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Titre: Stress et reproduction
Année: 2002
Auteurs: - Lemler D.
Spécialité: Gynécologie
Theme: psychosomatique

Stress et reproduction

Daniel LEMLER

Le stress : définition et problématique

Étant donné que le sujet ne m'était pas familier, je me suis penché un moment sur les termes eux-mêmes.
Le stress fait partie de ces nouveaux concepts, scientifiquement élaborés, qui semblent apporter des réponses logiques et adaptées à certaines situations, le plus souvent subjectives, qui semblaient échapper à l'Ordre Médical.

En voilà une définition :
" Le stress est l'état de tension chronique (à la fois physique et psychique) qui découle d'une façon inadéquate de gérer la pression (psychique) pendant une période prolongée. Plusieurs ingrédients sont nécessaires pour créer un stress.
Il faut:

  • une situation comportant de la pression (psychique);
  • pendant une période prolongée (autrement, il ne s'agira que de tension passagère);
  • une façon inadéquate de réagir à cette situation. "

Je vous dis, tout de suite, que cette définition ne trouve pas d'écho dans ma praxis. Si je devais vous en parler, ce serait en termes d'exigences pulsionnelles, mais vous ne seriez probablement pas plus avancés.
Si nous pouvons interroger le stress, mais j'ai pris la liberté d'élargir le sujet à tout ce qui, dans mon domaine, le psychisme, peut influer sur la venue d'un enfant. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je ne reprends pas à mon compte le terme de " reproduction ". L'homme, l'humain, ne se reproduit, en général, pas. Il fait un enfant, le plus souvent à quelqu'un. C'est la scientifisation, la technologisation, de la procréation qui amène à raisonner en terme de " reproduction ", ce qui a pour vertu de ramener cet événement à un acte technique, en éliminant toute sa part subjective, nous y reviendrons. C'est peut être en réfléchissant aux termes de cet énoncé que nous pourrions au mieux avancer notre question. Qui fait un enfant à qui ? Cela nous permettra d'introduire dans cet acte le médecin lui-même, qui est loin d'être hors jeu.
Le moteur de tout advenir d'enfant, c'est le désir. Ce qui n'est pas à entendre comme vouloir, envie, voire exigence, revendication… Le désir s'exprime le plus souvent par une demande, qu'elle soit adressée au partenaire (homme ou femme), ou au médecin, ce qui est loin d'être rare. Or, la dimension inconsciente du désir a un corollaire, une demande est toujours demande d'autre chose, n'est jamais à prendre au premier degré. Cela est aussi vrai pour ce qui concerne un enfant, que pour tout autre désir.
A partir du moment où il vous est possible d'admettre la dimension inconsciente de tout désir d'enfant, on peut envisager une réflexion sur les modalités psychiques qui peuvent agir sur la fertilité.

Une consultation ordinaire

Pour pouvoir aborder cette nouvelle dimension, il est nécessaire de remettre en question, au moins pour une part, la façon dont se déroule habituellement une consultation médicale.
En effet, une consultation classique, conforme à ce que l'on nous a enseigné à la Faculté, fonctionne presque à la manière d'un arc réflexe. La plainte de la patiente est entendu comme un signe d'appel… au savoir du médecin. Si bien que presque instantanément, c'est le discours médical qui domine la consultation. " Presque instantanément " a été prouvé scientifiquement ! C'est une étude américaine évidemment ; le sujet de cette étude consistait à mesurer le temps qui s'écoule entre le début de l'énoncé de la plainte par la patiente, et l'intervention du praticien. Ce temps est de 36 secondes. Ne me demandez pas comment ils s'y sont pris !
Autrement dit, la parole singulière d'une patiente est rapidement évacuée de la consultation, car elle ne représente rien moins qu'une gêne pour son bon déroulement. Elle est avantageusement remplacée par des questions à visée anamnestique, diagnostique, puis la mise en place d'un traitement ou l'énonciation de bons conseils visant à aider à obtenir, dans les meilleures conditions, une grossesse.
Vous excuserez la description volontairement caricaturale que je viens de vous donner ; elle a pour but de mettre en évidence ce qui est volontiers occulter par ce que J. Clavreul a appelé " l'Ordre Médical ".
Ceux de mes collègues qui se sont intéressés à ces questions le nomment à leur manière : c'est soit le sujet qui est occulté, voire expulsé, soit le désir… quant à moi, je pense que ce qui est visé, c'est la parole, la parole singulière du sujet, seule à même de nous faire entendre ce qu'il en est véritablement de sa demande.
Cela peut se révéler avoir un très puissant pouvoir iatrogénique, mais ce n'est pas mon propos d'aujourd'hui.

Consultation et parole : un double renversement dialectique

Ce qui va m'intéresser, c'est une réflexion sur la parole des patientes et son impact sur le processus de la grossesse, et le moyen de laisser advenir cette parole.
Comment ? Il suffit d'envisager un double retournement dialectique. Le premier a peu d'importance ici, mais je le cite pour mémoire. Il s'agit d'envisager l'organicité comme diagnostic d'exclusion. C'est à dire de penser d'abord la question subjective, avant de rechercher le substratum organique. C'est juste un aménagement des temps de la consultation. On discute d'abord, on examine dans un deuxième temps.
Le deuxième est plus intéressant. C'est l'idée que le savoir est chez l'autre, c'est la patiente qui sait quelque chose de sa question, ou plutôt, elle n'est pas sans en savoir quelque chose. Et, une nouvelle approche de la consultation serait de se laisser enseigner par les patientes.
Dans un domaine où la dimension du désir, mais aussi les questions éthiques, tiennent une place essentielle, cet enseignement est très précieux. Aucune approche scientifique, aucun test, ne peut s'y substituer.
Dans cette perspective, la prise en compte de la dimension du transfert devient fondamentale. D'autant plus qu'il faut le considérer sur un mode transitif, aussi bien de la patiente sur le médecin que le contraire.
Un élément renforce cela de manière incontournable, c'est que tout ce qui touche au domaine de la procréation appartient aujourd'hui de plein droit au champ médical. Cela va de la contraception aux AMP, en passant par les IVG, les IMG, voire le clonage.
Cela signifie que la science, via la médecine y occupe une place importante, mais par voie de conséquence le médecin ; et avec lui entre le facteur subjectif. C'est d'ailleurs en partie pour s'en défendre que le praticien a tendance à se protéger derrière son savoir. Cela le protège autant de sa subjectivité que de celle de la patiente.

Abord subjectif de la procréation " naturelle "

Cela signifie que la subjectivité participe de toute naissance d'enfant.
Lorsque l'on écoute, de la place du psychanalyste, les analysants parler de ce qui touche à l'advenue d'un enfant, on entend des choses que vous connaissez tous et d'autres plus singulières.
Vous connaissez tous les craintes exprimées par les jeunes femmes de ne pas pouvoir " comme les autres ". Vous connaissez aussi toutes les interrogations sur le moment, le bon moment. Ces dernières sont des effets de la science, elles ne se posaient pas en ces termes avant la contraception. Vous savez aussi que parfois, quand elle ose se dire, le problème c'est que ce n'est pas avec cet homme-là, qu'elle désire un enfant !
Les questions deviennent plus pressantes et plus angoissantes, dès lors que la décision a été prise et que cela ne vient pas.

Les facteurs de stress durant la grossesse

Mais avant de parler de ça, envisageons les " facteurs de stress " durant la grossesse. Si l'on excepte les problèmes conjugaux ou professionnels, banaux, les éléments les plus stressants sont certainement ceux qui sont provoqués par le suivi médical de la grossesse.
C'est le cas de toute échographie, surtout depuis qu'il est de notoriété publique qu'elle permet de mettre en évidence des anomalies.
C'est le cas de l'HT 21, qui a la particularité de provoquer chez la grande majorité des parturientes au moins 3 semaines d'angoisses au début de leur grossesse. Comment évaluer leur impact sur l'enfant en devenir, et le gain réel de cet examen ?
Un autre élément de stress, ce sont les cours de préparation à l'accouchement. [Je ne vous fais part que de choses entendues sur mon divan.] Mais, il est facile de comprendre que ce que je vous disais tout à l'heure du savoir s'applique très bien à cette situation. Y a-t-il une seule façon d'appréhender l'accouchement, avec des parturientes toutes taillées sur le même modèle ? L'enseignement d'une technique " universelle " peut-elle répondre aux questions et aux angoisses de chaque parturiente ? Cela revient aussi à poser la question de savoir si un accouchement est un pur acte technique, ou si l'on peut penser qu'il s'agit d'un acte singulier et puissamment investi d'affects et de représentations ?
Ces questions mériteraient du temps pour les creuser.
Mais voilà que se pose déjà la suivante : l'accouchement sans douleur et la péridurale. Nous voilà aux confins de questions éthiques, de questions philosophiques et enfin subjectives. La question philosophique tourne autour du déterminisme de la douleur et de sa qualité de signal et de " vécu ", même si je réprouve ce terme. Notre société prône de plus en plus le " zéro douleur ". Elle fait à cet endroit une confusion entre douleur et souffrance, ce qui est lourd de conséquences. Elle crée aussi une confusion de plus en plus grande entre douleur et " ressenti " ; là aussi j'utilise le moins mauvais terme qui me soit venu à l'esprit.
Est-il légitime de penser que nous n'aurions rien à ressentir lorsque nous vivons des situations difficiles : problèmes familiaux, professionnels, deuils, interventions lourdes, maladies graves ou létales… ?
Nos affects, véhiculés par notre corps, sont nos seuls repères de notre être au monde. Ils nous permettent d'être. Il y a d'ailleurs une expérience, clinique celle-là, qui en rend très bien compte. Les patients, qui sont dans un travail d'élaboration par la parole, traversent parfois des moments difficiles, soit du fait de ce travail, soit du fait d'événements intercurrents. Ils leur arrivent, devant le mal-être ressenti, d'aller consulter leur médecin traitant, qui leur prescrit alors, en toute bonne foi, des anxiolytiques, voire des antidépresseurs, pour les aider à traverser une mauvaise passe. Ces patients décrivent alors une autre sorte de malaise : ils sont affectés subjectivement, mais leur corps ne le supportent pas, cela crée une sorte d'inquiétante étrangeté qui est finalement très angoissante. Cela les amène à arrêter leur chimiothérapie.
Que dire de l'accouchement ? Vous pouvez en parler plus facilement que moi !
Bref, je dirais pour conclure cette partie, qu'il y aurait beaucoup à gagner aussi bien pour les patientes que pour le praticien, que ce soit moins des protocoles techniques, mais plus ce que peuvent nous apprendre les parturientes sur leurs fantasmes, leurs désirs, leurs questions… qui guident le travail.

De l'infertilité inexpliquée et de sa prise en charge

Les choses se radicalisent lorsque " ça ne marche pas ". Et surtout, lorsque c'est inexpliqué, ce qui tendrait à faire pencher la balance du côté des causes psychologiques. Personnellement, je m'oppose à l'idée d'une partition organique/psychique. En effet, la découverte d'un substratum organique ne vide pas les patientes de leur subjectivité.
La limite de cette question est représentée par l'impact du subjectif sur l'organique, sur le lésionnel, question on ne peut plus difficile. Pourtant, les patientes ne sont pas sans en savoir quelque chose. Je pense par exemple à une jeune femme qui m'a été envoyée par une de vos consoeurs, parce que " cela faisait 18 mois qu'elle essayait et que cela ne venait pas ". Le travail, que nous avons entamé, a déroulé de nombreuses boucles sans rapport apparent avec cette question princeps. Il y a peu de temps, par association avec un accident arrivé à un couple de ses amis, elle lâche incidemment : " quand on n'a pas d'enfants, on ne risque pas de les perdre " ! Une infertilité motivée par un vœu de mort ! Plus récemment, sa gynéco a entrepris quelques examens, et elle me dit à une séance que l'on a découvert la cause, son vagin est tellement acide qu'il détruit tous les spermatozoïdes de son compagnon. Et elle ajoute : " croyez-vous que cela vienne de moi ? "

En tous les cas, si nous voulons envisager ce qui cause du stress, il y a un facteur à souligner d'emblée : l'offre. Quand on est face à une " impossibilité " d'avoir un enfant, laquelle impossibilité se définit selon des critères on ne peut plus arbitraires, la médecine fait une offre, véhiculée par les médecins, une offre de pallier cette impossibilité. Cette offre est en soit un important facteur de stress. Elle crée une question, voire une obligation. Du fait de la médecine, il est toujours possible d'avoir un enfant. Il faut donc se battre pour l'avoir, c'est ce que l'on peut supposer que l'" on " attend de nous. La demande supposée de l'autre prend une très grande importance dans la façon dont une femme, un homme, envisage le devoir d'avoir un enfant. Ce " on " qui attendrait quelque chose de nous, cet autre peut être le partenaire, la famille, le social, voire le médecin lui-même.

Lorsque cela amène à entrer dans un processus d'AMP, le médecin prend une place importante, au point de supplanter très souvent le partenaire.

Peut-on imaginer que certaines patientes, certains conjoints, viennent consulter pour que quelqu'un mette fin à leur dilemme, à leur espoir douloureux, que quelqu'un leur dise non, afin qu'ils puissent enfin entamer un travail de deuil, qui leur permette de réinvestir l'existence.
Une femme, prise dans un protocole d'AMP qui échouait, me demanda un jour si elle avait " le droit de ne pas en avoir ". Serait-elle encore une femme dans ce cas ?
Ce sera mon mot de la fin (provisoire).