IntroductionLa présentation du siège concerne environ 3% des grossesses mono fœtales à terme.Même si nous assistons depuis plusieurs années à l’augmentation progressive du taux de césariennes programmées dans le cadre de la présentation du siège, le débat sur la voie d’accouchement reste vif dans notre pays.Plusieurs points apparaissent comme capitaux dans ce débat :• Le premier point réside dans la publication d’études dont les conclusions peuvent faire penser que le pronostic materno-fœtal est en faveur d’une césarienne systématique en cas de présentation du siège (1, 2, 3).• Le second point réside dans la pression médico-légale ressentie par les obstétriciens (4). • Le troisième point, issue des deux premiers, est la diminution de l’apprentissage des gestes de l’accouchement par voie basse d’un fœtus en présentation du siège (5).Nous présenterons point par point les éléments de ce débat. Quelques rappelsFréquenceLa fréquence de la présentation du siège varie essentiellement en fonction du terme de la grossesse (6). Elle s’établit autour de 3 à 4% à terme. Cette fréquence tend à diminuer avec la généralisation de la pratique de la version par manœuvres externes (7). ÉtiologiesL’hypothèse de “la culbute physiologique” est fréquemment employée pour expliquer la fréquence des accouchements céphaliques. Le fœtus, animé de ses mouvements propres, cherche à s’accommoder de la meilleure des façons à l’utérus gravide. Il place donc sa plus grosse extrémité dans la portion la plus volumineuse de l’utérus gravide, c’est-à-dire le fond utérin. Si au début du troisième trimestre c’est souvent le pôle céphalique qui représente la portion fœtale la plus volumineuse, avec l’avancement de la grossesse, c’est le siège qui le devient.Certains facteurs de risque sont reconnus comme favorisant la présentation du siège : la prématurité, les malformations utérines congénitales ou acquises, les malformations fœtales, etc… Cependant, dans plus de 50% des cas, aucune anomalie n’est retrouvée pour expliquer ce type de présentation. Les éléments du débat Accouchement par le siège et les publicationsLes publications constituent un point crucial du débat entre les partisans de la voie haute et ceux de la voie basse. Pour les premiers, le Term Breech Trial a mis un terme au débat. À l’époque de l’Evidence Based Medecine, une étude prospective multicentrique venait de conclure de manière apparemment irrévocable en un excès de morbidité et de mortalité néonatales en cas de tentative d’accouchement par voie basse.Pour les seconds, d’autres études, équipes ou groupements ont montré, à l’inverse, l’absence de différence de morbidité et de mortalité néonatale entre les groupes “voie basse” et “césarienne” (8-12). De plus, la validité du Term Breech Trial apparaît limitée (13). Certaines critiques à l’encontre de l’étude de Hannah sont bien connues de tous et le Pr CARBONNE, dans un récent éditorial (14), les a parfaitement résumées: • Rareté de la pelvimétrie (9,8% des cas).• Non-vérification de l’absence de déflexion de la tête fœtale dans 31% des cas.• Absence de biométrie fœtale.• Absence d’estimation de poids fœtal. • Absence de surveillance de fin de grossesse dans le groupe voie basse en cas de terme dépassé.• Absence de monitorage cardiaque fœtal systématique au cours du travail. • Utilisation fréquente du déclenchement du travail (15%) et de l’ocytocine au cours du travail(plus de 50% des cas). • Absence de décision de voie d’accouchement prise avant l’entrée en travail (43% des inclusions faites en cours de travail).• Une phase d’efforts expulsifs pouvant dépasser une heure… Enfin, GLEZERMAN, un investigateur de ce fameux Term Breech Trial, vient lui-même de contribuer à la diminution de validité de cette étude (14, 15) en mettant en évidence des biais jusqu’ici peu connus: • Dans le groupe voie basse, 83% des femmes ont été recrutées alors qu’elles étaient déjà en travail contre 50% dans le groupe césarienne programmée. • Parmi les centres investigateurs, certains ne pouvaient assurer une intubation du nouveau-né en moins de 30 minutes. • Alors que le protocole stipulait que seules les grossesses uniques avec enfant vivant pouvaient être incluses, il y avait parmi les 16 cas de décès périnatal deux paires de jumeaux, une anencéphalie et deux morts-nés, apparemment survenus avant la randomisation. • Parmi les centres investigateurs, certains ne pouvaient assurer la réalisation d’une césarienne dans un délai de 60 minutes, ce qui défavorise de groupe “tentative de voie basse” .• Contrairement aux critères d’inclusion, l’obstétricien ayant pratiqué l’accouchement était en formation dans 18,5% des cas. Dans 32% des cas ayant abouti à une morbidité sévère, le praticien et-ou la sage-femme étaient en cours de formation. Pour certains c’est donc la preuve que, dans certaines conditions, on peut pratiquer des accouchements par le siège.Pour les autres, il s’agit d’une étude prospective multicentrique de grande ampleur ayant présentée des biais d’inclusion. Cela ne modifie en rien le choix de la césarienne programmée dans l’accouchement du siège. Accouchement par le siège et risque médico-légalLes obstétriciens sont fréquemment sous les feux de l’actualité judiciaire.On peut donc se demander si la pression “médico-légale” est à l’origine de la diminution des tentatives de voie basse.Aucune norme juridique (loi, décret, …) n’oblige les praticiens à réaliser une césarienne en cas de présentation du siège.Les deux principales obligations légales de l’obstétricien en la matière sont :• Une obligation de moyens : prodiguer des soins conformes aux données acquises de la science. • Une obligation de sécurité de résultat concernant notamment le matériel utilisé lors de l’accouchement.Ces différentes obligations ne sont pas spécifiques à la pratique obstétricale et s’adresse à l’ensemble des médecins.Les obstétriciens seraient-ils alors influencés par la jurisprudence tant judiciaire qu’administrative ?L’étude des jurisprudences rendues par les juridictions des deux ordres, administratif et judiciaire, lors de la dernière décennie, n’a pas mis en évidence l’existence de décisions pléthoriques ou emblématiques (ex. arrêt Perruche) rendues à l’issue d’un accouchement par voie basse ayant engendré des complications « dues » à une présentation en siège.Une nuance, cependant, doit être apportée concernant la décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 octobre 2001, décision qui apparaît comme la plus “importante” traitant d’un cas d’accouchement par le siège. Dans cette espèce, un médecin a procédé en 1974 à l'accouchement d'un enfant se présentant par le siège. Lors des manoeuvres obstétricales est survenue une dystocie des épaules de l'enfant entraînant une paralysie bilatérale du plexus brachial, dont l'enfant a conservé des séquelles au niveau du membre supérieur droit, son IPP après consolidation étant de 25 %.Le médecin a procédé à l'accouchement dans le lit de la parturiente, sur une bassine, lui-même et une sage-femme tenant chacun une jambe de la parturiente ; eu égard à ces conditions de réalisation de l'accouchement, à propos desquelles le rapport d'expertise précisait que les manoeuvres réalisées sur la bassine pour traiter la dystocie "n'en ont certainement pas été facilitées", l'enfant devenu majeur, a fait valoir, au soutien de son action en responsabilité contre le médecin et la clinique, qu'il existait à la clinique une "salle de travail" dotée d'une table d'accouchement et que les raisons de son absence d'utilisation pour un accouchement dangereux par le siège étaient restées inconnues.C’est une des premières décisions mettant en présence un obstétricien et l’enfant, devenu majeur, qu’il a aidé à naître. La question principale était susceptible d’entraîner une importante insécurité juridique. En effet, le caractère grave du risque encouru est apprécié par rapport aux données acquises de la science à la date des soins et non par rapport aux données postérieures (16). En ce sens, le médecin ne pâtira pas de l'évolution de la science médicale lorsque la gravité du risque n'avait pas été mise en évidence au moment des faits. Ensuite, une action fondée sur le défaut d'information ne pourra pas prospérer s'il est établi que l'information n'aurait eu aucun effet dissuasif sur la décision du patient (17). Il ne s'agirait pas pour les juges du fond de procéder à une recherche divinatoire de la volonté du malade, mais de relever des indices objectifs (nature des soins, historique médical du patient, ...) de nature à déterminer son choix. En cas de présentation anormale, quel serait aujourd'hui le choix d'une parturiente informée des risques respectifs de l'accouchement par voie basse et par césarienne ? On estime que la césarienne, si elle évite les complications survenues en l'espèce, présente des risques encore significatifs de morbidité et de mortalité, malgré les progrès accomplis (18). L'exhortation à la confiance du Pr HOERNI, Président du Conseil national de l'Ordre des médecins (19), atteste que la destinée du revirement est entre les mains des juges du fond : "Ayons confiance dans les juges pour bien nous juger, comme ils peuvent avoir confiance en nous pour bien les soigner !".Pour les partisans de la voie basse, c’est bien la preuve qu’à ce jour, aucune raison de nature juridique ou judiciaire ne peut justifier l’abandon de la pratique de la voie basse dans le cadre d’une présentation du siège à terme.Pour les partisans de la césarienne programmée, l’inquiétude réside dans les fluctuations que peuvent induire d’éventuels changements de jurisprudence. Les obstétriciens s’opposant sur le sujet, certaines études montrant une différence de pronostique entre la voie basse et la césarienne, comment ne pas imaginer qu’un avocat ne puisse s’engouffrer dans la brèche afin de démontrer que la patiente n’était pas PARFAITEMENT informée du débat mené autour de la question ? La conclusion logique est que l’irruption du médico-légal dans notre discipline a modifié les comportements. Dans le cas du siège, même si la pression médico-légale ressentie par les obstétriciens est supérieure à ce qui leur est effectivement reproché sur le plan juridique, on ne peut critiquer un praticien ne voulant plus prendre aucune décision qui puisse éventuellement être contestée.Or si un accouchement du siège par voie basse peut sembler contestable pour beaucoup, le fait de pratiquer une césarienne afin de se prémunir d’une éventuelle complication ne le semble que pour peu de monde… Accouchement par le siège et apprentissage Le troisième point de discussion entre les partisans de l’accouchement par voie basse ou par voie haute est celui de l’apprentissage. Il s’agit, en fait, de la véritable clef de voûte du problème. Il est clair que la poursuite de l’enseignement théorique et de la pratique des manœuvres obstétricales dans le cadre de l’accouchement du siège (20) améliore le pronostic fœtal et l’avenir obstétrical des mères (21). En effet, en cas d’accouchement inopiné du siège, dans un centre ou la pratique obstétricale de la voie basse a quasiment disparu, les conséquences en terme de morbidité sont extrêmement sévères pour le nouveau-né (22). Mais cet apprentissage est-il possible? Prenons une maternité moyenne, réalisant 2000 accouchements par an. Si l’on a une fréquence de 3% de présentation du siège à terme, cela constitue un “pool” de 60 patientes par an, soit 30 par semestre. L’augmentation brutale du nombre d’internes dans la filière de gynécologie-obstétrique permet de dire, qu’au bas mot, dans cette même maternité, 8 internes sont présents à chaque semestre. Ce qui revient, pour chaque interne, à réaliser 3,75 accouchements par voie basse tous les six mois… si d’aventure aucune patiente ne présentait d’indication de césarienne pendant le travail ! Il faut ne pas oublier non plus que ces mêmes internes n’effectuent pas tous leurs semestres dans des services d’obstétrique. Il faut également compter que pour assurer l’enseignement il faut des PU-PH, des PH et des assistants maîtrisant parfaitement eux-mêmes les accouchements par voie basse. Autrement dit ces mêmes personnes doivent également pratiquer des accouchements par voie basse…et donc ne pas permettre, dans la majorité des cas, à l’interne de le pratiquer lui-même. On peut enfin ajouter que la plupart des internes vont pratiquer l’obstétrique dans de petites maternités publiques ou privées. Ils n’auront donc pas le recrutement nécessaire afin de conserver un niveau d’aptitude ou d’expertise suffisant pour se permettre de réaliser des accouchements du siège par voie basse. ConclusionLa présentation du siège fait toujours l’objet de controverses. Elle oppose les partisans de l’accouchement par voie basse et ceux de la césarienne programmée.En ayant analysé les principaux points alimentant le débat on en arrive à une conclusion simple : que ce soit par voie basse ou par césarienne les préoccupations sont les mêmes.En effet, le but de ces deux groupes est de choisir la voie du bien être maternel et fœtal.Pour le premier groupe, la qualité du pronostique passe par la pratique et l’enseignement. Il faut donc poursuivre les accouchements par le siège. Ils ont raison.Pour le second groupe, la pratique et l’enseignement ne sont pas ou peu réalisables. Il faut donc arrêter les accouchements du siège par voie basse. Ils ont tout autant raison.Alors quel va être l’avenir ? O la disparition de l’obstétrique. Après le siège, il sera logique d’envisager la fin de l’accouchement de jumeaux par voie basse. Par la suite, il faudra bien constater que le risque de dystocie des épaules est à prendre en compte et entraîne de graves séquelles chez les nouveaux-nés. Quelles sont les conditions qui permettront d’accepter qu’un accouchement puisse avoir lieu par voie basse? Pour l’instant la remarque peut sembler hors de propos mais avec le temps, l’amélioration technique (matériel et praticiens), le taux de complication de la césarienne va continuer à s’amoindrir… Qui peut prédire jusqu’à quand le risque de la césarienne va rester supérieur à celui de la voie basse ? Ainsi les obstétriciens vont perdre, en même temps que le siège, la pratique des manœuvres qui font leur spécialité. Ils se concentreront probablement sur le développement de l’activité de médecine prénatale, plus propice aux publications et l’enseignement universitaire.Ainsi, comment à l’issue de ce débat ne pas donner raison aux deux groupes ???Oui, continuez à pratiquer des césariennes programmées puisque la présentation du siège peut être qualifiée de dystocique et que l’apprentissage de la voie basse ne peut plus être assuré en sécurité !Et oui, continuez à pratiquer des sièges par voie basse si votre niveau d’expertise est suffisant car à long terme, il n’a pas été montré de différence significative entre le siège et le vertex (23, 24). L’absence de différence de pronostic fœtal à deux ans dans les groupes “tentative de voie basse” et “césarienne programmée” a même été relevée par le groupement ayant réalisé le Term Breech Trial (25) ! Quand au débat en lui-même, la disparition programmée de l’apprentissage des manœuvres est en train de le clore, doucement mais sûrement, faute de combattants. 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