Fausses
couches spontanées répétées : pistes génétiques
DR VéRONIQUE LEJEUNE*, DR
MARIE-FRANCE PORTNOL*
Les fausses couches spontanées
(FCS) précoces sont le plus souvent sporadiques et correspondent à un
processus naturel de sélection. Elles sont fréquentes, survenant environ
lors de 15 % des grossesses diagnostiquées. La cause d'une FCS est rarement
connue, mais parfois identifiée, soit embryonnaire (anomalie chromosomique),
soit maternelle (syndrome de antiphospholipides, par exemple).
Définies par 2 FCS successives,
les FCS répétées concernent 1 % des couples désirant un
enfant. Devant la répétition des FCS chez un couple, la recherche de pathologies
génétiques peut permettre d'expliquer certains de ces accidents. Les pistes
actuelles sont la recherche de translocations parentales, et les biais d'inactivation
de l'X.
Causes génétiques des FCS
FCS sporadiques
Les anomalies chromosomiques représentent
la cause la plus fréquente de FCS sporadique, et elles sont retrouvées
dans 50 à 70 % des FCS du 1er trimestre (soit 5 à 10 %
de toutes les grossesses). Elles sont mises en évidence par culture puis caryotype
du trophoblaste de la grossesse arrêtée, qui reste une technique difficile
avec un taux d'échec de culture important de 10 à 40 %.
L'étude de Boué et al. en
1975 met en évidence parmi ces anomalies chromosomiques [1] :
- 94 %
d'anomalies de nombre
• 54 % de trisomies
(16,18,21,22)
• 20% de triploïdies
et polyploïdies
• 20% de monosomies
X
Ces anomalies ont un risque de récurrence
faible.
Leur fréquence augmente avec l'âge
de la mère, sauf la monosomie X.
- 6 %
d'anomalies de stucture
La moitié d'entre elles sont héritées
d'un parent porteur d'une translocation équilibrée.
FCS répétées
Chez les couples ayant fait 2 FCS successives,
le taux de récidive est plus élevé que celui attendu par le hasard
seul [2] :
- après
2 FCS : 17-35 %
- après
3 FCS : 25-46 %
- après
6 FCS : > 50 %
Le pourcentage d'anomalies du caryotype
sur trophoblaste diminue avec le nombre de FCS pour se stabiliser autour de 20%
après 4 FCS.
Dans une série de Stephenson [3]
décrivant 422 caryotypes sur trophoblaste chez des couples ayant fait auparavant
au moins 3 FCS, on retrouve 54 % d'anomalies chromosomiques dont :
- 96 % d'anomalies
de nombre
• 66,5 % de
trisomies
• 10 % de polyploïdies
et triploïdies
• 9 % de monosomies
X
• 0,5 % d'association
T21 et monosomie X
- 4 % d'anomalies
de structure
Translocations déséquilibrées
Les anomalies chromosomiques
du produit de FCS sont donc moins fréquentes quand les FCS se répètent,
mais la répartition des différents types d'anomalie est la même dans
les FCS sporadiques et les FCS répétées.
Caryotype parental chez les couples avec des FCS
à répétition : recherche de translocations équilibrées
Des anomalies du caryotype sont retrouvées
chez 4,7 à 6 % des couples ayant fait au moins 2 FCS. Elles sont légèrement
plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes.
Type d'anomalies du caryotype parental
- L'anomalie la plus fréquemment
retrouvée est une translocation réciproque (« échange
» de matériel entre 2 chromosomes). Sa fréquence est de 4 à
6 %, soit plus de 30 fois supérieur à celui de la population générale
(1/1000) [4-5].
- On peut également
retrouver des translocations robertsoniennes ou fusions centriques
(fusion de 2 chromosomes par leur centromère). La plus fréquente est la
translocation t(13q ; 14q), qui est 4 à 6 fois plus fréquente que dans
la population générale.
- Plus rarement,
on peut retrouver des inversions péri ou paracentriques, qui sont parfois
difficiles à mettre en évidence.
- Enfin, il
a été décrit de façon anecdotique des anomalies des chromosomes
sexuels, des petits chromosomes surnuméraires et des microremaniements.
Fréquence des anomalies retrouvées
2 séries ont quantifié ces anomalies
du caryotype chez les couples ayant fait au moins 2 FCS.
Fryns et al. [6]
1986 1998
Nombre de couples 1 555 1 743
Anomalies 6,3 % 5,3 %
Translocations réciproques 3,60 % 3,55
%
Translocations robertsoniennes 1,75 % 0,50
%
Inversions 0,64 % 0,56 %
Portnoi et al. [7]
2 FCS FCS Total et
enfant normal
Nombre
de couples |
˙771 |
˙256 |
˙1 142 |
˙Anomalies |
˙4,02 % |
˙6,64 % |
˙4,81 % |
˙Translocations réciproques |
˙ |
˙ |
˙2,80 % |
˙Translocations robertsoniennes |
˙ |
˙ |
˙0,78 % |
˙Inversions |
˙ |
˙ |
˙1,25 % |
˙
Pronostic des grossesses ultérieures en cas de translocation
équilibrée parentale
Le risque de FCS est très élevé,
et dépend du type de translocation.
Il faut toujours chercher une autre
cause éventuellement accessible à untraitement, comme le syndrome des
antiphospholipides (SAPL).
Dans une série de Suguria-Ogasawara
publiée en 2004 qui étudie 1 284 couples avec au moins 2 FCS
consécutives, et chez qui un traitement par aspirine + héparine est proposé
en cas de SAPL, on retrouve [5] :
- 61 % de récidive
de FCS si l'homme est porteur d'une translocation
- 72,4 % de
récidive de FCS si la femme est porteuse d'une translocation
Prise en charge des couples après découverte d'une
translocation équilibrée parentale
La consultation de génétique
est indispensable, et doit être idéalement pratiquée avant la réalisation
du caryotype pour informer les parents de ce que l'on recherche. Si le caryotype
a été prescrit par l'obstétricien, il doit expliquer aux parents
la possibilité de découverte d'une telle anomalie.
Il faut ensuite rassurer les couples
car, si le taux de FCS est augmenté, il n'est jamais égal à 100%.
Le risque est celui d'obtenir chez le produit de conception une translocation déséquilibrée
compatible avec le développement embryonnaire puis ftal, mais entraînant
parfois des anomalies morphologiques ou fonctionnelles graves.
Il est donc recommandé de
réaliser une amniocentèse ou une biopsie de trophoblaste sur les grossesses
évolutives des couples dont l'un des membres est porteur d'une translocation
équilibrée.
Chez certains couples où les
FCS répétées sont très mal vécues, un diagnostic pré-implantatoire
(DPI) peut être parfois proposé. Il consiste à l'entrée pour
le couple dans un protocole de fécondation in vitro (FIV) avec sélection
des embryons réimplantés après un DPI effectué sur quelques
cellules embryonnaires avant replacement.
Ce DPI n'est possible que sur certaines
translocations.
Il faut expliquer à ces couples
le choix qu'ils ont à faire entre un risque de FCS élevé lors d'une
conception naturelle, et la lourdeur des protocoles de FIV.
Enfin, il faut savoir qu'il existe
des associations de parents porteurs de translocations équilibrées, qui
peuvent aider ces couples dans leur parcours.
Biais de l'inactivation de l'X et FCS répétées
Certains couples font préférentiellement
des FCS sur les embryons mâles, faisant évoquer l'hypothèse de maladies
géniques léthales récessives liées à l'X.
Les généticiens se sont donc
intéressés aux biais de l'inactivation de l'X chez les femmes faisant
des FCS à répétition, surtout si elles ne donnent naissance qu'à
des filles.
Inactivation normale de l'X
- L'inactivation de l'X
est un mécanisme de régulation génique du chromosome X de
la femme, qui permet d'égaliser dans les 2 sexes l'expression des gènes
liés à l'X.
- Elle consiste
en un arrêt de la transcription des gènes d'un des 2 X dans chaque cellule
Hypothèse de Mary Lyon en 1961
- Dans les cellules
diploïdes, un seul X est actif, quel que soit le nombre d'X
- Les femmes
subissent une activation de l'un des X, appelé Xi
- L'Xi s'entoure
de chromatine dense dite hétérochromatime et devient visible dans chaque
cellule (corpuscule de Barr)
Conséquences de l'inactivation
• Arrêt
d'expression des gènes d'un des 2 X : dans les 2 sexes, les cellules deviennent
monosomiques pour les gènes de l'X
• Modification
de la chromatine de l'Xi
- Réplication
tardive
- Méthylation
des gènes
- Hypoacétylation
des histones H3H4
- Incorporation d'une
histone macroH2A
- Rôle clé
dans le silence des gènes
Mécanismes de l'inactivation de
l'X
- Début
dès les premiers stades du développement embryonnaire
- Il existe
une méthylation des îlots CTG des gènes de l'Xi, bloquant
la transcription. Cette méthylation est responsable de la transmission de
l'état Xi au cours des divisions cellulaires.
- Réversible
à la meiose : au stade d'ovocyte, l'Xi est réactivé
- Au hasard
dans chaque cellule, l'X maternel ou paternel est inactivé, avec normalement
une distribution d'environ 50/50 (toute fille est une mosaïque pour
les gènes liés à l'X)
- Il existe
probablement des facteurs autosomiques (venant des autres chromosomes) qui viendraient
protéger un X par cellule
- Dans chaque
cellule, tous les X sont incativés sauf 1 (compte des X)
Inactivation incomplète
Certains gènes échappent
à l'Xi et sont exprimés par les 2 X. Ils sont situés préférentiellement
sur le bras court (Xp) dans la région dite pseudo-autosomique (PARs)
Ces gènes sont des gènes
candidats pour les phénotypes associés aux aneuploïdies de l'X (phénotypes
exprimés quand X surnuméraire ou manquant).
Par exemple, le syndrome de Turner
est le phénotype correspondant à l'haplo-insuffisance des gènes PARs.
Déséquilibre d'inactivation de l'X
Certaines femmes n'ont pas le mode d'Xi aléatoire.
- Elles ont
une utilisation préférentielle d'un des 2 X
- Lorsqu'il
existe une anomalie sur un X, il y a inactivation préférentielle de l'X
remanié ou muté. On parle de biais d'inactivation extrême si le déséquilibre
atteint 90/10.
- Cette sélection
est secondaire par rapport au développement embryonnaire :
• Au début,
inactivation aléatoire
• Puis sélection
au cours du développement embryonnaire des populations cellulaires ayant inactivé
l'X anormal.
Mise en évidence d'un déséquilibre
de l'inactivation de l'X
- Par des techniques
de biologie moléculaire, on peut différencier les populations cellulaires
ayant inactivé l'un ou l'autre X
- Pour cela,
on amplifie par PCR un gène marqueur du chromosome X = gène du récepteur
aux androgènes
- Pour ce gène,
il existe un polymorphisme de répétition des CG et CC qui permet de distinguer
les chromosomes X d'origine maternelle ou paternelle
- Le gène
inactivé étant méthylé, on utilise des enzymes de restriction
sensibles à la méthylation qui « coupent » les séquences
CG ou CC non méthylées
- On peut ainsi
quantifier sur des lymphocytes le pourcentage d'Xi d'origine maternelle ou paternelle
Causes des biais d'inactivation de
l'X
• Anomalie de
structure de l'X
• Mutation de
l'X
- Explique le phénotype
atténué des femmes pour les maladies liées à l'X
- Mais elles peuvent
la transmettre à leurs fils
- S'il s'agit d'une
mutation léthale, ces femmes auront des FCS à répétition et
n'auront que des filles
• Mutation du
gène XIST (gène initiateur de l'inactivation de l'X)
• Formes familiales
• Hasard
Relations entre déséquilibre d'inactivation
de l'X et FCS répétées
- Si une femme est porteuse
d'une mutation léthale sur un chromosome X, toutes ses grossesses mâles
aboutiront à des FCS.
- C'est le cas
par exemple de l'incontinenta pigmenti qui donne chez les femmes quelques
taches cutanées (dans les populations cellulaires ayant échappé à
l'inactivation de l'X muté), et des FCS pour toutes les grossesses mâles.
Des séries récentes [8-9]
ont montré une augmentation de fréquence des biais de l'inactivation
de l'X chez les femmes faisant des FCS répétées.
Dans la série de Lanasa publiée
en 2001 [8], étudiant 105 femmes, on retrouve un biais extrême d'inactivation
de l'X ( 90 %) chez 15 % des femmes contre 3-4 % des contrôles.
En étudiant ces familles, on retrouve
:
• Un excès
de filles
• Une transmission
maternelle du biais d'inactivation de l'X
• Un taux de
FCS d'environ 40 %
Ainsi, les femmes porteuses d'un
caractère léthal lié à l'X sont génétiquement disposées
aux FCS répétées avec perte des grossesses mâles.
Elles peuvent être
identifiées par l'étude moléculaire du biais d'inactivation de l'X.
Par ailleurs, une étude de Beever
a mis en évidence une plus grande fréquence de FCS liées à des
trisomies chez les femmes ayant un biais de l'inactivation de l'X, ce qui
laisse supposer qu'une mutation léthale liée à l'X n'est pas la seule
explication des FCS de ces patientes [10].
Utilisation en pratique
Il est aujourd'hui impossible d'affirmer
qu'un biais de l'inactivation de l'X est la cause des FCS répétées
d'un couple, et cette étude ne doit être réalisée que dans le
cadre d'une protocole de recherche.
Il n'y a aujourd'hui aucune thérapeutique
envisageable.
Le lien entre trisomie et biais d'inactivation
de l'X est encore trop anecdotique pour proposer systématiquement une amniocentèse
dans ce cas.
Conclusions
• Les pistes génétiques
dans les FCS répétées sont multiples et complexes
• Un caryotype
parental doit être systématiquement proposé à la recherche
d'une translocation équilibrée pour :
- donner une explication
aux parents
- proposer un diagnostic
anténatal à la recherche d'une translocation déséquilibrée
en cas de grossesse évolutive
- orienter éventuellement
les couples vers le DPI
• Si une cause
maternelle (SAPL, thrombophilie) est mise en évidence et un traitement proposé,
le caryotype sur trophoblaste du produit de fausse-couche en cas d'échec
est intéressant, pour rechercher un accident chromosomique intercurrent
• La relation
entre biais d'inactivation de l'X et FCS est retrouvée dans plusieurs
études mais :
- la technique de
mise en évidence reste difficile
- la répartition
chez les sujets « normaux » est mal connue
- il n'y a pas de
thérapeutique envisageable
- elle semble concerner
surtout les femmes porteuses d'une maladie léthale liée à l'X
- il semble exister
une plus grande fréquence de trisomies chez les embryons de femmes ayant des
antécédents de FCS répétées et un biais d'inactivation
de l'X
Bibliographie
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anomalies in early spontaneous abortion. (Their consequences on early embryogenesis
and in vitro growth of embryonic cells). Curr Top Pathol. 1976;62:193-208.
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[3] Stephenson MD,
Awartani KA, Robinson WP : Cytogenetic analysis of miscarriages from couples with
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[8] Lanasa MC, Hogge
WA, Kubik CJ, Ness RB, Harger J, Nagel T, Prosen T, Markovic N, Hoffman EP : A novel
X-chromosome-linked genetic cause of recurrent spontaneous abortion. Am J Obstet
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[9] Robinson WP, McFadden
DE, Stephenson MD : The origin of abnormalities in recurrent aneuploidy/polyploidy.
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[10] Beever CL, Stephenson
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WP : Skewed X-chromosome inactivation is associated with trisomy in women ascertained
on the basis of recurrent spontaneous abortion or chromosomally abnormal pregnancies.
Am J Hum Genet 2003;72:399-407.
* Hôpital Saint-Antoine,
Paris. 296 DR
VÉRONIQUE LEJEUNE, DR MARIE-FRANCE PORTNOI
FAUSSES COUCHES SPONTANÉES
RÉPÉTÉES : PISTES GÉNÉTIQUES 297
298 DR
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