MEDECINE
BASEE SUR LES PREUVES ET MEDECINE BASEE SUR LE BON SENS
S'agit-il
de notions antinomiques ? Cas du ths et cancer du sein.
C. Jamin
Paris
Pour interpréter les études épidémiologiques portant
sur les rapports entre THS et K du sein, plusieurs notions doivent impérativement
être présentes à l'esprit (6) :
- 10 à
15 ans sont nécessaires pour qu'un cancer du sein soit cliniquement
parlant, donc toute étude visant à évaluer un effet d'induction
devrait avoir cette durée
- l'incidence du cancer du sein augmente avec l'âge jusqu'à 65
ans : 1 femme sur 58 à 50 ans, 1 femme sur 13 à 65 ans. La grande
majorité des cancers est donc découverte 10 à 15 ans
après l'âge moyen de la ménopause.
- le cancer du sein est une maladie polyclonale. Les cellules sensibles aux
estrogènes sont les plus différenciées, celles qui métastasent
et qui entraînent la mort sont les moins différenciées.
- Seules des études prospectives randomisées permettraient de
répondre à la question d'une relation entre cancer du sein et
THS. Les études à notre disposition contiennent des biais tels
que pour qu'une suspicion de causalité soit envisageable le risque
relatif (RR) devrait au minimum atteindre 2 à 3 (11).
Quelques
notions théoriques simples :
- nécessité d'une randomisation pour éviter les biais d'inclusion.
Le risque de cancer du sein est faiblement corrélé à de
nombreux facteurs socio-culturels et personnels. Les femmes à qui sont
proposés les THS et les femmes qui acceptent de le prendre sont très
différentes de celles à qui cette proposition n'est pas faite
ou de celles qui ne suivent pas la prescription. A titre d'exemple on peut citer
les femmes dont la mère ou la sur a eu , ou à fortiori est
morte des suites d'un cancer du sein, sont celles qui prendront moins volontiers
un THS. Ceci sous estimera le risque sous traitement car ces mêmes femmes
ont un risque spontanément plus élevé.
A contrario plusieurs études prospectives ont évalué les
caractéristiques socio-économico-culturelles de femmes non ménopausées
et ont corrélé ces caractéristiques avec celles de ces
mêmes femmes qui, devenant ménopausées, prendront ou non
un THS. Les femmes qui prendront un THS ont certains facteurs de risque connus
pour être associés au cancer du sein : vie en ville, niveau d'éducation
élevé, race blanche, hauts revenus, classification psychologique
A, stress, tabagisme, consommation d'alcool, mais dans le même temps elles
ont des régimes plus pauvres en graisses et sont davantage sportives,
ce qui les éloigne du risque. L'un des facteurs influençant le
plus le RR est le morphotype, or aucune étude épidémiologique
ne le prend en compte. Tous ces biais de sélection sont susceptibles
de modifier le RR , et très probablement la majorité de ces biais
nous échappe.
- nécessité d'une étude clinique, au mieux versus placebo,
pour homogénéiser le suivi.
Les femmes n'ont de suivi gynécologique en général, et
mammaire en particulier, le plus souvent qu'au cours de consultations spécialisées.
Or elles ne se rendent à ces consultations que pour des besoins contraceptifs,
obstétricaux, ou pour des pathologies liées au cycle menstruel.
Par ailleurs il semble que leur implication dans la prévention s'émousse
avec le temps. Ainsi la fréquentation des cabinets de gynécologie
diminue avec l'âge après la ménopause. Nombreuses sont les
femmes qui consultent en post ménopause immédiate, mais rares
sont celles qui gardent la même assiduité en vieillissant : or
nous l'avons vu l'incidence du cancer du sein augmente avec l'âge.
Le rythme des mammographies suit la même évolution liée
à l'âge. De plus pour les mammographies les caractéristiques
socio-culturelles accentuent ce phénomène : les femmes d'un haut
niveau bénéficient de cet examen plus que les autres. Ces femmes
ont un risque plus élevé de cancer du sein et sont précisément
celles qui prennent un THS.
Les femmes qui suivent un THS continent, elles, à fréquenter les
cabinets de gynécologie et à bénéficier de mammographies
systématiques, et ceci à un âge d'autant plus avancé
que le suivi sera long. Suivant les études le nombre de mammographies
dans le groupe traité est de 15 à 40% plus élevé
que celui des témoins.
Ainsi la " malchance " de découvrir un cancer du sein est beaucoup
plus élevée chez les femmes sous THS du fait d'une meilleure détection.
Ce phénomène s'accentue avec l'âge alors même que
l'incidence spontanée augmente. Les femmes qui ont suivi un THS sur une
longue période ( plus de 10 ans) sont aussi les plus âgées
par définition, ainsi l'augmentation apparente du risque de cancer du
sein avec la durée du THS peut largement être expliquée
par cette surveillance accentuée chez les femmes plus âgées,
à risque plus élevé, alors que la surveillance fléchit
considérablement chez les autres.
-
Importance du risque attribuable
Un risque relatif représente le rapport entre le risque dans une population
exposée au traitement et une population qui ne l'est pas. Un RR à
1,4 de diagnostic représente un excès de risque de 40%, ce qui
peut paraître considérable. Si une femme de 50 ans a 10% de risque
de développer un cancer du sein, l'augmentation réelle du risque
sera de 4% de la population, ce qui est bien peu et difficile, sinon impossible,
à mettre en évidence. Ainsi dans la méta-analyse du Lancet
le risque attribuable du THS n'est que de 6 cas pour 1000 femmes ayant pris
le traitement pendant un an (4).
-
Les transferts de pathologie.
Le risque de cancer du sein augmente avec l'âge, de même que la
mortalité cardiovasculaire qui représente 50% de la mortalité
totale. Si le THS diminue de 50% la mortalité cardiovasculaire comme
cela est envisagé, ceci entraînera ipso facto une augmentation
de l'incidence de découverte du cancer du sein.
-
Le devenir des images de découverte fortuite
Nombre de cancers du sein chez les femmes sous THS sont des découvertes
mammographiques. Nul ne connaît l'histoire naturelle de ces lésions
et rien ne prouve qu'elles auraient eu le temps, avant la mort de la patiente,
d'être cliniquement parlantes. Chez les femmes âgées la fréquence
des cancers du sein non diagnostiqués mais mis en évidence par
nécropsie est considérable. Si la femme n'avait pas bénéficié
de ces mammographies elles-mêmes en rapport avec la prise de THS, nombre
de ces lésions détectées seraient passées inaperçues.
-
Le rôle de la concentration d'estradiol.
Il est admis que les estrogènes stimulent la prolifération des
cellules mammaires et de certaines formes de cancer du sein. Le rôle des
progestatifs est plus discuté. Cet effet prolifératif des estrogènes
est lié à leur concentration locale qui n'est pas corrélé
à leur taux circulant. Cette concentration in situ est plus élevée
en post ménopause qu'en ménopause, à l'inverse de ce qui
se passe dans le plasma. (14)
L'influence du THS sur ces concentrations locales d'estrogènes est mal
connu et dépend probablement du type de traitement utilisé et
de l'adjonction ou non d'un traitement progestatif, ainsi que de la durée
de cette adjonction dans le cycle.
Enfin le risque de cancer du sein augmente en post-ménopause alors même
que le
taux de sécrétion des estrogènes diminue ; de plus la corrélation
du risque avec les taux des hormones circulantes est discutable (14).
-
Quel événement final faut-il mesurer ?
Si on admet que les estrogènes augmentent la prolifération des
cellules mammaires cancéreuses, cet effet peut :
Faire découvrir plus rapidement des cancers préexistants à
développement lent
Promouvoir des cancers estrogénosensibles, permettant un diagnostic plus
précoce des tumeurs de bon pronostic
Stimuler les clones hormono-dépendants de bon pronostic, permettant une
découverte précoce avant le développement de clones plus
agressifs, qui peut lui-même être perturbé par un effet paracrine.
Ces
hypothèses trouvent leur confirmation dans les publications sur les caractéristiques
des cancers découverts sous THS, cancers mieux différenciés
et moins agressifs. Ces faits associés à une détection
plus précoce par une meilleure surveillance expliquent que sous THS la
mortalité par cancer du sein n'est pas augmentée, voire même
diminuée, malgré l'augmentation apparente du RR.
Que disent les études publiées ?
Depuis 25 ans plus de 50 études ont été publiées
sur les relations entre THS et cancer du sein. Six méta-analyses ont
colligé ces études pour en augmenter le pouvoir statistique. Une
méta-analyse vise à additionner des résultats pour augmenter
le nombre de patientes, permettant de rendre les résultats significatifs.
La qualité des études est associée à un coefficient
de pondération sensé améliorer la signification des résultats.
Rappelons cependant que les méta-analyses conservent les biais des études
princeps qui dans le domaine, nous l'avons vu, sont très importants (
les méta-analyses ne devaient en principe être réservées
qu'aux études prospectives randomisées). Cependant trois études
récentes sont en faveur d'un RR plus élevé sous estro-progestatifs
que sous estrogènes seuls. Deux de ces études viennent d'outre
Atlantique où l'utilisation de progestatifs n'est pas la règle.
Une question très importante reste en suspens : qu'est-ce qui détermine
la prescription d'un progestatif ? Il pourrait s'agir de l'existence d'un risque
de cancer de l'endomètre plus élevé dont on connaît
la parenté avec le risque de cancer du sein (12, 16, 17, 18).
Les résultats :
- le fait
d'utiliser un THS augmente très faiblement le risque que soit découvert
un cancer du sein (RR=1,3) ( 2,4,5,9,15).
- Ce surrisque de découverte décroît rapidement après
l'arrêt du traitement. Ceci va dans le sens d'un biais de dépistage
ou éventuellement d'un rôle de promotion mais va contre un rôle
d'initiation : en effet le RR devrait rester élevé 10 ou 15
ans ( voir ci-dessus)
- Une utilisation brève (moins de 5 ans) ne s'accompagne pas d'une
augmentation du RR de découverte. Est-ce lié à une surveillance
comparable des femmes de moins de 55 ans, qu'elles soient traitées
ou non, ou du temps nécessaire à l'apparition d'un effet promotion
?
- Une utilisation longue (plus de 10 à 15 ans) s'accompagne d'un RR
de découverte de 1,6 (1,3 - 1,8), c'est-à-dire trop faible pour
que cela soit concluant, sans que les effets âge-surveillance aient
pu être analysés (3,5).
- Le rôle des progestatifs n'est pas connu du fait du faible nombre
d'études publiées et de la durée moyenne brève
(7 à 10 jours) de leur utilisation dans le cycle, alors que la théorie
demanderait au minimum 12 à 14 jours (3,7,11,14,15). Le niveau des
RR atteints (inférieurs à 2) ne permet pas de conclure du fait
qu'il s'agit d'études non randomisées. On admet qu'il existe
une corrélation entre les résultats des études randomisées
et non randomisées pour peu que le RR ne soit pas entre 0,8 et 2, ce
qui est le cas ici (11).
- la mortalité par cancer du sein a une nette tendance à la
diminution chez les femmes ayant pris un THS, probablement du fait d'une détection
plus précoce des tumeurs et de la découverte de formes moins
agressives (1,8,9,10,20).
- Seule une étude randomisée prospective pourrait apporter une
réponse mais il faudrait une durée de plus de 10 ans pour affirmer
un éventuel effet d'initiation.
Ainsi,
si les études sont à peu près concordantes sur le fait
que le risque de découverte d'un cancer du sein est légèrement
élevé après la prise d'un THS pendant plus de 5 ans, et
sur le fait que ce risque augmente faiblement avec la durée du traitement,
l'analyse critique de la littérature disponible ne permet en aucune façon
d'affirmer qu'il existe un lien entre THS et survenue d'un cancer du sein et
encore moins un lien de causalité. Pour ce qui est du rapport bénéfice-risque
du THS, le fait que les cancers du sein soient mieux différenciés
et de meilleur pronostic doit fortement moduler à la baisse les réactions
émotionnelles suscitées par les annonces très médiatisées
des chiffres publiés.
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