tombée à 9% lorsque le traitement adapté est mis en œuvre) [1, 18]. Des différences biologiques peuvent orienter (augmentation des LDH plus importante dans le purpura thrombotique thrombocytopénique que dans le HELLP, l’inverse pour les ASAT). Le dosage de la métalloprotéinase ADAMTS 13 monte un abaissement marqué dans le purpura thrombotique thrombocytopénique [18, 19] mais celui-ci, bien que moins net, existe aussi dans le HELLP [19] et de plus, ce dosage n’est pas de pratique courante.

L’absence de tout effet thérapeutique des corticoïdes et la persistance des symptômes après la naissance de l’enfant distinguent le purpura thrombotique thrombocytopénique du HELLP syndrome, malheureusement de façon assez tardive [18, 19]. Or le pronostic du purpura thrombotique thrombocytopénique est spectaculairement amélioré par les plasmaphérèses avec 75% de réponses [5].

D’autres thrombopénies peuvent poser problèmes à l’accouchement, telles celles associées à la maladie de Willebrand de type IIb, affection autosomique dominante et donc portée à 50% par le fœtus de la patiente atteinte. Elle se caractérise par une anomalie du facteur VonWillebrand dont l’affinité pour les plaquettes se trouve accrue. La production du facteur Willebrand étant globalement augmentée sous l’influence œstrogénique de la grossesse, la thrombopénie liée à ce facteur anormal s’approfondit [1].

La pathologie est souvent connue dans la famille ce qui en facilite le diagnostic. Les dosages du facteur Willebrand, du facteur VIII et des activités liées au facteur Willebrand sur la coagulation (agrégation à la ristocétine…) permettent de faire le diagnostic. Le traitement repose sur l’administration de facteur Willebrand recombinant [1]. Il existe un risque de saignement fœtal et surtout néonatal dans ces pathologies de l’hémostase (à l’instar de ce qui est constaté pour l’hémophilie) qui ne justifie cependant pas la pratique systématique de la césarienne mais l’éviction des traumatismes à l’accouchement (forceps et surtout ventouses obstétricales, électrodes et mesure de pH au scalp).

Les autres étiologies de thrombopénie sont beaucoup plus rares et leur prise en charge ne sera pas abordée ici d’autant que bien évidemment, les niveaux de preuve étayant d’hypothétiques recommandations dans ces domaines exceptionnels sont faibles [1].

Seuils de plaquettes acceptables pour l’accouchement, la césarienne, la péridurale

Les problèmes posés par la thrombopénie vont se poser réellement lors de l’accouchement. Il existe en effet un défi concernant l’hémostase à ce moment. Durant le reste de la grossesse, le risque de saignement est plus faible et l’on peut considérer que 20000 plaquettes constituent le minimum tolérable en deçà duquel la correction de la thrombopénie s’impose [1]. En revanche au moment de l’accouchement, les minima tolérables évoluent et sont placés par les auteurs généralement, quoique avec des niveaux de preuve assez faibles, à 50000 plaquettes pour un accouchement voie basse, 80000 plaquettes pour une césarienne et 80 à 100000 plaquettes pour une péridurale [3, 4, 8].

Les indications thérapeutiques se déclencheront donc à l’approche du terme pour des taux de plaquettes plus élevés qu’en début de grossesse et la fin de grossesse sera dans bien des cas le seul moment où un tel traitement pourra s’avérer nécessaire. On se souvient que la plus fréquente des thrombopénies de la grossesse est la thrombopénie gestationnelle [3]. On se souvient également que les plaquettes y chutent rarement en deçà de 70000/mm3 [2]. On constate donc que la majorité des problèmes posés par la thrombopénie lors de l’accouchement concerne la réalisation d’une analgésie péridurale, puisque le seuil requis y est le plus élevé (80000 plaquettes aux E.-U., 100000 bien souvent en France [13]). Les exigences en matière de taux de plaquettes pour la réalisation d’une analgésie péridurale tiennent au risque d’hématome péridural, complication rare mais grave, à l’origine de déficits neurologiques parfois définitifs. Il n’existe pas d’examen fiable de l’hémostase permettant de repérer spécifiquement ce risque [12].

Plusieurs séries ont montré la pratique d’analgésies péridurales chez des patientes ayant moins de 100000 plaquettes/mm3 sans accident d’aucune sorte [12, 13, 20]. Des rapports de cas de péridurales posées chez des patientes ayant respectivement 2000 et 26000 plaquettes sans incident ont été rapportés (les chiffres plaquettaires n’étaient pas connus au moment de la pose) [13]. La pratique aux E.-U. lors d’une enquête menée par interrogatoire auprès d’anesthésistes en 1996 montre que 66% des anesthésistes du secteur public et 55% de ceux travaillant en libéral acceptent la pose d’une péridurale dès que les plaquettes dépassent 80000/mm3 [12].

Le problème est que les séries rapportant ces expériences sont courtes. Ainsi une série française rapportant l’expérience de la pose de la péridurale dans le contexte du purpura thrombopénique idiopathique montre la pose sans incident de…6 analgésies péridurales chez 32 patientes ayant moins de 100000 plaquettes à l’accouchement. Et encore, le taux le plus faible de la série des péridurales est …88000/mm3 [13] ! Les effectifs des études montrant la possibilité de poser une péridurale en deçà de 80000 plaquettes/mm3 dans le monde anglo-saxon sont également assez faibles. Or l’issue crainte, l’hématome péridural, est une complication rare. Il est donc peu probable qu’une étude suffisamment dimensionnée puisse répondre de façon totalement claire à la question du seuil minimal admissible à la réalisation d’une péridurale dans un futur proche. Les experts dans le domaine rappellent que la cinétique de la thrombopénie est au moins aussi importante que la valeur absolue du chiffre de plaquettes à l’accouchement [12, 13].

Pathologies susceptibles d’entraîner une thrombopénie fœtale ou néonatale - risques encourus

Parmi les pathologies à l’origine de thrombopénies maternelles, et en excluant les thrombopénies ou anomalies de la coagulation congénitales (maladie de Jean Bernard Soulier, maladie de Willebrand type IIb…), les seules susceptibles d’induire une thrombopénie fœtale sont le purpura thrombopénique idiopathique et le HELLP syndrome. L’incidence de la thrombopénie < 50000 plaquettes/mm3 en cas de purpura thrombopénique idiopathique est de 9 à 15% [1, 2, 8, 15] et est inférieure à 20000 plaquettes/mm3 dans 5% des cas [5]. Dans le HELLP syndrome, une thrombopénie fœtale et/ou néonatale peut être retrouvée dans 15 à 38% des cas [14].

Le risque hémorragique lié à la thrombopénie induite par le purpura thrombopénique idiopathique est somme toute faible, évalué à 3 à 6% [2, 9]. Les saignements constatés sont souvent bénins [9, 16], se limitant à des ecchymoses. Les hémorragies sévères concernent moins de 1% des nouveaux nés [9, 6], et en particulier les hémorragies intra-crâniennes qui font toute la gravité des thrombopénies fœtales et néonatales dans d’autres pathologies (alloimmunisation plaquettaire). La constatation que les risques hémorragiques étaient somme toute réduits chez le nouveau-né malgré une incidence non négligeable de la thrombopénie a conduit à un changement de paradigme dans la gestion de l’accouchement chez les femmes porteuses de purpura thrombopénique idiopathique.

Les risque hémorragiques semblent également réduits chez la femme accouchant, y compris lorsque les taux de plaquettes sont < 50000/mm3. Fujimura [9] a également dans sa large étude nationale japonaise apporté une précision supplémentaire qui pèse sur la décision vis-à-vis de la voie d’accouchement, à savoir que le risque hémorragique en deçà de 50000 plaquettes était identique à celui des femmes ayant davantage de plaquettes lors des accouchements par voie basse mais est en revanche supérieur lors des accouchements par césarienne à moins de 50000 plaquettes.

L’attitude classique à l’époque où la thrombopénie fœtale effrayait les pédiatres et les obstétriciens était dérivée de la pratique observée dans les alloimmunisations plaquettaires à savoir privilégier la césarienne dans l’idée que l’accouchement voie basse était plus sûr vis-à-vis du risque d’hémorragie intra-crânienne (ce qui semble être le cas en présence d’une alloimmunisation plaquettaire [21]). Le problème était de sélectionner les fœtus à risque de présenter une thrombopénie sévère. Or il est apparu rapidement au fil des études qu’aucun paramètre maternel n’était corrélé à la survenue d’une thrombopénie fœtale ou néonatale [1-5, 8-10, 15]. Ont été analysés notamment en tant que facteurs prédicteurs de la thrombopénie fœtale :

  • Le taux de plaquettes maternelles que ce soit à l’accouchement, en début de grossesse ou au point le plus bas de la concentration
  • Les éventuels traitements maternels pendant la grossesse (corticoïdes, immunoglobulines intraveineuses) et la réponse maternelle au traitement en terme de taux de plaquettes
  • La découverte du purpura thrombopénique idiopathique pendant la grossesse ou avant la grossesse
  • Le taux d’anticorps anti-plaquettes

Aucun de ces éléments n’offre la moindre indication exploitable sur le taux de plaquettes fœtales. Les seuls éléments anamnestiques susceptibles d’apporter une indication (mais très imprécise) sur le taux de plaquettes fœtales sont la naissance d’un enfant précédent thrombopénique [2, 3, 6, 15, 16] et éventuellement l’antécédent de splénectomie [2, 9], bien que ce lien soit contesté par d’autres auteurs [8, 15]. En conséquence, la seule technique permettant de connaître le taux de plaquettes est la ponction de sang fœtal ou éventuellement les prélèvements au scalp. Ce geste n’est pas dénué de risques, en particulier chez des enfants potentiellement thrombopéniques (découverte dans une série de 7% d’enfants thrombopéniques par la ponction de sang fœtal au prix de 4,6% de complications sévères lors du geste, notamment des bradycardies justifiant des extractions rapides [9, 10]). La pratique de prélèvements au scalp pour détermination des plaquettes durant le travail est peu fiable, avec une spécificité douteuse du fait de phénomènes d’agrégation des plaquettes dans des échantillons d’aussi faible volume [1, 3, 4]. Sans compter le danger potentiel des scarifications au scalp chez des fœtus virtuellement thrombopéniques. Il n’y donc aucun moyen dans le purpura thrombopénique idiopathique de déterminer le taux de plaquettes fœtales de façon non invasive.

Constatant cette incertitude, le problème est de savoir s’il y a un risque majeur à autoriser la voie basse chez un fœtus potentiellement thrombopénique dans le contexte du purpura thrombopénique idiopathique. Si tel était le cas, il faudrait se résoudre à proposer la césarienne à toutes les femmes présentant un purpura thrombopénique idiopathique, alors que le risque de complications liée à l’intervention semble majorée chez elles [9, 10].

Dès 1997 [10], on montrait que sur 4 fœtus thrombopéniques, deux nés par voie basse, deux par césarienne, le seul saignement grave (hémorragie intra-crânienne) était constaté chez un des fœtus né par césarienne et avec un taux de plaquettes de 83000 à la naissance (puis 4000 à J4). Webert [16] dans sa série rétrospective canadienne retrouvait 10,1% de thrombopénies néonatales graves < 50000 plaquettes (119 grossesses analysées) et constate une hémorragie sous épendymaire chez un nouveau-né dont le taux de plaquettes n’a jamais été inférieur à 135000 et une mort in utero possiblement hémorragique chez le fœtus d’une mère porteuse d’une thrombopénie sévère.

Le taux de césarienne dans la population étudiée était de 17,6% Au Japon [9] (286 grossesses), 22,6% d’enfants avaient moins de 100000 plaquettes et aucune hémorragie grave parmi eux. Le taux de césarienne était de 24,8%. Il apparaît donc :

  • Qu’il n’y a pas de corrélation claire entre taux de plaquettes néonatales et accidents hémorragiques
  • Que la voie basse n’a en aucune façon démontré qu’elle était associée à un surcroît de risque hémorragique chez le nouveau-né [1, 2, 4, 8]

Il est en conséquence inutile et dangereux de chercher à connaître le taux de plaquettes fœtales pour choisir la voie d’accouchement des mères atteintes de purpura thrombopénique idiopathique et la voie basse ne saurait être refusée au seul motif du purpura thrombopénique idiopathique [1], sauf antécédents chargés sur des grossesses précédentes

Etant donné le risque théorique de saignement majoré chez ces enfants, les procédures invasives lors de l’accouchement (électrodes de scalp, prélèvements au scalp) sont déconseillées [8]. Toutefois, certains auteurs n’hésitent pas à appliquer forceps et mêmes ventouses sur de tels enfants sans conséquences fâcheuses [15].

Le risque maximal de saignement pour le nouveau-né de mère porteuse de purpura thrombopénique idiopathique survient lors du nadir des plaquettes, habituellement à J1--J5 post natal [1, 2, 8, 16]. La pratique du contrôle des plaquettes au cordon à la naissance doit être systématique [2, 4]. En cas de thrombopénie < 50000 et a fortiori < 20000, certains [4] préconisent une imagerie cérébrale systématique pour les nouveau-nés, d’autres [3] ne retrouvant pas de seuil de plaquettes en deçà duquel il convient de proposer ces examens iconographiques.

Le HELLP syndrome peut s’accompagner de thrombopénie fœtale [14]. L’essentiel de la morbidité des enfants nés dans un contexte de HELLP syndrome est toutefois imputable à la prématurité induite et à l’éventuelle hypotrophie, plus fréquente dans ce contexte vasculaire. Il ne semble pas qu’à âge gestationnel égal et à poids comparable les enfants nés après HELLP syndrome souffrent d’une morbidité spécifique par rapport à d’autres enfants nés prématurément. La thrombopénie ne semble pas accroître la morbidité observée [14].

Bien qu’hors du cadre strict des critères de choix de la voie d’accouchement devant une thrombopénie maternelle puisque thrombopénie maternelle il n’y a pas dans cette pathologie, il faut évoquer les difficultés de la gestion de la naissance des fœtus dans le cadre de l’alloimmunisation plaquettaire. Il s’agit en effet de la cause de thrombopénie sévère du nouveau-né et du fœtus la plus fréquente, atteignant en population caucasienne 1 grossesse sur 800 à 2000 [17, 22]. Le plus communément dans les populations blanches, l’immunisation a lieu contre les antigènes plaquettaires HPA-1a portés par plus de 98% de la population. Les mères homozygotes HPA-1bb peuvent développer des anticorps anti HPA-1a dès leur 1ère grossesse, 25% des immunisations se déroulant pendant la grossesse et 75% à l’accouchement [23].

La coexistence d’un groupe HLA particulier semble favoriser très largement l’apparition d’une allo-immunisation symptomatique (HLA DRB3*0101), 90% des femmes immunisées étant porteuses de cet antigène HLA, ainsi que l’intégralité de celles ayant donné naissance à un fœtus thrombopénique [23]. Cela étant, l’association du groupe plaquettaire HPA-1bb et de l’antigène HLA DRB3*0101 sont des conditions nécessaires mais pas suffisantes au développement de l’alloimmunisation plaquettaire puisque seules 35% des femmes associant ces deux paramètres vont développer des anticorps anti-HPA-1a [23].

La gravité de la pathologie est liée au risque d’hémorragie intra-crânienne qui survient dans 7 à 30% des cas d’alloimmunisation [17, 21, 23] (contre on le rappelle moins de 1% des purpuras thrombopéniques idiopathiques), avec une létalité de 10-15% et des possibilités de séquelles définitives chez les survivants dans 15 à 30% des cas [17]. Ces hémorragies peuvent intervenir dans 80% des cas in utero et dans 40% des cas avant 30 SA [17] si bien que le problème de l’accouchement n’est pas le seul. Contrairement à ce qui se passe dans le purpura thrombopénique idiopathique, la concentration des anticorps anti-plaquettes semble prédictive du risque de thrombopénie néonatale [17, 22, 23] encore que selon les auteurs, le lien existe uniquement pour les taux d’anticorps avant 28 SA [22] ou avec les taux d’anticorps quel que soit le terme [23].

La concentration des anticorps anti-HPA-1a prédit la thrombopénie néonatale < 50000/mm3 avec une sensibilité de 81,2% et une spécificité de 83,3%. La valeur prédictive négative n’est que de 76,9% ce qui signifie que le taux d’anticorps anti-HPA-1a inférieur au seuil retenu n’élimine pas une thrombopénie sévère dans près d’un quart des cas où elle surviendra [22]. Il n’existe pas semble-t-il de rapport entre l’importance de la thrombopénie chez deux enfants d’une même fratrie [21], ni entre importance de la thrombopénie et parité de la patiente [21] alors qu’on aurait pu penser que les multipares étaient davantage immunisées que les primipares. L’antécédent d’enfant atteint et de grossesses antérieures augmenteraient le risque d’échec thérapeutique cependant [22].

Le traitement de l’alloimmunisation est proposé lorsque le diagnostic est connu, c’est-à-dire actuellement faute de dépistage essentiellement en prévention secondaire après un premier accident. Le traitement consiste en l’administration dès 16-18 SA d’immunoglobulines intraveineuses à 1 g/kg/semaine et ce jusqu’au terme car l’arrêt prématuré semble accroître le risque de thrombopénie fœtale [17, 22]. L’adjonction de corticoïdes semble augmenter l’efficacité thérapeutique [22] mais leur administration au long cours fait courir certains risques (prématurité, diabète maternel, HTA) si bien qu’on les associe plutôt au 3ème trimestre (à partir de 30 SA), à raison de 0,5 mg/kg/j. Le taux de thrombopénie < 50000 passe de 82% sans traitement à 27% avec un traitement associant immunoglobulines intraveineuses et corticoïdes [22].

L’utilisation de la ponction de sang fœtal pourrait servir à contrôler l’efficacité thérapeutique (pour ajouter éventuellement des corticoïdes aux immunoglobulines intraveineuses) et déterminer la voie d’accouchement (dans l’hypothèse où la voie basse augmenterait le risque d’hémorragie intra-crânienne en cas de thrombopénie profonde). Toutefois on l’a vu, le geste est dangereux et dans une série de l’équipe de Kaplan [17] ne servit qu’une fois sur 23 patientes à adapter le traitement pendant la grossesse. Dans la même série, 5 ponctions de sang fœtal furent pratiquées dans le but de déterminer si le taux de plaquettes autorisait l’accouchement voie basse pour aboutir à cinq césariennes…en dépit de trois résultats > 500000 plaquettes/mm3 à la cordocentèse ! De plus, l’une des césariennes fut indiquée pour bradycardie profonde après la ponction de sang fœtal [17]. Il semble donc que la ponction de sang fœtal ne soit pas d’in intérêt considérable dans la gestion des thrombopénies allo-immunes.

Le choix d’ajouter on non des corticoïdes aux immunoglobulines intraveineuses pourrait être décidé sur l’importance des antécédents obstétricaux (profondeur de la thrombopénie chez le dernier enfant) voire sur les taux d’anticorps anti-HPA-1a [17].

Le dépistage de l’alloimmunisation plaquettaire fait l’objet d’un débat âpre [23] Certaines équipes scandinaves notamment ont tenté un dépistage à grande échelle sur 100448 femmes avec recherche du phénotype HPA et en cas d’absence de portage de l’allèle HPA-1a, une recherche du HLA DRB3*0101 et des anticorps anti-HPA-1a toutes les 4 semaines. Les patientes porteuses d’anticorps anti-HPA-1a bénéficiaient d’une césarienne systématique à 38 ou 39 SA et d’une transfusion plaquettaire HPA-1bb immédiate en cas de thrombopénie <35000 au cordon.

Cette politique comparée aux résultats néonatals de la littérature réduisait le risque d’hémorragie intra-crânienne (OR = 0,27 [0,08-0,92]) [21]. Des espoirs thérapeutiques d’immunomodulation par la vaccination, la neutralisation des anticorps ou l’induction d’une tolérance immune maternelle vis-à-vis des antigènes HPA-1a pourrait rendre le dépistage encore plus intéressant [23]. L’administration dans un premier temps d’immunoglobulines intraveineuses, traitement de 1ère ligne consensuel [17], concernerait les patientes HPA-1a négatives avec antécédent de thrombopénie néonatale [23]. Avant la mise à disposition des traitements immunomodulateurs, le repérage des patientes à risque permettrait traitement par immunoglobulines intraveineuses +/- corticoïdes [22] et éventuellement la césarienne programmée [21] vers 38-39 SA (malgré l’augmentation de risque de détresse respiratoire, d’hypoglycémie liées à une relative prématurité constatée chez 21,5% des nouveau-nés dans l’étude Kjeldsen [21]).

A défaut de diminuer le risque d’hémorragie intra-crânienne (car aucune étude de fort niveau de preuve n’étaye ce présupposé), la césarienne présente l’intérêt de mieux programmer la naissance et l’éventuelle transfusion de plaquettes au nouveau-né qui pourrait s’avérer nécessaire [21]. La césarienne contrairement à ce qui était observé dans le purpura thrombopénique idiopathique, ne fait pas courir de risque supplémentaire à une mère qui n’a pas de thrombopénie dans cette entité.

  • En conclusion, l’alloimmunisation plaquettaire est une pathologie non exceptionnelle exposant le fœtus à des complications hémorragiques graves. Le traitement par immunoglobulines intraveineuses +°/- corticoïdes (notamment en cas d’antécédent néonatal grave à l’issue de la grossesse précédente), semble réduire l’incidence des thrombopénies sévères [17]. La ponction de sang fœtal, aussi dangereuse qu’assez peu utile, perd de ses indications. Le problème de la voie d’accouchement n’est pas encore tranché de façon incontestable mais la rareté de la pathologie associé à sa sévérité potentielle font pencher la balance en faveur de la pratique de la césarienne de précaution.

Quelles thrombopénies peuvent faire l’objet d’un traitement avant la naissance ?

Le purpura thrombopénique idiopathique peut faire l’objet d’une prise en charge médicamenteuse, destinée essentiellement à traiter la thrombopénie maternelle car il n’y a pas de corrélation entre le taux de plaquettes fœtales et le traitement reçu par la mère durant la grossesse [15]. Les traitements du purpura thrombopénique idiopathique ne sont pas spécifiques de la femme enceinte mais en revanche certains traitements utilisés hors grossesse devront être évités durant la gestation en raison du risque fœtal tératogène ou mutagène induit.

Le traitement de 1ère ligne est corticoïde [1, 2, 4, 8]. Le choix se porte sur les corticoïdes non fluorés passant peu la barrière placentaire (prednisone, prednisolone) [8], en démarrant à 1 mg/kg/j.

L’usage au 1er trimestre a pu être rendu responsable de malformations (fente labio-palatine) [4] mais le risque est discuté et semble faible. Les indications thérapeutiques sont toutefois rares au 1er trimestre (plaquettes < 10000/mm3) [3] ce qui simplifie le problème. Le traitement corticoïde peut également engendrer s’il est prolongé et à forte dose des complications à type de diabète, d’hypertension voire de rupture prématurée des membranes, de gain pondéral et de perte osseuse [1]. Pour cette raison, la dose doit être réduite sitôt le chiffre des plaquettes au dessus de 30000 pendant la grossesse, de 50000 à l’accouchement [1, 8]. La nécessité de maintenir des doses élevées (> 7,5 mg par jour) pour maintenir le taux de plaquettes souhaité doit faire considérer le recours à une thérapeutique de 2ème ligne, en particulier les immunoglobulines intraveineuses [8].

L’action des corticoïdes est généralement observable en 3 à 7 jours avec un maximum à 2-3 semaines, avec 75% d’efficacité [2], mais est plus lente que celle des immunoglobulines intraveineuses [2, 5] qui seront donc préférées en cas de thrombopénie profonde à l’approche de l’accouchement.

Les immunoglobulines intraveineuses sont administrées à raison de 0,4 à 2 g/kg/j pendant 2 à 5 jours. L’action est perceptible en 2 à 3 jours [2, 8]. La réponse est obtenue dans 80% des cas [8]. L’action est cependant transitoire, conduisant à répéter des cures somme toute onéreuses [5]. En cas d’échec, d’autres thérapeutiques sont envisageables pour permettre d’atteindre le seuil plaquettaire compatible au déroulement en sécurité de l’accouchement. Les bolus de Solumédrol [8, 4], les anti-D [1, 2] qui vont saturer le système réticulo-endothélial responsable de l’élimination des plaquettes opsonisées grâce aux érythrocytes eux-mêmes opsonisés, au prix d‘une anémie modérée peuvent être utilisés.

Les immunosuppresseurs sont des traitements classiques des formes rebelles hors grossesse mais à utiliser avec discernement chez la femme enceinte en raison de la toxicité fœtale [1, 8], encore que l’azathioprine ne soit pas métabolisée au niveau fœtal faute de l’enzyme nécessaire [1, 2]. La ciclosporine est également relativement anodine [1]. Le cyclophosphamide est clairement tératogène et doit être proscrit en tout cas au 1er trimestre [2].

La splénectomie (la rate étant le site de destruction des plaquettes) est un procédé thérapeutique utilisé hors grossesse dans les formes sévères et rebelles au traitement corticoïde. Elle peut être proposée durant la grossesse, généralement préférentiellement au 2ème trimestre, limitant le risque de fausse couche accru en cas d’intervention au 1er trimestre et les difficultés d’accès chirurgical du troisième trimestre. [1, 2, 8]. Elle permet de réduire la thrombopénie maternelle mais n’influe pas sur la thrombopénie fœtale, voire pourrait même selon certains (mais pas tous) constituer un facteur de risque de baisse des plaquettes fœtales [2].

D’autres thérapeutiques expérimentales encore sont possibles mais pas encore validées chez la femme enceinte, tel l’anticorps monoclonal rituximab [2] qui réduirait hors grossesse la nécessité de recours à la splénectomie. Les stimulants de la thrombopoïèse (romiplostim et eltrombopag) sont théoriquement efficaces mais sans aucune information à l’heure actuelle sur leur utilisation durant la grossesse [1, 4].

Les indications thérapeutiques du purpura thrombopénique idiopathique durant la grossesse sont résumées dans le tableau ci-dessous [3] :

Indications thérapeutiques (en 1ère intention par corticoïdes)

Plaquettes < 10000/mm3

Plaquettes entre 10 et 30000/mm3 au 2ème ou 3ème trimestre

Saignement

Immunoglobulines intraveineuses

1ère ligne si plaquettes < 10000/mm3 au 3ème trimestre

1ère ligne si plaquettes entre 10 et 30000 avec saignements

Après échec des corticoïdes si plaquettes < 10000/mm3

Après échec des corticoïdes si plaquettes entre 10 et 30000 et saignement

Après échec des corticoïdes si plaquettes entre 10 et 30000 au 3ème trimestre, même sans symptômes

Splénectomie

Au 2ème trimestre, si plaquettes < 10000/mm3, si saignements

Taux de plaquettes de sécurité pour accouchement

50000/mm3 (80000/mm3 pour péridurale et césarienne)

Les transfusions plaquettaires ne sont justifiées qu’en cas d’hémorragies menaçantes, en aigü. Elles doivent être proscrites pour traiter une simple thrombopénie [8].

Le traitement permettra donc d’aborder la phase de l’accouchement en sécurité. On a vu que celui-ci pourra se faire par voie basse sauf indication obstétricale sans contrôle préalable des plaquettes fœtales qui seront en revanche mesurées dès la naissance au cordon et surveillées durant la 1ère semaine de vie de l’enfant.

Le HELLP syndrome peut lui aussi faire l’objet d’un traitement anténatal destiné à sécuriser la prise en charge, voire, mais cela est beaucoup plus débattu, à prolonger la grossesse dans l’espoir d’obtenir un gain en maturité du fœtus dont la naissance permettra d’entamer le processus de guérison maternelle.

En matière de HELLP syndrome, la meilleure option en terme de sécurité est a priori la naissance rapide de l’enfant, idéalement par voie basse lorsque les conditions le permettent, solution moins risquée que la césarienne du point de vue du risque hémorragique. Ce doit être le choix thérapeutique après 34 SA [14]. Avant ce terme, la préparation à la vie extra-utérine du fœtus peut être favorisée par l’administration d’une cure de 48h de corticoïdes fluorés (bétaméthasone généralement). Ce doit être l’option privilégiée entre 27 et 33 SA, si l’évolution maternelle permet de disposer de ce temps (mais elle le permet souvent ce d’autant que les corticoïdes sont susceptibles d’améliorer la thrombopénie maternelle).

Avant 27 SA, étant donné l’importance de la prématurité, certains ont tenté d’obtenir une prolongation de la grossesse au moyen de traitements corticoïdes à forte dose (dexaméthasone 10 mg/12h). Un essai randomisé publié en 2005 [24] incluant 132 patientes et visant à établir l’intérêt d’un traitement par corticoïdes à forte dose pour raccourcir la durée d’hospitalisation en cas de HELLP syndrome par rapport à la prise en charge classique retrouvait une diminution non significative de cette durée de séjour entre corticoïdes et placebo. Les autres paramètres, notamment la rapidité de récupération biologique et la survenue de complications, n’étaient absolument pas différents dans le bras corticoïdes. La conduite à tenir préconisée est donc d’administrer une cure de corticoïdes à visée de maturation pulmonaire et éventuellement améliorant la thrombopénie maternelle puis de procéder à l’accouchement dans les 24 à 48h suivant la fin de la cure [14].

Il n’y a pas d’essai randomisé afin de définir le choix optimal de la voie d’accouchement. Les patientes ayant une thrombopénie légère (entre 100 et 150000 plaquettes) peuvent bénéficier d’un déclenchement si les conditions sont favorables. Pour les autres, les délais d’obtention d’un accouchement voie basse sont souvent excessifs par rapport à la marche du HELLP syndrome [14]. La thrombopénie du HELLP peut s’aggraver en post-partum et le risque d’œdème aigu du poumon pourrait même être supérieur lors des HELLP post- qu’ante-partum. Là encore, l’utilisation des corticoïdes à haute dose dans le but d’améliorer la récupération semble décevante dans un essai randomisé s’intéressant à cet aspect de la prise en charge [25].

Conclusion

La thrombopénie est une complication relativement fréquente de la grossesse (5 à 12%) et le plus souvent bénigne. La thrombopénie gestationnelle représente l’essentiel des causes et ne nécessite aucune précaution particulière à l’accouchement puisque le taux de plaquettes y est généralement supérieur à 70000/mm3. Seule la pratique de l’analgésie péridurale peut être entravée encore que de nombreuses équipes s’aventurent sans trop de problèmes à accepter la réalisation de cette technique en deçà des 100 000 plaquettes classiquement requises en France.

Le HELLP syndrome et la prééclampsie sont la deuxième cause. Il n’y a pas de prise en charge spécifique de la thrombopénie du HELLP syndrome hormis l’arrêt de la grossesse, les corticoïdes n’ayant pas fait la preuve de leur efficacité préventive des complications du HELLP. Ils gardent donc leur seule indication de maturation pulmonaire fœtale. La prise en charge du HELLP ne se limite bien entendu pas à celle de la thrombopénie (HTA, risque d’éclampsie).

Le purpura thrombopénique idiopathique est une pathologie répandue (1 à 2 grossesses sur 1000) où la thrombopénie et son importance occupe la place centrale des préoccupations (hormis les cas associés à des anti-phospholipides). Malgré des thrombopénies parfois inquiétantes < 50000 plaquettes/mm3 tant chez les mères (dans 15% à 25% des cas) que chez les nouveau-nés (dans 9 à 16% des cas), le risque de saignement apparaît minime tant chez la mère que l’enfant. Des mesures thérapeutiques sont préconisées chez les mères pour obtenir des taux de plaquettes plus sécurisants (si possible > 50000/mm3). Aucune mesure préventive ne semble être efficace et sans danger pour le fœtus dont l’accouchement doit être géré sans tenir compte de la thrombopénie potentielle, si ce n’est en évitant les traumatismes inutiles. La surveillance doit en revanche être rapprochée pendant la 1ère semaine de vie et un traitement instauré en cas de chute profonde des plaquettes ou de saignement.

L’alloimmunisation plaquettaire ne s’accompagne pas de thrombopénie maternelle mais en revanche souvent d’une thrombopénie fœtale extrêmement sévère (73% en deçà de 20000 plaquettes sans traitement [17]) avec un risque d’hémorragie grave dans 7 à 30% des cas. La sévérité du tableau impose lorsque l’immunisation est connue des mesures prophylactiques médicamenteuses dont l’efficacité, quoique nette, est incomplète et des précautions particulières à l’accouchement, conduisant certains à prôner la césarienne de principe en cas d’antécédent sévère [23]. Le dépistage est encore débattu mais la discussion pourrait être relancée lorsque de nouvelles modalités thérapeutiques seront opérationnelles.

D’autres causes de thrombopénie existent, généralement plus rares et pouvant nécessiter des traitements spécifiques. En général, au dessus de 50000 plaquettes/mm3, le risque hémorragique à l’accouchement n’apparaît guère augmenté et les thérapeutiques ne doivent être envisagées, allant jusqu’à la transfusion plaquettaire, qu’en deçà de ce seuil.

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QCM Post-Test/ Choisir la bonne réponse :
Parmi les pathologies suivantes, laquelle (lesquelles) peu(ven)t s’accompagner de thrombopénie fœtale?
  • A.   Purpura thrombopénique idiopathique
  • B.   Purpura thrombotique thrombocytopénique
  • C.   HELLP syndrome
  • D.   Thrombopénie gestationnelle
Parmi les propositions suivantes concernant le purpura thrombopénique idiopathique, laquelle (lesquelles) est (sont) exacte(s)?
  • A.   La thrombopénie maternelle est rarement inférieure à 70000 plaquettes/mm3
  • B.   Les risques fœtaux sont assez bien corrélés au degré de thrombopénie maternelle
  • C.   Les immunoglobulines intraveineuses et les corticoïdes constituent les traitements de 1ère intention en cas de thrombopénie sévère
  • D.   La césarienne limite les risques encourus par le fœtus dans cette pathologie
Parmi les propositions suivantes concernant le HELLP syndrome, laquelle (lesquelles) est (sont) exacte(s)?
  • A.   Les complications du HELLP syndrome sont principalement conséquences de la thrombopénie
  • B.   Le traitement corticoïde à forte dose est validée pour tenter de prolonger la grossesse en cas de HELLP syndrome
  • C.   La profondeur de la thrombopénie constitue un facteur de gravité du HELLP syndrome
  • D.   La chute des plaquettes cesse dès lors que la grossesse est terminée dans le HELLP syndrome

Jean-Luc VOLUMENIE – CHU de Fort de France, Martinique