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Titre: La microchirurgie cellulaire améliore-t-elle le potentiel implantatoire d’un embryon ?
Année: 2001
Auteurs: - Hamamah S.
Spécialité: Gynécologie
Theme: Diagnostic pré implantatoire

La microchirurgie cellulaire améliore-t-elle le potentiel implantatoire d’un embryon ?

S. Hamamah, F. Entezami

Centre de fécondation in vitro
Hôpital A. Béclère, 157 rue porte de la Trivaux, 92141 Clamart

Introduction
Depuis l’avènement des techniques de fécondation in vitro classique (FIVc), au milieu des années 70, de nouveaux horizons ont été ouverts sur le traitement de l’infertilité du couple. Ainsi, les infertilité d’origine tubaire, idiopathique, et dans une moindre mesure d’origine masculine ont pu être traitées grâce à ces méthodes. Cependant, la FIVc n’apportant pas une solution efficace à la stérilité d’origine masculine. Depuis, une parade des techniques de fécondation assistée ont été proposées afin d’ assister la pénétration de la zone pellucide par le spermatozoïde et donc favoriser la fécondation. C’est dans ce soucis que des techniques comme le zona drilling (ZD), la SUZI, et enfin l’ICSI ont été proposées. Le ZD consiste à créer une perforation de façon mécanique dans la zone pellucide de l’ovocyte de manière à faciliter le passage de spermatozoïdes dans la zone pellucide. Alors qu’au cours de la SUZI (subzonal sperm injection), quelques spermatozoïdes sont injectés dans l’espace périvitellin sous la zone pellucide. Ces techniques bien que plus efficaces que la FIVc dans les indications masculines sévères, comportaient plusieurs inconvénients dont la fécondation polyspermique des ovocytes, et étaient en terme de fécondation bien plus aléatoires que l’ICSI (intra cytoplasmic sperm injection), qui les a très rapidement supplanté. Cette technique proposée par Palermo et al. en 1992 est maintenant utilisée dans la plupart des centres d’assistance médicale à la procréation (AMP). En effet, quelque soit la technique utilisée en AMP, FIVc ou ICSI, les taux d’échec restent relativement élevés, et ceci malgré d’importants progrès technologiques. A l’heure actuelle, les taux de naissance par transfert d’embryon ne dépasse guère les 15%. Pour toutes ces techniques le taux d’implantation par embryon stagne depuis plusieurs années aux alentours des 10%, et ne dépasse pas les 15% pour les centres les plus performants.
Depuis plusieurs années les scientifiques sont à la recherche des raisons pouvant expliquer les maigres performances de la FIV en reproduction humaine. Plusieurs facteurs ont été évoqués pour expliquer certains échecs: (i) l’environnement folliculaire, (ii) la qualité intrinsèque des gamètes et des embryons qui en résultent, (iii) la défaillance de l’éclosion embryonnaire, et (iv) la réceptivité endométriale ont été incriminés. En résumé deux grands volets interviennent, d’un coté le volet in vitro au laboratoire d’AMP avec ses conditions de culture, et de l’autre, le volet organique en relation direct avec la stimulation ovarienne et la préparation utérine, qui joue un rôle non négligeable dans le succès de la tentative.
Les biologistes de l’AMP ont pris depuis quelques années conscience de l’importance des étapes réalisées in vitro lors d’une tentative de FIV, et des efforts considérables ont été réalisé dans un but de standardiser les étapes réalisées in vitro à l’aide de classifications, et de conférences de concensus. En plus, de multiples études ont été menées dans le but de mieux comprendre les lacunes et les effets néfastes d’une culture in vitro sur les gamètes ainsi que sur les embryons humains. Tous ces efforts sont bien entendu dirigés vers le but ultime qui est constitué par l’amélioration des résultats de FIV et donc l’augmentation des chances de grossesse obtenue par ce biais.
Pour améliorer les taux d’implantation plusieurs approches ont été suggérées. Nous allons nous intéresser plus particulièrement aux dernières avancées technologiques dans le domaines de l’AMP, regroupées sous le terme de " techniques de microchirurgie embryonnaire": (1) l’éclosion assistée de l’embryon ( )assisted hatching), (2) les techniques de retrait des fragments embryonnaires (cleaning), et (3) le du transfert de cytoplasme.

A) L’éclosion assistée de l’embryon ou le hatching

Les mauvais résultats obtenus en FIV humaine sont en grande partie dus à des anomalies génétiques de l’embryon, à des conditions non optimales de culture in vitro, à des anomalies de la zone pellucide interférant avec l’éclosion naturelle de l’embryon, et à l’échec d’implantation. Au moins 50% des embryons humains sont génétiquement normaux, cependant, les taux d’implantation ne dépassent pas les 10-15% pour les embryons de morphologie normale. Il faut savoir que moins de 25% des embryons humains vont éclore in vitro. Or, l’éclosion embryonnaire est une étape clé avant la nidation dans l’endomètre. Sans éclosion de l’embryon, l’implantation ne pourra s’effectuer.
Les expérimentations animales ont pu montrer chez la souris que l’éclosion naturelle pouvait être déficiente dans les conditions de culture in vitro. Dans ces conditions non physiologiques, les embryons ont une cinétique de division ralentie et présentent des blocages à de nombreux stades de leur développement. Un blocage peut donc survenir au stade d’éclosion du blastocyste. De plus, l’on sait maintenant que la culture in vitro est à l’origine d’un durcissement de la zone pellucide (phénomène de zona hardening), et par ce biais joue un rôle défavorable dans l’éclosion in vitro. C’est d’abord chez la souris qu’il a été montré que la création d’une brèche artificielle dans la zone pellucide remédiait à l’éclosion déficitaire des embryons obtenus in vitro. Cette technique a donc été mise au point dans le but d’améliorer le taux d’éclosion des embryons humains obtenus in vitro.

1) Par quelle procédure l’embryon éclot-il ?
Depuis plusieurs années le rôle de la pression exercée par le blastocyste en expansion au niveau de la ZP a été soupçonné. Chez la souris une enzyme trypsine-like élaborée par le trophectoderme a été détectée dans le milieu de culture d’embryons éclos. De plus, l’apport d’inhibiteurs de protéase dans les milieux de culture bloque le processus de hatching. Donc en résumé, le hatching est favorisé d’une part par un rôle mécanique de pression et d’autre part par un processus enzymatique. Or, les embryons obtenus in vitro ont une cinétique de division ralentie donc moins de cellules que les embryons physiologiques au même stade. Ceci pourrait jouer un rôle négatif d’une part dans la production enzymatique suffisante, et d’autre part dans l’exercice d’une pression suffisante pour favoriser le hatching.

2) Les expériences chez l’animal
Dès la fin des années 80, il a été montré chez la souris que la création d’une ouverture dans la ZP, ou même un amincissement de celle-ci, augmentait le taux de hatching au stade blastocyste. Cette éclosion assistée a également montré son utilité pour restaurer un taux de hatching normal, sur des embryons de souris cultivés dans un milieu sans protéine qui induisait un durcissement de la ZP. D’autres expériences visant à créer un déficit du potentiel d’éclosion d’embryons de souris par lésion de quelques blastomères, ont montré le rôle positif du hatching dans la restauration de ce potentiel. Les embryons micromanipulés avaient de plus un taux d’implantation supérieur aux embryons non hatchés.

3) Les techniques développées au laboratoire
- PZD (partial zona dissection) qui consiste à créer une brèche mécanique à l’aide d’une micro aiguille. La difficulté de cette technique réside dans l’impossibilité de créer une brèche de taille suffisante.
- ZD qui consiste à produire une digestion chimique et locale de la ZP à l’aide d’une solution de tyrode acide. Cette technique a également ses difficultés : la taille de la brèche est difficilement contrôlable, et un contact des blastomères avec l’environnement acidifié est toujours possible.
- Technique laser de contact ou non contact. Beaucoup plus facile à manier que les autres techniques disponibles.
- Techniques enzymatiques utilisant des solutions de pronase digérant la ZP. Et même amincissement de la totalité de la ZP par passage dans une solution acidifiée de tyrode sans création de brèche. Ces dernières techniques préviennent les effets toxiques potentiels de l’acide et du laser.

4) Les différentes études cliniques : pour ou contre le hatching ?
Depuis plusieurs années de nombreuses études ont confirmé l’avantage de l’utilisation du hatching dans des indications bien posées.
Dès 1992, Cohen et al. ont démontré l’utilité du hatching dans l’augmentation des taux d’implantation et de grossesse, chez les femmes de plus de 39 ans et/ou ayant une FSH basale élevée. Leurs résultats ont été confirmés par Schoolcraft et al. en 1993. Cette équipe a de plus démontré l’avantage du hatching pour améliorer les résultats quand plusieurs échecs antérieurs d’implantation existent. L’amélioration apportée par la technique du hatching semble loin d’être négligeable, puisque le taux d’implantation obtenu était de 33% dans le groupe ayant eu un hatching contre 6.5% dans le groupe contrôle, et que le taux de grossesse évolutive était de 64% dans le groupe hatching contre 19% dans le groupe contrôle.
Plusieurs études ont été réalisées pour confirmer l’amélioration des résultats cliniques par le hatching des embryons décongelés à J2 ou J3. Pour les embryons J3, le taux d’implantation était de 14% pour les embryons hatchés contre 5% pour le groupe contrôle, avec un taux de grossesse clinique de 30% après hatching contre 15% dans le groupe contrôle. Les résultats pour les embryons J2 étaient presque similaires.
La digestion complète de la ZP au stade blastocyste est utilisée depuis 1997 par Fong et al. qui rapportaient alors un taux d’implantation de 33% et taux de grossesse clinique de 53%. Mansour et al. en 2000, rapportent une étude portant sur la digestion complète de la ZP sur les embryons J3 de femmes ayant plus de 40 ans et/ou plusieurs échecs d’implantation. Ils obtiennent un taux de grossesse clinique de 23% avec les embryons traités, contre 7% dans le groupe contrôle.
Pour ou contre le hatching ?
Quelques études n’ont pas confirmé l’utilité du hatching pour améliorer les taux d’implantation et de grossesse. Pour la plupart, ces études avaient utilisées la technique sur des populations ne rentrant pas dans les critères d’inclusion pour le hatching. Il est vrai que cette technique n’apporte aucun avantage chez les femmes jeunes et dans les premières tentatives de FIV. Par contre, quand le hatching n’apporte pas les effets escomptés sur les populations bien choisies, il faut rechercher l’explication du coté de sa difficulté de réalisation et ceci suivant la technique utilisée. C’est seulement dans les mains d’une équipe entraînée que le hatching peut avoir des résultats satisfaisants et reproductibles.
Comme toute nouvelle technique en matière d’AMP, le hatching a suscité des interrogations quant à son potentiel malformatif. Jusqu’à ce jour, toutes techniques confondues, aucune élévation du taux de malformation n’a été rapportée après l’utilisation du hatching. Le seul risque clinique véritablement démontré aussi bien sur le modèle animal qu’humain, est l’augmentation du risque de gémellité monozygotique. C’est par ce biais là que des malformations fœtales pourraient être observées, ainsi qu’une augmentation de la morbidité et de la mortalité néonatale, en plus des complications obstétricales inhérentes à ce type de grossesse.

5) En conclusion
Le succès du hatching réside sur de multiples raisons. Il contourne la barrière mécanique à l’éclosion naturelle que constitue la zone pellucide épaissie par les conditions de culture. Il permet aux cellules embryonnaires l’économie de l’énergie nécessaire à l’éclosion assistée. Il permet une meilleure synchronisation de l’embryon avec l’endomètre, car il a été démontré que l’embryon hatché s’implantait avec un jour d’avance par rapport à l’embryon non hatché. Cette avance pourrait avoir un bénéfice sur le succès de l’implantation.

B) Le retrait des fragments embryonnaires ou le cleaning

La morphologie embryonnaire est un facteur important à déterminer pour aider à prévoir les chances d’implantation de l’embryon transféré. De multiples classifications embryonnaires ont vu le jour depuis quelques années, et même si entre elles la gradation n’est pas équivalente, cependant, ce sont presque toujours les mêmes facteurs morphologiques qui sont pris en compte pour définir un embryon à un moment donné de son développement. Ces classifications reposent donc pour la plupart sur la régularité des blastomères, le taux de fragmentation observé au sein de l’embryon, et parfois le nombre de blastomères.
Environ 80% des embryons obtenus in vitro présente une fragmentation cellulaire. Les fragments sont des structures indépendantes des blastomères, entourés par une membrane, et dérivent de la masse des cellules embryonnaires. La fragmentation reste encore à l’heure actuelle un phénomène mal compris, mais on a pu constaté dans quelles circonstances elle était le plus souvent rencontrée. En effet, il a été montré que 65% des embryons bloqués à J2 étaient issus de zygotes déjà fragmentés à J1 (Cohen et al.).

1) Pourquoi les embryons se fragmentent-il ?
Les réponses ne sont qu’hypothétiques. Les facteurs extrinsèques de l’environnement embryonnaire jouent certainement un rôle important dans la fragmentation : conditions de culture in vitro, composition et pH des milieux de culture, ainsi que la température semblent avoir un impact important sur le développement embryonnaire. De plus la stimulation ovarienne pratiquée avant le retrait des ovocytes entraîne des conditions non physiologiques de maturation pour les follicules et par là même pourrait entraîner un comportement embryonnaire anormal. En effet il a été rapporté que les follicules soumis à des conditions d’hypoxie par mauvaise vascularisation, produisent des ovocytes présentant plus d’anomalies cytoplasmiques et chromosomiques, aboutissant à des embryons ayant une capacité de développement réduite (6).
Les embryons ayant une fragmentation excessive comportent des anomalies chromosomiques (9,10) : 88% présentent une aneuploidie ou des anomalies en mosaique. Une autre étude a montré que 66% des embryons présentant plus de 35% de fragmentation avaient des anomalies chromosomiques.

2) les conséquences de la fragmentation sur les taux d’implantation et de grossesse
L’impact négatif de la fragmentation sur le développement embryonnaire est maintenant connu depuis plusieurs années. De nombreuses publications ont pu montré l’influence de la fragmentation sur les résultats de la FIV (12, 13, 14). Un taux d’implantation <5% a été rapporté pour des embryons comportant 10-50% de fragments, après un transfert J2. Ces études ne font pas de différence sur le degré et la manière de fragmentation des embryons étudiés.
C’est en fait l’équipe de J Cohen qui a proposé une classification des embryons fragmentés. Cette classification comporte 5 classes allant de I à V, et prend en compte la taille des fragments, le pourcentage de fragmentation et la localisation des fragments. Ils ont ainsi pu mettre en évidence, au cours de plusieurs études, une corrélation certaine entre d’une part le taux de fragmentation et les taux d’implantation et de grossesse, et d’autre part une corrélation entre le pattern de fragmentation et les taux d’implantation et de grossesse. Dans ces études(5496 embryons,1727 transferts) tous les embryons transférés avaient bénéficié d’un hatching suivi d’un " nettoyage " préalable des fragments, de manière à ne transférer que des embryons ayant moins de 25% de fragments. Ils rapportent ainsi un taux d’implantation de 30% quand la majorité des embryons transférés avaient <15% de fragments et un taux de 20% quand la fragmentation était > ou = 15%. De plus, quand la fragmentation était >35%, le taux d’implantation chutait à 6%.

3) Fragmentation et taux de formation de blastocystes
La même équipe a également étudié l’impact de la fragmentation embryonnaire sur le taux de formation de blastocystes. Ils ont ainsi pu montré une corrélation négative entre ces deux facteurs. Pour une fragmentation <15%, 33% des embryons en culture prolongée arrivaient au stade blastocyste, et pour une fragmentation >15% seulement 16% donnaient des blastocystes.

4) Retrait des fragments
Cette opération s’effectue après ouverture d’une brèche au niveau de la ZP par hatching. Les fragments sont ensuite retirés par une micropipette de 12µ de diamètre. C’est une manipulation très délicate nécessitant un agrandissement maximal au niveau du microscope, et beaucoup de doigté de la part de l’intervenant qui doit veiller à ne pas léser les blastomères au sein de l’embryon.

5) Pour ou contre le cleaning ?
A l’heure actuelle, l’efficacité du retrait des fragments n’a pas encore été testée sur une large étude prospective et randomisée, et l’influence positive de cette action sur la survie embryonnaire reste encore inexpliquée. Cependant, plusieurs explications hypothétiques peuvent être proposées.
Il a en effet été démontré que le retrait des fragments à J2 favorisait le clivage des blastomères entre J2 et J3 (21). Pour une fragmentation moyenne de 30%, les embryons " nettoyés " à J2 avaient une vitesse de clivage supérieure aux embryons identiques mais non "  nettoyés ". De plus, après le retrait des fragments, les embryons présentaient un nombre plus élevé de blastomères (> ou = 6) à J3.
Ce phénomène pourrait être expliqué par l’effet bénéfique qu’apporte le retrait des composants cellulaires apoptotiques, que seraient le fragments, sur le développement des blastomères intacts. Une étude a pu en effet démontrer que les blastomères adjacents aux fragments montraient des signes de dégénérescence (22).
Une controverse existe en revanche sur le bénéfice du " nettoyage " au niveau de la formation de blastocystes. Si une étude sur un petit nombre d’embryons humains (n=19) ayant subi un retrait de fragments à J3, montre un taux plus élevés de compactions observées à J4, une autre étude réalisée sur des souris montre que la présence de fragments n’interfère pas avec le taux de formation de blastocyste et que le retrait des fragments ne présenterait donc plus aucun avantage (23). Il ne faut cependant pas oublier qu’une autre étude menée sur des embryons de souris a clairement démontré l’effet néfaste de la dégénérescence partielle provoquée au niveau de certains blastomères, sur le potentiel évolutif et la viabilité de l’embryon (24). Dans cette étude le retrait des composants dégénératifs restaurait la viabilité des embryons.
D’autres auteurs suggèrent que l’effet délétère de la fragmentation est irréversible au moment du retrait et qu’il a lieu en amont (5). Pour ces auteurs les fragments ne sont pas des composants apoptotiques mais contiennent des protéines régulatrices du métabolisme embryonnaire, donc une fois séparées des blastomères, l’effet délétère de leur absence s’exercerait immédiatement et le fait de les extraire du sein de l’embryon n’apporterait aucun effet bénéfique. Il reste néanmoins vrai que même en admettant cette hypothèse, l’absence de certains composants clés du métabolisme embryonnaire induit à long terme une dégénérescence cellulaire et altère le processus évolutif de l’embryon. L’extraction des composants en voie de dégénérescence serait de toute manière positif pour les éléments non dégénératifs.

6) En conclusion
D’un côté les mécanismes en cause dans la fragmentation embryonnaire sont encore inconnus, et de l’autre côté le retrait de ces fragments n’a pas encore été suffisamment convaincant quant à ses effets bénéfiques sur les taux d’implantation et de grossesse des embryons " nettoyés ".
Néanmoins, quelques études rétrospectives font pencher la balance pour le " nettoyage " des fragments en rapportant une amélioration des résultats en terme de grossesse. En attendant des études prospectives randomisées, le retrait des fragments devraient s’effectuer avec parcimonie et par des équipes entraînées à la microchirurgie embryonnaire.

C) Le transfert de cytoplasme

Le rôle du cytoplasme de l’ovocyte dans la maturation et activation ovocytaire est bien connue chez les mammifères. L’importance de facteurs cytoplasmiques ovocytaires a été également supçonné au niveau du développement du zygote, particulièrement pendant les premiers stades de division cellulaire, quand la transcription du génome embryonnaire est encore minimale. Des irrégularités de développement et des dysmorphismes sont souvent constatés chez l’ovocyte humain ainsi que les embryons, au cours des tentatives d’AMP. Ces processus seraient dus à des facteurs génétiques et non génétiques. Des anomalies non génétiques peuvent exister au niveau du cytoplasme ovocytaire et interférer avec le développement normal et la viabilité de l’embryon qui en est issu. A l’heure actuelle nous ne disposons pas d’explication pour comprendre toutes ces anomalies. Le degré de fragmentation des embryons peut être aussi considéré comme le résultat d’un dysmorphisme ovocytaire primaire, même si l’on sait que cette fragmentation est dépendante des conditions de culture in vitro. Quelques études portant sur les manipulations ovocytaires et embryonnaires ont déjà été rapportées chez l’animal ; elles ont été réalisées dans le but d’améliorer les déficiences ovoplasmiques et anomalies embryonnaires. Chez l’homme, le transfert de cytoplasme a été réalisé de manière expérimentale dans le but de " sauver " les tentatives de très mauvais pronostic. Il s’agissait de couples ayant un long passé d’échecs d’implantation attribués à une mauvaise qualité embryonnaire, et pour lesquels tous les essais d’amélioration des résultats par l’arsenal habituel de stimulation et de laboratoire (culture prolongée, hatching), avaient échoués. le but était de restaurer un développement et une viabilité normale des embryons de mauvais pronostic. Nous rapportons ici l’expérience de l’équipe pionnière dans ce domaine.
Deux approches de transfert d’ovoplasme à partir d’ovocytes de donneuses en métaphase II, aux ovocytes de receveuses au même stade ont déjà été utilisées :
1) electrofusion d’un fragment anucléé de donneuse dans chaque ovocyte de la receveuse
2) injection directe d’une petite quantité de cytoplasme d’ovocyte de donneuse dans chaque ovocyte de la receveuse.
Les patients sélectionnés pour l’étude avaient été recrutés pour la présence antérieure d’anomalies zygotiques, embryonnaires ou blocage embryonnaire. Ils avaient pour la plupart des dysmorphies ovocytaires, une fragmentation embryonnaire, clivage ralenti, blastomères multinuclées, ou autres anomalies morphologiques.
Il faut savoir que cette technique nécessite la synchronisation de la stimulation de la donneuse et de la receveuse. Le déclenchement doit également être réalisé de manière synchrone.

1) Procédure technique
Les ovocytes de la receveuse et de la donneuse sont chacun placés dans une gouttelette de 5 µl de milieu de culture sous huile. La même boite de pétri contient également une gouttelette de 5 µl de PVP 12%, où sont placés les spermatozoïdes du conjoint de la receveuse.
Les pipettes utilisées sont les mêmes que pour une ICSI. La pipette de microinjection est équilibrée avec du PVP. Un spermatozoïde est immobilisé et aspiré, puis bloqué à 30 µm de l’extrémité de la pipette. L’ovocyte de la donneuse est maintenu avec le GP à 2 ou 4 heures, pour qu’il puisse être percé à 3 heures. Ceci permet d’aspirer le cytoplasme controlatéral du fuseau de division. Le spermatozoïde est alors ramené au bout de la pipette de microinjection, alors que celle-ci pénètre l’ovocyte avec un mouvement d’agitation pour provoquer la cassure de la membrane. Cette technique de cassure est plus douce que l’aspiration du cytoplasme, et augmente la résistance de l’ovocyte à plusieurs pénétration par la micropipette.
Le cytoplasme de cet ovocyte est alors doucement aspiré dans la micropipette en utilisant le spermatozoïde bloqué comme point de repère. Quelques mouvements d’aspiration et de refoulement du cytoplasme peuvent faciliter sa montée dans la micropipette. Un agrandissement de 800-1200 X est nécessaire pour bien contrôler aspiration du cytoplasme. Par contre, la quantité aspirée dans la pipette est vérifiée à 200-300 X. Environ 500-1000 µm de cytoplasme est aspiré dans la pipette. Ceci représente à peu près 7-14% du volume cytoplasmique.
L’ovocyte de la receveuse est alors maintenu avec le GP à 8 heures, de manière à pouvoir déposer le cytoplasme donneur le plus près possible du fuseau de division. L’ovocyte est alors percé doucement et son cytoplasme aspiré et refoulé pour créer un relâchement local qui assurerait un meilleur mélange avec le cytoplasme donneur.
Le spermatozoïde est bien sûr injecté dans l’ovocyte receveur en même temps que le cytoplasme donneur.

2) Evaluation clinique
Chez certains de ces patients les zygotes ayant eu un transfert de cytoplasme ont eu un meilleur développement, par rapport aux zygotes n’ayant pas eu de transfert de cytoplasme et issus de la même tentative.
Pendant l’étude, 28 transferts de cytoplasme ont eu lieu. Il y a eu 9.2% de lyse après le geste. Ce taux est plus élevé que le taux de lyse observé après ICSI classique pendant la même période (4.8%). 325 ovocytes ont été injectés au total et le taux de fécondation était de 73%. 65% des ovocytes sont arrivés à J3. 98 embryons ont été transférés et 17 ont abouti à une grossesse clinique (17%). 13 ont abouti à un accouchement. Une des FCS était due à une monosomie X. De plus, un des jumeaux d’une des grossesses gémellaires était également porteur d’une monosomie X. Une responsabilité de la technique utilisée dans l’apparition de ces anomalies ne peut être écartée. Cependant, étant donné le peu de cas répertoriés ici, il est difficile d’incriminer la technique utilisée.
La plupart des échecs après cette technique étaient dus soit à un facteur spermatique, soit à un asynchronisme de phase folliculaire entre la donneuse et la receveuse.
A J3 ces embryons comportaient en moyenne 4.7 cellules, ce qui est inférieur au nombre de cellules obtenues sur les embryons J3 d’ICSI (6.5). Le taux de fragmentation de ces embryons était de 35%, ce qui dénote un mauvais pronostic de survie ainsi qu’un risque augmenté de mosaïque chromosomique. Ce risque peut être diagnostiqué par la biopsie du globule polaire.
Il faut cependant considérer le remarquable taux de grossesses cliniques obtenus sur les 28 cycles réalisés, soit 46% (13/28). Un taux d’autant plus remarquable que tous ces patients avaient un long passé d’échecs d’implantation dus à une mauvaise qualité embryonnaire. La possibilité d’obtention de résultats similaires sans avoir eu recours à cette technique ne peut bien entendu pas être totalement écartée.

3) Avantages et inconvénients de la méthode
Un des désavantages de cette méthode est l’imprécision de la quantité de cytoplasme transférée. Par ailleurs, on ne peut transférer que du matériel polarisé et seulement en petite quantité.
Aucun des embryons issus de l’électrofusion ne s’est implanté dans cette étude. Cette technique est de réalisation plus complexe, mais cependant est plus souple en terme de matériel utilisable. Elle pourra être considérée comme le choix du futur dès que les indications et méthodes de réalisation auront été définies. Dans cette étude l’électrofusion a eu lieu avant l’injection du spermatozoïde et a donc induit une activation ovocytaire préalable à l’injection. Si bien qu’au moment de l’injection, la plupart des ovocytes étaient en passe d’expulsion du 2e GP. Il aurait donc fallu effectuer l’ICSI avant l’électrofusion, ou bien trouver une méthode évitant l’activation ovocytaire par la fusion.
L’importance des critères de sélection est cruciale étant donné que le transfert de cytoplasme n’améliore pas les problèmes non liés aux composants de celui-ci. Les ovocytes candidats sont ceux qui ont un génome nucléaire normal mais avec un déficit de facteurs maternels cytoplasmiques. Evidemment à l’heure actuelle il est quasi impossible de porter ces diagnostics, qui de plus est au moment du geste thérapeutique.
Il faut également considérer le risque de transmission de facteurs lésionnels ou toxiques à l’ovocyte receveur par le biais même de la technique (création d’une brèche dans la paroi et exposition du milieu intra cellulaire au milieu extra cellulaire). Il s’agit d’une situation similaire à l’ICSI classique. Un des problèmes hypothétiques pourrait être un risque d’induction d’une transgenèse s’il y a présence d’une reverse transcriptase dans le milieu de culture. Ceci paraît être fortement improbable puisque ces enzymes n’ont jusque là été détectées que dans les rétrovirus. En outre, le spermatozoïde pourrait être porteur de transcrits pouvant intervenir à l’échelle micro environnementale.
Cette technique pourrait être assimilée à une forme de manipulation génétique ou thérapie génique, étant donné qu’elle comporte une incorporation d’acides nucléiques, d’ARN messagers, et d’ADN mitochondrial, d’origine étrangère dans l’ovocyte receveur. Bien que la transgenèse classique consiste à incorporer de l’ADN étranger au matériel nucléaire de la cellule, cette possibilité ne peut pas encore être écartée dans le cadre de cette technique. Il reste néanmoins vrai que le transfert de cytoplasme implique l’entrée dans la cellule hôte d’ARNm, d’inhibiteurs de protéines, de facteurs de croissance et bien d’autres composants qui pourraient affecter le cycle cellulaire, le processus apoptotique, ou les gènes de ménage de la cellule receveuse. Cependant, les modifications cellulaires observées suite aux changements des conditions de culture in vitro, ne paraissent affecter que la viabilité pendant la période préimplantatoire et implantatoire exclusivement. Le transfert de cytoplasme pourrait être en cause dans la création d’une population mitochondriale chimérique ou hétérogène, au sein de l’ovocyte receveur, ce qui pourrait éventuellement avoir des conséquences néfastes sur le développement. Or, chez l’animal, les expériences de transfert nucléaire en vue de multiplication génomique, n’ont en fait jusque là détecté que des hybrides mitochondriaux chez certains animaux. A l’état zygote, le mélange de populations mitochondriales d’origines diverses, semble être à l’origine de mécanismes d’arrêt mitochondrial spécifique. En effet, à un stade embryonnaire avancé, les mitochondries d’origine paternelle et maternelle ne peuvent être détectées ensemble. Chez les mammifères, l’ADN mitochondriale semble être d’origine maternelle. Ainsi, le transfert de PN ou de noyau de VG, de femmes vectrices de maladies mitochondriales, dans un cytoplasme énuclée normal devrait être un moyen de juguler la transmission de ces maladies.

4) Mode d’action du transfert de cytoplasme
Le mode d’action du transfert de cytoplasme dans l’amélioration des dysfonctionnements ovocytaires est totalement inconnu. Aussi bien que les effets délétères de chaque type de dysmorphie sur les évènements post fécondation sont loin d’être identifiés. Dans tous les cas on peut difficilement être certain que le transfert d’une si petite quantité de cytoplasme aura jugulé l’incompétence cytoplasmique de l’ovocyte receveur. Les changements de volume induits par ce procédé ne doivent cependant pas être sous estimés, car il est bien connu que le peu de matériel cytoplasmique apporté par le spermatozoïde, a une action cruciale malgré la petitesse du volume. Dans cette étude la quantité injectée ne semble pas excéder l’équivalent d’un blastomère d’un embryon à 8 cellules.
4 voies d’action peuvent être considérées dans le transfert de cytoplasme :
a) Les mitochondries de la donneuse peuvent amener un environnement plus physiologique pour les premières phases de développement embryonnaire. Ces mitochondries ne vont par ailleurs pas forcément subsister dans l’ovocyte ultérieurement.
b) Le pool d’ARNm de l’ovocyte peut être remonté après le transfert cytoplasmique. Ceci est d’autant plus probable que le taux d’ARNm est dépendant des apports maternels jusqu’à l’expression complète du génome embryonnaire. De plus, les ovocytes issus de femmes différentes auraient des niveaux d’ARNm différents.
c) D’autres organites ou organisations cellulaires peuvent être également affectées, tel que le fuseau de division méiotique. Ceci pourrait être réversible après le transfert de cytoplasme.
d) Le transfert peut avoir une conséquence spécifique en modifiant juste un seul mécanisme. Par exemple, les ovocytes au stade VG ou les stades zygote bloqués, peuvent bénéficier d’un apport de facteurs régulant le cycle cellulaire.
Dans cette étude, certains embryons à cytoplasme hybride ainsi que ceux obtenus avec des ovocytes de donneuse, avaient un développement médiocre. Ces résultats démontrent l’importance des composants cytosoliques apportés par le spermatozoïde après la fécondation.
La polarisation du cytoplasme a été démontrée chez les non mammifères. Le transfert de cytoplasme soulève quelques questions au sujet de la polarisation, ainsi que sur ses conséquences. Il a été récemment postulé que les lignées de cellules endodermiques et trophectodermiques étaient individualisées dans les stades précoces du développement embryonnaire chez les embryons de mammifères. Ceci pourrait servir à égaliser la distribution des différents facteurs de part et d’autre de la ligne de division cellulaire au stade deux cellules. Il s’agirait d’un axe de division secondaire qui pourrait facilement être surmonté chez les blastomères devenus totipotents après transfert nucléaire.
Ce modèle suppose l’existence d’un gradient aussi bien d’ordre structurel que moléculaire dans l’ovocyte humain. Si tel était le cas, alors le transfert de cytoplasme aurait du avoir des conséquences fâcheuses sur le développement. Ceci serait d’autant plus grave si on mettait en évidence une absence de translocation du matériel transféré dans tout le cytoplasme. Une expérience d’injection de mitochondrie et de lysosomes marqués avec une coloration vitale a pu montré que ces organites migraient dans toutes les parties du zygotes, et se retrouvaient dans la plupart des blastomères par la suite.
Dans l’étude rapportée, le matériel transféré a été prélevé au pôle végétatif de l’ovocyte (à l ‘opposé du GP), pour être injecté au pôle animal (près du GP) de l’ovocyte receveur. Cette pratique n’a dans aucun des cas causé un arrêt du développement. Ce résultat est en désaccord avec les conclusions des études citées ci-dessus qui avaient suggéré qu’une interruption dans les phénomènes de polarisation pouvait avoir des effets délétères sur le développement.

5) Transfert de cytoplasme et maladies mitochondriales
Les mutations intéressants l’ADN mitochondrial sont responsables de syndromes neuromusculaires tels que Kearns-Sayres, ophtalmoplégie chronique externe, syndrome de Pearson, … A l’heure actuelle, plus de 150 réarrangements différents ont été répertoriés pour l’ADN mitochondrial : délétions, insertions, et duplications. Ces réarrangements sont à l’origine de déficit en énergie cellulaire et affectent le cerveau, le cœur, les muscles squelettiques, le rein, la moelle osseuse, et les cellules pancréatiques, dans le cadre de maladies dégénératives.
Ces réarrangements s’accumulent avec le vieillissement des tissus et paraissent prédominer au niveau des tissus qui ne se renouvellent pas comme le muscle et le cerveau. Avec l’accumulation des réarrangements un niveau seuil significatif va être atteint, et par là une réduction des capacités oxydo-phosphorylantes va survenir. Les ovocytes sont des cellules qui ne se renouvellent pas et peuvent être arrêtés pendant des dizaines d’années ; ils peuvent donc accumuler des réarrangements d’ADNmt. Les mitochondries des ovocytes matures ne contiennent pas de copies redondantes des ADNmt, et de ce fait peuvent donc être plus sensible aux mutations ou lésions oxydatives. Ces mitochondries porteuses de réarrangements sont rendues incapables de produire de l’énergie de manière adéquate, en raison de déficit enzymatique. Ces altérations peuvent corréler avec une baisse de la fertilité de l’ovocyte en question, puisque la fécondation et le développement embryonnaire préimplantatoire, nécessitent des quantités importantes de réserve d’énergie. Des études chez la souris ont montré que les ovocytes et les embryons contenant moins de 2 pmol d’ATP, n’atteignaient pas le stade 8 cellules.
Des expériences préliminaires ont montré qu’un mélange entre les ADNmt de la donneuse et de la receveuse pouvait exister chez les embryons J3. L’analyse sur les amniocytes à 16 SA a montré soit une absence de l’ADNmt de la donneuse, soit un mélange avec celui de la receveuse. Ce mélange a été à nouveau retrouvé sur les tissus placentaires de 2 nouveau nés sur 4 testés. De plus, le sang de cordon contenait également une toute petite quantité d’ADNmt de la donneuse par rapport à la receveuse.

6) En conclusion
Il faut retenir que le transfert de cytoplasme reste encore à l’heure actuelle une technique expérimentale, et n’est pratiqué que dans très peu de centres à travers le monde. C’est une technique qui apparemment sauve en dernier recours quelques tentatives de très mauvais pronostic, mais doit être considérée avec beaucoup de réserves, d’un coté pour sa lourdeur d’organisation technique ainsi que la nécessité d’une dextérité du biologiste qui la pratique, et de l’autre coté pour toutes les craintes et interrogations qu’elle suscite de part le mélange de matériel endo et exogène à la femme. Des études supplémentaires avec plus d’effectifs sont encore nécessaires pour valider son efficacité et son innocuité.