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2007 > Gynécologie > Cancer du sein  Telecharger le PDF

Prévention du risque de fracture chez la femme avec cancer du sein : nécessité et limites ?

J. Pouilles , C Ribot et F. Trémollières

Le cancer du sein reste le plus fréquent des cancers féminins avec environ 44 000 nouveaux cas et plus de 11 000 décès annuels. Il s’agit d’une pathologie qui augmente avec l’âge pour atteindre en France, un maximum vers l’âge de 63-65 ans avec une incidence de l’ordre de 4,5/1 000/an. Pour une femme de 50 ans, le risque absolu de cancer du sein tout au long de sa vie est ainsi de l’ordre de 9 à 10%.

Le dépistage et la prise en charge du risque d’ostéoporose après cancer du sein constituent un problème d’actualité. En effet, de plus en plus de ces femmes vont être exposées aux fractures ostéoporotiques du fait de l’augmentation de leur espérance de vie permise par les progrès thérapeutiques. De plus, les traitements adjuvants du cancer du sein, dont le principe général est d’induire un état de carence profonde en estrogènes, constituent un facteur de perte osseuse. A l’opposé, d’autres éléments vont constituer des facteurs de protection osseuse d’où l’importance d’une évaluation individualisée du risque d’ostéoporose chez ces femmes, qui seule permettra de déterminer la nécessité d’une prise en charge à visée osseuse.

Quel est le risque d’ostéoporose chez les femmes traitées pour un cancer du sein ?

L’incidence de survenue des fractures d’origine ostéoporotique chez les femmes atteintes de cancer du sein reste mal connue et difficile à apprécier. Il convient en particulier de différencier ces fractures, des complications liées aux métastases osseuses de ce cancer très ostéophile. Kanis et coll (1) ont comparé l’incidence des fractures vertébrales dans 2 groupes de femmes atteintes de cancer du sein sans métastase osseuse à celle d’une population témoin. Quatre vingt deux femmes en rechute (métastases viscérales) et 352 femmes vues au moment du diagnostic de cancer ont été suivies pendant 3 ans.

Des radiographies du rachis dorsal et lombaire avec étude semi-quantitative ont été réalisées au début et en fin de suivi. Soixante et un pour cent des femmes recevaient une chimiothérapie et 50% du clodronate. A l’inclusion, la prévalence des tassements vertébraux dans le groupe vu au moment du diagnostic était comparable à la population témoin mais 6 fois plus élevée chez les patientes en rechute de leur cancer. Au cours du suivi, les femmes atteintes de cancer ont présenté un taux de fracture vertébrale nettement supérieur à la population de référence. Après exclusion des femmes ayant développé des métastases osseuses, le risque relatif (RR) de tassement était de 2,8 (IC 1,3-6,2) pour le groupe vu au moment du diagnostic et de 24,5 (IC 10,7-55,9) pour les patientes en rechute.

Le risque de fracture de l’extrémité supérieure du fémur (ESF) a été diversement apprécié. Adami et coll (2) étudiant une cohorte suédoise de 9 673 cancers du sein suivis pendant 18 ans, rapportent une légère augmentation du risque de fracture de l’ESF (RR=1,1 IC 1-1,2), alors que dans une autre étude d’observation (3) de 5 890 cancers guéris, le risque est nettement diminué (RR= 0,63 IC 0,43-0,94). Ces différences de résultats pouvant s’expliquer par l’hétérogénéité des populations étudiées de même que par les effets préventifs éventuels des traitements pas tamoxifène. Soulignons que dans le bras « observationnel » de l’étude WHI (4), l’incidence des fractures ostéoporotiques chez 5 298 femmes ayant déclaré à l’inclusion un antécédent de cancer du sein était augmenté de 30% au bout de 5 ans, notamment pour les tassements vertébraux et les fractures du poignet, mais non pour les fractures de l’ESF (RR = 0,91 IC 0,62-1,34).

Déterminants du risque d’ostéoporose après cancer du sein

Le risque de survenue d’une ostéoporose après un cancer du sein est variable et fonction de l’interaction entre des facteurs qui tendent à augmenter ce risque et d’autres qui tendent à le réduire.

Facteurs aggravant le risque d’ostéoporose :

La ménopause iatrogène : chimiothérapie et ovariectomie :

Environ 25% des cancers du sein surviennent chez des femmes non ménopausées. Ces cancers sont le plus souvent traités par une chimiothérapie adjuvante dont un des principaux effets secondaires est la survenue d’une insuffisance ovarienne d’importance variable selon l’âge, les produits et les doses. Les agents alkylants (cyclophosphamide) sont les plus toxiques. L’incidence globale de l’aménorrhée après le protocole de chimiothérapie le plus courant (CMF, cyclophosphamide, méthotréxate, 5 fluoro-uracile) est de 70% (5,6). L’âge des patientes est le principal facteur pronostique. Soixante dix à 90% des femmes de plus de 40 ans vont développer une aménorrhée d’installation rapide en 2 à 4 mois et généralement définitive après chimiothérapie, contre 20 à 40% avant 40 ans avec, dans ce cas, une réversibilité près d’une fois sur 2 (5,6).

Cette ménopause iatrogène est responsable d’une perte osseuse rapide, atteignant en 2 ans, 4 à 10% au rachis et 2 à 5% au fémur soit 2 à 3 fois plus que lors d’une ménopause naturelle à 50 ans (7). Cette perte rapide se ralentirait ultérieurement (8). Elle n’est retrouvée que chez les femmes développant une aménorrhée prolongée au cours de la chimiothérapie et non chez celles conservant des cycles, ce qui illustre bien le rôle physiopathogénique central joué par la carence estrogènique (7-10), même si in vitro, les agents alkylants peuvent avoir un effet toxique direct sur différentes lignées cellulaires osseuses. La perte osseuse est beaucoup moins prononcée lorsque la chimiothérapie est administrée après la ménopause (11).

L’ovariectomie bilatérale est une cause classique de perte osseuse rapide liée au caractère brutal de l’installation de la carence en stéroïdes sexuels.

L’hormonothérapie adjuvante :

Les inhibiteurs de l’aromatase.

Chez la femme ménopausée, l’unique source d’estrogènes provient de la transformation « périphérique », dans différents tissus (muscle, tissu adipeux…), des androgènes par un processus enzymatique d’aromatisation. Or, plusieurs travaux ont étayé l’importance des concentrations résiduelles en estradiol dans le contrôle du remodelage osseux avec une augmentation de la perte osseuse et du risque fracturaire démontrée dans la population des femmes âgées ayant des taux d’estradiol < 5 pg/ml (12,13). Le risque de présenter une fracture de l’extrémité supérieure du fémur était ainsi 2,5 fois plus élevé chez les femmes ayant des concentrations plasmatiques d’estradiol < 5pg/ml que celles dont l’estradiolémie résiduelle était comprise entre 5 et 25 pg/ml (12,13).

Il est donc logique de penser que l’utilisation d’agent thérapeutique qui vont induire une carence estrogénique profonde vont avoir un retentissement sur le remodelage osseux et le risque de fracture. L’administration d’un inhibiteur de l’aromatase chez la femme ménopausée pendant 6 mois s’accompagne ainsi d’une diminution des concentrations plasmatiques résiduelles d’estradiol ainsi qu’une élévation des marqueurs plasmatiques du remodelage osseux confirmant l’impact osseux rapide de la déprivation estrogénique (14).

On distingue 2 types d’inhibiteurs de l’aromatase en fonction de leur structure et du type d’inhibition : les inhibiteurs stéroidiens irréversibles (exemestane) et les inhibiteurs non stéroidiens ou compétitifs réversibles (anastrozole, létrozole). L’anastrozole (Arimidexâ) en traitement adjuvant alternatif au tamoxifène tout comme le létrozole (Fémaraâ) et l’exemestane (Aromasineâ) après 2 à 5 ans de tamoxifène, augmentent significativement la durée de survie sans rechutes (locales ou à distance) et réduisent la survenue de cancer controlatéral, pour une tolérance endométriale et veineuse meilleure que celle du tamoxifène (15-17). Par contre, il est rapporté avec cette classe de médicaments une augmentation de l’incidence des arthro-myalgies de mécanisme inconnu et des fractures ostéoporotiques.

Données concernant l’anastrozole :

Dans l’étude randomisée ATAC, comparant anastrozole, 1 mg/j (ANA), tamoxifène, 20 mg/j (TAM) et la combinaison des 2, le taux de fractures ostéoporotiques au bout d’un suivi de 31 mois était significativement majoré dans le groupe ANA avec un risque relatif (RR) de 1,59 versus TAM (15). La proportion respective de fractures est de 5,9%, 3,7 %, et 4,6 % chez les patientes traitées par ANA comparées aux patientes sous TAM ou l’association ANA+TAM. Si seules les fractures ostéoporotiques les plus typiques sont prises en compte (vertèbres, hanches et poignets), la proportion est respectivement de 2,2 % dans le groupe anastrozole et 1,5 % dans le groupe tamoxifène, la différence n’étant pas significative. Les données de suivi médian à 47 mois montrent une augmentation de l’incidence fracturaire, sans majoration de la différence initialement observée entre les 2 groupes (7,1 % dans le groupe ANA vs 4,4 % dans le groupe TAM).

Cette légère augmentation des fractures ostéoporotiques sous ANA versus TAM s’expliquerait par l’activité anti-estrogénique de l’inhibiteur de l’aromatase et/ou par un éventuel effet protecteur du tamoxifène (15). Lorsque l’incidence fracturaire est analysée en fonction de la durée du traitement, le risque fracturaire augmente de manière relativement rapide chez les patientes traitées par ANA avec un maximum à 24 mois, puis une stabilisation ultérieure. Ces données suggèreraient plus la sélection par le traitement par l’anti-aromatase d’une sous-population déjà à plus haut risque de fracture lors de l’initiation du traitement, qu’une toxicité osseuse cumulative de l’anti-aromatase.

L’évolution de la DMO vertébrale et fémorale, a été évaluée dans un échantillon de patientes de l’étude ATAC par Eastell (18). Les femmes recevant l’ANA ont présenté à 2 ans une perte osseuse de 4 % au rachis et 3,2 % au fémur alors que sous TAM on notait une augmentation de 1,9% et 1,2% respectivement. Cette perte osseuse sous ANA était associée à une augmentation à 1 an de 15% (NTX) à 25% (CTX) des marqueurs de la résorption osseuse et de 20% des marqueurs de la formation (phosphatase alcaline osseuse et PINP) (18). Ces variations peuvent être considérées comme relativement faibles et pourraient expliquer le faible taux des fractures ostéoporotiques rapportées dans le groupe ANA.

Données concernant le létrozole et l’exemestane :

Deux essais cliniques randomisés ayant évalué l’effet du letrozole et de l’exemestane administrés respectivement dans les suites d’un traitement adjuvant de 5 ans (10) et de 3 ans (11) par tamoxifène ont permis de mettre en évidence une augmentation de l’incidence fracturaire chez les femmes recevant l’inhibiteur de l’aromatase par rapport à celles prenant le placebo. Néanmoins, l’augmentation de l’incidence des fractures ostéoporotiques n’atteint pas le seuil de signification statistique (tableau 1).

Une étude ancillaire de l’essai MA.17 a évalué l’évolution densitométrique chez 226 femmes avec un t-score > -2 dont 122 ont été randomisées pour recevoir le letrozole en relais d’un traitement par tamoxifène de 5 ans et comparées à 104 femmes ne recevant qu’un placebo (19). Au terme des 2 ans de l’étude, une diminution significative de la DMO lombaire (-5,35 % vs –0,70 %, p = 0,008) et fémorale (-3,6% vs –0,71%, p<0,05) était observée dans le groupe létrozole par rapport au groupe placebo. La perte osseuse était associée à une augmentation significative des marqueurs du remodelage osseux dès le 6ème mois de traitement par letrozole. De plus, le pourcentage de femmes atteignant le seuil de l’ostéoporose densitométrique (t-score < -2,5) était à 2 ans de 4% dans le groupe létrozole, alors qu’aucune femme du groupe placebo n’atteignait ce seuil.

Pour l’exemestane, il a été postulé que l’impact osseux pourrait être différent et moindre de celui des autres inhibiteurs de l’aromatase de par l’activité de nature androgénique d’un de ses métabolites, le 17-hydroexemestane. Dans une expérimentation chez des rates, l’exemestane a prévenu l’augmentation du remodelage et la perte osseuse après ovariectomie et amélioré les propriétés mécaniques testées in vitro (20). Néanmoins, un essai clinique récent, bien que d’effectif limité, ayant évalué l’évolution osseuse chez des femmes ayant reçu de l’exemestane pendant 2 ans, en relais d’un traitement par tamoxifène retrouve une augmentation de la perte osseuse chez les femmes recevant l’exemestane par rapport à celles ayant continué le traitement par tamoxifène (21). Au bout de 2 ans de traitement, la perte osseuse à la colonne lombaire était de –3% chez les femmes traitées par exemestane alors qu’aucune variation n’était observée chez les femmes traitées par tamoxifène. La perte osseuse fémorale était également diminuée de manière significative, de l’ordre de –2% dans le groupe exemestane, sans variation dans le groupe tamoxifène. La perte osseuse était associée à une augmentation significative et précoce, dès le 3ème de traitement, des marqueurs du remodelage osseux (CTX) par exemestane.

Tableau 1 : Taux des fractures ostéoporotiques chez les femmes recevant un traitement adjuvant par un inhibiteur de l’aromatase (d’après rèf. 9-11)

Inhibiteurs de l’aromatase

Contrôles

p

Anastrozole

5,9 %

3,7 % (1)

<0,0001

Letrozole

3,6 %

2,9 % (2)

0,24

Exemestane

3,1 %

2,3 % (1)

0,08

Groupe contrôle : (1) vs tamoxifène ; (2) vs placebo

Les agonistes du GnRH :

Ils sont parfois utilisés chez les femmes non ménopausées atteintes d’un cancer du sein en association ou non avec le tamoxifène ou avec les inhibiteurs de l’aromatase. Comme pour les autres indications (endométriose), on note une perte osseuse rapide et d’autant plus importante que le traitement est prolongé sur plusieurs années. Après 2 ans de traitement par goseréline la perte osseuse vertébrale moyenne dans l’étude de Fogelman et coll (10) était de 8,2% et de 4,5% pour le col du fémur. Contrairement à la chimiothérapie, l’aménorrhée induite par les agonistes du GnRH est le plus souvent réversible ce qui permet une récupération au moins partielle de la perte osseuse (10).

Le cancer du sein

Le cancer du sein constitue en lui-même un facteur de déminéralisation du fait des perturbations générales du métabolisme osseux qu’il peut entraîner (1). Des travaux basés sur des biopsies osseuses en os non métastatique tout comme des données biologiques montrent une augmentation du niveau de résorption ostéoclastique dans des cancers du sein en l’absence de tout envahissement osseux (1). Le rôle de médiateurs comme la PTHrp ou l’IL 6 produits par la tumeur et libérés dans la circulation systémique a été évoqué (22).

Facteurs protecteurs vis à vis du risque d’ostéoporose :

Le surpoids :

Le surpoids constitue un facteur de risque classique de cancer du sein post-ménopausique de par l’imprégnation estrogénique résiduelle qu’il entraîne (conversion des androgènes au niveau du tissu adipeux et diminution de la protéine porteuse des stéroïdes sexuels). C’est également un facteur de protection vis à vis de l’ostéoporose, en partie liée à une augmentation de la DMO et à une diminution de la perte osseuse post-ménopausique.

L’augmentation du niveau de la densité minérale osseuse (DMO) :

Plusieurs études épidémiologiques (23-28) ont rapporté une association entre une DMO élevée, mesurée à différents sites squelettiques, et le risque de cancer du sein dans des populations de femmes âgées de plus de 60 ans. La première étude à avoir soulevé l’hypothèse d’une relation entre le niveau de masse osseuse et le risque de cancer du sein est la grande étude épidémiologique SOF (pour Study of Osteoporotic Fractures) ayant concerné 9 600 femmes de plus de 65 ans.

Une première analyse publiée en 1996 (23) avait colligé 97 cas de cancer du sein survenus au cours des 3,2 premières années de suivi chez des femmes n’ayant jamais bénéficié d’un traitement hormonal durant la phase post-ménopausique et qui avaient été comparées à 6 750 femmes saines de la cohorte initiale. Après ajustement pour les variables confondantes, il existait une augmentation significative du risque de cancer du sein d’un facteur 2 à 4 chez les femmes dont la DMO était située dans le quartile des valeurs les plus élevées et cela après ajustement pour les variables de confusion que sont l’âge, le poids, l’âge de la puberté et de la ménopause, les antécédents familiaux de cancer du sein et la prise d’estrogènes après la ménopause. Une analyse complémentaire publiée en 2001 (27) avait permis de confirmer ces données initiales pour un suivi plus long, de 6,8 ans au cours duquel 315 cas de cancer du sein avaient été identifiés. L’augmentation du risque de cancer du sein était ainsi de 2,7 (IC 95 % [1,4 – 5,3]) chez les femmes dont le niveau de DMO mesuré au radius et au calcanéum par SPA était situé dans le quartile des valeurs les plus élevées. Ultérieurement, près de 10 études de cohorte ou cas-témoin ont également rapporté une association entre une DMO élevée et le risque de cancer du sein chez des femmes ménopausées.

Cette association DMO/cancer s’expliquerait par le fait que le niveau de la DMO serait un marqueur de l’exposition cumulée aux estrogènes. On connaît en effet le rôle essentiel joué par les estrogènes dans l’acquisition et le maintien de la masse osseuse chez la femme. Une exposition élevée aux estrogènes, par augmentation de production, hypersensibilité tissulaire ou défaut de catabolisme, favoriserait ainsi un meilleur capital osseux tout en augmentant le risque des cancers hormono-dépendant et notamment le cancer du sein. Le fait que l’association avec la DMO soit encore plus forte en cas d’antécédent familial direct de cancer du sein (RR = 2,3 [1,1 – 4,5]) suggère l’importance d’un lien génétique commun sous-tendant ces deux situations cliniques (28). De même, la relation dans la cohorte SOF, entre l’augmentation de la DMO et le grade TNM de la tumeur au moment du diagnostic, suggérerait que certains facteurs biologiques associées à une DMO élevée (IGF 1, TGF ß) pourraient également affecter la croissance tumorale (27).

Le sur-risque associé à une augmentation d’un écart-type de la DMO (environ 10 à 12%) apparaît ainsi supérieur à celui conféré par un antécédent familial au 1er degré de cancer du sein pris de manière isolé (RR = 1,4 [0,9-2,2]). Soulignons également que la relation inverse est vraie : l’incidence des cancers du sein est plus faible chez les patientes ayant une DMO basse et/ou des antécédents de fractures ostéoporotiques.

Le tamoxifène :

De par son activité anti-estrogénique mammaire, le tamoxifène est largement prescrit dans les cancers du sein exprimant des récepteurs aux estrogènes, en situation adjuvante ou métastatique. L’effet osseux du tamoxifène dépend du statut hormonal, de nature antagoniste des estrogènes chez la femme non ménopausée, et estrogènique faible après la ménopause (29). Dans l’étude randomisée de Love et coll, (30) portant sur 140 femmes ménopausées traitées pour un cancer du sein, la DMO lombaire augmentait de 0,61% par an sous TAM alors qu’elle baissait de 1% dans le groupe placebo. Il n’était pas retrouvé d’effet significatif sur l’os cortical (radius). La résorption osseuse baissait de 45% à 6 mois (NTX urinaire) et de l’ordre de 30% pour les marqueurs de la formation (31). Aucun effet significatif sur les fractures ostéoporotiques n’a été démontré à ce jour même si une tendance à la diminution du risque de fractures vertébrales (RR= 0,74 ; IC 0,41-1,32) et de l’ESF (RR= 0,55 ; IC 0,25-1,15) se dégageait dans la grande étude de prévention NSABP (6).

Quelle prévention de l’ostéoporose après cancer du sein ?

L’hyper-remodelage osseux accompagnant les cancers du sein, conduit logiquement à privilégier les traitements à action antiostéoclastique pour la prévention de l’ostéoporose de ces patientes. La prescription d’agents anaboliques serait plus discutable, d’autant que l’inocuité de ces traitements sur la croissance tumorale n’est pas connue.

Parmi les agents anti-ostéoclastiques, seuls les bisphosphonates ont à ce jour fait la preuve de leur intérêt dans la prévention du risque fracturaire chez une femme ayant des antécédents de cancer du sein. L’utilisation des estrogènes apparaît contre-indiquée même si plusieurs travaux n’ont pas rapporté d’augmentation des récidives ou d’altération du pronostic chez des femmes ayant reçu des estrogènes après leur cancer du sein. Néanmoins, l’étude HABITS (33) qui a porté sur 345 femmes suédoises traitées pour un cancer du sein dont la moitié avait été randomisée pour recevoir un THS a du être interrompu après 2 ans de suivi en raison d’une nette augmentation des récidives tumorales chez les femmes traitées (RR=3,5 IC 1,5-8,1).

L’intérêt potentiel du raloxifène prescrit après un cancer du sein en prévention de l’ostéoporose n’a pas fait l’objet d’études cliniques. Il apparaît contre-indiqué chez une femme présentant un cancer du sein hormono-dépendant en raison d’une efficacité non prouvée dans le pronostic du cancer du sein, tout au moins dans les formes graves métastatiques (7). En l’état actuel des données disponibles, il ne peut être administré que chez une femme ayant eu un antécédent de cancer du sein dans la mesure où celui-ci ne fait plus l’objet d’un traitement spécifique et est considéré comme guéri.

Les bisphosphonates (BPN) sont les plus puissants inhibiteurs de la résorption osseuse et sont utilisés dans toutes les maladies s’accompagnant d’un excès de destruction de l’os. L’alendronate et le risédronate réduisent de 50% l’incidence des tassements vertébraux et des fractures périphériques chez des femmes ostéoporotiques (T-score < -2,5) avec ou sans fractures. D’autres molécules (clodronate, pamidronate, ibandronate, zolédronate) sont indiquées dans les ostéolyses malignes et les hypercalcémies tumorales. Dans les cancers du sein avec métastases osseuses, ces BPN réduisent significativement les complications liées à ces métastases (fractures, hypercalcémie, recours à la chirurgie ou à la radiothérapie) et retardent leur délai de survenue. Ils doivent être débutés dés le diagnostic de métastase osseuse (34).

Plusieurs BPN ont montré in vitro en cultures cellulaires une activité antitumorale directe (apoptose des cellules tumorales) mais pour des concentrations élevées et de manière non spécifique (35,36). Leur place en traitement adjuvant, en prévention des métastases osseuses notamment, a donné lieu à des résultats contradictoires et reste encore controversée (34, 36).

Un antécédent de cancer mammaire constitue habituellement un critère d’exclusion des grands essais cliniques conduits dans l’ostéoporose. En pratique, nous ne disposons que de très peu d’études thérapeutiques ayant évalué les BPN en prévention de l’ostéoporose après cancer du sein. L’intérêt du clodronate à la dose de 1600 mg/j per os en prévention de la perte osseuse chimio-induite, a été évalué dans 2 études randomisées contre placebo (9, 29). Dans ces études, le clodronate prescrit au tout début de la chimiothérapie chez des femmes opérées d’un cancer du sein sans métastase osseuse, a réduit de 40 à 50% la perte osseuse vertébrale et fémorale à 2 ans comparativement au placebo. Après 3 ans de clodronate la différence de perte osseuse vertébrale entre les 2 groupes était de 2,8% (p<0,003) et ce bénéfice se maintenait 2 ans après l’arrêt du BPN (8). Dans le groupe des femmes développant une aménorrhée au cours de la chimiothérapie, le clodronate n’a réduit que partiellement de 56% à 1 an et 38% à 2 ans la perte osseuse vertébrale et quasiment supprimé la perte fémorale (-0,4% vs -6,9% pour le placebo à 2 ans) (9).

La seule étude actuellement disponible avec un BPN ayant l’AMM dans l’ostéoporose est celle de Delmas et coll pour le risédronate. Cette étude (37) a porté sur 53 femmes d’âge moyen 46 ans, ayant développé une ménopause après une chimiothérapie pour un cancer du sein sans métastase. L’ancienneté de l’aménorrhée était de 16 mois à l’inclusion. Les patientes ont été randomisées pour recevoir du risédronate à la posologie de 30 mg/j pendant 2 semaines tous les trimestres ou son placebo. La durée de traitement a été de 2 ans avec un suivi de 1 an après arrêt. Le risédronate a prévenu la perte osseuse vertébrale alors que la DMO a baissé de 2,8% à 2 ans dans le groupe placebo. L’effet sur la perte osseuse fémorale était moins net. A l’arrêt du BPN, la perte osseuse a repris à un taux comparable au placebo (37).

Plusieurs essais thérapeutiques basés sur les dernières générations de BPNs (zoledronate) administrés par voie injectable de manière cyclique sont actuellement en cours d’évaluation en prévention de l’ostéoporose chez des femmes avec cancer du sein, notamment chez celles recevant des inhibiteurs de l’aromatase. Les résultats préliminaires d’une étude randomisée évaluant l’efficacité préventive du zolédronate chez des femmes traitées pour un cancer du sein (stades I à IIIa) par letrozole apparaissent prometteurs (38,39). Parmi les 343 femmes ménopausées évaluées (sur un total de 602), dont la moitié ont été randomisées pour recevoir au cours de la 1ère année de traitement par letrozole, une perfusion tous les 6 mois de 4 mg de zolédronate, il existait une différence de 4,63 % de la DMO lombaire au terme de 12 mois (+2,02 % dans le groupe zolédronate vs –2,61 % dans le groupe contrôle, p<0,001). Des résultats comparables étaient également rapportés pour la DMO fémorale (+1,4 % dans le groupe zolédronate vs –2,10 % dans le groupe contrôle, p<0,001). Les résultats sur l’incidence fracturaire ne sont pas encore disponibles.

Conclusions

Le risque d’ostéoporose après un cancer du sein est variable et va dépendre du statut osseux initial, de la survenue du cancer avant ou au contraire après la ménopause (75% des cas), des traitements reçus (rôle aggravant de la chimiothérapie en pré-ménopause et des anti-aromatases en post-ménopause) ainsi que de l’évolutivité du cancer lui-même. Dans tous les cas, une évaluation individuelle du risque, basée sur des éléments cliniques, biologiques et densitométriques sera réalisée. Celle-ci est de mieux en mieux codifiée et repose sur l’analyse des facteurs de risque clinique et la mesure densitométrique par une méthode validée (absorptiométrie biphotonique ou DXA). Le dosage des marqueurs du remodelage osseux (télopeptides C ou N-terminaux du collagène de type 1 pour la résorption et ostéocalcine pour la formation osseuse) devrait prendre une place essentielle dans cette évaluation dans un future très proche. Il paraît licite de traiter les femmes les plus à risque par un BPN même si nous manquons encore de données validant cette indication.

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