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2000 > Infertilité > psychosomatique  Telecharger le PDF

Facteurs psychologiques de l'issue des tentatives de fécondation in vitro :

M. Lemer , D. Cornet , J Fermanian , H Zerah et S. Stoleru

Introduction

En 1992, une enquête téléphonique informelle que nous avions réalisée auprès d’une centaine de gynécologues, hospitaliers ou installés en ville, avait indiqué que, de manière majoritaire, ils étaient intuitivement convaincus que des facteurs psychologiques participaient probablement à l’étiologie de certains cas d’infertilité. Cependant, la majorité pensait aussi que les problèmes méthodologiques pour mettre envidence cette participation étiologique étaient extrêmement ardus.

Dans l’hypothèse où, effectivement, l’étiologie de l’infertilité comporterait une composante psychologique, il nous est apparu justifié de chercher à la révéler, malgré les difficultés méthodologiques signalées. De plus, montrer un tel rôle des facteurs psychologiques serait un encouragement pour tous ceux qui s’efforcent dans leur travail quotidien de maintenir une attitude d’écoute, malgré la technicisation croissante des démarches médicales.

L’un des plus grands problèmes méthodologiques est, face à une patiente ou un patient hypofertile présentant des difficultés psychologiques, de déterminer si celles-ci sont une des conséquences ou une des causes de l’infertilité. On peut même imaginer que, chez la même patiente ou chez le même patient, parmi les problèmes psychologiques, certains sont d’ordre étiologique, alors que d’autres sont des effets de l’infertilité.

L’une des stratégies de recherche pour résoudre ce problème a été de conduire des études prospectives, en particulier chez des patients traités par fécondation in vitro (FIV). Dans ces études, l’évaluation psychologique a lieu dans la période qui précède la stimulation ovarienne ou la ponction ovocytaire ; puis, l’analyse des données cherche à déterminer si les variables psychologiques sont corrélées au résultat de la FIV, en termes de fécondation, d’implantation ou de naissance.

Comme l’évaluation psychologique se fait avant que les résultats de la recherche ne soient connus, ceux-ci ne peuvent influencer l’état mental des patientes. Néanmoins, les patientes peuvent avoir connaissance de l’évolution plus ou moins bonne des phases précoces de la tentative et/ou du pronostic du gynécologue, et cela peut biaiser les données psychologiques.

Ces études ont abouti à des résultats contradictoires.

Thiering et al. (1993) ont rapporté que, comparées à leurs patientes en FIV non déprimées, les patientes présentant une dépression avaient un taux de grossesse inférieur sur l’ensemble des six cycles de FIV de leur suivi prospectif. Demyttenaere et al. (1998) ont trouvé que l’intensité de la symptomatologie dépressive était corrélée à la baisse du taux de grossesse seulement dans le sous-groupe avec indication de FIV féminine. Boivin et Takefman (1995) ont observé un niveau de stress plus élevé chez les patientes n’aboutissant pas à une grossesse.

Merari et al. (1992), en revanche, ont rapporté que l’anxiété et la dépression mesurées avant le début de la stimulation hormonale, puis le matin de la ponction ovocytaire, ne différaient pas de manière significative selon que la FIV aboutissait ou non à une grossesse ; sauf le niveau de l’anxiété, trouvé, le matin du jour de la ponction ovocytaire, plus élevé chez les femmes qui devaient utltérieurement concevoir que chez les femmes avec échec de conception. De même, Harlow et al. (1996) n’ont pas trouvé que le niveau d’anxiété était significativement différent dans trois groupes évolutifs : échec de la fécondation, fécondation obtenue mais échec de l’implantation, implantation obtenue.

Nous avons fait l’hypothèse que l’une des raisons pouvant expliquer ces résultats contradictoires résidait dans l’imperfection des méthodes d’évaluation psychologique. C’est sur la base de l’entretien clinique que bien des gynécologues songent à la possibilité d’une participation étiologique des facteurs psychologiques dans l’infertilité. En revanche, les études citées ci-dessus reposent bien souvent sur des questionnaires remplis par les patientes. Nous avons cherché à développer au cours des six dernières années un nouveau type d’entretien psychologique avec comme objectif d’allier les qualités de l’entretien clinique informel (ouverture à tout type d’information, liberté pour la patiente d’aborder les sujets qu’elle souhaite, de s’exprimer avec ses propres mots, etc.) et les qualités des outils psychométriques classiques (fiabilité d’un interviewer à l’autre, validité, etc.). Cet entretien a été utilisé lors d’une étude effectuée en collaboration avec le Dr D. Cornet et Dr S. Zérah (Clinique de la Dhuys, Bagnolet).

Patients et méthodes

Description de l’échantillon

Les patients étaient représentés par 57 femmes et 29 de leurs conjoints. Les femmes étaient âgées de 32,4 ans (3,1) (moyenne (écart-type)) et les hommes de 33,8 ans (4,3). La durée moyenne de l’infertilité était de 5,7 ans (3,7) chez les femmes et de 5,0 ans (3,0) chez les hommes. Un facteur étiologique d’infertilité avait été identifié chez 39 femmes (68,4 %) et chez 20 hommes (69,0 %). Le rang moyen de la FIV était égal à 2,2 (2,5) chez les femmes et égal à 2,7 (2,9) chez les hommes.

Méthodes d’évaluation psychologique

L’Entretien Semi-structuré Multiregistres (ESM)

L’ESM se compose de deux modules, un module de recueil des données, qui consiste en une technique d’entretien particulière et un module d’analyse des données basé sur une série d’échelles d’évaluation appliquées au matériel recueilli. En ce qui concerne le module de recueil des données, l’ESM se distingue des autres formats d’entretien semi-structuré dans la mesure où il étudie, non pas des thèmes ou des contenus mentaux, mais des registres fonctionnels ou modalités de l’activité mentale. Voici un exemple illustrant la distinction entre contenu et modalité de l’activité mentale. Si un sujet dit " L’année dernière, j’ai été très déprimé au cours de l’automne ", le contenu est l’humeur du patient et la modalité de l’activité mentale est une forme spécifique de représentation mentale, à savoir la remémoration d’un souvenir épisodique.

Le principe de l’ESM est d’explorer la phénoménologie de l’activité mentale, non pas en orientant les sujets vers des contenus spécifiques de leur expérience mentale, mais vers les modalités ou registres de leur activité mentale. Nous explorons ainsi systématiquement et successivement cinq registres au cours de l’ESM : les Affects, l’Anxiété, les Motivations, les Souvenirs, et les Associations d’Idées. Un manuel permettant de conduire l’ESM d’une façon codifiée a été rédigé.

L’entretien est enregistré au magnétophone, puis il est transcrit in extenso sur machine à traitement de texte. Le deuxième module de l’ESM est représenté par une série d’échelles d’évaluation qui sont appliquées au texte ainsi recueilli. Le but de ces échelles est d’obtenir une évaluation quantitative de ce matériel selon une série de dimensions psychologiques. Dans le contexte de la recherche sur les facteurs psychologiques affectant potentiellement l’issue des tentatives de FIV, une série de 13 échelles a été mise au point. Elles portent sur des dimensions psychologiques dont nous avons fait l’hypothèse qu’elles étaient pertinentes vis-à-vis de l’issue des tentatives de FIV. A titre d’exemple, ce sont l’intensité du désir d’enfant, l’anxiété associée aux procédures médicales de la FIV et l’anxiété associée à l’infertilité elle-même. Chaque échelle est cotée de 1 à 9. Là encore, un manuel a été rédigé afin de donner au cotateur des critères précis lui permettant de porter ces cotations.

Autres instuments d’évaluation psychologique

Une série d’autres instruments d’évaluation psychologique est utilisée :

- Le contexte psychologique du projet d’enfant, la sexualité des sujets, et l’histoire familiale en rapport avec la procréation furent étudiés avec le Questionnaire Projet d’Enfant, développé dans une étude antérieure (Stoléru et al., 1993) et adapté à la situation de FIV au cours de cette recherche ;

- L’état d’anxiété (Questionnaire d’Anxiété Trait-Etat) ;

- Le niveau du Stress (Echelle de Perception du Stress) ;

- Les mécanismes de gestion du stress (Inventaire des Stratégies de Coping).

Procédure

Les sujets furent évalués à l’aide des différents outils précisés ci-dessus la veille de la ponction ovocytaire.

Résultats

L’analyse des cotations portées par deux cotateurs travaillant indépendamment a montré que, pour douze échelles sur treize, le coefficient de corrélation intra-classe (mesure adaptée de la fidélité inter-cotateurs) était supérieur à 0,60, qui est considéré comme le seuil au-dessus duquel la fidélité inter-cotateurs est acceptable. Nous avons étudié la validité conceptuelle des différentes échelles de l’ESM en calculant les corrélations entre les cotations à ces différentes échelles et les scores obtenus aux instruments d'évaluation utilisés parallèlement à l’ESM. Nous avons pu montrer ainsi que des corrélations significatives étaient obtenues pour chacune des échelles de l’ESM avec des scores, tirés d’autres instruments que l’ESM, et mesurant des dimensions psychologiques correspondant à chacune des échelles de cotation.

Le point le plus important parmi les résultats, du point-de-vue de la présente communication, concerne la validité prédictive. Pour étudier la validité prédictive, nous avons dans un premier temps résumé l’information contenue dans les cotations des différentes échelles en effectuant une analyse en composantes principales des cotations des échelles ESM. Cette analyse nous a fourni quatre facteurs : (i) le facteur I s’interprète essentiellement comme une mesure de l’intensité du désir d’enfant ; (ii) le facteur II reflète l’anxiété associée aux procédures médicales impliquées par la FIV ; (iii) le facteur III reflète les facteurs de stress et d’anxiété en relation avec des événements autres que la FIV ou le projet d’enfant ; (iv) enfin le facteur IV reflète essentiellement les souvenirs négatifs et douloureux associés au projet d’enfant (expériences douloureuses de tentatives antérieures, difficultés dans l’histoire familiale en relation avec le projet d’enfant, etc.). Cette analyse factorielle nous a fourni des scores factoriels pour chaque patient et pour chaque facteur.

Dans un deuxième temps, nous avons effectué une analyse de type régression logistique multivariée dans le but de tester la prédictivité des scores factoriels vis-à-vis de l’implantation embryonnaire. Dans cette régression, ont été pris en compte des facteurs somatiques et biologiques pertinents, tels que la qualité du sperme, le nombre d’ovocytes ponctionnés et le nombre d’embryons transférés. Cette analyse montre que le facteur II est statistiquement associé à une plus faible probabilité d’implantation embryonnaire. En d’autres termes, même lorsque les prédicteurs biologiques pertinents sont pris en compte, l’anxiété associée aux procédures médicales de FIV prédit un échec de l’implantation embryonnaire.

Il est intéressant de constater que, lorsque nous évaluons la prédictivité de mesures psychologiques autres que l’ESM, mais évaluant des dimensions comparables (anxiété associée aux procédures de FIV mesurée à l’aide de questionnaires), elles ne s’avèrent pas prédictives de l’implantation embryonnaire.

Conclusion

Les résultats de la présente étude soutiennent l’idée que l’utilisation d’un entretien, associée à une procédure codifiée permettant de coter diverses dimensions psychologiques sur cet entretien, permet de définir un facteur prédictif de l’issue en termes d’implantation embryonnaire. Nous avons observé que l’anxiété associée aux procédures médicales de FIV, évaluée avec cet entretien la veille de la ponction ovocytaire chez les femmes, était associée à une moindre probabilité d’implantation embryonnaire. Ces résultats n’ont pas, en revanche, été obtenus à l’aide de mesures psychologiques tirés de questionnaires d’auto-évaluation.

Bibliographie

BOIVIN J. and TAKEFMAN J.E, "Stress levels across stages of in vitro fertilization in subsequently pregnant and nonpregnant women". Fertil. Steril, 1995 : 64, 802-810.

DEMYTTENAERE K, BONTE L, GHELDOF M, VERVAEKE M, MEULEMAN C, VANDERSCHUEREM D and D’HOOGHE T, " Coping style and depression level influence outcome in in vitro fertilization ". Fertil. Steril, 1998 : 69, 1026-1033.

HARLOW C.R, FAHY U.M, TALBOT W.M, WARDLE P.G and HULL M.G.R, " Stress and stress-related hormones during in-vitro fertilization treatment ". Hum. Reprod, 1996 : 11, 274-279.

MERARI D, FELDBERG D, ELIZUR A, GOLDMAN J and MODAN B, " Psychological and hormonal changes in the course of in vitro fertilization ". J. Assist. Reprod. Genet, 1992 : 9, 161-169.

STOLERU S, TEGLAS J.P, FERMANIAN J, and SPIRA A, " Psychological factors in the aetiology of infertility : a prospective cohort study ". Hum. Reprod, 1993 : 8, 1039-1046.

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Unité 292 de l’INSERM, Hôpital de Bicêtre, 94276 Le Kremlin-Bicêtre,Clinique de la Dhuys, 93170 Bagnolet 3, Département de Biostatistiques, Hôpital Necker, 75743 Paris.