Jusqu’à
quel age poursuivre les frottis cervicaux de dépistage ?
J.L.LEROY
Collège
de gynécologie. Hôpital Jeanne de Flandre. CHRU de Lille
RESUME
Il
ne s ‘agit pas d’abandonner les patientes les plus agées à leur triste
sort mais on peut réflechir à l’efficacité du depistage chez ces patientes .
S’il y a eu une surveillance cytologique parfaite au cours de la periode d’activité
genitale , la poursuite de cette surveillance est d’une part inutile car le
risque de cancer invasif est quasi nul . D’autre part elle est potentiellement
dangereuse en induisant trop d’exereses inutiles car la majorité des positivités
cytologiques correspondent à des faux positifs . Toutes les publications traitant
de ce problème font état d’un âge limite pour le dépistage cytologique systématique
du cancer du col . Les études Françaises dont les conclusions sont parues dans
la conférence de consensus de Lille et la recommandation de l’ANAES, ne font
pas exception.
SUMMARY
This title
mean that postmenopausal women are gave up. Neverless all publications about
cervical cancer screening in postmenopausal women agree not to screan for cervical
cancer beyond a limited age.
The results of french clinical screening published in Consensus Conference of
Lille and in ANDEM recommendations are as well accord.
INTRODUCTION
Le
cancer du col utérin est dans le monde , le deuxième cancer féminin en terme
de frequence .En France , malgré la réalisation annuelle de 5 millions de frottis
de depistage , ce cancer reste un problème de Santé Publique . L’incidence de
ce cancer est bien passée de 15,6/100 000 à 8,6/100 000 entre 1978 et 1992 mais
trop de femmes meurent encore de ce cancer chaque année.(1)
Il est maintenant admis que les CIN de bas mais surtout de haut grade sont à
l’origine du cancer invasif . L’évolution est très progressive et passe souvent
par le stade de carcinome microinvasif. Cette période préinvasive dure en moyenne
de 10 à 15 ans., mais peut être beaucoup plus courte dans les formes très evolutives
.
L’age moyen de decouverte des cancers invasifs se situe autour de 50 ans . Le
diagnostic des lesions pre invasives se situe bien avant cet age .
De ce fait , partant du principe que tout se joue precocement , de nombreux
programmes conseillent l’arrêt du dépistage après 65 ans (2,3,4) .Des auteurs
comme Cruickshank (5) ou Duncan(6) suggèrent même l’arrêt à 50 ans chez des
femmes antérieurement bien suivies.
POPULATION
ET METHODES
Nous
avons actualisé notre étude rétrospective ( 15 ) qui concerne maintenant 2130
lésions intraépithéliales et cancers invasifs précoces, découverts ces 20 dernières
années à la consultation de colposcopie de la Maternité Salengro puis de l’hôpital
Jeanne de Flandre au CHU de LILLE .
Les patientes ont été adressées à cette consultation pour frottis anormaux .
On ne connaît pas la fréquence des frottis en fonction de l’âge ni l’importance
de la couverture de la population de notre Region par le dépistage cytologique
.
Le diagnostic définitif a été celui de la biopsie en cas de traitement destructeur
; celui de la pièce d’exérèse en cas de traitement chirurgical . Les patientes
ont été divisées en trois groupes :
- Les
lésions intraépithéliales de bas grade (BG)
- Les lesions
de haut grade (HG)
- Les cancers
microinvasifs ou invasifs à un stade précoce(I).
Nous
avons comparé ce recrutement à 148 cas de cancers invasifs patents adressés
après diagnostic ces dermières années dans les 3 plus grandes structures hospitalières
accueillant ces pathologies dans la Region : Hopital Jeanne de Flandre
, Centre Oscar Lambret , Centre Hospitalier de Roubaix ( 16 ) .
Nous avons étudié dans les 2 groupes la répartition selon l’âge des différentes
lésions ; les elements de la demarche diagnostique . Nous avons recherché
le suivi antérieur des femmes porteuses de cancers invasifs précoces ou patent.
RESULTATS
Analyse
des lésions intraépithéliales et des invasions précoces : Diagnostic de
consultation
Sur
2130 lesions , le diagnostic final était le suivant :
948 CIN de bas grade,
CIN de haut grade,
89 cancers micro invasifs
cancers invasifs précoces ( stade Ib occulte ).
Répartition
selon l’âge (Tableau n° 1 et Graphique n°1)
Age
|
15.20
|
21.25
|
26.30
|
31.35
|
36.40
|
41.45
|
46.50
|
51.55
|
56.60
|
61.65
|
>65
|
Total
|
Bas grade
|
96
|
204
|
216
|
137
|
100
|
84
|
56
|
28
|
12
|
10
|
5
|
948
|
Haut
grade
|
17
|
129
|
240
|
257
|
184
|
106
|
63
|
30
|
7
|
9
|
7
|
1049
|
Invasif
Et micro invasif
|
0
|
3
|
17
|
33
|
24
|
25
|
8
|
5
|
4
|
5
|
9
|
133
|
Tableau n° 1 :
Répartition en fonction de l’âge de 2190 lésions intraépithéliales
ou invasives précoces
Graphique n°1 :
Répartition selon l’âge des lésions intaépithéliales
L’age
moyen des CIN de bas grade se situe entre 25 et 30 ans, puis le taux diminue
progressivement
L’âge moyen des CIN de haut grade est un peu plus élevé , entre 30 et 35 ans
et on observe la même diminution de fréquence avec le temps
Graphique
n°2 : Répartition chez les plus de 50 ans..
Les patientes de plus de 50 ans ne representent que 5.98% des lésions cervicales
depistées pre invasives ou invasives ( 131/2190 ) . Les lesions intra epitheliales
diminuent considérablement avec l’age mais ne disparaissent pas totalement (
graphique n°2 ) . Il est important de remarquer l’augmentation significative
des lesions les plus graves avec l’age. Si on considère le pourcentage de quinquagenaires
et plus dans la population des patientes porteuses de lesions cervicales decouvertes
en consultation de colposcopie :
CIN de bas grade
|
5.8%
|
(55/948)
|
CIN de haut grade
|
5.1%
|
(53/1049)
|
Cancer micro invasif
|
12.3%
|
(11/89)
|
Cancer invasif
|
27.1%
|
(12/44)
|
L’age moyen de découverte des
invasions precoces à la consultation de colposcopie , à un stade infraclinique
, est de 39 ans mais 17.3 % le sont après 50 ans (23/133).
Suivi cytologique :
Aucune des 23 patientes dont le cancer invasif ou micro invasif a été diagnostiqué
après 50 ans n’avait eu de surveillance cytologique régulière , en particulier
aucun frottis dans les 5 années précédent le diagnostic.
Si on considère les resultats de la biopsie amenant au diagnostic des lesions
les plus graves après 50 ans ( haut grade , microinvasion et invasion ), on
voit que la correlation n’est pas parfaite mais que la majorité des invasions
ont été repérées par la biopsie ( Tableau 2 ) .Il faut à l’inverse signaler
de nombreuses conisations pour frottis anormal avec resultat negatif de l’ histologie
. Après 2 frottis anormaux , si la colposcopie est non valable , la conisation
diagnostique s’impose compte tenu d’un risque de lesion endocervicale . Nous
n’avons pas été en mesure de chiffrer ces eventualités pourtant frequentes .
Tableau n° 2 :
DIAGNOSTIC de 76 LESIONS CERVICALES SEVERES Après 50 ANS
Analyse
de 148 cancers invasifs patents
Ces
148 patientes ont été adressées pour traitement d’une lesion invasive dans un
centre d’oncologie gynécologique . Le diagnostic avait été fait préalablement
sur des arguments sur lesquels on va revenir .
L’age moyen est de 49.2 ans avec des extrèmes de 26 à 86 ans
La répartition selon l’âge figure dans le tableau n°3
L’age moyen de ces femmes se situe aux alentours de 45 ans . elles sont plus
agées que les femmes dépistées en consultation de colposcopie : 41% des
patientes ont plus de 50 ans ( 61/148 ) .
On peut deja souligner que 69% des patientes sont symptomatiques et presentent
des metrorragies provoquées amenant à consulter .
Age
|
26.35
|
36.45
|
46.55
|
56.65
|
>66
|
Nombre
de patientes
|
19
|
48
|
35
|
25
|
21
|
Tableau n°3 :
Répartition selon l’âge des 148 cancers invasifs patents.
On
a pu retrouver le suivi anterieur des ces patientes que l’on peut distinguer
en 5 groupes
-
Aucun suivi : 54 patientes
34 sont agées de plus de 50 ans
- Suivi
insuffisant : un frottis de plus de 3 ans : 51 patientes
18 sont agées de plus de 50 ans
- Patientes
perdues de vue après un frottis positif :
12 patientes n’ont pas consulté malgrè un frottis anormal
- Prise
en charge inadequate :
5 patientes agées de moins de 50 ans ont été traitées par LASER pour CIN2
dans l’année précédant le diagnostic de cancer .
- Suivi
cytologique correct : 26 cas
Un frottis a été considéré comme normal dans les 3 ans precedant le diagnostic
de cancer .
4 patientes sont agées de plus de 50 ans .
Dans 11 cas , il s ‘agit d’un adenocarcinome
La
relecture des lames a été faite dans 18 cas . Retrospectivement 13 anomalies
cytologiques ont été notées qui auraient du induire une colposcopie avec bipsie
eventuelle .
Globalement
, on peut dire que dans notre Région , la majorité des patientes qui développent
un carcinome invasif sont non ou mal suivies dans plus de 80% des cas . Il y
a manifestement une insuffisance du depistage cytologique qui doit être intensifié
à tous les ages . Il est desolant de constater que le cancer du col est encore
diagnostiqué à un stade symptomatique dans 69% des cas .
DISCUSSION
Nous
retrouvons les résultats de notre précédente étude . Dans l’ étude collaborative
PETRI (7) de 1996, portant sur 8574 biopsies lues dans 62 laboratoires d’Ile
de France , les chiffres sont similaires : les CIN de bas grade se voient dans
la decennie des 20 ans et les CIN de haut grade dans celle des 30 ans et les
cancers invasifs après 50 ans .
D’autre part , si les CIN sont beaucoup plus rares chez la femme agée, leur
évolution serait beaucoup plus péjorative . Dans son étude de 1991 ,Van oortmarssen
(9) a bien montré qu’avant 35 ans les lésions préinvasives régressaient dans
84 % des cas alors que cela ne survenait que dans 40% des cas après 35 ans .
L’évolution vers un cancer invasif serait donc plus frequente .
Le pic de fréquence du cancer invasif se situe aux alentours de 50 ans mais
il est encore très présent après cette période : 46 % des patientes avaient
plus de 50 ans dans l’étude de PETRI et 41 % dans la notre . Pour souligner
l’interet du depistage cytologique , on peut remarquer qu’en consultation de
colposcopie , seules 27 % des patientes porteuses d’un cancer invasif ont plus
de 50 ans . C’est dire que 73% des cancers sont diagnostiqués avant 50 ans à
partir d’une positivité cytologique .
Le depistage cytologique joue un role fondamental pour reperer les lesions pre-invasives
dont la destruction ou l’ablation permettra de stopper l’evolution vers le cancer
invasif . Il est bien prouvé que le risque de cancer diminue avec le nombre
de frottis réalisés.Mitchell (10) estime que ce risque devient inférieur à 2.5
% après 3 frottis normaux , même au delà de 50 ans. Lyndge (11) , parle d’un
risque quasi nul après 5 frottis normaux .
Ce depistage doit être effectué avant l’evolution invasive , c’est à dire avant
50 ans .On voit bien dans notre etude que les cancers tardifs sont le fait de
patientes non ou mal surveillées .
Ces données sont confirmées dans la littérature. Wijngaarden et Duncan (6),
en Ecosse , retrouvent des résultats similaires puisque sur les 17 cancers invasifs
découverts après 60 ans 14 n’avaient jamais eu de frottis et 2 en avaient qui
dataient de plus de 5 ans. M Cruisckshank (5), dans son étude en Angleterre
arrive aux mêmes conclusions. De sorte que chez des femmes antérieurement bien
suivies, il y a une certaine logique à interrompre le dépistage après un certain
âge .
A l’inverse si le depistage a été insuffisant ou inexistant , il doit être mis
en uvre avec soin sans meconnaitre certaines difficultés .
Le premier problème est de motiver les femmes les plus agées dont on voit bien
qu’elles sont moins presentes dans la surveillance . Cette particularité n’est
pas spécifique à notre region . Une étude américaine (13) retrouve qu’après
55 ans l’intervalle entre 2 frottis est bien supérieur à 3 ans.
D’autre part , les frottis de femme ménopausée ont des particularités qui rendent
leur interprétation parfois difficile :
La carence hormonale ménopausique entraîne une atrophie épithéliale.Les frottis
ne retrouvent dans ces cas que des cellules basales qui peuvent en imposer pour
une dysplasie. Il est donc conseillé de renouveler ces frottis après un traitement
oestrogénique qui corrigera l’atrophie épithéliale et les normalisera dans éliminera(13,14
).
Une autre particularité du col de la femme ménopausée est l’intériorisation
de la zone de jonction retrouvée dans 40 à 48% des cas (13.14).Ceci rend difficile
l’exploration de cette zone et explique l’existence dans certains cas de faux
négatifs. Dans les cas où cette zone ne peut vraiment pas être étudiée, une
conisation diagnostique devient indispensable même si dans notre experience
, elle est souvent negative . Le depistage en post menopause induit beaucoup
de faux positif avec necessité de conisations parfois inutiles . A l’avenir
le depistage par recherche d’HPV pourrait être d’un grand secours en selectionnant
les petientes chez qui la conisation est necessaire .
CONCLUSION
Le cancer invasif survient après un CIN dont le pic de fréquence
se situe aux environs de 35 ans. C’est entre 20 et 50 ans que la surveillance
cytologique doit s ’exercer avec le plus de soin . Si la patiente a bien
été surveillée , on peut sans risque majeur espacer le dépistage cytologique
après 50 ans puis l’interrompre après 60 ans.
Après cet age , on constate trop de faux positifs par atrophie épithéliale.
A l’avenir on pourra integrer dans ce depistage la recherche d’HPV oncogènes
pour eviter les conisations inutiles .
Si la patiente n’a pas été surveillée, il faut au contraire rester vigilant
car on ne connait pas l’histoire cytologique de la patiente . un CIN jonctionnel
a pu ascencionner dans l’endocol avec possibilité de révélation tardive par
une invasion .
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15) Faut-il interrompre
le depistage cytologique du cancer du col utérin après la menopause
P.Merviel, Jl Mergui, R Gaudet, S Sananes, A Cortez , S Uzan
G Orazi , E Bogaert , D Vinatier , D Querleu , Jl Leroy
Contracept Fert Steril 99 ;27 , 826 – 35
16) Histoire du suivi
cytologique des femmes atteintes d’un cancer invasif
N MUBIAYI , Thèse LILLE oct 2000
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