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2012 > Pédiatrie > Nutrition  Telecharger le PDF

Nutrition pédiatrique : des progrès aux excès

P. Tounian

QCM d’évaluation Post-Test
QCM 1: Cochez la réponse juste

1.     L’âge de la diversification doit être différé après l’âge de 6 mois chez les nourrissons à risque atopique.

2.     Les fruits à coque et l’arachide ne doivent pas être introduits dans l’alimentation des nourrissons à risque atopique avant l’âge d’un an.

3.     Le principal intérêt des laits de croissance est leur supplémentation en fer.

4.     Les laits de croissance sont le vecteur le moins onéreux pour donner du fer absorbable aux enfants.

QCM 2 : Cochez la réponse juste

1.     La consommation de protéines a crû chez le nourrisson au cours des dernières décennies.

2.     Aucun effet délétère de l’excès de protéines n’a été formellement objectivé.

3.     L’excès de sucres durant l’enfance augmente le risque d’obésité ultérieur.

4.     La prévention de l’obésité à l’école a démontré son efficacité.

Abstract

In pediatric nutrition progress may lead to excess. Timing of the first introduction of solid food has been more and more delayed during past decades. We know now that all complementary food can be introduced between 4 and 6 months of age. The use of growing-up milks in toddlers is controversial. However, reduction of infant formulas consumption increases the risk of iron deficiency, which could only be avoided by growing-up milk. Cow’s milk protein allergy is better diagnosed. It is however regrettable that some practitioners recommend inadequate formulas elaborated from vegetable without respect of the European guidelines to treat these infants.

After introduction of complementary foods, protein intakes are almost always higher than the recommended needs, but no deleterious effects have been demonstrated. Excess of sweetened foods should be avoided to prevent deficiencies, but it does not increase the risk of further preference to sweet taste. All preventive interventions to prevent childhood obesity have dramatically failed. Moreover, this preventive approach may increase discrimination of obese children and induce eating disorders in the larger number of non-predisposed children. Childhood obesity prevention strategies should be differently thought up.

Introduction

La nutrition pédiatrique a connu un essor considérable au cours des dernières décennies. Cette évolution a fait disparaître bien des carences chez l’enfant et a peut-être contribué à améliorer la croissance staturale des nouvelles générations. Mais comme souvent, l’enthousiasme a débordé et ces progrès ont entraîné quelques excès. L’objectif de cet article est de développer les principales dérives dans ce domaine.

Age de la diversification de l’alimentation

Jusqu’au début du XXe siècle, l’alimentation du nourrisson était quasi exclusivement lactée pendant au moins la première année de vie et souvent au cours de la deuxième année. Dans les années 1920, une introduction des aliments solides a été proposée vers l’âge de 6 mois et, devant les résultats encourageants obtenus en termes de prise de poids et de résistance aux infections, la diversification de l’alimentation des nourrissons a été de plus en plus précoce au cours des décennies suivantes. Ainsi, dans les années soixante-dix, quatre-vingt, une enquête montrait que les nourrissons français étaient diversifiés vers l’âge de 2,5 - 3 mois, alors qu’ils l’étaient en moyenne vers 4-6 mois dans les autres pays européens.

Au cours des années quatre-vingt-dix, les recommandations se sont multipliées pour repousser l’âge de la diversification à au moins 4 mois et, au mieux, 6 mois révolus. Dans un second temps, s’y sont ajoutés des conseils spécifiques pour les nourrissons ayant un terrain atopique familial. Chez ceux-là, il fallait non seulement attendre impérativement 6 mois pour débuter la diversification, mais de surcroît, l’introduction des aliments réputés comme étant potentiellement les plus allergéniques devait être différée.

Ainsi, l’œuf, le poisson, les crustacés, les fruits exotiques et le céleri ne devaient pas être donnés avant l’âge d’un an, alors que les fruits à coques (noix, noisettes, amandes) et l’arachide devaient être repoussés au-delà de 3 ans. Ces recommandations étaient sous-tendues par quelques travaux isolés qui semblaient montrer que la survenue de manifestations allergiques chez les enfants à risque atopique était d’autant moins fréquente que les allergènes potentiels qu’ils ingéraient l’avaient été tardivement.

Mais, au grand désarroi de tous les professionnels de santé qui se sont évertués pendant des années à éduquer les familles pour leur transmettre ces recommandations, il s’avère qu’elles sont partiellement incorrectes. En effet, elles avaient été édictées un peu hâtivement alors que peu d’études les étayaient. De nombreux travaux ultérieurs ont effectivement suggéré que l’introduction trop tardive des aliments les plus allergéniques semblaient au contraire augmenter le risque de survenue de manifestations allergiques chez les enfants ayant un terrain atopique familial, ou tout au moins ne pas les prévenir [1].

L’hypothèse avancée était une espèce de tolérance immunitaire induite par l’introduction en quantités progressivement croissantes de ces allergènes, et ceci d’autant plus que leur potentiel antigénique est élevé. Cependant, dans la mesure où l'âge d'introduction des aliments n'est pas randomisé dans ces travaux, certains ont émis des réserves sur la légitimité d'une telle conclusion. On peut en effet imaginer que ces résultats traduisent simplement la volonté des familles les plus atopiques - dont les enfants auront, quelles que soient les modalités préventives, plus de manifestations allergiques - à reculer davantage que les autres l’âge de la diversification.

Des travaux prospectifs et randomisés sont donc encore nécessaires pour confirmer l’hypothèse selon laquelle l’introduction précoce des aliments les plus allergéniques a plutôt un rôle protecteur dans la survenue de manifestations allergiques. Quoiqu’il en soit, il semble n’y avoir aucun bénéfice à repousser à l’excès l’introduction des aliments, notamment les plus allergéniques, chez les nourrissons à risque. Il reste cependant nécessaire de ne pas diversifier trop tôt l’alimentation des nourrissons, non pas tant pour les risques allergologiques encourus, mais en raison des carences nutritionnelles qu’une telle attitude pourrait entraîner.

La recommandation actuelle est donc de diversifier l’alimentation des nourrissons entre 4 et 6 mois révolus, qu’ils aient ou pas un terrain atopique familial [2]. Aucun aliment particulier ne doit avoir d’introduction différée. Il est même possible que les travaux futurs confirment l’intérêt préventif sur les risques allergiques d’une introduction impérativement précoce des aliments à fort potentiel antigénique chez les nourrissons à risque. Il faut cependant bien retenir que, quel que soit l’âge de la diversification, il est capital que le lait de mère ou les laits infantiles demeurent l’aliment de base des nourrissons jusqu’à l’âge d’un an. Préconiser la possibilité d'une diversification dès 4 mois révolus ne signifie pas qu’il faille rapidement remplacer le sein ou les biberons par des purées de légumes-viandes.

Laits de croissance

Les progrès considérables dans la fabrication des laits infantiles permettent aujourd’hui de bien moins pénaliser les nourrissons non allaités au sein. Parmi les améliorations apportées au cours des dernières décennies, les laits de croissance méritent une place particulière. La France a en effet été le premier pays à les créer il y a environ 20 ans. Leur intérêt principal réside dans leur enrichissement en fer, mais ils sont également supplémentés en acides gras essentiels et en vitamine D, et appauvris en protéines.

Pour tous les experts français, la création de ces laits de croissance a été un véritable progrès pour assurer les besoins en fer après l’âge d’un an. Pourtant, le Collège national des généralistes enseignants a récemment publié un communiqué de presse contestant l'intérêt de ces laits de croissance qu’ils considèrent comme un pur produit commercial. S’agit-il donc d’un réel progrès ou est-ce au contraire le fruit des excès de l’industrie du lait ? Analysons les arguments des généralistes pour répondre à cette interrogation.

Ils ont raison lorsqu'ils affirment que les laits de croissance sont actuellement peu utilisés dans les autres pays occidentaux. Mais ils ignorent probablement que la plupart d'entre eux sont en train de développer le marché des "Growing up milk", équivalents de nos laits de croissance. Il n'est bien sûr pas impossible que cette idée soit en partie sous-tendue par des arguments commerciaux, mais il serait malhonnête de penser qu'il n'existe pas également une réelle volonté de prévenir les carences martiales du jeune enfant. Ils ont également en partie raison lorsqu'ils avancent qu'aucune donnée scientifique ne montre de bénéfice lié à la supplémentation en fer de ces laits. Il est vrai qu’aucune étude randomisée et contrôlée n’a été réalisée pour démontrer que les carences martiales étaient plus rares chez les enfants qui consommaient des préparations de croissance et non du lait de vache au-delà de l’âge de 18 mois.

Cependant, plusieurs travaux sérieux ont démontré l’intérêt majeur de l’enrichissement en fer des laits de suite pour prévenir les déficits martiaux chez les nourrissons de 6 à 18 mois [3]. De surcroît, l’anémie ferriprive est près de 4 fois plus fréquente entre les âges de 2-3 ans qu’à 1 an, traduisant probablement la réduction de consommation de lait infantile.

Ils ont en revanche tort lorsqu'ils prétendent que les apports en fer peuvent être aisément couverts, sans consommer de lait enrichi en fer, chez les enfants qui ne sont pas à risque de carence martiale. Les besoins en fer entre 1 et 3 ans sont de 6 à 10 mg/j, ce qui correspond à l'équivalent de 1 à 2 mg/j de fer absorbé. Or, pour absorber 1 mg de fer, il faut consommer 330 ml de lait de croissance ou 105 g de viande de bœuf ou 220 g de viandes de volaille, de porc ou de veau ou 480 g de poisson ou 1,250 kg de lentilles ou enfin 2 kg d'épinards [4]. Il semble raisonnable de penser que les laits de croissance représentent le vecteur martial le plus réaliste à cet âge. Ils ont également tort lorsqu'ils suggèrent que l'intérêt des laits de croissance est limité par leur coût. 

Le coût médian au litre des laits de croissance est de 2,0 €, alors que celui du lait de vache est de 1,4 € [4]. Le remplacement du lait de croissance par du lait de vache entraîne donc un surcoût de 0,6 € par litre consommé. Le prix de la viande de bœuf varie de 10 à 25 € le kilogramme. Donc, en reprenant les valeurs précédentes, l'absorption de 1 mg de fer coûte 0,2 € avec du lait de croissance et 1,1 à 2,6 € avec de la viande de bœuf. Ingérer du fer correctement absorbé est onéreux, mais les laits de croissance demeurent indiscutablement le moyen le plus économique pour y parvenir.

Allergie aux protéines du lait de vache

La mise au point des hydrolysats poussés de protéines du lait de vache, puis plus récemment des substituts du lait à base d’acides aminés libres a permis une prise en charge efficace des allergies aux protéines du lait de vache des plus bénignes aux plus sévères.

Cependant, certains courants idéologiques actuels propagent l’idée d’une « toxicité » potentielle du lait de vache qui serait responsable de nombreux maux (infections à répétition, troubles du comportement, etc.). Dans la mesure où la plupart des laits infantiles et de ses substituts en cas d’allergie sont préparés à partir de lait de vache, le discours fallacieux de ces pourfendeurs du lait conduit des familles à alimenter leur nourrisson avec des contrefaçons de laits infantiles à base de végétaux. Pire encore, certains médecins relaient de telles prescriptions en employant des arguments sans fondement. Une telle attitude peut s’apparenter à une véritable maltraitance nutritionnelle car elle expose à de graves carences nutritionnelles [4].

Comparée à la composition des formules pour nourrissons, la majorité de ces ersatz de laits infantiles est sérieusement carencée en calories, en protéines, en fer et en calcium [4]. Si les contenus protéiques et martiaux des substituts à base de soja peuvent paraître corrects, il n’en est rien puisque la composition des protéines expose à des carences an acides aminés essentiels et le fer est très mal absorbé. De nombreux cas de nourrissons souffrant de graves carences en raison d’une alimentation exclusive à l’aide de ces produits inadaptés ont été signalés.

Comme pour toutes les contrefaçons, la ressemblance avec l’original est troublante. En effet, ces substituts présumés sont vendus dans des boîtes qui rappellent celles utilisées pour les laits infantiles. Bien sûr, aucune mention suggérant leur utilisation possible chez le nourrisson ne figure sur l’étiquetage puisque seules les formules respectant la réglementation européenne qui régit la composition des laits infantiles ont cette autorisation.

Si malgré les arguments développés pour tenter de dissuader les parents de poursuivre ce type d’alimentation, leur aversion pour le lait persiste, il faut leur proposer une solution de remplacement qui leur convienne. Les préparations infantiles à base de végétaux dont la composition respecte la réglementation européenne sont cette solution. Celles aujourd’hui disponibles sur le marché français sont à base de soja (Gallia Soja®, Modilac Expert Soja®) ou  de riz (Modilac Expert Riz®, Novalac Riz®, Picot Riz®).

Apports en protéines

Grâce à l’utilisation des laits infantiles à la place du lait de vache pur, puis plus récemment à la réduction du contenu protéique des formules infantiles, les apports protéiques ont diminué chez les nourrissons et les jeunes enfants au cours des dernières décennies. Cependant, dès que l'alimentation du nourrisson commence à être diversifiée, ses apports protéiques dépassent rapidement et parfois largement les apports recommandés [4]. La surconsommation de produits laitiers ou de viandes peut même hisser ces ingesta à des valeurs jusqu'à quatre fois supérieures aux apports recommandés [4]. Malgré les progrès réalisés dans la composition des laits infantiles, la crainte d’un excès protéique et de ses conséquences délétères demeure bien ancrée parmi les prescripteurs. Cette peur est-elle justifiée ?

Rappelons tout d'abord que les apports recommandés en protéines correspondent aux apports protéiques nécessaires pour couvrir les besoins de 97,5 % de la population pédiatrique. S'ils déterminent une limite en dessous de laquelle les risques de carences sont patents, rien ne permet d'affirmer qu'ils correspondent également à une limite à ne pas dépasser. La notion d'excès d'apports protéiques est donc très relative.

Certains auteurs ont suggéré que des apports protéiques élevés durant l'enfance pourraient augmenter le risque de surpoids et d'obésité ultérieurs, mais d'autres travaux épidémiologiques ont contesté ces résultats. Une étude interventionnelle européenne est actuellement en cours pour tenter d'apporter une réponse définitive à cette question [5]. Elle consiste à suivre deux groupes de nourrissons ayant eu des apports protéiques différents au cours de leur première année de vie. Les résultats préliminaires à l'âge de deux ans montrent une corpulence (z-score de l’indice poids/taille²) significativement plus faible dans le groupe ayant bénéficié des apports protéiques les moins élevés, mais la différence est cliniquement insignifiante (180 g pour le poids et 2 mm pour la taille !).

Donc rien ne permet encore d'affirmer qu'il existe un lien entre apports protéiques et obésité. Et même si l’étude interventionnelle en cours confirmait la tendance observée, il resterait à savoir si cet excès protéique ne fait que révéler plus précocement la prédisposition génétique de ces enfants ou s'il a une responsabilité propre. Cette dernière éventualité est cependant peu probable au regard de l'importance des facteurs génétiques dans l'obésité infantile [6].

Un apport protéique élevé augmente le travail du rein pour éliminer les déchets azotés. Mais cela ne préjuge en rien d'une éventuelle altération de la fonction rénale, qu'on ne peut cependant exclure. Il n’y a cependant aucun élément objectif à ce jour pour le suggérer.

A la lumière de toutes ces données, préconiser une réduction des apports protéiques chez le nourrisson au moment de la diversification n'obéit aujourd'hui qu'au simple principe de précaution. Il est toutefois probable qu'une consommation protéique élevée n'apporte pas de bénéfice particulier chez l'enfant sain.

Consommation de produits sucrés

Le célèbre lait concentré sucré de Nestlé a nourri des milliers de nourrissons pendant des décennies. Les progrès dans la fabrication des laits infantiles ont heureusement sonné le glas de ce produit mythique car il entraînait des carences, notamment en fer et en acides gras essentiels. C’est pourtant son goût très sucré qui rebuterait le plus les parents aujourd’hui, alors que c’est probablement lui qui en a assuré le succès auprès des nourrissons. La peur d’habituer les nourrissons au goût sucré est devenue une véritable hantise pour les parents. Cette peur est-elle justifiée ?

Tous les nouveau-nés ont une préférence innée pour la saveur sucrée qui s’estompe en partie dans la petite enfance. Les préférences alimentaires demeurent sensiblement identiques de la petite enfance jusqu’au début de l’âge adulte. Une éducation du goût est par ailleurs possible chez l’enfant à condition de lui proposer à de nombreuses reprises le même aliment. En effet, des enfants soumis à l’exposition répétée d’un même aliment salé, sucré, ou nature préfèrent quelques semaines plus tard la version à laquelle ils ont été exposés, alors que les trois versions leur sont proposées.

Il est donc possible d’imaginer qu’un enfant habitué très tôt au goût sucré conservera cette appétence au cours des décennies suivantes. Il peut néanmoins ne s’agir que d’une simple familiarisation propre à un aliment donné, non extrapolable aux autres aliments. Un enfant peut ainsi préférer consommer des yaourts natures mais être singulièrement attiré par les produits sucrés. Cette hypothèse est loin d’être stupide dans la mesure où les enfants dont les parents restreignent la consommation de sucres expriment une préférence accrue pour les boissons les plus sucrées lorsqu’ils sont laissés libres de leur choix, comparés aux enfants n’ayant été soumis à aucune restriction.

S’il est certain que la manière d’alimenter un enfant est susceptible de lui inculquer certaines habitudes gustatives, les préférences alimentaires d’un individu semblent davantage régies par les variations génétiques des récepteurs du goût. Les molécules sucrées sont détectées au niveau de la langue par deux récepteurs : T1R2 et T1R3 pour taste receptor, type 1 et, respectivement, member 2 et 3. Un polymorphisme génétique du gène codant pour l’un de ces récepteurs (TAS1R2) a été récemment associé à la consommation de sucres, notamment chez les sujets en surcharge pondérale [7]. Des études sont encore nécessaires pour déterminer le rôle précis de ces variations génétiques dans l’attirance pour le goût sucré, mais les études de jumeaux montrent que la composante génétique est probablement prééminente.

Contrairement à une pensée largement répandue, il n’y a pas non plus d’addiction aux sucres. L’addiction signifie l’existence d’une dépendance physique caractérisée par des manifestations de tolérance entraînant des besoins de plus en plus conséquents pour obtenir le même effet, et des symptômes de sevrage lorsque l’individu est privé de la substance en question. Elle conduit donc à un comportement cherchant à se procurer de manière incontrôlable la substance dont on est dépendant. Les sucres ne suscitent aucun de ces signes physiques ou comportementaux. Donc, si l’ingestion de sucre produit effectivement un plaisir qui partage les mêmes voies cérébrales que celui induit par la consommation de certaines drogues (nicotine, alcool), aucun élément ne permet d’affirmer que les sucres en partagent également la dépendance toxicomaniaque.

Tous ces arguments sont plutôt rassurants sur le risque potentiel d’habituer un enfant au goût sucré en lui proposant trop de produits sucrés. Et même si une telle attitude majorait effectivement l’appétence de l’enfant pour la saveur sucrée pour le restant de ses jours, une telle préférence gustative n’est associée à aucun risque particulier. Elle n’est en effet reliée ni à une surconsommation énergétique, ni à une tendance au grignotage interprandial, ni surtout à un risque accru d’obésité [8]. Au contraire, la consommation de produits sucrés a plutôt un effet satiétogène et les individus minces ont plus souvent une préférence pour le goût sucré que les obèses.

Il faut donc savoir rassurer les parents qui redoutent d’habituer leur enfant au goût sucré et restreignent de manière exagérée la consommation de produits sucrés ou l’ajout de sucre dans les mets qu’ils leur proposent. On peut même les encourager à ajouter un peu de sucre dans certains aliments qu’ils donnent à leurs enfants, comme les produits laitiers ou certaines compotes de fruits acides, si cela permet qu’ils soient mieux acceptés [4]. Cela ne signifie toutefois pas que les produits sucrés peuvent être proposés à volonté aux enfants, une telle attitude est au contraire à proscrire car elle risquerait de déséquilibrer leur alimentation et d’entraîner des carences.

Prévention de l'obésité

L’augmentation impressionnante de la prévalence de l’obésité infantile au cours des dernières décennies a conduit à une véritable psychose autour de cette maladie. Depuis le début des années deux mille, les mesures se multiplient pour lutter contre la progression de cette pathologie. Des actions de prévention se sont ainsi développées de toutes parts, dans les écoles, à la télévision, sur les étiquetages des produits alimentaires et des mesures coercitives ont même été préconisées comme la réglementation de la publicité alimentaire destinée aux enfants, l’abolition de la collation matinale à l’école, l’interdiction des distributeurs dans les établissements scolaires ou la taxation des produits gras et sucrés. Doit-on se réjouir d’une telle mobilisation ou s’interroger sur son efficacité et son innocuité ?

Les résultats des méta-analyses démontrent que ces mesures sont inefficaces [9]. Quelques études d'intervention isolées relatent bien des résultats positifs, mais les bénéfices rapportés sont tellement minces avec souvent des reculs de seulement une ou deux années que même l’enthousiasme exprimé par les auteurs dans leurs conclusions ne suffit pas à les rendre crédibles. Tous ceux qui prennent en charge les enfants obèses ne sont pas surpris par cet échec collectif. Les résultats de la prise en charge de ces enfants en consultation sont tellement décevants qu’il serait étonnant que quelques messages propagés dans la population générale soient plus efficients.

Rappelons que l’obésité est une maladie de l’hypothalamus, en grande partie génétiquement déterminée, l’environnement obésogène n’étant que le moyen qui permet l’expression phénotypique de cette susceptibilité [6]. Seule une minorité d’enfants est ainsi concernée par cette prévention, il n’est donc pas surprenant que des messages qui s’adressent à l’ensemble de la population pédiatrique ne soient pas couverts de succès.

En plus de leur inefficacité, les méthodes actuelles de prévention de l’obésité infantile exposent à des effets collatéraux potentiels. En effet, les programmes d’éducation dispensés dans les écoles laissent croire que l’obésité est la conséquence de mauvaises habitudes alimentaires ou celle d’une sédentarité excessive. La transmission de telles idées ne peut qu’amplifier la discrimination et la stigmatisation des enfants obèses et entraîner un sentiment de culpabilité chez leurs parents en insinuant que le mal de leur enfant est dû à une éducation défaillante.

De plus, en faisant croire que tous les enfants sont susceptibles d’être atteints par ce mal, ils pourraient induire des troubles du comportement alimentaire chez les nombreux enfants que la nature a épargnés d’un tel risque. Ce dernier point préoccupe également les auteurs de la méta-analyse précédemment citée [9]. Enfin, n’oublions pas le coût parfois important de ces actions.

Sans nul doute, les intentions de chacun sont sincères et leur contribution dans cette lutte ne peut qu’être encouragée. Cependant, la réalité du terrain et les données scientifiques conduisent à changer la méthode. Une prévention ciblée sur les enfants à risque semble préférable, elle aura au moins l’avantage de n’intéresser que les enfants concernés. Seuls les progrès de la recherche nous permettront de les dépister avec précision et d’apporter des solutions efficaces, tout en évitant les excès.

Bibliographie

  1. Zutavern A, Brockow I, Schaaf B, et al. Timing of solid food introduction in relation to atopic dermatitis and atopic sensitization: results from a prospective birth cohort study. Pediatrics 2006;117:401-11.
  2. ESPGHAN Committee on Nutrition. Complementary feeding: a commentary by the ESPGHAN Committee on Nutrition. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2008;46:99-110.
  3. Morley R, Abbott R, Fairweather-Tait S, et al. Iron fortified follow on formula from 9 to 18 months improves iron status but not development or growth: a randomised trial. Arch Dis Child 1999;81:247-52.
  4. Tounian P, Sarrio F. Alimentation de l’enfant de 0 à 3 ans. Collection Pédiatrie au quotidien, 2e édition. Masson. 2011.
  5. Koletzko B, von Kries R, Closa R, et al. Lower protein infant formula is associated with lower weight up to age 2 y: a randomized clinical trial. Am J Clin Nutr 2009;89:1836-45.
  6. Tounian P. Programming towards childhood obesity. Ann Nutr Metab 2011; 58 (suppl 2): 30-41.
  7. Eny KM, Wolever TMS, Corey PN, and El-Sohemy A. Genetic variation in TAS1R2 (Ile191Val) is associated with consumption of sugars in overweight and obese individuals in 2 distinct populations. Am J Clin Nutr 2010; 92: 1501–10.
  8. Anderson GH. Sugars, sweetness, and food intake. Am J Clin Nutr 1995; 62 (suppl): 195S-202S.
  9. Kamath CC, Vickers KS, Ehrlich A, et al. Behavorial interventions to prevent childhood obesity: a systematic review and metaanalyses of randomized trial. J Clin Endocrinol Metab 2008; 93: 4606-15.
QCM d’évaluation Post-Test
QCM 1: Cochez la réponse juste

1.     L’âge de la diversification doit être différé après l’âge de 6 mois chez les nourrissons à risque atopique.

2.     Les fruits à coque et l’arachide ne doivent pas être introduits dans l’alimentation des nourrissons à risque atopique avant l’âge d’un an.

3.     Le principal intérêt des laits de croissance est leur supplémentation en fer.

4.     Les laits de croissance sont le vecteur le moins onéreux pour donner du fer absorbable aux enfants.

Réponses : 3, 4

QCM 2 : Cochez la réponse juste

1.     La consommation de protéines a crû chez le nourrisson au cours des dernières décennies.

2.     Aucun effet délétère de l’excès de protéines n’a été formellement objectivé.

3.     L’excès de sucres durant l’enfance augmente le risque d’obésité ultérieur.

4.     La prévention de l’obésité à l’école a démontré son efficacité.

Réponses : 2

Patrick Tounian

Nutrition pédiatrique, Hôpital Armand-Trousseau, Paris.