Impact des hémoglobinopathies sur la
grossesse, le fœtus et le nouveau-né
A. AGOSTINI, B. BLANC
Il existe différents types d'hémoglobinopathies.
Nous étudierons les deux principales qui sont la thalassémie et la drépanocytose.
Thalassémie
Physiopathologie
Il s'agit d'une maladie génétique autosomique
récessive caractérisée par des désordres de synthèse des
chaînes de globine. Les atteintes des gènes sont des mutations ou des
délétions. Ces atteintes entraînent des anomalies de synthèse
qui concernent la chaîne b (b thalassémie) ou b (b thalassémie) de l'hémoglobine.
La sévérité de l'a-thalassémie
est proportionnelle au nombre de gènes atteints. L'atteinte d'un seul gène
est asymptomatique (portage silencieux). L'atteinte de deux gènes (trait thalassémique)
entraîne une polyglobulie avec microcytose et hypochromie classiquement sans
anémie ni carence martiale. L'atteinte de trois gènes (hémoglobinose
H) entraîne une anémie hémolytique chronique. L'atteinte des quatre
gènes est incompatible avec la vie et entraîne un tableau d'hydrops fetalis
avec décès in utero ou néonatal.
Les anomalies géniques concernant
la chaîne b entraînent une inactivation partielle ou complète de
la production de la chaîne b. La gravité de la maladie n'est pas uniquement
liée à l'anomalie génétique mais à d'autres facteurs (génétiques
et environnementaux). Selon le type d'atteinte, on décrit par analogie à
l'b-thalassémie quatre formes cliniques. La forme intermédiaire et la
forme majeure entraînent un tableau d'anémie hémolytique chronique
plus ou moins sévère.
Épidémiologie
L'b-thalassémie est présente en Afrique,
en Asie et plus rarement autour de la Méditerranée. C'est surtout en Asie
que les formes cliniques graves de la maladie ont été décrites. La
b-thalassémie est principalement présente sur le pourtour méditerranéen
et plus rarement en Afrique et dans le Sud-Est asiatique.
Clinique
Les formes graves (hémoglobinose H, b-Thalassémie
intermédiaire ou majeure) entraînent un tableau clinique d'anémie
chronique hémolytique. Le tableau classique est la présence d'un retard
staturo-pondéral et un aspect mongoloïde du visage dû à l'augmentation
du volume des os du crâne et de la face (hyperplasie médullaire), une
hépatosplénomégalie. L'évolution spontanée entraîne
le décès en deux à cinq ans.
Les complications actuelles sont secondaires
à la surcharge martiale post-transfusionnelle. Elle atteint le cœur, le foie
et les glandes endocrines. L'utilisation d'un chélateur du fer (déféroxamine-Desféral®)
a permis d'allonger l'espérance de vie de ces patientes. Elle était de
15 à 20 ans en 1970, elle est de 40 ans actuellement. La majorité des
patientes présente une infertilité primaire. Il s'agit d'un hypogonadisme
hypogonadotrope dû aux dépôts d'hémosidérine sur l'hypophyse
et l'hypothalamus.
Le retentissement maternel
Le principal risque maternel est l'aggravation
d'une insuffisance cardiaque. Ainsi on n'autorisera une grossesse ou une aide à
la procréation médicale (induction de l'ovulation) qu'après un bilan
cardiaque normal (1-3). L'association du traitement par folates est recommandée
afin d'éviter une anémie mégaloblastique surajoutée. Les transfusions
doivent maintenir une hémoglobine à 10 g mais il existe un risque de surcharge
volémique brutale et une défaillance cardiaque. Le risque thrombotique
existe surtout en cas de splénectomie (hyperplaquettose) (3,4).
La déféroxamine (Desféral
®) est le chélateur de fer utilisé en première intention dans
les thalassémies majeures. Ce produit est tératogène chez l'animal
et par conséquent contre-indiqué pendant la grossesse (5). Cependant,
aucun effet tératogène chez l'homme n'a été rapporté.
Le déroulement de la grossesse
Les risques de prématurité et de retard
de croissance intra-utérin sont classiquement élevés mais semblent
diminués si une prise en charge pré-conceptionnelle est effectuée
(6). L'augmentation du taux de césarienne est principalement due au risque
de disproportion fœtopelvienne.
Le diagnostic préimplantatoire et prénatal
Le diagnostic prénatal est possible par analyse
du DNA obtenue sur cellules trophoblastiques ou amniotiques par ponction de liquide
amniotique ou ponction trophoblastique. Le diagnostic préimplantatoire est
possible en cas de couple hétérozygote ou de couple avec un parent homozygote
et l'autre hétérozygote.
Drépanocytose
Épidémiologie
La drépanocytose est une affection grave
qui se traduit par une morbidité et une mortalité élevées. En
cas de complications, les pronostics maternel et fœtal sont respectivement compromis
dans 1 à 2 % et 30 % des cas (7,8).
L'augmentation du nombre de cas de
sujets adultes atteints de drépanocytose (HbSS) semble confirmée depuis
quelques années par les observations faites tant à la Jamaïque qu'aux
États-Unis, au Koweït, en Arabie saoudite ou en Afrique noire, où
l'affection est préoccupante.
C'est la pathologie génétique
la plus fréquente en Guadeloupe (1 naissance sur 260 et 12 % de transmetteurs)
(9). Au Togo, cette affection représente 16 % de la population, dont 3 % d'homozygotes,
et constitue un problème de santé publique en raison de la morbidité
qu'elle engendre. Depuis plusieurs années, les sujets atteints par cette affection
arrivent à l'âge adulte, et des jeunes femmes homozygotes peuvent procréer.
Génétique
La drépanocytose est la maladie génétique
humaine la plus fréquente. La drépanocytose est une maladie autosomique
récessive due à une mutation unique, ponctuelle, du gène de la bêta
globine situé sur le chromosome 11 (11p 11-5). La mutation du 6e
codon entraîne le remplacement de l'acide glutamique 6 par de la valine (Glu6Val).
Les sujets hétérozygotes HbA//HbS sont des porteurs sains. La drépanocytose
homozygote et les doubles hétérozygoties SC et Sb-thalassémiques
sont regroupées dans le cadre des syndromes drépanocytaires majeurs (HbS//HbS
(70 %), HbS//HbC (25 %), HbS//Hb-Thalassémie (5 %)).
Clinique
- la forme homozygote ou drépanocytose
majeure HbSS, pour laquelle, à l'électrophorèse, l'HbS est toujours
supérieure à 50 % ;
- la forme hétérozygote,
où l'HbS est toujours inférieure à 50 %. Elle est en règle générale
asymptomatique et l'espérance de vie des drépanocytaires hétérozygotes
est normale. Dans cette forme, il n'existe pas de complications particulières
pendant la grossesse, hormis les infections urinaires qui seraient plus fréquentes.
Des accidents hypoxiques ont été signalés au cours de l'anesthésie
générale et des interventions chirurgicales.
La drépanocytose est une hémoglobinopathie
beaucoup plus fréquente chez les sujets de race noire (10). Les complications
de cette affection hémolytique peuvent grever le pronostic vital maternel (11).
En effet, il y a quelques années, le pronostic de l'association drépanocytose
et grossesse était si redoutable qu'il réduisait l'espérance de vie
des femmes enceintes, et très peu de femmes avaient accès à la maternité
(12). La grossesse était même déconseillée à une femme
drépanocytaire (13). De nos jours, la prise en charge de cette association
s'est véritablement améliorée grâce aux progrès scientifiques
accomplis.
Répartition géographique
Cette affection est fréquente en Afrique,
en Amérique du Nord et du Sud, dans les Antilles, dans les pays du Maghreb,
en Sicile, en Grèce, dans tout le Moyen-Orient, au nord-ouest de l'Inde, en
Asie du Sud-Est. Depuis quelques décennies, la drépanocytose est également
présente en Europe de l'Ouest. La répartition géographique de la
drépanocytose est superposable en proportion à celle de l'indice plasmodique.
Influence de la grossesse sur la drépanocytose
homozygote SS
Anémie hémolytique
Elle est constante, avec un taux d'hémoglobine
restant entre 6 et 8 g/100 ml au moins pendant les 8 premiers mois de la grossesse.
L'anémie est encore aggravée par les déficits en acide folique et
en fer, par l'hémodilution, les crises de déglobulisation et les crises
aplasiques dues à l'inhibition de l'érythropoïèse au décours
d'infections.
Crises douloureuses vaso-occlusives
Elles sont fréquentes en fin de
grossesse, pendant le travail et dans les premiers jours du post-partum. Ce
sont surtout des douleurs osseuses et articulaires, des infarctus osseux, avec parfois
une embolie graisseuse ou des infarctus viscéraux. La complication majeure
est l'embolie graisseuse pulmonaire. Il faut noter qu'à ces crises douloureuses
peut s'associer le syndrome toxémique, et c'est une complication redoutable
au moment du travail, surtout dans le post-partum immédiat.
Crises aiguës de déglobulisation
Elles surviennent dans les mêmes
circonstances et sont caractérisées par une chute importante du taux d'hémoglobine,
de l'ordre de 2 g/100 ml, avec hépatosplénomégalie et cardiomégalie,
suivies d'une évolution vers l'insuffisance cardiaque. La vie de la mère
est en jeu, une réanimation intensive est nécessaire. Cette crise est
aggravée par les infections. Les pronostics maternel et fœtal sont réservés.
Infections
Elles se voient dans 50 à 70 %
des cas de drépanocytose. On observe fréquemment des infections urinaires
majorant encore les risques d'accouchement prématuré. Ces infections peuvent
être asymptomatiques ou aiguës à type de cystites, pyélonéphrites.
Les femmes enceintes homozygotes sont particulièrement sujettes aux infections
à pneumocoques, d'où la fréquence des pneumonies, parfois difficiles
à différencier d'un infarctus pulmonaire. Les infections endométriales
et des plaies opératoires sont fréquentes. Ces infections sont pratiquement
constantes en cas de césarienne.
Influence de la drépanocytose homozygote sur la
grossesse
Retentissement maternel
Fausse couche spontanée
La fréquence est variable d'une
étude à l'autre, soit 20 à 32 % au premier trimestre (meddeb). Ainsi,
elle serait de 40 % dans la forme homozygote SS à Abidjan, 19 % à Yaoundé,
et 26 % à Cotonou (14,15).
Menace d'accouchement prématuré
Elle serait plus fréquente dans cette population,
variant de 14 % à 30 % (liée à l'hyperthermie, l'infection et l'anémie)
surtout en cas d'hémoglobinopathies SC-thalassémiques, S-thalassémiques
(8,16). Éviter si possible l'emploi de bêta mimétiques.
Hypertension artérielle et prééclampsie
Sa survenue est d'autant plus fréquente qu'il
existe d'autres facteurs de risque (néphropathies, hypertension artérielle
[HTA] chronique...). Les lésions vasculorénales occasionnées par
la falciformation en sont les plus grandes pourvoyeuses, surtout en cas d'homozygotie.
Le taux de survenue est variable selon les auteurs, et se situerait entre 13 et
30 %, contre 5 % dans la population générale (17,18).
Infection
Il s'agit essentiellement d'infections
de la sphère urogénitale occasionnées par une modification des défenses
immunitaires et des modifications physiologiques et anatomiques pendant la grossesse.
Il est donc conseillé de réaliser un dépistage systématique
par un examen cytobactériologique des urines en cours de grossesse.
Mortalité maternelle
Le taux de mortalité maternelle
varie selon les études, mais paraît plus élevé pendant la grossesse,
surtout dans les hémoglobinopathies SC-S-thalassémiques, SC-thalassémiques.
Mais cette mortalité maternelle est améliorée par la surveillance
prénatale et les thérapeutiques modernes (16).
Retentissement fœtal
Chez le fœtus, le retentissement fœtal
est majeur, la morbidité et la mortalité sont élevées. Les complications
décrites sont : le retard de croissance intra-utérin, l'hypotrophie, la
prématurité et la mort fœtale in utero ou le décès néonatal.
Le taux de mortalité fœtale est
de 6 % en Guadeloupe (19). Il varie de manière importante en fonction des structures
médicales du pays.
L'enfant est hypotrophique dans 10
à 30 % des cas. Le poids moyen de naissance est inférieur à la normale
chez les femmes homozygotes SS. Les enfants nés vivants sont des hypotrophes
asymétriques, ceci étant la conséquence de l'hypoxémie et des
thromboses placentaires (16).
Traitement
Le traitement est avant tout préventif. Il
s'agit de grossesse à risque, qui nécessite une surveillance à la
fois obstétricale et hématologique. Ce traitement vise donc à :
- prévenir, par un conseil
génétique et par la contraception, la transmission de cette affection
;
- assurer le suivi médical
régulier et pluridisciplinaire ;
- lutter contre la douleur, l'hypoxie,
l'anémie, les infections.
Traitement préventif
Avant la grossesse
Le conseil génétique est
utile au couple pour informer les parents drépanocytaires sur les risques d'une
grossesse éventuelle. Le diagnostic prénatal peut être proposé
aux couples à risque qui ne souhaitent pas avoir d'enfant atteint de drépanocytose
homozygote. Il s'inscrit dans le conseil génétique à donner aux porteurs
de la drépanocytose. La biologie moléculaire permet de faire le diagnostic
de drépanocytose homozygote à partir d'une biopsie de trophoblaste ou
ponction de liquide amniotique. Le diagnostic préimplantatoire est aujourd'hui
disponible en France et certains pays.
Pendant la grossesse
L'anémie est traitée par
des transfusions dès le deuxième trimestre, lorsque le taux d'hémoglobine
est bas. Il faut maintenir le taux d'hémoglobine supérieur à 70 g/L
et assurer une alimentation adéquate.
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DES HÉMOGLOBINOPATHIES SUR LA GROSSESSE, LE FŒTUS ET LE NOUVEAU-NÉ 287
288 A. AGOSTINI,
B. BLANC IMPACT
DES HÉMOGLOBINOPATHIES SUR LA GROSSESSE, LE FŒTUS ET LE NOUVEAU-NÉ 289
290 A. AGOSTINI,
B. BLANC IMPACT
DES HÉMOGLOBINOPATHIES SUR LA GROSSESSE, LE FŒTUS ET LE NOUVEAU-NÉ 291
292 A. AGOSTINI,
B. BLANC |