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Titre: Médecine basée sur les preuves et médecine basée sur le bon sens
Année: 2002
Auteurs: - Jamin Ch.
Spécialité: Gynécologie
Theme: evidence base medecine

MEDECINE BASEE SUR LES PREUVES ET MEDECINE BASEE SUR LE BON SENS

S'agit-il de notions antinomiques ? Cas du ths et cancer du sein.

C. Jamin

Paris


Pour interpréter les études épidémiologiques portant sur les rapports entre THS et K du sein, plusieurs notions doivent impérativement être présentes à l'esprit (6) :

- 10 à 15 ans sont nécessaires pour qu'un cancer du sein soit cliniquement parlant, donc toute étude visant à évaluer un effet d'induction devrait avoir cette durée
- l'incidence du cancer du sein augmente avec l'âge jusqu'à 65 ans : 1 femme sur 58 à 50 ans, 1 femme sur 13 à 65 ans. La grande majorité des cancers est donc découverte 10 à 15 ans après l'âge moyen de la ménopause.
- le cancer du sein est une maladie polyclonale. Les cellules sensibles aux estrogènes sont les plus différenciées, celles qui métastasent et qui entraînent la mort sont les moins différenciées.
- Seules des études prospectives randomisées permettraient de répondre à la question d'une relation entre cancer du sein et THS. Les études à notre disposition contiennent des biais tels que pour qu'une suspicion de causalité soit envisageable le risque relatif (RR) devrait au minimum atteindre 2 à 3 (11).

Quelques notions théoriques simples :
- nécessité d'une randomisation pour éviter les biais d'inclusion.
Le risque de cancer du sein est faiblement corrélé à de nombreux facteurs socio-culturels et personnels. Les femmes à qui sont proposés les THS et les femmes qui acceptent de le prendre sont très différentes de celles à qui cette proposition n'est pas faite ou de celles qui ne suivent pas la prescription. A titre d'exemple on peut citer les femmes dont la mère ou la sœur a eu , ou à fortiori est morte des suites d'un cancer du sein, sont celles qui prendront moins volontiers un THS. Ceci sous estimera le risque sous traitement car ces mêmes femmes ont un risque spontanément plus élevé.
A contrario plusieurs études prospectives ont évalué les caractéristiques socio-économico-culturelles de femmes non ménopausées et ont corrélé ces caractéristiques avec celles de ces mêmes femmes qui, devenant ménopausées, prendront ou non un THS. Les femmes qui prendront un THS ont certains facteurs de risque connus pour être associés au cancer du sein : vie en ville, niveau d'éducation élevé, race blanche, hauts revenus, classification psychologique A, stress, tabagisme, consommation d'alcool, mais dans le même temps elles ont des régimes plus pauvres en graisses et sont davantage sportives, ce qui les éloigne du risque. L'un des facteurs influençant le plus le RR est le morphotype, or aucune étude épidémiologique ne le prend en compte. Tous ces biais de sélection sont susceptibles de modifier le RR , et très probablement la majorité de ces biais nous échappe.
- nécessité d'une étude clinique, au mieux versus placebo, pour homogénéiser le suivi.
Les femmes n'ont de suivi gynécologique en général, et mammaire en particulier, le plus souvent qu'au cours de consultations spécialisées. Or elles ne se rendent à ces consultations que pour des besoins contraceptifs, obstétricaux, ou pour des pathologies liées au cycle menstruel. Par ailleurs il semble que leur implication dans la prévention s'émousse avec le temps. Ainsi la fréquentation des cabinets de gynécologie diminue avec l'âge après la ménopause. Nombreuses sont les femmes qui consultent en post ménopause immédiate, mais rares sont celles qui gardent la même assiduité en vieillissant : or nous l'avons vu l'incidence du cancer du sein augmente avec l'âge.
Le rythme des mammographies suit la même évolution liée à l'âge. De plus pour les mammographies les caractéristiques socio-culturelles accentuent ce phénomène : les femmes d'un haut niveau bénéficient de cet examen plus que les autres. Ces femmes ont un risque plus élevé de cancer du sein et sont précisément celles qui prennent un THS.
Les femmes qui suivent un THS continent, elles, à fréquenter les cabinets de gynécologie et à bénéficier de mammographies systématiques, et ceci à un âge d'autant plus avancé que le suivi sera long. Suivant les études le nombre de mammographies dans le groupe traité est de 15 à 40% plus élevé que celui des témoins.
Ainsi la " malchance " de découvrir un cancer du sein est beaucoup plus élevée chez les femmes sous THS du fait d'une meilleure détection. Ce phénomène s'accentue avec l'âge alors même que l'incidence spontanée augmente. Les femmes qui ont suivi un THS sur une longue période ( plus de 10 ans) sont aussi les plus âgées par définition, ainsi l'augmentation apparente du risque de cancer du sein avec la durée du THS peut largement être expliquée par cette surveillance accentuée chez les femmes plus âgées, à risque plus élevé, alors que la surveillance fléchit considérablement chez les autres.

- Importance du risque attribuable
Un risque relatif représente le rapport entre le risque dans une population exposée au traitement et une population qui ne l'est pas. Un RR à 1,4 de diagnostic représente un excès de risque de 40%, ce qui peut paraître considérable. Si une femme de 50 ans a 10% de risque de développer un cancer du sein, l'augmentation réelle du risque sera de 4% de la population, ce qui est bien peu et difficile, sinon impossible, à mettre en évidence. Ainsi dans la méta-analyse du Lancet le risque attribuable du THS n'est que de 6 cas pour 1000 femmes ayant pris le traitement pendant un an (4).

- Les transferts de pathologie.
Le risque de cancer du sein augmente avec l'âge, de même que la mortalité cardiovasculaire qui représente 50% de la mortalité totale. Si le THS diminue de 50% la mortalité cardiovasculaire comme cela est envisagé, ceci entraînera ipso facto une augmentation de l'incidence de découverte du cancer du sein.

- Le devenir des images de découverte fortuite
Nombre de cancers du sein chez les femmes sous THS sont des découvertes mammographiques. Nul ne connaît l'histoire naturelle de ces lésions et rien ne prouve qu'elles auraient eu le temps, avant la mort de la patiente, d'être cliniquement parlantes. Chez les femmes âgées la fréquence des cancers du sein non diagnostiqués mais mis en évidence par nécropsie est considérable. Si la femme n'avait pas bénéficié de ces mammographies elles-mêmes en rapport avec la prise de THS, nombre de ces lésions détectées seraient passées inaperçues.

- Le rôle de la concentration d'estradiol.
Il est admis que les estrogènes stimulent la prolifération des cellules mammaires et de certaines formes de cancer du sein. Le rôle des progestatifs est plus discuté. Cet effet prolifératif des estrogènes est lié à leur concentration locale qui n'est pas corrélé à leur taux circulant. Cette concentration in situ est plus élevée en post ménopause qu'en ménopause, à l'inverse de ce qui se passe dans le plasma. (14)
L'influence du THS sur ces concentrations locales d'estrogènes est mal connu et dépend probablement du type de traitement utilisé et de l'adjonction ou non d'un traitement progestatif, ainsi que de la durée de cette adjonction dans le cycle.
Enfin le risque de cancer du sein augmente en post-ménopause alors même que le
taux de sécrétion des estrogènes diminue ; de plus la corrélation du risque avec les taux des hormones circulantes est discutable (14).

- Quel événement final faut-il mesurer ?
Si on admet que les estrogènes augmentent la prolifération des cellules mammaires cancéreuses, cet effet peut :
Faire découvrir plus rapidement des cancers préexistants à développement lent
Promouvoir des cancers estrogénosensibles, permettant un diagnostic plus précoce des tumeurs de bon pronostic
Stimuler les clones hormono-dépendants de bon pronostic, permettant une découverte précoce avant le développement de clones plus agressifs, qui peut lui-même être perturbé par un effet paracrine.

Ces hypothèses trouvent leur confirmation dans les publications sur les caractéristiques des cancers découverts sous THS, cancers mieux différenciés et moins agressifs. Ces faits associés à une détection plus précoce par une meilleure surveillance expliquent que sous THS la mortalité par cancer du sein n'est pas augmentée, voire même diminuée, malgré l'augmentation apparente du RR.

Que disent les études publiées ?
Depuis 25 ans plus de 50 études ont été publiées sur les relations entre THS et cancer du sein. Six méta-analyses ont colligé ces études pour en augmenter le pouvoir statistique. Une méta-analyse vise à additionner des résultats pour augmenter le nombre de patientes, permettant de rendre les résultats significatifs. La qualité des études est associée à un coefficient de pondération sensé améliorer la signification des résultats. Rappelons cependant que les méta-analyses conservent les biais des études princeps qui dans le domaine, nous l'avons vu, sont très importants ( les méta-analyses ne devaient en principe être réservées qu'aux études prospectives randomisées). Cependant trois études récentes sont en faveur d'un RR plus élevé sous estro-progestatifs que sous estrogènes seuls. Deux de ces études viennent d'outre Atlantique où l'utilisation de progestatifs n'est pas la règle. Une question très importante reste en suspens : qu'est-ce qui détermine la prescription d'un progestatif ? Il pourrait s'agir de l'existence d'un risque de cancer de l'endomètre plus élevé dont on connaît la parenté avec le risque de cancer du sein (12, 16, 17, 18).

Les résultats :

- le fait d'utiliser un THS augmente très faiblement le risque que soit découvert un cancer du sein (RR=1,3) ( 2,4,5,9,15).
- Ce surrisque de découverte décroît rapidement après l'arrêt du traitement. Ceci va dans le sens d'un biais de dépistage ou éventuellement d'un rôle de promotion mais va contre un rôle d'initiation : en effet le RR devrait rester élevé 10 ou 15 ans ( voir ci-dessus)
- Une utilisation brève (moins de 5 ans) ne s'accompagne pas d'une augmentation du RR de découverte. Est-ce lié à une surveillance comparable des femmes de moins de 55 ans, qu'elles soient traitées ou non, ou du temps nécessaire à l'apparition d'un effet promotion ?
- Une utilisation longue (plus de 10 à 15 ans) s'accompagne d'un RR de découverte de 1,6 (1,3 - 1,8), c'est-à-dire trop faible pour que cela soit concluant, sans que les effets âge-surveillance aient pu être analysés (3,5).
- Le rôle des progestatifs n'est pas connu du fait du faible nombre d'études publiées et de la durée moyenne brève (7 à 10 jours) de leur utilisation dans le cycle, alors que la théorie demanderait au minimum 12 à 14 jours (3,7,11,14,15). Le niveau des RR atteints (inférieurs à 2) ne permet pas de conclure du fait qu'il s'agit d'études non randomisées. On admet qu'il existe une corrélation entre les résultats des études randomisées et non randomisées pour peu que le RR ne soit pas entre 0,8 et 2, ce qui est le cas ici (11).
- la mortalité par cancer du sein a une nette tendance à la diminution chez les femmes ayant pris un THS, probablement du fait d'une détection plus précoce des tumeurs et de la découverte de formes moins agressives (1,8,9,10,20).
- Seule une étude randomisée prospective pourrait apporter une réponse mais il faudrait une durée de plus de 10 ans pour affirmer un éventuel effet d'initiation.

Ainsi, si les études sont à peu près concordantes sur le fait que le risque de découverte d'un cancer du sein est légèrement élevé après la prise d'un THS pendant plus de 5 ans, et sur le fait que ce risque augmente faiblement avec la durée du traitement, l'analyse critique de la littérature disponible ne permet en aucune façon d'affirmer qu'il existe un lien entre THS et survenue d'un cancer du sein et encore moins un lien de causalité. Pour ce qui est du rapport bénéfice-risque du THS, le fait que les cancers du sein soient mieux différenciés et de meilleur pronostic doit fortement moduler à la baisse les réactions émotionnelles suscitées par les annonces très médiatisées des chiffres publiés.


BIBLIOGRAPHIE

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