IntroductionL’objectif du diagnostic anténatal est de découvrir d’éventuelles malformations ou anomalies fœtales afin, soit de traiter le fœtus in utero, soit d’optimiser sa prise en charge dès la naissance, soit encore très souvent, de donner aux parents la possibilité d’interrompre la grossesse lorsque le pronostic de l’anomalie est particulièrement défavorable, voire létal. Dans ce dernier cas de figure d’une malformation de pronostic défavorable ou létal, le choix de l’interruption de grossesse pour motif médical est la situation la plus fréquente. Les équipes médicales y sont habituées et savent y répondre, tant sur le plan technique que psychologique de l’accompagnement des couples dans ce choix. La demande, aujourd’hui plus courante, de poursuite de la grossesse, quelle qu’en soit la raison, n’est pas encore toujours bien comprise par les équipes médicales, aussi bien obstétricales que pédiatriques. Elle implique de notre part une parfaite acceptation du choix des parents, mais au-delà, une anticipation des conséquences de ce choix en termes de prise en charge du nouveau-né et parfois de l’enfant à venir. Cette anticipation doit faire une large part à la discussion multidisciplinaire impliquant les pédiatres, réanimateurs, chirurgiens... Elle doit également aborder avec les parents les évolutions prévisibles pour le nouveau-né et les limites qui seront acceptées à la prise en charge active du nouveau-né. Enfin, elle doit aborder les aspects de l’accompagnement au décès, formulation qui tend à remplacer celle, brutale, d’« arrêt de soins », qui ne correspond plus à la réalité. Circonstances du choix de poursuite de la grossesseNous avons repris les cas de demande de poursuite de la grossesse chez des patientes suivies ou référées pour une pathologie fœtale de très mauvais pronostic, au sein du CPDPN de l’Est Parisien, site Saint Antoine, au cours des années 2005-2007. Nous avons relevé pour chaque cas la pathologie en cause, le motif de poursuite de la grossesse invoqué par les parents et l’issue de la grossesse dans les limites de la durée limitée du suivi postnatal. Dix cas de demande de poursuite de la grossesse sont survenus dans cette période de 2 ans. Les données correspondantes sont colligées dans le tableau I. Tableau I : Données materno-fœtales concernant les 10 cas de demande de poursuite de la grossesse malgré un pronostic fœtal/néonatal paraissant catastrophique ou létal. N° | Signes d’appel / age gestationnel | Diagnostic évoqué / confirmé | Létalité présumée | Motif évoqué de poursuite de la grossesse | Origine des parents | Issue néonatale | 1 | Immobilité fœtale + hydramnios à 16 SA | Myopathie fœtale / aucune exploration souhaitée par les parents | Oui | Opposition à tout geste diagnostique ou toute intervention | France | Accouchement spontané après RPM à 36 SA Décès néonatal | 2 | Pieds bots bilatéraux à 12 SA, mains crispées, âge maternel 42 ans | Trisomie 18 / aucune exploration souhaitée par les parents | Oui (Sous réserve de confirmation du Dg) | Pas de diagnostic Pas d’IMG envisagée pour raisons religieuses (Musulmane) | Afrique du Nord | Trisomie 18 confirmée en postnatal. Décès à 6 semaines | 3 | Tuméfaction frontale à 22 SA | Encéphalocèle confirmée par IRM. Caryotype normal | Non | Parents pas convaincus de l’issue défavorable + Raisons culturelles / religieuses | Afrique du Nord | Confirmation de l’encéphalocèle. Prise en charge en neurochirurgie. Vivant | 4 | RPM à 23 SA avec anamnios | RCIU + anamnios + RPM | Non | Existence d’une possibilité d’issue favorable | France | Accouchement à 27 SA en maternité de type III. Détresse respiratoire. Vivant | 5 | Hygroma à 12 SA. Hydrocéphalie majeure | Hydrocéphalie majeure / caryotype normal | Oui | Culturelles / religieuses | Afrique sub-Saharienne | Décès per-partum | 6 | Cardiopathie complexe à 32 SA | Cardiopathie cono-troncale. Atrésie de l’artère pulmonaire / caryotype normal | Non (chirurgie palliative) | Age gestationnel avancé lors du diagnostic | France | Prise en charge en chirurgie cardio-pédiatrique. Vivant | 7 | Angulation majeure du rachis à 12 SA | Scoliose majeure. Nombreuses hémi-vertèbres / Caryotype normal. | Non | Pronostic défavorable mal perçu par les parents | Afrique du Nord | Hospitalisation plusieurs semaines. Insuffisance respiratoire. Vivant | 8 | Cardiopathie grave à 32 SA | Hypoplasie majeure du coeur gauche, atrésie mitrale et aortique | Non (chirurgie palliative) | Terme avancé lors du diagnostic | France | Prise en charge en chirurgie cardio-pédiatrique. Vivant | 9 | Immobilité fœtale à 12 SA/ pieds bots, mains bottes (récidive) | Myopathie fœtale / aucune exploration souhaitée par les parents | Oui | Opposition à tout geste diagnostique ou toute intervention | France | Hydramnios, accouchement prématuré à 28 SA, décès néonatal | 10 | Clarté nucale à 4,5mm à 12 SA | BT : trisomie 18. Mise en évidence d’un méningocèle occipital | Oui | Convictions religieuses (Témoin de Jéhovah) | USA | Naissance à 41SA. Décès à J6 en néonatologi |
Les indications rencontrées étaient variées : anomalies chromosomiques (trisomie 18), cardiopathies complexes inaccessibles à un traitement curatif (hypoplasie ventriculaire, atrésie pulmonaire), immobilité fœtale par myopathie à révélation anténatale, pathologie ostéo-articulaire, malformations cérébrales et rachidiennes... Celles dont le caractère létal pouvait être affirmé en période prénatale ne représentent que la moitié de ces situations. L’âge gestationnel lors de la découverte ou de la confirmation du pronostic défavorable n’était tardif que dans deux cas (2 cardiopathies sévères). Dans ces deux cas, le terme avancé a clairement joué un rôle dans la demande de poursuite de la grossesse, malgré le pronostic défavorable mais non-létal de la malformation. Les pathologies létales découvertes précocement ont impliqué la poursuite de la grossesse jusqu’à terme malgré un pronostic connu d’emblée. Le motif de poursuite de la grossesse avancé par les parents était principalement culturel/religieux dans 4 cas dont un couple de témoins de Jéhovah. Dans un cas d’immobilité fœtale récidivant à plusieurs grossesses successives, il y avait opposition des parents à toute exploration ou toute intervention médicale – l’un des accouchements précédents avait d’ailleurs eu lieu à domicile – et les comportements du couple et de leur famille suggéraient des pratiques sectaires. Dans deux cas, l’appartenance religieuse a pu jouer un rôle de second plan, derrière une perception floue et minorée du pronostic fœtal malgré des consultations pédiatriques spécialisées et l’évocation réitérée de la possibilité de recours à une interruption de grossesse. Dans deux cas, le choix des parents a paru essentiellement dicté par le terme avancé de la grossesse alors que le pronostic n’était pas létal. La moitié des enfants sont décédés en période néonatale, dont 3 pendant le travail immédiatement après la naissance. 2 sont décédés à quelques jours ou semaines de vie (2 trisomies 18). Les 5 autres sont vivants, porteurs de handicaps sévères dans certains cas (scoliose majeure avec insuffisance respiratoire ; cardiopathies nécessitant une chirurgie itérative palliative ; encéphalocèle de pronostic moteur, intellectuel et convulsif réservé, grande prématurité à 27SA). Le délai très limité d’évolution postnatale ne permet pas une évaluation psychologique sophistiquée. Néanmoins, aucun couple n’a manifesté de regrets sur son choix dans les quelques mois suivant la naissance. Discussion Difficultés rencontrées par les parents dans la poursuite de la grossesse L’incitation à la poursuite de la grossesse en cas de pathologie létale a été surtout initiée depuis quelques années par des associations de parents ayant déjà été eux-mêmes confrontés à cette situation. On peut trouver sur le site internet de l’association SPAMA (soins palliatifs en maternité : www.spama.asso.fr) la présentation suivante : « Face à cette situation douloureuse, l'association SPAMA se propose de faire découvrir, la possibilité d'accompagner son bébé jusqu'à son décès naturel, à travers l'expérience de nombreuses mamans, l'interruption médicale de grossesse n'étant pas la seule alternative. Si cette démarche peut sembler a priori difficile à mener, l'expérience montre qu'elle apporte un autre regard sur la vie, sur l'enfant et peut aider dans la construction du deuil à venir. Par de nombreux aspects, elle constitue une démarche en soins palliatifs. » L’association anticipe également les difficultés psychologiques à venir pour les parents : « Mais tout ce temps vécu autour d'un bébé à naître qui va mourir n'est pas simple. Il peut être aussi source d'angoisses et demander un accompagnement psychologique. Il est aussi important de s'entourer d'amis, de proches sur lesquels on peut compter pour dire le chagrin et la douleur ressentis. Des bénévoles peuvent aider à cet accompagnement si les parents se sentent trop isolés : une chose est certaine, il ne faut pas rester seuls dans ces circonstances. » Elle insiste également sur la préparation de la naissance et du décès avec les professionnels de santé : « Une consultation avec le pédiatre permet d'anticiper les évènements autour de la naissance : les parents traitent avec lui toutes les questions relatives à la prise en charge du bébé. Une véritable relation de confiance est nécessaire pour pouvoir aborder la naissance dans la sérénité. » L’expérience des quelques grossesses suivies à Saint Antoine dans cette situation nous a révélé quelques difficultés non abordées par les associations d’usagers : - Il est indispensable que les deux parents soient aussi convaincus l’un que l’autre dans leur choix. Dans au moins un des cas décrits, la patiente paraissait, sans l’exprimer, moins convaincue de ce choix que son conjoint. - C’est la patiente qui porte son enfant, le sent bouger, mais qui sait l’issue promise pour lui. En cas de doute, un(des) entretien(s) individuel(s) avec elle (et avec le conjoint) peuvent être nécessaires. - Les parents doivent être particulièrement soutenus, mutuellement et par l’entourage, la famille, les psychologues... idéalement avec une continuité depuis la période prénatale jusqu’après l’accouchement Difficultés à proposer la poursuite de la grossesse pour les équipes obstétricalesJusqu’à récemment, l’option de la poursuite de la grossesse, au moins en cas de pathologie létale, n’était que rarement proposée par les équipes. De fait, la poursuite de la grossesse perçue comme « pour rien », était considérée par les soignants comme a priori traumatisante pour les parents. Les situations de poursuite de la grossesse étaient d’ailleurs souvent exprimées jusqu’à ces dernières années comme des « refus d’IMG » De manière similaire, il y a quelques années seulement, la présentation du corps du fœtus après une interruption de grossesse, était encore perçue par l’équipe médicale comme particulièrement douloureuse pour les parents, jusqu’à ce que l’impact positif de cet événement sur le processus de deuil, constaté avec les psychiatres et les psychologues, la rende aujourd’hui incontournable. L’explication avancée est qu’il est plus facile de faire le deuil d’un enfant que l’on peut « matérialiser » plutôt que d’un enfant « imaginé ». De même qu’il est plus difficile de faire le deuil d’un proche disparu que d’une personne dont on a vu le corps sans vie. La possibilité de mener la grossesse jusqu’à l’accouchement, peut être ressentie comme une démarche du même ordre, permettant de faire connaissance avec son enfant et de l’accompagner plutôt que de le précipiter vers un destin fatal. L’accompagnement devrait dans ces circonstances, permettre une plus grande sérénité des parents au moment du décès de leur enfant. Les professionnels sont aujourd’hui dans l’obligation de s’adapter à des demandes de parents très contrastées, voire opposées. Les professionnels du diagnostic prénatal en particulier sont parfois confrontés à des demandes d’interruption de grossesse en urgence, devant des anomalies fœtales paraissant mineures de la part de certains parents et, à l’inverse aujourd’hui, et bien que beaucoup plus rarement, à des demandes de poursuite de la grossesse pour des pathologies fœtales majeures. L’une des difficultés, assez mal identifiée sur les documents ou sites internet des associations de parents, est l’incertitude qui peut exister pour certaines anomalies autour du pronostic vital : la trisomie 18 par exemple est certes de pronostic vital catastrophique mais le délai dans lequel le décès va survenir est très difficile à évaluer, pouvant parfois atteindre plus d’une année. De même, certaines pathologies sont à très haut risque de décès en période périnatale (situation à risque d’hypoplasie pulmonaire, cardiopathie majeure,...), mais aussi dans certains cas de survie avec un handicap particulièrement sévère. Si le rôle du spécialiste du diagnostic prénatal est de proposer toutes les prises en charges possibles, l’accompagnement au décès nécessite une parfaite évaluation du cas et une excellente coordination entre les différents professionnels, en particulier anténatalistes et pédiatres. Le risque serait de proposer ou d’accepter trop facilement la « solution » de l’accompagnement postnatal à un décès..., qui ne surviendrait pas (voir texte de F. Gold). Surtout, la proposition ou non de l’accompagnement ne doit pas naître de convictions personnelles des soignants comme des parents, favorables ou non à l’interruption de grossesse. Les deux attitudes sont complémentaires et non opposées, le choix de l’accompagnement au décès ne s’appliquant certainement pas à toutes les situations de malformation fœtale grave. Service de Gynécologie Obstétrique Hôpital Saint Antoine, Paris & Centre Pluridisciplinaire de Diagnostic Prénatal de l’Est Parisien |