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'Rien n’est plus dangereux que la certitude d’avoir raison' F. Jacob La citation mise en exergue vous laisse présupposer qu'on ne vous donnera pas un avis tranché. Cette question ,d’une brûlante actualité, est de ce fait fortement médiatisée, avec des prises de position excessives que ce soit dans un sens ou dans l’autre. Depuis la naissance de Louise Brown en 1978, l’ Assistance Médicale à la Procréation (AMP) fascine le grand public, elle a rendu tout (ou presque) possible, la double voire la triple maternité (la mère ovocytaire, la mère utérine, la mère sociale), la maternité sans ovaire ou sans utérus, la paternité sans spermatozoïde, la parentalité à tout âge et l’homoparentalité pour les femmes comme pour les hommes. Don d’ovocyte, accueil d’embryon, prêt d’utérus (encore appelée gestation pour autrui ou GPA) font désormais partie de notre univers. L es lois dites de bioéthique de 1994 comme de 2004 ont autorisé les dons d’ovocytes et d’embryons et interdit la gestation pour autrui mais l’enquête réalisée en 2007 par l’Agence de Biomédecine (l’ABM) a montré que les français la croyaient autorisée en France. Quant au corps médical majoritairement opposé à la GPA dans l’enquête réalisée par Claude Sureau en 1998, il est devenu 10 ans plus tard tout aussi majoritairement favorable comme l’a révélée l’enquête GEFF –BLEFCO (57,4 % des 600 gynécologues interrogés lui sont favorables, et 55,5 % parmi ceux qui ne pratiquent pas eux mêmes l’AMP). Malgré cela, en 2009, une femme qui perd son utérus dans une hémorragie de la délivrance ne pourra pas en France bénéficier de la GPA sauf à aller le faire (plus difficilement qu’on ne le croit) dans un pays ou la loi est plus tolérante si elle en a les moyens. Des lois variables dans chaque pays obligent à s’interroger sur leurs raisons d’être. Fallait-il légiférer sur une science aussi récente que l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) ? Louise Brown n’est née qu’en 1978 et Amandine, en France, en 1982. Fallait-il que la première loi dite de bioéthique voit le jour dès 1994 soit 12 ans seulement après la première naissance ? Quelle défiance notre société manifeste-t-elle envers ses médecins, allions nous faire n’importe quoi si nous n’étions pas menacés de sanctions pénales ? Pour mémoire, recevoir un couple en AMP sans le consentement signé au moins un mois après la première consultation (comme si le couple n’avait pas attendu des mois ce premier rendez vous dans le centre d’AMP après un parcours préalable lui aussi parfois très long avec son gynécologue) ne vaut que 5 ans de prison et 500 000 francs d’amende dans la version de 1994 (traduits en euros dans la version de 2004), ne pas respecter les règles de sécurité sanitaire, 2 ans de prison et 200 000 francs d’amende ! Pourquoi un couple d’homosexuelles peuvent elles avoir un enfant en Belgique et non en France ? Pourquoi dans des conditions bien définies une femme qui naît avec des ovaires mais sans utérus peut- elle avoir un enfant en Angleterre et non en France ? Pourquoi une femme peut elle recevoir les ovocytes de sa sœur en Belgique et non en France (alors que les chromosomes qu’elle reçoit sont alors ceux de ses propres parents, ceux qu’elle aurait pu avoir)? Ces interrogations sont sources du malaise français. Quelle est la valeur d’une loi qui n’est vraie que d’un coté de la frontière ? Elle n’est basée que sur des croyances sans fondements scientifiques, elle ne peut pas être acceptée par tous, encore moins être respectée ! Le don d’ovocyte (auquel il faut désormais associer l’accueil d’embryon) et la gestation pour autrui sont des sujets de réflexions ou l’éthique de chaque pays amène à des conclusions différentes, ce qui doit nous laisser songeurs ! Le don d’ovocyte Depuis les publications initiales de Trounson (1) et Lutjen (2), cette technique s’est développée avec des résultats et des modalités variables selon les pays. Malgré l’abrogation en 2004 de l’obligation de congeler les embryons obtenus pendant 6 mois avant d’avoir le droit de les transférer in utero, les résultats français bien qu’améliorés, restent limités comme le prouvent les résultats de l’année 2006, présentés par l’Agence de Biomédecine dans son rapport d’activité 2008. Les taux d’accouchement par tentatives sont en effet de 20,13 % en FIV, de 15,8 % en ICSI et de 13,8 % après transfert d’embryon congelé. Les résultats européens 2004 font quant à eux état d’un taux d’accouchement par transfert de 27,3% en Espagne, de 30 % en Grèce, de 40 % en Ukraine (3) ! La relative pénurie de donneuses et surtout l’âge moyen des femmes françaises donnant leurs ovocytes (obligées de par la loi d’avoir déjà eu elles même des enfants) expliquent cette différence de résultats. Anonyme et gratuit tel est le dogme en France mais l’anonymat commence à être remis en question de par le monde et la gratuité n’est souvent qu’apparente. En France, le don d’ovocyte a été considéré, par la loi, sur le même plan que le don de sperme, ce qui est logique sur le plan du concept mais aberrant sur le plan pratique. Donner son sperme est un geste noble mais techniquement facile, donner ses ovocytes est un geste noble mais physiquement très lourd ! L’enquête GEFF-BLEFCO montre d’ailleurs que 60 % des gynécologues français sont désormais d’accord pour une indemnisation de la donneuse et 42,5 % à une véritable rétribution, taux qui atteint 49,8 % parmi les médecins qui pratiquent eux même l’AMP et qui donc connaissent la lourdeur du don. Si le nombre de femmes françaises qui vont à l’étranger pour le don d’ovocyte est inconnu, les prix sont eux connus et dépassent 6000 euros plus le traitement de la donneuse dans certains pays. Le don d’embryon La pénurie d’ovocytes en France pousse les couples vers l’accueil d’embryon qui peut se définir comme une sorte d’adoption prénatale avec, par rapport à l’adoption, pour la femme receveuse, l’opportunité de vivre une grossesse et un accouchement et donc de nouer des liens prénatals avec son enfant et d’être la mère au sens légal du terme puisque, selon la loi française, la femme qui accouche est la mère. Alors que l’on manque de donneuses d’ovocytes, ces embryons congelés disponibles semblent donc une alternative extrêmement séduisante. Bien que les décrets relatifs au don d’embryons (appelé par la loi “accueil d’embryons”) datent de 1999, peu de centres en France se sont lancés dans cette aventure puisque la toute récente enquête de l'Agence de Biomédecine en 2008, recense 12 centres le pratiquant sur les 21 ayant obtenu l’agrément avec pour l’année 2006 (dernier résultats connus) 57 transferts et 9 accouchements soit 15,8% par transfert (données non publiées). Les données du BLEFCO qui portent sur tous les transferts depuis le début de l’activité soit septembre 2002 sont plus optimistes avec 174 transferts et 47 grossesses (27%) (4). Aux USA, le prix du don d’ovocyte a également fait se développer le don d’embryon et un récent article de Keenan fait état de 702 transferts d’embryons avec 35,5% de naissances (5). L’accueil d’embryon est très simple techniquement mais il soulève de nombreuses questions et certains lui sont de ce fait formellement opposés (6). En France, ovocytes, spermatozoïdes et embryons sont mis sur le même plan par la loi et soumis aux dogmes de l’anonymat et de la gratuité. Le problème est que pour la plupart des médecins, ces embryons sont certes un humain potentiel, mais ne sont en fait que quelques cellules, tandis que dans l’imaginaire de certains des couples donneurs cet embryon congelé est le petit frère ou la petite sœur des enfants qu’ils ont déjà. A défaut d’échanger des enfants ( cf. « La vie est un long fleuve tranquille ») se sont des embryons qui sont ainsi échangés d’une famille à une autre (7). On peut rétorquer que, dans l’adoption, la situation est identique. Toutefois, dans l’adoption, une femme qui ne peut pas élever son enfant a le courage de le donner à un couple adoptant pour qu’il connaisse une vie meilleure que celle quelle aurait pu lui donner. Accoucher sous X, acte d’amour, avait écrit Catherine Bonnet. Le sort de l’enfant ne peut qu’être amélioré. Dans l’accueil d’embryons, les couples qui ont déjà deux ou trois enfants, et n’ont plus, pour de multiples raisons, de projet d’enfant, donnent leurs embryons congelés restant, mais certains voudraient, comme le montrent les entretiens avec ces couples, pouvoir continuer à le protéger de loin. Comme l’expriment certains « si les parents d’accueil meurent, nous aimerions être là pour pouvoir nous en occuper ». Pour d’autres couples le don est simple, sans fantasmes, ils aident un autre couple et le médecin est soulagé ... la consultation est plus facile ! Toutefois, le nombre de couples qui donnent réellement leurs embryons reste extrêmement restreint. Il est évident que certains couples donneurs voudraient, pour l’enfant potentiel qu’ils donnent, une qualité de vie égale à celle qu’ils offrent à leurs enfants. De plus, à l’ère du droit aux origines, quelle pourrait être la réponse si, un jour, un homme ou une femme, issu d’un don d’embryon, venait reprocher aux médecins ou aux parents biologiques la vie qui lui est échue ? Il y a de moins en moins d’enfant à adopter en France, et on ne peut que s’en féliciter (pour accoucher sous X, il faut ne pas avoir pris de contraception, ne pas connaître la pilule du lendemain, ne pas avoir fait d’IVG avant quatorze semaines d’aménorrhée, ne pas savoir que l’on peut faire des IVG plus tardives à l’étranger !). L’accueil d’embryon est une « extraordinaire alternative » à l’adoption. Pour le préserver, ne devrait-on pas accepter l’idée de pouvoir rassurer ceux des couples donneurs qui le demandent ? Accepter qu’un système non anonyme soit possible pour les parents qui le souhaitent, donneurs et receveurs ? La question n’est pas “politiquement” correcte, mais il serait hypocrite de ne pas se la poser en 2009 (7). La tendance actuelle aux stimulations de l’ovulation modérées va sans doute progressivement réduire le nombre d’embryons congelés, ce qui mettra peut être fin à cette alternative et aux interrogations qu’elle soulève ! La gestation pour autrui (GPA) la gestation pour autrui concerne l’implantation dans l’utérus de la gestante d’un embryon issu de la fécondation d’un ovocyte, provenant d’une femme privée d’utérus soit du fait d’une malformation congénitale, soit à la suite d’une intervention chirurgicale, par les spermatozoïdes de son conjoint. De ce fait, il existera donc une mère et un père biologiques, une mère qui portera l’enfant et une mère qui élèvera l’enfant. Notons au passage le glissement sémantique de mère porteuse vers gestante pour autrui, voir nounou prénatale.. On dit pourtant bien porter un enfant ! Ce glissement n’est certes pas dénué de sens et doit rendre plus noble la même réalité en changeant le terme qui la désigne; ce mouvement est d’ailleurs général: l’aveugle devient un malvoyant, le sourd un malentendant, le balayeur un technicien de surface, etc…. La grossesse pour autrui est le sujet éthiquement le plus difficile, car il touche en même temps à la filiation, à la famille et à l’engendrement Au centre du débat éthique sur les GPA se trouvent donc la relation de subordination d’une femme vis-à-vis d’une autre et son instrumentalisation possible (Nisand, donnés sous presse, CNGOF 2008). La GPA est devenue sujet d’actualité depuis le rapport du groupe de travail du sénat .Ce groupe a conclu en faveur de la légalisation mais dans des conditions strictes pour la bénéficiaire, pour la gestatrice, pour la mise en relation des couples, le suivi de la grossesse et les règles pour l’établissement de la filiation. Il ne s’agit toutefois pour le moment que d’une réflexion. Les débats sur la GPA qui ont lieu à l’heure actuelle sont l’exemple même des dialogues de sourds, selon que l’on considère le coté de la femme qui en a besoin ou celui de celle qui prête son utérus. Les adversaires de la GPA rappellent les risques de la grossesse pour la femme, les relations entre le fœtus et la mère, parlent d’abandon obligé, de maternité éclatée, les tenants de la GPA plaident pour ces femmes qui n’ont pas ou plus d’utérus mais que la loi prive de maternité, alors qu’elles pourraient être mères biologiques puisqu’elles ont des ovocytes. Que disent les religions ? Pour le Judaïsme, la FIV-GPA est autorisée. Pour l’Islam, l’AMP avec intervention d’une tierce personne ( don de gamètes, don d’embryon, GPA, n’est pas admise.). Pour le Christianisme: Catholicisme, la procréation ne doit en aucune circonstance être dissociée de l’acte sexuel. Eglise orthodoxe: elle refuse les techniques d’AMP. Eglise Anglicane: ouverte à tous les procédés d’AMP. Protestantisme: rejette le don de gamètes. Aspects juridiques : La GPA n’introduit-elle pas une double réification ? Celle de la mère: 'machine à fabriquer l’enfant'. Les anthropologues nous ont appris que ce fait existe depuis l’origine des temps et se retrouve notamment dans les sociétés africaines. Mais, la tradition philosophique nous apprend que le sujet humain possède des caractéristiques qui le distinguent radicalement des choses et l’élèvent au-dessus des autres êtres vivants, lui conférant une dignité propre. Celle de l’enfant, la GPA ne transforme-t-elle pas l’enfant en une chose due en vertu d’un contrat et qu’il convient de donner 'au couple commanditaire' en fin de prestation ? N’est-ce pas une transgression absolue qui veut, depuis l’abolition de l’esclavage, qu’on ne puisse plus, d’aucune manière, ni vendre ni donner des personnes parce qu’elles sont des sujets de droit et non des objets! Certains opposent à cette argumentation la libre disposition du corps telle qu’elle existe, par exemple, dans le don d’organes ; mais l’enfant peut-il être considéré comme un organe dont on se sépare ? Quelle est la législation actuelle dans les autres pays européens ? La GPA est autorisée au Danemark, en Grande Bretagne, en Grèce et en Roumanie. En Belgique, en Finlande et aux Pays Bas il n’y a ni loi, ni interdit. La GPA n’est pas acceptée en Allemagne, en Autriche, en Bulgarie, en Espagne, en France, en Italie, en Hongrie, au Luxembourg, en Norvège, au Portugal et en République tchèque. Il ne s’agit pas de faire 'un référendum européen', mais cette longue énumération démontre, tout au moins, que la position de la France est loin d’être isolée. Il serait toutefois illusoire de croire que l’herbe est toujours plus verte ailleurs, la séance de l’ESHRE 2008 consacrée au nomadisme procréatique a montré que certes il y a des ovocytes à donner en Ukraine, en Grèce ou en Espagne, certes les résultats semblent excellents pour les receveuses mais la vie des donneuses (nouvelles esclaves des temps modernes) laisse parfois à désirer. Un autre malaise s’installe ! Aspects éthiques: Ce sont eux qui nous retiendront le plus longuement. Nous orienterons notre discussion autour de 3 principes fondamentaux : Le respect de la dignité humaine, Le principe de bienfaisance/ non malfaisance et Celui de justice et d’équité. Conclusions: Les débats concernant la GPA sont d’une grande complexité. Ils ne peuvent que s’inscrire dans une discussion plus générale de la loi bioéthique. En effet, un certain nombre de principes sont remis en question: la gratuité et l’anonymat. La grossesse pour autrui serait 'indemnisée', le don d’ovules pas où est la cohérence ? La GPA ne sera par définition pas anonyme. Les donneurs gamètes devraient le demeurer. Où est la logique ? Les arguments avancés par les philosophes et les éthiciens sont souvent rejetés car, dit-on, ils ne sont pas sur le terrain et ne savent pas de quoi ils parlent. La loi existe, pour la modifier, il faut passer par le parlement.Ces questions, concernant la vie privée, doivent-elles faire l’objet d’une loi ? C’est un autre débat. Ce qui est certain c’est qu’il s’agit en tout cas de questions sociétales qui nécessiteraient des débats citoyens, ce qui est en principe prévu. Encore conviendrait-il qu’au cours de ces débats les gens , médecins y compris, s’écoutent et se respectent sans s’invectiver. Les conclusions de ces débats devraient être remis aux parlementaires avant qu’ils ne délibèrent, quelque soit la qualité des experts qu’ils auront auditionnés. En effet, ne rien changer à la loi ne résout rien,ni sur le plan éthique, ni sur le plan juridique du fait des problèmes insolubles que poseront la filiation des enfants qui continueront de toute manière à naître dans d’autres pays. Bibliographie Trounson A, Leeton J, Besanko M, Wood C, Conti A. Pregnancy established in an infertile patient after transfer of a donated embryo fertilized in vitro. BMJ 1983;286:835-9 Lutjen T, Trounson A, Leeton J, Findlay JM, Wood C, Renou P. The establishment and maintenance of pregnancy using in vitro fertilisation and embryo donation in a patient with primary ovarian failure. Nature 1984;307:174-5 Andersen AN, Goossens V, Ferraretti AP, Bhattacharya S, Felberbaum R, de Mouzon J, Nygren KG; European IVF-monitoring (EIM) Consortium; European Society of Human Reproduction and Embryology (ESHRE). Results generated from European registers by ESHRE. Hum Reprod 2008;23:756-71 Wittemer C, Betahar–Lebugle K. Etat des lieux de l’accueil d’embryon en France. Médecine de la Reproduction Gynécologie Endocrinologie 2008;10: 18-20 Keenan J, Finger R , Check J,Daly D, Doods W and Stoddart J. Favorable pregnancy, delivery and implantation rates experimented in embryo donation programs in the United States. Fertil Steril 2008;in press Lelannou D. Reflexions surl’accueil d’embryon. Gynecol Obstet Fertil 2007;35:1089-91 Belaisch-Allart J. L’accueil d’embryon : jouons nous aux apprentis sorciers ? La lettre du Gynécologue 2007;324 :3-4. |
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