La
microchirurgie cellulaire améliore-t-elle le potentiel implantatoire d’un embryon
?
S. Hamamah,
F. Entezami
Centre de fécondation
in vitro
Hôpital A. Béclère, 157 rue porte de la Trivaux, 92141 Clamart
Introduction
Depuis l’avènement
des techniques de fécondation in vitro classique (FIVc), au milieu des années
70, de nouveaux horizons ont été ouverts sur le traitement de l’infertilité
du couple. Ainsi, les infertilité d’origine tubaire, idiopathique, et dans une
moindre mesure d’origine masculine ont pu être traitées grâce à ces méthodes.
Cependant, la FIVc n’apportant pas une solution efficace à la stérilité d’origine
masculine. Depuis, une parade des techniques de fécondation assistée ont été
proposées afin d’ assister la pénétration de la zone pellucide par le spermatozoïde
et donc favoriser la fécondation. C’est dans ce soucis que des techniques comme
le zona drilling (ZD), la SUZI, et enfin l’ICSI ont été
proposées. Le ZD consiste à créer une perforation de façon mécanique dans la
zone pellucide de l’ovocyte de manière à faciliter le passage de spermatozoïdes
dans la zone pellucide. Alors qu’au cours de la SUZI (subzonal sperm injection),
quelques spermatozoïdes sont injectés dans l’espace périvitellin sous la zone
pellucide. Ces techniques bien que plus efficaces que la FIVc dans les indications
masculines sévères, comportaient plusieurs inconvénients dont la fécondation
polyspermique des ovocytes, et étaient en terme de fécondation bien plus aléatoires
que l’ICSI (intra cytoplasmic sperm injection), qui les a très rapidement supplanté.
Cette technique proposée par Palermo et al. en 1992 est maintenant utilisée
dans la plupart des centres d’assistance médicale à la procréation (AMP). En
effet, quelque soit la technique utilisée en AMP, FIVc ou ICSI, les taux d’échec
restent relativement élevés, et ceci malgré d’importants progrès technologiques.
A l’heure actuelle, les taux de naissance par transfert d’embryon ne dépasse
guère les 15%. Pour toutes ces techniques le taux d’implantation par embryon
stagne depuis plusieurs années aux alentours des 10%, et ne dépasse pas les
15% pour les centres les plus performants.
Depuis plusieurs années les scientifiques sont à la recherche des raisons pouvant
expliquer les maigres performances de la FIV en reproduction humaine. Plusieurs
facteurs ont été évoqués pour expliquer certains échecs: (i) l’environnement
folliculaire, (ii) la qualité intrinsèque des gamètes et des embryons qui en
résultent, (iii) la défaillance de l’éclosion embryonnaire, et (iv) la réceptivité
endométriale ont été incriminés. En résumé deux grands volets interviennent,
d’un coté le volet in vitro au laboratoire d’AMP avec ses conditions de culture,
et de l’autre, le volet organique en relation direct avec la stimulation ovarienne
et la préparation utérine, qui joue un rôle non négligeable dans le succès de
la tentative.
Les biologistes de l’AMP ont pris depuis quelques années conscience de l’importance
des étapes réalisées in vitro lors d’une tentative de FIV, et des efforts considérables
ont été réalisé dans un but de standardiser les étapes réalisées in vitro à
l’aide de classifications, et de conférences de concensus. En plus, de multiples
études ont été menées dans le but de mieux comprendre les lacunes et les effets
néfastes d’une culture in vitro sur les gamètes ainsi que sur les embryons humains.
Tous ces efforts sont bien entendu dirigés vers le but ultime qui est constitué
par l’amélioration des résultats de FIV et donc l’augmentation des chances de
grossesse obtenue par ce biais.
Pour améliorer les taux d’implantation plusieurs approches ont été suggérées.
Nous allons nous intéresser plus particulièrement aux dernières avancées technologiques
dans le domaines de l’AMP, regroupées sous le terme de " techniques
de microchirurgie embryonnaire": (1) l’éclosion assistée de l’embryon (
)assisted hatching), (2) les techniques de retrait des fragments embryonnaires
(cleaning), et (3) le du transfert de cytoplasme.
A)
L’éclosion assistée de l’embryon ou le hatching
Les
mauvais résultats obtenus en FIV humaine sont en grande partie dus à des anomalies
génétiques de l’embryon, à des conditions non optimales de culture in vitro,
à des anomalies de la zone pellucide interférant avec l’éclosion naturelle de
l’embryon, et à l’échec d’implantation. Au moins 50% des embryons humains sont
génétiquement normaux, cependant, les taux d’implantation ne dépassent pas les
10-15% pour les embryons de morphologie normale. Il faut savoir que moins de
25% des embryons humains vont éclore in vitro. Or, l’éclosion embryonnaire est
une étape clé avant la nidation dans l’endomètre. Sans éclosion de l’embryon,
l’implantation ne pourra s’effectuer.
Les expérimentations animales ont pu montrer chez la souris que l’éclosion naturelle
pouvait être déficiente dans les conditions de culture in vitro. Dans ces conditions
non physiologiques, les embryons ont une cinétique de division ralentie et présentent
des blocages à de nombreux stades de leur développement. Un blocage peut donc
survenir au stade d’éclosion du blastocyste. De plus, l’on sait maintenant que
la culture in vitro est à l’origine d’un durcissement de la zone pellucide (phénomène
de zona hardening), et par ce biais joue un rôle défavorable dans l’éclosion
in vitro. C’est d’abord chez la souris qu’il a été montré que la création d’une
brèche artificielle dans la zone pellucide remédiait à l’éclosion déficitaire
des embryons obtenus in vitro. Cette technique a donc été mise au point dans
le but d’améliorer le taux d’éclosion des embryons humains obtenus in vitro.
1)
Par quelle procédure l’embryon éclot-il ?
Depuis plusieurs années le rôle de la pression exercée par le blastocyste
en expansion au niveau de la ZP a été soupçonné. Chez la souris une enzyme trypsine-like
élaborée par le trophectoderme a été détectée dans le milieu de culture d’embryons
éclos. De plus, l’apport d’inhibiteurs de protéase dans les milieux de culture
bloque le processus de hatching. Donc en résumé, le hatching est favorisé d’une
part par un rôle mécanique de pression et d’autre part par un processus enzymatique.
Or, les embryons obtenus in vitro ont une cinétique de division ralentie donc
moins de cellules que les embryons physiologiques au même stade. Ceci pourrait
jouer un rôle négatif d’une part dans la production enzymatique suffisante,
et d’autre part dans l’exercice d’une pression suffisante pour favoriser le
hatching.
2)
Les expériences chez l’animal
Dès la fin des années 80, il a été montré chez la souris que la création
d’une ouverture dans la ZP, ou même un amincissement de celle-ci, augmentait
le taux de hatching au stade blastocyste. Cette éclosion assistée a également
montré son utilité pour restaurer un taux de hatching normal, sur des embryons
de souris cultivés dans un milieu sans protéine qui induisait un durcissement
de la ZP. D’autres expériences visant à créer un déficit du potentiel d’éclosion
d’embryons de souris par lésion de quelques blastomères, ont montré le rôle
positif du hatching dans la restauration de ce potentiel. Les embryons micromanipulés
avaient de plus un taux d’implantation supérieur aux embryons non hatchés.
3)
Les techniques développées au laboratoire
- PZD (partial zona dissection) qui consiste à créer une brèche mécanique
à l’aide d’une micro aiguille. La difficulté de cette technique réside dans
l’impossibilité de créer une brèche de taille suffisante.
- ZD qui consiste à produire une digestion chimique et locale de la ZP à l’aide
d’une solution de tyrode acide. Cette technique a également ses difficultés :
la taille de la brèche est difficilement contrôlable, et un contact des blastomères
avec l’environnement acidifié est toujours possible.
- Technique laser de contact ou non contact. Beaucoup plus facile à manier que
les autres techniques disponibles.
- Techniques enzymatiques utilisant des solutions de pronase digérant la ZP.
Et même amincissement de la totalité de la ZP par passage dans une solution
acidifiée de tyrode sans création de brèche. Ces dernières techniques préviennent
les effets toxiques potentiels de l’acide et du laser.
4)
Les différentes études cliniques : pour ou contre le hatching ?
Depuis plusieurs années de nombreuses études ont confirmé l’avantage de
l’utilisation du hatching dans des indications bien posées.
Dès 1992, Cohen et al. ont démontré l’utilité du hatching dans l’augmentation
des taux d’implantation et de grossesse, chez les femmes de plus de 39 ans et/ou
ayant une FSH basale élevée. Leurs résultats ont été confirmés par Schoolcraft
et al. en 1993. Cette équipe a de plus démontré l’avantage du hatching
pour améliorer les résultats quand plusieurs échecs antérieurs d’implantation
existent. L’amélioration apportée par la technique du hatching semble loin d’être
négligeable, puisque le taux d’implantation obtenu était de 33% dans le groupe
ayant eu un hatching contre 6.5% dans le groupe contrôle, et que le taux de
grossesse évolutive était de 64% dans le groupe hatching contre 19% dans le
groupe contrôle.
Plusieurs études ont été réalisées pour confirmer l’amélioration des résultats
cliniques par le hatching des embryons décongelés à J2 ou J3. Pour les embryons
J3, le taux d’implantation était de 14% pour les embryons hatchés contre 5%
pour le groupe contrôle, avec un taux de grossesse clinique de 30% après hatching
contre 15% dans le groupe contrôle. Les résultats pour les embryons J2 étaient
presque similaires.
La digestion complète de la ZP au stade blastocyste est utilisée depuis 1997
par Fong et al. qui rapportaient alors un taux d’implantation de 33%
et taux de grossesse clinique de 53%. Mansour et al. en 2000, rapportent
une étude portant sur la digestion complète de la ZP sur les embryons J3 de
femmes ayant plus de 40 ans et/ou plusieurs échecs d’implantation. Ils obtiennent
un taux de grossesse clinique de 23% avec les embryons traités, contre 7% dans
le groupe contrôle.
Pour ou contre le hatching ?
Quelques études n’ont pas confirmé l’utilité du hatching pour améliorer les
taux d’implantation et de grossesse. Pour la plupart, ces études avaient utilisées
la technique sur des populations ne rentrant pas dans les critères d’inclusion
pour le hatching. Il est vrai que cette technique n’apporte aucun avantage chez
les femmes jeunes et dans les premières tentatives de FIV. Par contre, quand
le hatching n’apporte pas les effets escomptés sur les populations bien choisies,
il faut rechercher l’explication du coté de sa difficulté de réalisation et
ceci suivant la technique utilisée. C’est seulement dans les mains d’une équipe
entraînée que le hatching peut avoir des résultats satisfaisants et reproductibles.
Comme toute nouvelle technique en matière d’AMP, le hatching a suscité des interrogations
quant à son potentiel malformatif. Jusqu’à ce jour, toutes techniques confondues,
aucune élévation du taux de malformation n’a été rapportée après l’utilisation
du hatching. Le seul risque clinique véritablement démontré aussi bien sur le
modèle animal qu’humain, est l’augmentation du risque de gémellité monozygotique.
C’est par ce biais là que des malformations ftales pourraient être observées,
ainsi qu’une augmentation de la morbidité et de la mortalité néonatale, en plus
des complications obstétricales inhérentes à ce type de grossesse.
5)
En conclusion
Le succès du hatching réside sur de multiples raisons. Il contourne la barrière
mécanique à l’éclosion naturelle que constitue la zone pellucide épaissie par
les conditions de culture. Il permet aux cellules embryonnaires l’économie de
l’énergie nécessaire à l’éclosion assistée. Il permet une meilleure synchronisation
de l’embryon avec l’endomètre, car il a été démontré que l’embryon hatché s’implantait
avec un jour d’avance par rapport à l’embryon non hatché. Cette avance pourrait
avoir un bénéfice sur le succès de l’implantation.
B) Le retrait
des fragments embryonnaires ou le cleaning
La
morphologie embryonnaire est un facteur important à déterminer pour aider à
prévoir les chances d’implantation de l’embryon transféré. De multiples classifications
embryonnaires ont vu le jour depuis quelques années, et même si entre elles
la gradation n’est pas équivalente, cependant, ce sont presque toujours les
mêmes facteurs morphologiques qui sont pris en compte pour définir un embryon
à un moment donné de son développement. Ces classifications reposent donc pour
la plupart sur la régularité des blastomères, le taux de fragmentation observé
au sein de l’embryon, et parfois le nombre de blastomères.
Environ 80% des embryons obtenus in vitro présente une fragmentation cellulaire.
Les fragments sont des structures indépendantes des blastomères, entourés par
une membrane, et dérivent de la masse des cellules embryonnaires. La fragmentation
reste encore à l’heure actuelle un phénomène mal compris, mais on a pu constaté
dans quelles circonstances elle était le plus souvent rencontrée. En effet,
il a été montré que 65% des embryons bloqués à J2 étaient issus de zygotes déjà
fragmentés à J1 (Cohen et al.).
1) Pourquoi
les embryons se fragmentent-il ?
Les réponses ne sont qu’hypothétiques. Les facteurs extrinsèques de l’environnement
embryonnaire jouent certainement un rôle important dans la fragmentation :
conditions de culture in vitro, composition et pH des milieux de culture, ainsi
que la température semblent avoir un impact important sur le développement embryonnaire.
De plus la stimulation ovarienne pratiquée avant le retrait des ovocytes entraîne
des conditions non physiologiques de maturation pour les follicules et par là
même pourrait entraîner un comportement embryonnaire anormal. En effet il a
été rapporté que les follicules soumis à des conditions d’hypoxie par mauvaise
vascularisation, produisent des ovocytes présentant plus d’anomalies cytoplasmiques
et chromosomiques, aboutissant à des embryons ayant une capacité de développement
réduite (6).
Les embryons ayant une fragmentation excessive comportent des anomalies chromosomiques
(9,10) : 88% présentent une aneuploidie ou des anomalies en mosaique. Une
autre étude a montré que 66% des embryons présentant plus de 35% de fragmentation
avaient des anomalies chromosomiques.
2) les conséquences
de la fragmentation sur les taux d’implantation et de grossesse
L’impact négatif de la fragmentation sur le développement embryonnaire est maintenant
connu depuis plusieurs années. De nombreuses publications ont pu montré l’influence
de la fragmentation sur les résultats de la FIV (12, 13, 14). Un taux d’implantation
<5% a été rapporté pour des embryons comportant 10-50% de fragments, après
un transfert J2. Ces études ne font pas de différence sur le degré et la manière
de fragmentation des embryons étudiés.
C’est en fait l’équipe de J Cohen qui a proposé une classification des embryons
fragmentés. Cette classification comporte 5 classes allant de I à V, et prend
en compte la taille des fragments, le pourcentage de fragmentation et la localisation
des fragments. Ils ont ainsi pu mettre en évidence, au cours de plusieurs études,
une corrélation certaine entre d’une part le taux de fragmentation et les taux
d’implantation et de grossesse, et d’autre part une corrélation entre le pattern
de fragmentation et les taux d’implantation et de grossesse. Dans ces études(5496
embryons,1727 transferts) tous les embryons transférés avaient bénéficié d’un
hatching suivi d’un " nettoyage " préalable des fragments,
de manière à ne transférer que des embryons ayant moins de 25% de fragments.
Ils rapportent ainsi un taux d’implantation de 30% quand la majorité des embryons
transférés avaient <15% de fragments et un taux de 20% quand la fragmentation
était > ou = 15%. De plus, quand la fragmentation était >35%, le taux
d’implantation chutait à 6%.
3) Fragmentation
et taux de formation de blastocystes
La même équipe a également étudié l’impact de la fragmentation embryonnaire
sur le taux de formation de blastocystes. Ils ont ainsi pu montré une corrélation
négative entre ces deux facteurs. Pour une fragmentation <15%, 33% des embryons
en culture prolongée arrivaient au stade blastocyste, et pour une fragmentation
>15% seulement 16% donnaient des blastocystes.
4) Retrait
des fragments
Cette opération s’effectue après ouverture d’une brèche au niveau de la
ZP par hatching. Les fragments sont ensuite retirés par une micropipette de
12µ de diamètre. C’est une manipulation très délicate nécessitant un agrandissement
maximal au niveau du microscope, et beaucoup de doigté de la part de l’intervenant
qui doit veiller à ne pas léser les blastomères au sein de l’embryon.
5) Pour
ou contre le cleaning ?
A l’heure actuelle, l’efficacité du retrait des fragments n’a pas encore été
testée sur une large étude prospective et randomisée, et l’influence positive
de cette action sur la survie embryonnaire reste encore inexpliquée. Cependant,
plusieurs explications hypothétiques peuvent être proposées.
Il a en effet été démontré que le retrait des fragments à J2 favorisait le clivage
des blastomères entre J2 et J3 (21). Pour une fragmentation moyenne de 30%,
les embryons " nettoyés " à J2 avaient une vitesse
de clivage supérieure aux embryons identiques mais non " nettoyés ".
De plus, après le retrait des fragments, les embryons présentaient un nombre
plus élevé de blastomères (> ou = 6) à J3.
Ce phénomène pourrait être expliqué par l’effet bénéfique qu’apporte le retrait
des composants cellulaires apoptotiques, que seraient le fragments, sur le développement
des blastomères intacts. Une étude a pu en effet démontrer que les blastomères
adjacents aux fragments montraient des signes de dégénérescence (22).
Une controverse existe en revanche sur le bénéfice du " nettoyage "
au niveau de la formation de blastocystes. Si une étude sur un petit nombre
d’embryons humains (n=19) ayant subi un retrait de fragments à J3, montre un
taux plus élevés de compactions observées à J4, une autre étude réalisée sur
des souris montre que la présence de fragments n’interfère pas avec le taux
de formation de blastocyste et que le retrait des fragments ne présenterait
donc plus aucun avantage (23). Il ne faut cependant pas oublier qu’une autre
étude menée sur des embryons de souris a clairement démontré l’effet néfaste
de la dégénérescence partielle provoquée au niveau de certains blastomères,
sur le potentiel évolutif et la viabilité de l’embryon (24). Dans cette étude
le retrait des composants dégénératifs restaurait la viabilité des embryons.
D’autres auteurs suggèrent que l’effet délétère de la fragmentation est irréversible
au moment du retrait et qu’il a lieu en amont (5). Pour ces auteurs les fragments
ne sont pas des composants apoptotiques mais contiennent des protéines régulatrices
du métabolisme embryonnaire, donc une fois séparées des blastomères, l’effet
délétère de leur absence s’exercerait immédiatement et le fait de les extraire
du sein de l’embryon n’apporterait aucun effet bénéfique. Il reste néanmoins
vrai que même en admettant cette hypothèse, l’absence de certains composants
clés du métabolisme embryonnaire induit à long terme une dégénérescence cellulaire
et altère le processus évolutif de l’embryon. L’extraction des composants en
voie de dégénérescence serait de toute manière positif pour les éléments non
dégénératifs.
6) En conclusion
D’un côté les mécanismes en cause dans la fragmentation embryonnaire sont
encore inconnus, et de l’autre côté le retrait de ces fragments n’a pas encore
été suffisamment convaincant quant à ses effets bénéfiques sur les taux d’implantation
et de grossesse des embryons " nettoyés ".
Néanmoins, quelques études rétrospectives font pencher la balance pour le " nettoyage "
des fragments en rapportant une amélioration des résultats en terme de grossesse.
En attendant des études prospectives randomisées, le retrait des fragments devraient
s’effectuer avec parcimonie et par des équipes entraînées à la microchirurgie
embryonnaire.
C) Le transfert
de cytoplasme
Le
rôle du cytoplasme de l’ovocyte dans la maturation et activation ovocytaire
est bien connue chez les mammifères. L’importance de facteurs cytoplasmiques
ovocytaires a été également supçonné au niveau du développement du zygote, particulièrement
pendant les premiers stades de division cellulaire, quand la transcription du
génome embryonnaire est encore minimale. Des irrégularités de développement
et des dysmorphismes sont souvent constatés chez l’ovocyte humain ainsi que
les embryons, au cours des tentatives d’AMP. Ces processus seraient dus à des
facteurs génétiques et non génétiques. Des anomalies non génétiques peuvent
exister au niveau du cytoplasme ovocytaire et interférer avec le développement
normal et la viabilité de l’embryon qui en est issu. A l’heure actuelle nous
ne disposons pas d’explication pour comprendre toutes ces anomalies. Le degré
de fragmentation des embryons peut être aussi considéré comme le résultat d’un
dysmorphisme ovocytaire primaire, même si l’on sait que cette fragmentation
est dépendante des conditions de culture in vitro. Quelques études portant sur
les manipulations ovocytaires et embryonnaires ont déjà été rapportées chez
l’animal ; elles ont été réalisées dans le but d’améliorer les déficiences
ovoplasmiques et anomalies embryonnaires. Chez l’homme, le transfert de cytoplasme
a été réalisé de manière expérimentale dans le but de " sauver "
les tentatives de très mauvais pronostic. Il s’agissait de couples ayant un
long passé d’échecs d’implantation attribués à une mauvaise qualité embryonnaire,
et pour lesquels tous les essais d’amélioration des résultats par l’arsenal
habituel de stimulation et de laboratoire (culture prolongée, hatching), avaient
échoués. le but était de restaurer un développement et une viabilité normale
des embryons de mauvais pronostic. Nous rapportons ici l’expérience de l’équipe
pionnière dans ce domaine.
Deux approches de transfert d’ovoplasme à partir d’ovocytes de donneuses en
métaphase II, aux ovocytes de receveuses au même stade ont déjà été utilisées :
1) electrofusion d’un fragment anucléé de donneuse dans chaque ovocyte de la
receveuse
2) injection directe d’une petite quantité de cytoplasme d’ovocyte de donneuse
dans chaque ovocyte de la receveuse.
Les patients sélectionnés pour l’étude avaient été recrutés pour la présence
antérieure d’anomalies zygotiques, embryonnaires ou blocage embryonnaire. Ils
avaient pour la plupart des dysmorphies ovocytaires, une fragmentation embryonnaire,
clivage ralenti, blastomères multinuclées, ou autres anomalies morphologiques.
Il faut savoir que cette technique nécessite la synchronisation de la stimulation
de la donneuse et de la receveuse. Le déclenchement doit également être réalisé
de manière synchrone.
1) Procédure
technique
Les ovocytes de la receveuse et de la donneuse sont chacun placés dans une
gouttelette de 5 µl de milieu de culture sous huile. La même boite de pétri
contient également une gouttelette de 5 µl de PVP 12%, où sont placés les spermatozoïdes
du conjoint de la receveuse.
Les pipettes utilisées sont les mêmes que pour une ICSI. La pipette de microinjection
est équilibrée avec du PVP. Un spermatozoïde est immobilisé et aspiré, puis
bloqué à 30 µm de l’extrémité de la pipette. L’ovocyte de la donneuse est maintenu
avec le GP à 2 ou 4 heures, pour qu’il puisse être percé à 3 heures. Ceci permet
d’aspirer le cytoplasme controlatéral du fuseau de division. Le spermatozoïde
est alors ramené au bout de la pipette de microinjection, alors que celle-ci
pénètre l’ovocyte avec un mouvement d’agitation pour provoquer la cassure de
la membrane. Cette technique de cassure est plus douce que l’aspiration du cytoplasme,
et augmente la résistance de l’ovocyte à plusieurs pénétration par la micropipette.
Le cytoplasme de cet ovocyte est alors doucement aspiré dans la micropipette
en utilisant le spermatozoïde bloqué comme point de repère. Quelques mouvements
d’aspiration et de refoulement du cytoplasme peuvent faciliter sa montée dans
la micropipette. Un agrandissement de 800-1200 X est nécessaire pour bien contrôler
aspiration du cytoplasme. Par contre, la quantité aspirée dans la pipette est
vérifiée à 200-300 X. Environ 500-1000 µm de cytoplasme est aspiré dans la pipette.
Ceci représente à peu près 7-14% du volume cytoplasmique.
L’ovocyte de la receveuse est alors maintenu avec le GP à 8 heures, de manière
à pouvoir déposer le cytoplasme donneur le plus près possible du fuseau de division.
L’ovocyte est alors percé doucement et son cytoplasme aspiré et refoulé pour
créer un relâchement local qui assurerait un meilleur mélange avec le cytoplasme
donneur.
Le spermatozoïde est bien sûr injecté dans l’ovocyte receveur en même temps
que le cytoplasme donneur.
2)
Evaluation clinique
Chez certains de ces patients les zygotes ayant eu un transfert de cytoplasme
ont eu un meilleur développement, par rapport aux zygotes n’ayant pas eu de
transfert de cytoplasme et issus de la même tentative.
Pendant l’étude, 28 transferts de cytoplasme ont eu lieu. Il y a eu 9.2% de
lyse après le geste. Ce taux est plus élevé que le taux de lyse observé après
ICSI classique pendant la même période (4.8%). 325 ovocytes ont été injectés
au total et le taux de fécondation était de 73%. 65% des ovocytes sont arrivés
à J3. 98 embryons ont été transférés et 17 ont abouti à une grossesse clinique
(17%). 13 ont abouti à un accouchement. Une des FCS était due à une monosomie
X. De plus, un des jumeaux d’une des grossesses gémellaires était également
porteur d’une monosomie X. Une responsabilité de la technique utilisée dans
l’apparition de ces anomalies ne peut être écartée. Cependant, étant donné le
peu de cas répertoriés ici, il est difficile d’incriminer la technique utilisée.
La plupart des échecs après cette technique étaient dus soit à un facteur spermatique,
soit à un asynchronisme de phase folliculaire entre la donneuse et la receveuse.
A J3 ces embryons comportaient en moyenne 4.7 cellules, ce qui est inférieur
au nombre de cellules obtenues sur les embryons J3 d’ICSI (6.5). Le taux de
fragmentation de ces embryons était de 35%, ce qui dénote un mauvais pronostic
de survie ainsi qu’un risque augmenté de mosaïque chromosomique. Ce risque peut
être diagnostiqué par la biopsie du globule polaire.
Il faut cependant considérer le remarquable taux de grossesses cliniques obtenus
sur les 28 cycles réalisés, soit 46% (13/28). Un taux d’autant plus remarquable
que tous ces patients avaient un long passé d’échecs d’implantation dus à une
mauvaise qualité embryonnaire. La possibilité d’obtention de résultats similaires
sans avoir eu recours à cette technique ne peut bien entendu pas être totalement
écartée.
3)
Avantages et inconvénients de la méthode
Un des désavantages de cette méthode est l’imprécision de la quantité de
cytoplasme transférée. Par ailleurs, on ne peut transférer que du matériel polarisé
et seulement en petite quantité.
Aucun des embryons issus de l’électrofusion ne s’est implanté dans cette étude.
Cette technique est de réalisation plus complexe, mais cependant est plus souple
en terme de matériel utilisable. Elle pourra être considérée comme le choix
du futur dès que les indications et méthodes de réalisation auront été définies.
Dans cette étude l’électrofusion a eu lieu avant l’injection du spermatozoïde
et a donc induit une activation ovocytaire préalable à l’injection. Si bien
qu’au moment de l’injection, la plupart des ovocytes étaient en passe d’expulsion
du 2e GP. Il aurait donc fallu effectuer l’ICSI avant l’électrofusion,
ou bien trouver une méthode évitant l’activation ovocytaire par la fusion.
L’importance des critères de sélection est cruciale étant donné que le transfert
de cytoplasme n’améliore pas les problèmes non liés aux composants de celui-ci.
Les ovocytes candidats sont ceux qui ont un génome nucléaire normal mais avec
un déficit de facteurs maternels cytoplasmiques. Evidemment à l’heure actuelle
il est quasi impossible de porter ces diagnostics, qui de plus est au moment
du geste thérapeutique.
Il faut également considérer le risque de transmission de facteurs lésionnels
ou toxiques à l’ovocyte receveur par le biais même de la technique (création
d’une brèche dans la paroi et exposition du milieu intra cellulaire au milieu
extra cellulaire). Il s’agit d’une situation similaire à l’ICSI classique. Un
des problèmes hypothétiques pourrait être un risque d’induction d’une transgenèse
s’il y a présence d’une reverse transcriptase dans le milieu de culture. Ceci
paraît être fortement improbable puisque ces enzymes n’ont jusque là été détectées
que dans les rétrovirus. En outre, le spermatozoïde pourrait être porteur de
transcrits pouvant intervenir à l’échelle micro environnementale.
Cette technique pourrait être assimilée à une forme de manipulation génétique
ou thérapie génique, étant donné qu’elle comporte une incorporation d’acides
nucléiques, d’ARN messagers, et d’ADN mitochondrial, d’origine étrangère dans
l’ovocyte receveur. Bien que la transgenèse classique consiste à incorporer
de l’ADN étranger au matériel nucléaire de la cellule, cette possibilité ne
peut pas encore être écartée dans le cadre de cette technique. Il reste néanmoins
vrai que le transfert de cytoplasme implique l’entrée dans la cellule hôte d’ARNm,
d’inhibiteurs de protéines, de facteurs de croissance et bien d’autres composants
qui pourraient affecter le cycle cellulaire, le processus apoptotique, ou les
gènes de ménage de la cellule receveuse. Cependant, les modifications cellulaires
observées suite aux changements des conditions de culture in vitro, ne paraissent
affecter que la viabilité pendant la période préimplantatoire et implantatoire
exclusivement. Le transfert de cytoplasme pourrait être en cause dans la création
d’une population mitochondriale chimérique ou hétérogène, au sein de l’ovocyte
receveur, ce qui pourrait éventuellement avoir des conséquences néfastes sur
le développement. Or, chez l’animal, les expériences de transfert nucléaire
en vue de multiplication génomique, n’ont en fait jusque là détecté que des
hybrides mitochondriaux chez certains animaux. A l’état zygote, le mélange de
populations mitochondriales d’origines diverses, semble être à l’origine de
mécanismes d’arrêt mitochondrial spécifique. En effet, à un stade embryonnaire
avancé, les mitochondries d’origine paternelle et maternelle ne peuvent être
détectées ensemble. Chez les mammifères, l’ADN mitochondriale semble être d’origine
maternelle. Ainsi, le transfert de PN ou de noyau de VG, de femmes vectrices
de maladies mitochondriales, dans un cytoplasme énuclée normal devrait être
un moyen de juguler la transmission de ces maladies.
4)
Mode d’action du transfert de cytoplasme
Le mode d’action du transfert de cytoplasme dans l’amélioration des dysfonctionnements
ovocytaires est totalement inconnu. Aussi bien que les effets délétères de chaque
type de dysmorphie sur les évènements post fécondation sont loin d’être identifiés.
Dans tous les cas on peut difficilement être certain que le transfert d’une
si petite quantité de cytoplasme aura jugulé l’incompétence cytoplasmique de
l’ovocyte receveur. Les changements de volume induits par ce procédé ne doivent
cependant pas être sous estimés, car il est bien connu que le peu de matériel
cytoplasmique apporté par le spermatozoïde, a une action cruciale malgré la
petitesse du volume. Dans cette étude la quantité injectée ne semble pas excéder
l’équivalent d’un blastomère d’un embryon à 8 cellules.
4 voies d’action peuvent être considérées dans le transfert de cytoplasme :
a) Les mitochondries de la donneuse peuvent amener un environnement plus physiologique
pour les premières phases de développement embryonnaire. Ces mitochondries ne
vont par ailleurs pas forcément subsister dans l’ovocyte ultérieurement.
b) Le pool d’ARNm de l’ovocyte peut être remonté après le transfert cytoplasmique.
Ceci est d’autant plus probable que le taux d’ARNm est dépendant des apports
maternels jusqu’à l’expression complète du génome embryonnaire. De plus, les
ovocytes issus de femmes différentes auraient des niveaux d’ARNm différents.
c) D’autres organites ou organisations cellulaires peuvent être également affectées,
tel que le fuseau de division méiotique. Ceci pourrait être réversible après
le transfert de cytoplasme.
d) Le transfert peut avoir une conséquence spécifique en modifiant juste un
seul mécanisme. Par exemple, les ovocytes au stade VG ou les stades zygote bloqués,
peuvent bénéficier d’un apport de facteurs régulant le cycle cellulaire.
Dans cette étude, certains embryons à cytoplasme hybride ainsi que ceux obtenus
avec des ovocytes de donneuse, avaient un développement médiocre. Ces résultats
démontrent l’importance des composants cytosoliques apportés par le spermatozoïde
après la fécondation.
La polarisation du cytoplasme a été démontrée chez les non mammifères. Le transfert
de cytoplasme soulève quelques questions au sujet de la polarisation, ainsi
que sur ses conséquences. Il a été récemment postulé que les lignées de cellules
endodermiques et trophectodermiques étaient individualisées dans les stades
précoces du développement embryonnaire chez les embryons de mammifères. Ceci
pourrait servir à égaliser la distribution des différents facteurs de part et
d’autre de la ligne de division cellulaire au stade deux cellules. Il s’agirait
d’un axe de division secondaire qui pourrait facilement être surmonté chez les
blastomères devenus totipotents après transfert nucléaire.
Ce modèle suppose l’existence d’un gradient aussi bien d’ordre structurel que
moléculaire dans l’ovocyte humain. Si tel était le cas, alors le transfert de
cytoplasme aurait du avoir des conséquences fâcheuses sur le développement.
Ceci serait d’autant plus grave si on mettait en évidence une absence de translocation
du matériel transféré dans tout le cytoplasme. Une expérience d’injection de
mitochondrie et de lysosomes marqués avec une coloration vitale a pu montré
que ces organites migraient dans toutes les parties du zygotes, et se retrouvaient
dans la plupart des blastomères par la suite.
Dans l’étude rapportée, le matériel transféré a été prélevé au pôle végétatif
de l’ovocyte (à l ‘opposé du GP), pour être injecté au pôle animal (près
du GP) de l’ovocyte receveur. Cette pratique n’a dans aucun des cas causé un
arrêt du développement. Ce résultat est en désaccord avec les conclusions des
études citées ci-dessus qui avaient suggéré qu’une interruption dans les phénomènes
de polarisation pouvait avoir des effets délétères sur le développement.
5)
Transfert de cytoplasme et maladies mitochondriales
Les mutations intéressants l’ADN mitochondrial sont responsables de syndromes
neuromusculaires tels que Kearns-Sayres, ophtalmoplégie chronique externe, syndrome
de Pearson, … A l’heure actuelle, plus de 150 réarrangements différents ont
été répertoriés pour l’ADN mitochondrial : délétions, insertions, et duplications.
Ces réarrangements sont à l’origine de déficit en énergie cellulaire et affectent
le cerveau, le cur, les muscles squelettiques, le rein, la moelle osseuse,
et les cellules pancréatiques, dans le cadre de maladies dégénératives.
Ces réarrangements s’accumulent avec le vieillissement des tissus et paraissent
prédominer au niveau des tissus qui ne se renouvellent pas comme le muscle et
le cerveau. Avec l’accumulation des réarrangements un niveau seuil significatif
va être atteint, et par là une réduction des capacités oxydo-phosphorylantes
va survenir. Les ovocytes sont des cellules qui ne se renouvellent pas et peuvent
être arrêtés pendant des dizaines d’années ; ils peuvent donc accumuler
des réarrangements d’ADNmt. Les mitochondries des ovocytes matures ne contiennent
pas de copies redondantes des ADNmt, et de ce fait peuvent donc être plus sensible
aux mutations ou lésions oxydatives. Ces mitochondries porteuses de réarrangements
sont rendues incapables de produire de l’énergie de manière adéquate, en raison
de déficit enzymatique. Ces altérations peuvent corréler avec une baisse de
la fertilité de l’ovocyte en question, puisque la fécondation et le développement
embryonnaire préimplantatoire, nécessitent des quantités importantes de réserve
d’énergie. Des études chez la souris ont montré que les ovocytes et les embryons
contenant moins de 2 pmol d’ATP, n’atteignaient pas le stade 8 cellules.
Des expériences préliminaires ont montré qu’un mélange entre les ADNmt de la
donneuse et de la receveuse pouvait exister chez les embryons J3. L’analyse
sur les amniocytes à 16 SA a montré soit une absence de l’ADNmt de la donneuse,
soit un mélange avec celui de la receveuse. Ce mélange a été à nouveau retrouvé
sur les tissus placentaires de 2 nouveau nés sur 4 testés. De plus, le sang
de cordon contenait également une toute petite quantité d’ADNmt de la donneuse
par rapport à la receveuse.
6)
En conclusion
Il faut retenir que le transfert de cytoplasme reste encore à l’heure actuelle
une technique expérimentale, et n’est pratiqué que dans très peu de centres
à travers le monde. C’est une technique qui apparemment sauve en dernier recours
quelques tentatives de très mauvais pronostic, mais doit être considérée avec
beaucoup de réserves, d’un coté pour sa lourdeur d’organisation technique ainsi
que la nécessité d’une dextérité du biologiste qui la pratique, et de l’autre
coté pour toutes les craintes et interrogations qu’elle suscite de part le mélange
de matériel endo et exogène à la femme. Des études supplémentaires avec plus
d’effectifs sont encore nécessaires pour valider son efficacité et son innocuité.
|