Endométriose et cancer
A. AGOSTINI*, B. BLANC*
L'endométriose est une pathologie
qui reste mal connue encore aujourd'hui. Cette maladie présente plusieurs similitudes
avec une maladie maligne : l'évolution clinique est caractérisée
par les risques de récidive et de diffusion. Un des points qui restent obscurs
est la liaison qui existe entre l'endométriose et la pathologie cancéreuse.
En effet on connaît très mal les mécanismes de dégénérescence
maligne de l'endométriose. D'autre part l'endométriose semble être
fréquemment associée à certaines tumeurs primitives.
Définition et histologie
Pour affirmer le diagnostic de cancérisation
de lésions d'endométriose, plusieurs critères doivent être
présents. Il en existe quatre décrits par Sampson et complété
par Scott [1, 2] :
- l'organe atteint
doit être à proximité immédiate de la tumeur ; il doit contenir
du tissu bénin et du tissu malin de type endométrial avec la même
relation histologique entre eux que celle observée entre un carcinome du corps
utérin et les portions non malignes de l'endomètre ;
- il faut éliminer
une tumeur primaire et la possibilité d'une métastase d'une autre tumeur.
Il faut pouvoir prouver que le cancer a pris naissance au niveau d'un foyer
d'endométriose ;
- l'apparence histologique
de la tumeur doit être compatible avec l'origine endométriosique ;
- il doit exister
une zone de transition entre tissu endométriosique et tissu malin.
Histologiquement il s'agit le plus
souvent d'adénocarcinomes généralement endométrioïdes,
parfois associés à des carcinomes à cellules claires ; des adéno-acanthomes,
très rarement des carcinosarcomes ou des adénocarcinomes [3, 4].
Fréquence de cancérisation de lésion
d'endométriose
Il s'agit d'une pathologie exceptionnelle. La
cancérisation d'une lésion d'endométriose serait comprise entre 0,26
et 1 % [5-9]. Il faut différencier la cancérisation spontanée et
la cancérisation favorisée par une hyperœstrogénie (THS, hyperœstrogénie
endogéne). Sur une étude rapportant 205 cas, dont 191 patientes sans antécédent
de prise de THS, la localisation était majoritairement extra-ovarienne (44 %
des cas dont 3,4 % dans la paroi recto-vaginale) [6].
Fréquence de l'endométriose
dans le cancer de l'ovaire
Il faut différencier la dégénérescence
d'un foyer d'endométriose et l'association d'un cancer de l'ovaire et d'une
endométriose. 1,6 à 3,5 % des tumeurs épithéliales de l'ovaire
seraient une cancérisation d'une endométriose bénigne [6]. Les associations
les plus fréquentes concernent les tumeurs endométrioïdes et les
tumeurs à cellules claires. L'endométriose pelvienne est associée
dans 10 à 25 % des cas à un carcinome endométrioïde de l'ovaire
[10]. Cette association serait plus fréquente au Japon [11]. La présence
d'un cancer ovarien lorsqu'il existe un endométriome serait de 0,7 % [12].
Le risque de développer un cancer de l'ovaire en cas d'antécédent
d'endométriose serait augmenté de 30 % [13]. Il n'existe pas assez de
données pour évaluer si le pronostic de cancer ovarien est modifié
en cas d'association à une endométriose ou s'il est secondaire à
une dégénérescence d'endométriose.
Fréquence de l'association endométriose
et autres tumeurs primitives
Une plus grande fréquence de cancers du sein
et de lymphomes serait retrouvée en cas d'endométriose [14, 15].
Influence de l'hyperoestrogénie
Le rôle de l'hyperœstrogénie a été
évoqué pour expliquer la grande fréquence de prise d'œstrogéne
(THS, distilbéne) en cas de cancérisation d'endométriose survenue
à distance d'une hystérectomie avec annexectomie [6, 16-18].
Facteurs génétiques
Plusieurs anomalies génétiques sont
retrouvées dans les cellules d'endométrioses. Certaines de ces anomalies
sont aussi retrouvées dans les cellules tumorales ou peuvent expliquer la dégénérescence
tumorale.
L'aneuploïdie du chromosome 17
est retrouvée dans 65 % des lésions endométriosiques sévères
examinées, contre 25 % pour le tissu endométrial normal [19]. Cette
anomalie semble jouer un rôle dans le développement et la progression
de diverses tumeurs ; il a été identifié des pertes et des gains,
des délétions et des mutations de gènes suppresseurs tumoraux potentiels
(comme BRCA1 et p 53) au niveau de ce chromosome 17.
Différentes anomalies chromosomiques
sont retrouvées en cas d'endométriose [20]. Des pertes au niveau des chromosomes
1p et 22 q sont retrouvées dans 50 % des cas ; d'autres chromosomes sont également
touchés, mais avec une moins grande fréquence ; il s'agit des chromosomes
5p, 6 q, 7p et 17 q. À l'inverse, des gains sont observés, dans quelques
cas, au niveau des chromosomes 6 q, 7 q et 17 q.
L'oncogène c-myc et le récepteur
à la prolactine sont exprimés de manière différente quand on
compare le tissu endométriosique et l'endomètre [21]. D'autres proto
oncogènes (c-fins, cerB-1/-2) ont aussi été mis en évidence
ainsi que le gène bcl-2 (anti-apoptotique) [22].
Au plan moléculaire, le mécanisme
de l'invasion du collagène par les cellules endométriosiques partage certaines
caractéristiques avec les cellules métastatiques néoplasiques [23].
En conclusion, il existe de nombreux
éléments cliniques, épidémiologiques et génétiques
mettant en évidence une relation entre l'endométriose et la pathologie
cancéreuse. Une meilleure compréhension de cette relation permettrait
d'améliorer le traitement de l'endométriose.
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* Service de Gynécologie
Obstétrique, Hôpital la Conception, Marseille.
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