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Titre: La plainte sexuelle : les dits et les non-dits en consultation de gynécologie
Année: 2004
Auteurs:
Spécialité: Andrologie
Theme: psychosomatique

La plainte sexuelle :
les dits et les non-dits
en consultation de gynécologie

M. LACHOWSKY

Les peuples heureux n'ont pas d'histoire nous dit-on, pas plus peut-être que les sexualités heureuses. N'ayant pas besoin de notre aide elles ne nous disent pas leur histoire. Mais les femmes qui viennent nous conter ces histoires de douleurs physiques ou psychiques, ces rendez-vous manqués des corps ou des cœurs, ont, elles, le douteux et douloureux privilège de nous confier le soin de leur santé sexuelle, ce qui suppose qu'elles nous en croient capables, que nous le croyions aussi et si possible que nous le soyons. Cela suppose aussi qu'elles sachent, qu'elles puissent, qu'elles veuillent nous en parler.

Et pourtant, la sexualité, toile de fond indispensable à la survie de l'espèce, est peut-être la forme de communication la plus ancienne, celle par qui la socialisation est arrivée, l'inter corps avant l'Internet, cet échange sur une autre toile... Elle s'intègre donc dans un ordre social qu'elle trouble toujours. Toutes les sociétés connues se sont donner pour tâche de la réguler selon des structures plus ou moins identiques (prohibition de l'inceste, mariage ou substituts, éducation), mais la sexualité déborde toujours. Langage des corps dont elle change les rôles, délicieuse et dangereuse, elle défraie la chronique et effraie les institutions par une force fantasmée résistante et irrésistible à la fois. Excès menaçants, légalités menacées, cette permanente imbrication du sexuel dans le social et inversement est considérée par les sociologues comme un des aspects les plus typiques de la condition humaine.

Et nous médecins, la sexualité nous concerne-t-elle ? Oui, comme toujours à deux niveaux, celui de l'information/prévention et celui du traitement, ce qui représente bien notre rôle dans la société actuelle. En effet la santé publique n'est pas seulement un problème de quantité mais bien un problème de qualité, la vie se mesurant à cette aune bien plus difficile à évaluer que celle de la longévité.

Qualité de vie, que recouvre cette expression, ou cette exigence ? S'adresse-t-elle à la société tout entière ou à la seule gent médicale ? Poussée par le vent des extraordinaires progrès scientifiques de cette dernière décennie, cette demande a transformé la définition de la santé, donc de la médecine. Mais cette qualité, mise à part la satisfaction des besoins fondamentaux, ne saurait répondre à une définition univoque. Chacun s'imagine différemment une vie belle et bonne, même si pour tous c'est celle qui répond à nos souhaits de Nouvel An ou aux promesses des voyantes : santé, prospérité, amours et amitiés. Une vie longue, mais qui paraisse trop courte... peut-être serait-ce là une approche de définition de la qualité de vie.

Hasard ou nécessité, la sexualité ou plutôt la qualité de vie sexuelle est un des paramètres de la « bonne » santé. Des index de cette qualité de vie sexuelle commencent à être mis au point, plus difficilement pour la femme que pour l'homme. La sexualité est longtemps restée dans le domaine de l'intimité, jugée digne du statut de motif de consultation seulement comme cause de maladie ou d'échec masculin. Les dyspareunies et autres douleurs féminines ont mis plus de temps pour avoir droit aux soins.

Est-ce depuis l'avènement de la contraception féminine ? Il semble admis de nos jours que la santé sexuelle fait sans nul doute partie de ce tout qu'est la santé, absence de maladie ou d'infirmité selon l'Oms, ou plutôt capacité prolongée d'un individu à faire face à son environnement physiquement, émotionnellement, mentalement et socialement selon Canguilhem. La définition de Laënnec s'applique peut-être moins bien à la sexualité, puisque c'est justement ce silence des organes qui traduit souvent le trouble, même s'il s'applique bien entendu à la nécessaire absence de douleurs.

Les traiter, ces difficultés sexuelles, c'est tout d'abord pour le gynécologue, interlocuteur privilégié de la vie des femmes, les connaître. Si libérées de bien des tabous que se croient nos patientes, elles ont souvent du mal à aborder certains sujets. « Cette chose-là », selon la formule d'Hélène Michel-Wolfrom, fait encore partie de l'intime sinon du secret, et ne leur paraît pas du domaine médical. Ce qui heureusement n'est pas faux mais peut-être seulement quand tout va bien. Avec tact dans la rigueur, pudeur dans l'indiscrétion et distance dans l'empathie, chaque médecin selon sa propre personnalité ouvrira à sa patiente cet indispensable espace de paroles qu'est aussi la consultation.

La physiologie sexuelle et ses quatre phases sont peu ou mal connues et des explications seront les bienvenues, même et surtout pour le couple dans ces cas - qui sont à notre avis les meilleurs - où les deux partenaires ont souhaité être présents dans le cabinet du gynécologue. D'un rappel bref, mais surtout simple et clair, découleront aisément des conseils judicieux, à donner bien entendu avec tact, surtout sans gêne et pourquoi pas avec un peu d'humour pour les uns, ou encore avec une présentation très scientifique pour les autres. On tentera de sortir de la notion de performance, on insistera non pas sur le côté négatif qu'a toujours une diminution des fonctions ou une dysfonction, cause ou conséquence d'un sentiment d'échec de l'un des partenaires, plus rarement des deux, mais bien sur celui, positif, d'une amélioration liée à une meilleure compréhension par le couple des différents moments du rapport sexuel :

• Phase dite d'excitation : la lubrification vaginale peut selon les périodes de la vie ou les traitements être plus ou moins abondante ou demander plus de temps pour apparaître si le temps de réponse à la stimulation s'allonge. Le vagin peut aussi notamment après les grossesses avoir pris une trop grande amplitude, ou au contraire en cas de troubles hormonaux (carences ou traitements) perdre un peu de sa souplesse et de ses facultés d'expansion.

• Phase de plateau dite aussi de tension sexuelle, qui peut devenir inconfortable, voire douloureuse selon l'état vasculaire et sécrétoire.

• Phase orgasmique où les mêmes facteurs peuvent contribuer entre autres à la moins bonne qualité de la réponse musculaire, avec des changements défavorables du nombre ou du rythme des contractions.

• Enfin la phase de résolution qui devrait induire une heureuse détente peut ne faire qu'intensifier un climat d'insatisfaction physique et psychologique, avec le sentiment d'un rapport soit « bâclé » soit au contraire « interminable et sans intérêt ». Ce sont là des formules empruntées à mes patientes.

Bien entendu tout ne se joue pas au seul niveau mécanico-technique du coït mais des explications rendant médicales les difficultés sont souvent un bon début pour enrayer l'espèce de honte qui s'attache encore aux mots du corps sexué et sexuel. C'est un peu une permission de dire et de demander, et les questions de la femme ou du couple en deviendront plus aisées, plus précises et pourtant moins gênantes pour eux. Sans doute est-ce aussi là une forme de déculpabilisation, qui va nous permettre d'aller plus loin dans le retentissement psychologique, cause et conséquences des troubles de la sexualité. Les allers-retours du conscient à l'inconscient, de l'histoire immédiate à l'histoire ancienne, sont sans cesse présents dans ce type de consultations où le cocktail psychosomatique n'est sans doute pas la potion magique mais tout de même un élixir de qualité.

Les patientes et les patients qui nous consultent pour ces problèmes ne sont certes pas malades, mais leur couple en est atteint, et c'est souvent pour ce que l'on pourrait nommer une maladie du couple que nous les voyons dans des circonstances très diverses. Peut-être pourrions-nous évoquer ici deux grandes causes de troubles sexuels ou de sexualité troublée, l'infertilité et les abus sexuels.

La sexualité s'est longtemps donnée la reproduction comme seule raison d'être, avec la conservation de l'espèce comme but, renforcée en cela par l'interprétation de la Bible. « Croissez et multipliez » n'implique nullement que l'on y prenne du plaisir, mais ne se conçoit pas sans le sexe. A l'inverse, la sexualité s'envisage aujourd'hui comme exempte d'obligation reproductrice, à tel point que la médecine l'évince et la remplace si besoin est. Est-ce là une des explications aux difficultés sexuelles que nous découvrons parfois chez les couples nous consultant pour désir d'enfant ?

« Docteur, voilà 4 ans que nous sommes mariés, mais nous n'avons jamais eu de rapports, mon mari n'a jamais pu me pénétrer. Heureusement, il est très compréhensif et très gentil, tout va bien entre nous. Seulement voilà, on voudrait bientôt avoir un enfant, alors que faut-il faire ? »

Sans le désir de grossesse, serait-elle venue consulter, cette petite jeune femme timide dont le mari s'accommode si bien du vaginisme, peut-être pas de si tôt. En général, les caresses et les câlineries leur suffisent et si la lecture des performances des autres ne leur dit pas qu'ils sont hors normes, ils n'essaient pas toujours de modifier des habitudes qui leur conviennent. Mais lorsqu'ils nous demandent notre aide, la chronologie a son importance. Leur permettre d'avoir des rapports fécondants ne signifie pas la guérison, et nombre de ces couples retrouveront leur fonctionnement particulier dès la conception assurée. Certains bien sûr garderont ensuite une vie sexuelle plus classique mais il n'est pas rare de les voir revenir lors d'un désir de nouvelle grossesse si s'est à nouveau estompée la pratique de rapports complets.

De toutes façons, obtenir la sédation sinon la cessation d'un vaginisme n'est pas trop malaisé si l'on acquiert la confiance de la jeune femme. Cela passe par une écoute attentive qui lui permette de se rassurer avant tout sur sa normalité, et sur l'absence de risque pour son corps. Lui apprendre à se connaître, à entreprendre du regard et du doigt une reconnaissance de son corps et de ses orifices l'amènera déjà en avoir moins peur. La deuxième étape sera d'en faire de même pour le corps de l'autre, de l'apprendre aussi, afin qu'il perde de son caractère dangereux, et que diminue la crainte d'être par lui déchirée ou transpercée. Les angoisses de blessures, de douleurs atroces ou même de mort sont souvent liées à des évènements réels ou fantasmés de l'enfance, abus sexuels ou incestes, (nous en reparlerons), désirs refoulés dans la honte ou parfois récits effrayants de nuits de noces sanglantes transmis de générations en générations.

Enfin, des « travaux pratiques » à l'aide du doigt, le sien et celui de son compagnon, de tampons périodiques aussi et non plus de bougies, apporteront l'appui physique nécessaire pour que la pénétration puisse avoir lieu. Tout cela supposant bien sûr un travail avec le compagnon aussi pour que celui-ci participe et prenne sa vraie place, sous peine de se retrouver avec un homme impuissant que le vaginisme de sa femme avait jusqu'alors protégé. Au médecin de prendre garde dès le début à cette éventualité, qui n'est jamais totalement à écarter.

Parfois le couple venu consulter pour infertilité ne nous aura rien révélé et c'est le test post-coïtal qui parlera pour eux, soit par les explications qu'il va provoquer, soit par la totale absence de sperme. Prudence et délicatesse seront alors de rigueur, en évitant tout étonnement et surtout tout jugement devant la pauvreté souvent insoupçonnable de cette vie sexuelle. Il sera certainement difficile de changer le fonctionnement de ce type de couple qui là encore n'aura parfois de rapports que pour obtenir la grossesse désirée et l'on peut se demander si notre intervention est vraiment souhaitable. Mais la refuser serait sans doute une manière de jugement de valeur, droit que nous ne saurions nous arroger.

Plus simplement et plus fréquemment qu'on ne le pense, lorsque plus rien n'est spontané, l'exigence du rapport à jour et heure fixes rend le déduit si obligatoire qu'il en devient impossible. Quand ce n'est pas le thermomètre matinal qui retardant l'approche l'éloigne définitivement, rendant alors la femme si malheureuse que l'amour y perd sa place. Ne reste alors qu'une sexualité toute de nécessité qui revient au but primitif en glissant vers une mécanique obligatoire dangereuse pour l'équilibre du couple. Ceci arrive d'ailleurs plus souvent sous l'impulsion de la femme, obsédée par ses dates d'ovulation et sa demande de grossesse et poussée parfois par un médecin qui ne se rend guère compte du poids de son contrôle. Et souvent, rien de tout cela ne sera dit, seulement esquissé, ou timidement reproché par un partenaire qui se sent désiré comme étalon plus que comme amant.

Remarquons à cette occasion combien nous devons veiller à être aussi discrets que possible, sans omettre cependant de poser les bonnes questions. Là est la difficulté, car dans ce domaine très privé que reste la sexualité malgré les airs affranchis de notre époque, notre voyeurisme est aussi inévitable que risqué.

« Les rapports sont-ils satisfaisants, pas de problème dont vous aimeriez parler ? » peut être une bonne entrée en matière et ouvrir sans gêne de part et d'autre un entretien fructueux. Une sécheresse vaginale, une dyspareunie,dont la patiente ne pressentait pas forcément l'importance seront prises en compte et leur origine hormonale par exemple sera parfois une agréable surprise pour la femme ou l'homme qui se sentaient un peu coupables d'avoir mal ou de faire mal.

Avoir mal ou faire mal, voilà qui nous ramène à ces femmes qui consultent plus souvent pour douleurs pelviennes chroniques ou pour vulvodynies, ne se plaignant de troubles sexuels ou même de dyspareunie qu'en réponse à une question précise, comme si parler du sexe, de leur sexe, leur était non seulement difficile mais impossible. C'est aussi le cas de ces patientes infertiles, chez qui la présence d'une endométriose connue ou de découverte récente pourrait expliquer la douleur. Les abus sexuels dans l'enfance et l'adolescence sont une étiologie qui doit ici nous venir à l'esprit. Il n'est certes pas toujours facile de les évoquer, mais il n'est pas si rare que ce soit la première fois où des paroles aient pu être mises sur ces plaies. Sinon le simple fait qu'il puisse en être reparlé dans un lieu neutre ou même vécu comme un lieu thérapeutique a déjà valeur de soin. Du simple attouchement au viol, des brutalités à la répétition de l'inceste, de la nuit du long silence au jour du cri vers la justice, tout peut être douleur et cause de sexualité troublée. L'examen gynécologique peut donner l'éveil, par une réaction qui nous frappera, crise de larmes, signes d'anxiété avec difficultés de l'examen ou son impossibilité annoncée, comme il peut au contraire être ce moment privilégié où des choses indicibles se diront. Là plus qu'ailleurs il nous faudra écouter, entendre, mesurer nos paroles comme nos silences et savoir attendre. Ce que nous percevons ou croyons deviner a parfois besoin de temps pour se révéler, du temps de la femme auquel il nous faut alors nous adapter. Là plus qu'ailleurs il nous faudra décoder le sentiment de culpabilité, de dévalorisation qui se sont souvent aggravés au fil du temps et des essais infructueux. Si physiologie et manifestations somatiques, ou pire encore le regard du ou souvent des partenaires, semblent pour la patiente lui confirmer ce qu'elle prévoyait, l'amélioration risque d'être lente, avec des hauts et des bas, et le gynécologue aura parfois besoin de l'aide du psychologue ou mieux du psychanalyste, et toujours besoin de l'aide du partenaire s'il est présent.

Bien entendu nous avons choisi pour en débattre avec vous des situations que l'on pourrait qualifier de graves, il en existe de plus lourdes peut-être, comme les situations amenées par les interventions pour cancers gynécologiques notamment, où rassurer le partenaire est parfois l'objectif majeur. Il en existe aussi de moins lourdes, celles dont nos patientes parlent en souriant de peur d'en pleurer, celles qu'elles évoquent sur le pas de la porte... mais toutes méritent notre attention même si nous ne sommes pas sûrs de comprendre la demande et encore moins sûrs de l'éventualité d'une solution médicale. L'ouverture de ce jardin secret de l'intimité sexuelle est variable dans le temps comme dans l'espace, il n'est pas toujours aisé de mesurer la bonne distance à respecter, ou à ne pas respecter....et il est encore moins aisé d'évoquer les problèmes sentimentaux sous leurs masques de problèmes sexuels. Osons les mots, et n'ayons pas peur d'évoquer l'amour, ou son manque.

On l'aura compris, le couple sexualité et médecine a encore de beaux jours devant lui, avec ses particularités et ses émotions. Mais lorsque l'enfance a été saccagée, que l'enfant ne paraît pas ou que l'âge se fait sentir, force nous est de nous mêler de ce qui théoriquement ne nous regarde pas, la vie privée d'un homme et d'une femme. D'où la nécessité d'établir avant tout un climat de confiance où pourront se dire « ces choses-là », sans que cela soit vécu comme un contrôle et encore moins comme un jugement de valeur, sans normalisation ni performance.

Les mots ont aussi leur impact, et certains seront plus à l'aise avec des mots techniques qui mettront réalité et sentiments à distance. Pour d'autres au contraire, « faire l'amour » traduira mieux leur vision des choses, mais pour tous, espérons-le, jouer au docteur, comme jouer au papa et à la maman, gardera toujours le délicieux parfum de jeux interdits...

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