GENETIQUE
ET CANCERS DU SEIN
D.ZARCA
17, rue
Pétrarque 75116 Paris
La survenue
d'un cancer du sein est la conséquence finale d’une cascade d’évènements complexes.
L'interaction de phénomènes environnementaux et de phénomènes génétiques dans
l’origine de la maladie est évidente. L'étude de la prévalence de la maladie
au décours de transferts de populations rend compte d’une petite partie du premier
phénomène, l'existence de formes familiales de la maladie, du second.
Si,
pour simplifier, on considère que l'apparition d'un cancer dans un tissu, est
liée à une mutation locale (somatique) de deux allèles d’un même gène, l'existence
d'une mutation génétique ne concernant qu’un seul allèle mais représentée dans
la totalité des cellules de l’organisme, rend plus probable et plus précoce
l’apparition de la maladie. Dans cette hypothèse, le cancer survient très rapidement,
dès la mutation du second allèle.
Une quinzaine de gènes ont été identifiés, comme responsable de cancers familiaux.
Modèles
génétiques
Concernant les cancers
du sein familiaux, le modèle en notre possession est celui d'une transmission
autosomique dominante à pénétrance forte. C'est-à-dire que la probabilité pour
un parent de transmettre l'anomalie à sa descendance est de 50 % et qu’alors,
la probabilité de développer un cancer est très élevée.
D’autres modèles sont évoqués, concernant des prédispositions génétiques exposant
à un risque modéré de développement de cancer. Ces anomalies génétiques mineures,
dont aucune n’a été identifiée, pourraient toucher une part bien plus importante
de la population des patientes atteintes de cancers du sein, que celle concernée
par les anomalies majeures.
BRCA1 et
BRCA2
L’étude de familles
atteintes de cancers du sein particuliers par leurs âges de survenue et par
leur fréquence, a permis, bien avant la mise en évidence des gènes concernés,
de conclure à une prédisposition génétique de 3 à 5 pour 1000 dans la population
générale.
Deux gènes mutés BRCA1 et BRCA2 (BReast CAncer) ont été identifiés comme responsables
de la plus grande part des cancers familiaux du sein (taux de mutations dans
la population générale : 1/800 à 1/900). D’autres gènes connus sont impliqués
dans certaines histoires de cancers familiaux, mais sont anecdotiques par leur
fréquence représentant moins de 1% des atteintes héréditaires. (1)
BRCA1 et 2 sont des gènes de grande taille, donnée qui rend compte du nombre
de mutations observables et des difficultés d’une exploration non ciblée sur
une mutation précise.
BRCA1 est un gène suppresseur de tumeur, positionné sur le chromosome 17 et
dont on connaît plusieurs centaines de mutations. Composé de 22 exons, il code
pour une protéine de 7,8 kb
BRCA2 est également un gène suppresseur, positionné sur le chromosome 13. On
en connaît une centaine de mutations. Composé de 26 exons, il code pour une
protéine de 10,4kb.
Les fonctions des deux protéines codées sont inconnues, mais semblent être liées
à la régulation d’autres gènes. (2)
Le risque
tumoral
Il est très élevé
mais encore mal évalué et hétérogène selon les populations étudiées (peut-être
également selon le type de la mutation).
Pour BRCA1 comme pour BRCA2 le risque de développer un cancer du sein avant
l’age de 70 ans se situe autour de 80%. Le risque ovarien semble différent.
Pour BRCA1 il se situe autour de 45% à 70 ans, pour BRCA2 autour de 25%.
Caractéristiques
histologiques des tumeurs
La fréquence élevée
des formes à mauvais pronostic (grade III, récepteurs hormonaux négatifs) ou
particulières (carcinomes médullaires) rendent comptent de mécanismes de carcinogenèse,
vraisemblablement particuliers. Cette donnée est particulièrement évidente pour
BRCA1. Pour les tumeurs développées dans les cas de mutations BRCA2, on retrouve
des éléments plus proches de celles des tumeurs dites sporadiques.
Cependant malgré leurs caractéristiques histologiques spécifiques, il n’est
pas évident que la survie des patientes atteintes de cancer héréditaire soit
sensiblement différente de celle des patientes atteintes de formes sporadiques.(3),
(4)
Mise en
évidence du gène muté
Le nombre de mutations
recensées de BRCA1 est de plus de 300, celui de BRCA1 est supérieur à 100. 80%
des mutations connues sont clairement délétères puisqu’elles codent pour une
protéine non fonctionnelle. En revanche, lorsque la mutation touche une zone
non fonctionnelle du gène, sa valeur pathogénique est moins nette.
La première recherche de mutation dans une famille peut être très longue, puisqu’elle
doit comparer la totalité du gène, à celle contenue dans les banques de données
génétiques (séquençage). Celle des autres membres de la famille, orientée sur
une seule séquence, est plus rapide.
Valeur
des tests
Lorsqu’une recherche
est négative dans une famille où la mutation BRCA1 ou 2 a été clairement identifiée,
cette négativité a une valeur formelle.
Lorsqu’il s’agit d’une première recherche dans une famille clairement identifiée,
cette négativité a une valeur moindre. D’une part, parce que tous les gènes
de prédisposition n’ont pas été identifiés. D’autre part, parce que des régions
entières de BRCA1 et 2 sont très difficilement accessibles à une exploration
et que la valeur des mutations introniques n’est pas connue.
Aspects
thérapeutiques préventifs non chirurgicaux
L’existence de caractéristiques
histologiques particulières des tumeurs développées chez des patientes atteintes
de mutation BRCA, semble indiquer que la réduction de la prévalence de la maladie
sous traitement préventif (tamoxifène, raloxifène) serait modeste. (5)
La chirurgie
prophylactique
La mastectomie bilatérale
semble la seule option préventive efficace. Cette hypothèse a été nettement
vérifiée par la comparaison du devenir de patientes opérées et de leurs surs
non opérées. Le risque de développer un cancer du sein (tumeurs généralement
pariétales) après chirurgie prophylactique est divisé par 10. (6)
Les projections statistiques montrent que la réalisation précoce d’une mastectomie
bilatérale augmente en moyenne la durée de vie des patientes BRCA d’environ
3 ans et que l’association de ce geste avec une ovariectomie bilatérale (essentiellement
pour BRCA1) l’améliore de 4,5 années.
Ces chiffres recouvrent cependant une hétérogénéité évidente. Un certain nombre
de patientes, même atteintes de mutation n’auraient jamais fait la maladie,
d’autres l’auraient faites très tardivement ou sous une forme curable et accessible
à un traitement conservateur. Cette mastectomie bilatérale aura donc été inutile.
A l’inverse, certaines qui autrement seraient décédées très jeunes de la maladie,
gagneront par cette intervention des décennies de vie.
En
pratique
Lorsqu’une histoire
familiale évoque la possibilité d’une mutation, il est particulièrement important,
avant de proposer une recherche génétique, d’en comprendre tous les enjeux.
(7)
Le premier est qu’il est possible, après avoir mis en uvre des moyens considérables
pour mettre en évidence un gène muté, que cette recherche soit un échec et renvoie
une patiente ou une famille à ses doutes. (8)
Le second est que cette recherche, même demandée par un seul de ses membres,
a inévitablement un retentissement sur toute une famille (ascendants, descendants
et même collatéraux).
Le troisième est que si la négativité de la recherche d’une mutation identifiée
est apte à procurer un certain soulagement, sa positivité a une répercussion
énorme chez une patiente indemne de la maladie.
-
Cette positivité ne peut pas déboucher sur des propositions de surveillance
accrue. Ces femmes sont de toutes façons des femmes à risques, compte tenu
dans leurs antécédents familiaux et ont déjà un rythme de surveillance élevé.
Elles ont vu apparaître des cancers chez des membres proches de leur famille
qui étaient déjà parfaitement surveillés.
- Cette
positivité ne peut pas entraîner de propositions de traitements médicamenteux
réellement efficaces.
- Elle
ne débouche en réalité que sur une seule proposition réaliste, la mastectomie
bilatérale, effectuée très jeune et associée selon les cas, à une castration
bilatérale, concomitante ou différée.
Il
faut que ces éléments soient parfaitement intégrés par le médecin qui évoque,
pour la première fois, l’hypothèse de débuter une recherche génétique. Cette
recherche peut en effet déboucher sur une cascade d’évènements graves, dont
on doit espérer qu’aucun ne constitue un imprévu.
Bibliographie
1. Prevalence of
BRCA1 and BRCA2 Gene Mutations in Patients With Early-Onset Breast Cancer.
Peto J, Collins N, Barfoot R, Seal S, Warren W, Rahman N, Easton D, Evans C,
Deacon J, and Stratton M. J Natl Cancer Inst 1999 91: 943-949
2. Gènes de prédisposition
au cancer du sein.
Lerebours F. Reproduction humaine et hormones, 1999,volume XII, n°1,112-121.
3. Survival in breast
cancer (BC) associated with BRCA2 germline mutations is not different from the
outcome in sporadic BC [Abstract 2412].
Seynaeve C, Verhoog LC, Brekelmans CTM, et al. American Society of Clinical
Oncology 35th Annual Meeting, Atlanta, 1999.
4. BRCA1/2 status,
family history and ipsilateral breast tumor relapse (IBTR) following conservative
surgery and radiation therapy (CS + RT) [Abstract 2413]. Smith TE, Harrold EV,
Matloff ET, et al. American Society of Clinical Oncology 35th Annual Meeting,
Atlanta, 1999.
5. Prevention With
Tamoxifen vs Prophylactic Surgery in BRCA1/2-Positive Women. Grann VR, Jacobson
JS, Whang W et al. Cancer J Sci Am. 2000;6:13-20
6. Efficacy of bilateral
prophylactic mastectomy in women with a family history of breast cancer.
Hartmann LC, Schaid DJ, Woods JE, Crotty TP, Myers JL, Arnold PG, Petty PM,
Sellers TA, Johnson JL, Mc Donnel SK, Frost MH, Jenkins RB. N Engl J Med 1999;340(2):77-84
7. Newsletter
de sénologie, septembre 1999. Fabienne Liebens. Gyneweb.
http://www.gyneweb.fr/Sources/senologie/newsletter/sept.htm
8. Consultations
d’oncogénétique : particularités et questions psychologiques soulevées.
Lanzarotti C. La lettre du Gynécologue. Septembre 2000. 10 -13
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