Combien de temps doit-on ou peut-on traiter une
ménopause précoce compte-tenu des résultats de l'étude
WHI ?
H. ROZENBAUM
Position du problème
Un certain nombre de publications récentes
: étude HERS, étude WHI, étude MWS ont remis en question les effets
du traitement hormonal substitutif de la ménopause (THS).
L'étude HERS (Heart and Estrogen/progestin
Replacement Study) (1), publiée en 1998, fut la première à remettre
en cause les effets cardio-vasculaires (c.v.) bénéfiques attribués
aux estrogènes, ne montrant aucune différence en terme de morbidité
entre femmes traitées et femmes sous placebo. Il s'agissait d'une étude
d'intervention, c'est-à-dire randomisée en double insu, portant sur des
femmes souffrant d'une coronaropathie.
La conclusion tirée de cette étude
fut, à l'époque, une absence d'efficacité des estrogènes en
prévention cardio-vasculaire secondaire.
En 2002, les résultats de la plus
importante étude d'intervention jamais réalisée sur le THS furent
publiés. Cette publication constitua un véritable coup de tonnerre : lors
de cette étude appelée WHI (Women Health Initiative Study) (2), 8 506
femmes, âgées de 50 à 79 ans, traitées par 0,625 mg d'estrogènes
conjugués associés à 2,5 mg de médroxyprogestérone acétate
(MPA), ont été comparées à 8 102 femmes sous placebo.
Les objectifs essentiels de cette étude
étaient de suivre l'incidence de sept affections : la maladie coronarienne,
les cancers du sein (les femmes des deux groupes ont bénéficié d'une
mammographie tous les ans), les accidents vasculaires cérébraux, les accidents
thrombo-emboliques, les cancers de l'endomètre, du côlon et enfin les
fractures ostéoporotiques avec, en particulier, les fractures du col du fémur.
Contrairement à l'effet préventif
attendu vis-à-vis des affections cardio-vasculaires, une légère augmentation
du risque coronarien : RR = 1,29 (intervalle de confiance (I.C.) à 95 % : 1,02-1,63)
fut observée, ainsi qu'une augmentation du risque d'accident vasculaire cérébral
(AVC) : RR = 1,41 (I.C. à 95 % : 1,07-1,85).
Les auteurs avaient initialement fixé
des limites concernant les risques des différentes affections étudiées,
en particulier pour le cancer du sein. Ces limites ayant été franchies,
après 5,2 années de suivi moyen, le comité de surveillance a décidé
d'interrompre l'étude, la balance bénéfice-risque penchant plutôt
du côté des risques.
La légère augmentation de
fréquence du cancer du sein observée, RR = 1,26 (I.C. 95 % : 1,00-1,59)
correspondant en risque absolu à 8 cas supplémentaires de cancer du sein
pour 10 000 années-femme (A.F.) était en accord avec les données
de la littérature publiées à ce jour sur ce sujet.
Lors de la méta-analyse de 51
études incluant 52.705 femmes publiées dans le Lancet en 1997 (3), le
nombre de cancers du sein prévisibles dans les 5 années à venir était
de 45 pour 1000 femmes non traitées âgées de 50 à 70 ans. Le
surrisque lié à un THS était estimé à 2 cas supplémentaires
en 5 années, à 6 cas en 10 années et à 12 cas en 15 années.
L'étude MWS (Million Women Study)
(4), a été publiée en août 2003 dans le Lancet : il ne s'agit
plus d'une étude d'intervention mais d'une étude d'observation : dans
le cadre du dépistage du cancer du sein organisé en Angleterre par le
National Health Service (équivalent du Ministère de la Santé), toutes
les femmes âgées de 50 à 64 ans sont invitées à subir une
mammographie tous les trois ans. De 1996 à 2001, un questionnaire contenant
entre autre des questions sur un éventuel traitement hormonal substitutif (THS)
fut adressé en même temps que la lettre invitant à subir une mammographie.
1.084.110 femmes furent ainsi recrutées, dont la moitié avaient utilisé
à un moment donné un THS. 9.364 cas de cancer du sein furent colligés
sur une période moyenne de 2,6 années ainsi que 637 décès liés
à ce cancer sur 4,1 années en moyenne.
Globalement, une augmentation de risque
de cancer du sein : RR = 1,66 (I.C. à 95 % : 1,58-1,75) et de mourrir de celui-ci
fut observée chez les femmes sous THS : RR = 1,22 (I.C. à 95 % : 1-1,48).
En revanche, ce risque disparaissait à l'arrêt du traitement : RR = 1,01
(I.C. à 95 % : 0,94-1,09) et 1,05 (I.C. à 95 % : 0,82-1,34) respectivement.
Le risque relatif avec estrogènes seuls était à 1,30 (I.C. à
95 % : 1,21-1,40), à 2 (I.C. à 95 % : 1,88-2,12) avec estrogènes
+ progestatifs et à 1,45 (I.C. à 95 % : 1,25-1,68) avec la tibolone. L'augmentation
du risque avec estrogènes + progestatifs était significative : p<0,0001,
par rapport aux autres traitements.
Aucune différence ne fut observée
en fonction :
- du type d'estrogènes :
conjugués équins ou estradiol,
- de leur posologie,
- et de la voie d'administration
: RR 1,32 (I.C. à 95 % : 1,21-1,45) pour la voie orale, 1,24 (I.C. à 95
% : 1,11-1,39) pour la voie transdermique et 1,65 (1,26-2,16) pour les implants.
Aucune différence ne fut observée entre les trois progestatifs utilisés
en Angleterre : MPA, norethindrone et norgestrel, ni entre traitement séquentiel
et continu.
Une augmentation du risque de cancer
du sein fut observée en fonction de la durée du traitement : RR = 1,21
(I.C. à 95 % : 1,07-1,37) pour moins de 5 années de traitement par estrogènes
seuls, et de 1,34 (1,23-1,4) pour plus de 5 années ; RR = 1,7 (I.C. à
95 % : 1,56-1,85) pour moins de 5 années de THS estro-progestatifs et 2,21
(I.C. à 95% : 2,06-2,37 pour plus de 5 années ; RR = 1,32 (I.C. à
95 % : 1,04-1,69), pour une prise de tibolone inférieure à 5 années
et 1,57 (I.C. à 95 % : 1,3-1,9) pour plus de 5 années.
Cette augmentation correspondrait à
5 (3-7) cancers supplémentaires pour 1 000 femmes en 5 années avec les
estrogènes seuls, et 19 (15-23) avec estrogènes + progestatifs.
La problématique actuelle concernant
les femmes en ménopause précoce est donc la suivante :
- une ménopause constitue
un facteur de risque cardio-vasculaire reconnu ;
- elle augmente également
le risque d'ostéoporose ;
- en revanche, les femmes ménopausée
tôt sont moins à risque de cancer du sein que celle ménopausées
tard.
Sachant qu'il n'est plus licite d'espérer
un effet protecteur cardio-vasculaire sous THS, bien que les effets à long
terme des traitements utilisés en Europe, et plus particulièrement en
France, n'aient pas été évalués, peut-on envisager un THS relativement
prolongé chez les femmes sachant qu'il augmentera légèrement leur
risque de cancer du sein ?
Autrement dit, comment évaluer
la balance bénéfice-risque d'un THS chez les femmes en ménopause
précoce et, si un THS est entrepris, combien de temps peut-on le prolonger
?
- jusqu'à la disparition
des symptômes vaso-moteurs ?
- jusqu'à l'âge d'une
ménopause « normale », c'est-à-dire vers la cinquantaine
?
- ou au-delà de cet âge
?
Les arguments en faveur d'un traitement
Psychologie
La survenue d'une ménopause précoce
constitue indéniablement un lourd handicap psychologique, la femme se sentant
le plus souvent dévalorisée, en situation d'infériorité par
rapport aux femmes du même âge ayant conservé leurs fonctions ovariennes.
Si, sauf rares exceptions, la fécondité
n'est pas restaurée par le THS, celui-ci en rétablissant un cycle menstruel
artificiel, estompera le sentiment d'injustice ressenti par la patiente.
Troubles vaso-moteurs
Ils constituent au début les symptômes
les plus gênants, justifiants à eux seuls la mise en route d'un THS dont
l'efficacité dans ce domaine n'est plus à démontrer.
Peau et phanères
Ici encore, les effets bénéfiques du
THS sont reconnus.
Risque cardio-vasculaire
Les relations entre risque coronarien et âge
de la ménopause ont donné lieu à des publications dont les résultats
apparaissent peu probants.
L'étude des infirmières de
Boston avait, en 1987, mis en évidence un risque d'affection cardio-vasculaire
doublé en cas de ménopause chirurgicale (5).
Dans un travail récent (6), les
coordinateurs de cette étude observent un risque augmenté d'affection
cardio-vasculaire uniquement chez les femmes en ménopause précoce fumeuses
: RR : 1,04 (I.C. à 95 % : 1,01-1,07) ; en revanche, chez les non fumeuses,
aucune augmentation significative ne fut observée. Sachant que le tabac avance
de 2 années l'âge de la ménopause et qu'il constitue, en soi, un
facteur de risque cardio-vasculaire, les auteurs mettent en doute les résultats
des autres études ayant établi une relation entre ménopause précoce
et risque cardio-vasculaire, l'ajustement pour le tabagisme n'ayant pas été
réalisé lors de ces travaux.
De toutes façons, depuis le résultat
de l'étude WHI, la prévention cardio-vasculaire ne constitue plus une
indication du THS en ménopause. Faute de travaux démonstratifs effectués
chez les femmes en ménopause précoce et/ou avec les molécules utilisées
en Europe et, plus particulièrement, en France, il est actuellement impossible
de recommander un THS pour cette indication.
Risque osseux
Une ménopause précoce constitue un facteur
de risque reconnu d'ostéoporose. Plusieurs auteurs ont mis en évidence
une diminution de la densité minérale osseuse (DMO) en cas de ménopause
précoce :
- Pouillès et coll. (7),
sur 66 femmes ménopausées avant 40 ans, observent une diminution de 15
% en moyenne de la DMO ;
- Ohta et coll. (8) comparant
18 femmes ménopausées avant 43 ans, à 19 femmes ménopausées
après 43 ans, constatent dans le premier groupe un déclin de la masse
osseuse pendant les 10 années qui suivent l'arrêt des fonctions ovariennes,
- citons encore, parmi les nombreux
travaux publiés sur ce sujet le récent travail de Van Der Voort et coll
(9), observant chez les femmes ménopausées précocement une augmentation
du risque de fracture après l'âge de 50 ans : RR = 1,5 (I.C. à 95
% : 1,2-1,8)), y compris pour les tranches d'âge 70-74 ans : RR = 1,8 (I.C.
à 95 % :1,1-3) et 75-80 ans : RR = 2,1 (I.C. à 95 % : 1,1-4).
L'étude WHI a été la
première étude d'intervention randomisée en double insu confirmant
une diminution du risque d'ostéoporose prouvée directement par une diminution
de l'incidence des fractures :
- diminution globale : RR : 0,7
(I.C. à 95 % : 0,69-0,85),
- diminution du risque de fracture
vertébrale : RR = 0,66 (I.C. à 95 % : 0,44-0,98)
- diminution du risque de fracture
du col du fémur : RR = 0,66 (I.C. à 95 % : 0,45-0,98) soit 5 fractures
de moins pour 10 000 A.F.
Les estrogènes (9) et la tibolone
(10) se sont révélés efficaces pour préserver la masse osseuse
des femmes ménopausées précocement.
Conclusion
Il est actuellement recommandé, lors de la
poursuite d'un THS, de réévaluer périodiquement, tous les ans en
pratique, la balance bénéfice-risque du traitement. Ces recommandations
semblent pouvoir s'appliquer, en cas de ménopause précoce, lorsque la
patiente traitée aura atteint l'âge « normal » de
la ménopause, c'est-à-dire vers la cinquantaine.Bibliographie
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BUSH T., FURBERG C., HERRINGTON D., RIGGS B. ET COLL. FOR THE HEART AND ESTROGEN/PROGESTIN
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1998 ; 280 : 605-13.
[2] WRITING GROUP
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705 women with breast cancer and 108 411 women without breast cancer. Lancet,
1997 ; 350 : 1047-1059.
[4] MILLION WOMEN
STUDY COLLABORATORS : Breast cancer and hormone-replacement therapy in the Million
Women Study. Lancet 2003 ; 362 : 419-27.
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WILLETT W.D., STAMPFER M.J. et coll. : Menopause and the risk of coronary heart
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[6] HU F.B., GRODSTEIN
F., HENNEKENS C.H., COLDITZ G.A., JOHNSON M., MANSON J.E.,ROSNER B., STAMPFER M.J.
: Age at natural menopause and risk of cardiovascular disease. Arch. Intern.
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TRÉMOLLIÈRES F., BONNEU M., RIBOT C. : Influence of early age at menopause
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