Prise en charge obstétricale des
hypotrophies ftales précoces et sévères
L. BOUBLI, Cl. d'ERCOLE
Le diagnostic de retard de croissance précoce
et sévère (RCIU) suppose de :
- préciser la sévérité
du syndrome,
- rechercher les signes associés,
- préciser le diagnostic
étiologique,
- évaluer le pronostic,
- décider de l'attitude
obstétricale.
La réflexion est obligatoirement
pluridisciplinaire. Il est difficile d'obtenir des certitudes. L'information délivrée
aux parents n'est pas la moindre des difficultés. Les retards de croissance
sont définis par une biométrie ftale inférieure au 5e percentile,
diagnostiqués durant le deuxième trimestre.
Leur incidence exacte n'est pas facile
à dégager de l'étude de la littérature du fait de la confusion
en termes de très faible poids entre extrême prématurité et
hypotrophie. A titre d'exemple, la répartition par age gestationnel de la série
rapportée par BOTTOMS est la suivante [1].
Le pic de fréquence se situe au
milieu du deuxième trimestre, l'échographie morphologique est la plus
fréquente circonstance de diagnostic
Classiquement, les retards de croissance
précoces évoquent une origine génétique, surtout lorsqu'ils
sont globaux.et associés à des malformations .
La première approche est d'ordre
étiologique portant à la fois sur :
- le contexte,
- l'analyse morphologique,
- le diagnostic génétique.
L'hypertension gravidique est une cause
importante des formes sévères et précoces d'hypotrophie ftale [2].
Son incidence est variable en fonction de l'issue ultérieure. 5 % en cas de
mortalité néonatale immédiate, 14 % en cas de mortalité périnatale
dans les 120 jours et 23 % chez les enfants survivant au-delà du 120e
jour. L'autre approche est d'ordre génétique. L'orientation peut être
évidente en cas d'anomalie morphologique associée. L'obtention d'un caryotype
assure le diagnostic et la décision thérapeutique. Le bilan infectieux
permet parfois de préciser l'étiologie (Cytomégalovirus, rubéole).
La vraie difficulté réside
dans les formes apparemment cryptogénétiques. Parmi celles-ci un groupe
tend à manifester une fréquence croissante : les cytopathies mitochondriales
: [3] perturbation de la phosphorylation oxydative pouvant toucher un des mécanismes
poly enzymatiques complexes qui interviennent dans cette fonction : NADH-coenzyme
Q reductase, succinate coenzyme Q reductase CoQ -H2 cytochrome c reductase,
cytochrome c oxydase, ATP-synthase. Le retard de croissance sévère (<
3e percentile) est retrouvé dans l'histoire anté natale de 23 % des sujets
atteints, soit isolé (16 %) soit associé à d'autres anomalies inexpliquées
(7 %). Les anomalies associées sont multiples : hydramnios (6/20), oligomanios
(2/20), arthrogrypose ((1/20), diminution des mouvements actifs(1/20)cardiomyopathie
hypertrophique(4/20), anomalies du rythme cardiaque (4/20), hydronéphrose (3/20).
D'autres tableaux plus sévères
peuvent être décrits (syndrome VACTERL, (2/20) ou anomalies digestives
ou neurologiques complexes. La première étape diagnostique est fondamentale.
Elle permet parfois d'emblée de proposer une interruption dans les situations
d'anomalies chromosomiques ou lorsqu'une atteinte polyviscérale associée
vient compromettre de façon certaine le pronostic. Dans les autres cas de figure
(les plus fréquents) se posent à l'équipe diverses questions portant
sur le pronostic et l'évolutivité de la pathologie ainsi que sur le moment
de la terminaison de la grossesse. Ces situations sont complexes, difficiles à
expliquer aux parents dont il faut cependant assurer une information claire et objective.
Il faut également mettre en place les outils de surveillance.
L'analyse
du rythme cardiaque ftal
C'est la plus ancienne méthode de surveillance.
En situation normale, la fréquence de base, la variation à long terme
et la variation à court terme varient [4] avec l'âge gestationnel.
La norme (2,5-95e) percentile
Il est habituellement admis qu'en cas de RCIU,
la variation à long terme (LTV) est abaissée de 25 % par rapport aux ftus
eutrophiques et que la fréquence cardiaque de base diminue progressivement
au fur et à mesure de l'aggravation de l'état ftal. La réduction
de la variation à court terme (STV) est également un facteur de mauvais
pronostic.
Cette évaluation ne peut pas faire
l'objet d'une observation macroscopique, mais nécessite une analyse informatisée.
Cependant, une grande variation entre individus est très fréquente et
il n'est pas toujours possible d'établir un facteur pronostic décisif
suffisamment informatif, avant la survenue des grandes anomalies, en dehors des
formes caricaturales de diminution de la variation à court terme. L'établissement
de scores biophysiques était censé compléter l'évaluation. Avec
deux constatations :
- la réduction de la quantité
de liquide amniotique est un signe de mauvais pronostic avec un risque de mortalité
périnatale Multiplié par 13 en cas d'oligoamnios modéré et par
47 en cas d'oligoamnios sévère,
-
l'étude des mouvements ftaux permet d'évaluer les conséquences de
l'asphyxie sur le SNC (mouvements respiratoires et mouvement du tronc et des membres).
la valeur exacte des scores
biophysiques n'est cependant pas formellement établie.
La vélocimétrie doppler [5]
Les données classiques sont les suivantes
:
- le Doppler ombilical témoigne
d 'un potentiel de croissance ftale,
- un index diastolique ID nul
ou un reverse flow constitue une situation péjorative imposant une hospitalisation,
- le doppler ombilical est un
outil utile dans les situations à haut risque.
Dans cette situation d'hypotrophie
précoce et sévère, le doppler ombilical est souvent perturbé,
confirmant le diagnostic de biométrie, mais il ne suffit pas à lui seul
à porter un pronostic ni à décider du moment de l'extraction. Le
doppler cérébral vient compléter l'évaluation. Il est pratiqué
en cas de perturbation de la vélocimétrie ombilicale dans ce contexte
de retard de croissance intra-utérin. Il témoigne de l'adaptation de la
circulation cérébrale à l'hypoxie (phénomène d 'épargne
cérébral). Une anomalie du doppler cérébral, dans le contexte
d'hypotrophie sévère est annonciatrice d'anomalie du rythme cardiaque
ftal et du risque de mort ftale in utero.Cet examen soulève deux interrogations
:
- faut-il attendre la perturbation
de ce paramètre pour adapter l'attitude obstétricale ?
- lorsque la prise en charge
se fait à un stade ou le doppler cérébral est déjà pathologique,
le pronostic est-il irréversiblement fixé ?
Le doppler veineux a pu être considéré
comme le chaînon manquant dans la chaîne d'évaluation [6] réalisé
dans différents sites (Veine ombilicale,Ductus venosus,Sinus transverse) la
réduction de la vélocimétrie est associée au retard de croissance,
toute fois, la prédiction d'une atteinte irréversible n'est pas totale
avec cet examen.
Une
perspective spplémentaire est représentée par la vélocimétrie
en territoire coronarien[8]. En cas de RCIU, le flux coronarien est visualisé
plus tôt que chez les ftus eutrophiques. Et le pic de vlocité est plus
élevé aussi bien en systole(0,25 m/s) qu'en diastole(0,48m/s) (P<0,005).
Les possibilités thérapeutiques
L'administration d'oxygène [9]
L'oxygénation maternelle semble donner des
résultats intéressants pour la mortalité périnatale (OR : 0,50,
IC 0,32 - 0,81), toutefois l'âge gestationnel plus élevé dans le
groupe avec oxygénation peut rendre compte de la différence observée
de mortalité.
L'utilisation des beta mimétique
Ne
montre pas d'effet significatif (1,17, 95 % IC 95 % 0,75 - 1,83). Une publication
plus récente contredit cette affirmation puisque l'absence de tocolytique conduirait
à un sur risque de mortalité (or : 1,75 ; 1,2-2,3) [2].
Les éléments de mauvais
pronostic sont : [2]
- Non-administration de surfactant
: 8,6 (6,3-11,9)
- Pas d'intubation en salle de
naissance : 5,3 (3,8-5,1)
- Pas de corticoïdes en
anté natal : 2,3 (1,6-3,2)
- Pas d'hypertension artérielle
: 2,2 (1,2-3,9)
- Diminution de l'apgar à
1 mn (par point) : 2 (1,8-2,2)
- Absence de tocolytiques : 1,7
(1,2-2,3)
- Grossesse multiple : 1,7 (1,2-2,5)
- Sexe masculin :1,7(1,3-1,6)
- Age gestationnel (par sA) :
1,4 (1,3-1,6)
- Poids de naissance (par 50
g) :1,3 (1,2-1,4)
- Race noire : 0,6 (0,4-0,8)
L'attitude obstétricale
Peut se résumer soit à une extraction
immédiate, soit à l'expectative [10].
Un travail de 1996 [11] avait conclu
à :
- l'impossibilité de se
fonder sur la seule estimation du poids foetal,
- une augmentation de la morbidité
à court terme dans l'attitude interventionniste,
- une augmentation de la mortalité
globale en cas d'attitude expectative.
Une évaluation a été
réalisée par le GRIT study group dans le cadre d'une étude randomisée
[12]. Les résultats sont résumés dans les deux tableaux suivants.
Ils ne font pas apparaître de différence significative pour la mortalité
globale.
Au total
Il est difficile de formuler des recommandations
précises pour la prise en charge des retards de croissance précoces et
sévères. Le diagnostic suppose une évaluation précise tenant
compte du contexte, des signes associés et prenant en compte le risque génétique.
L'évaluation doit porter aussi sur le pronostic ultérieur non seulement
la mortalité mais sur le handicap.
Une telle approche est obligatoirement
pluridisciplinaire. L'information des parents est une étape difficile. La décision
ultérieure se fonde sur divers paramètres dont aucun n'est décisif.
L'abandon thérapeutique peut être décidé devant des facteurs
de mauvais pronostic, elle expose cependant à la poursuite du processus pathologique
chez un ftus qui survivra mais avec un pronostic encore plus sévère.
Parfois même, l'état maternel
peut imposer une extraction ftale qui n'avait pas été initialement envisagée.
La décision d'expectative ou de
gestion active met en balance l'aggravation de la souffrance ftale et le risque
de haute prématurité. La persistance d'une croissance est un des éléments
de décision.
Enfin et surtout, la gestion de l'accouchement
doit se faire dans des structures spécifiques.
Bibliographie
[1] BOTTOM, S. : Am J Obstet
Gynecol, 1997. 176(5): p. 960-966.
[2] SHANKARAN :
Am J Obstet Gynecol, 2002. 186: p. 796-802.
[3] KLEIST-RETZOW
V. : J Pediatr, 2003. 143: p. 208-12.
[4] NIJHUIS : Eur
J Obst Gynaecol, 2000: p. 27-33.
[5] Neilson, Doppler
ultrasound for fetal assessment in high risk pregnancies (Cochrane Review). The
Cochrane Library, Issue 4, 2003. Chichester, UK: John Wiley & Sons, Ltd, 2003.
[6] RIGANO : Am
J Obstet Gynecol, 2001. (185): p. 834-8.
[7] LANGER B. : Mise
à jour en gynécologie et obstétrique VIGOT, 2001. (35-66).
[8] Baschat AA, M.M.,
Gembruch U. : Ultrasound Obstet Gynecol, 2003. 21(5): p. 426-9.
[9] Say L : Maternal
oxygen administration for suspected impaired fetal growth (Cochrane Review. In:
The Cochrane Library, Issue 4, 2003. Chichester, UK: John Wiley & Sons, Ltd.,
2003.
[10] GRIT study group
: Eur J Obst Gynaecol, 1996. 67: p. 121-126.
[11] SCHAAP : Eur
J Obst Gynaecol, 1996. 70: p. 61-68.
[12] GRIT study group:
BJOG, 2003. 110: p. 27-32.
PRISE
EN CHARGE OBSTéTRICALE DES HYPOTROPHIES FTALES
PRéCOCES ET SéVèRES 35
36 L. BOUBLI,
C. d'ERCOLE Représentation
3D LTV RCF Représentation 3D STV RCF
RCIULTV RCIU
STV
PRISE
EN CHARGE OBSTéTRICALE DES HYPOTROPHIES FTALES
PRéCOCES ET SéVèRES 37
38 L. BOUBLI,
C. d'ERCOLE Les explorations
Doppler pour la mortalité périnatale [7]
|
˙IP
art |
˙IP art |
˙Ip art |
˙Pulsations v |
˙Ductus |
|
˙ |
˙ombilicale |
˙cérabrale |
˙cérabrale/art |
˙ombilicale |
˙Venosus |
˙ |
˙ |
˙moyenne |
˙ombilicale |
| |
˙
Anormal (%) |
˙63,2 |
˙68,4 |
˙94,7 |
˙57,9 |
˙26,3 |
˙Sensibilité (%) |
˙100 |
˙60 |
˙100 |
˙80 |
˙80 |
˙Spécificité (%) |
˙50 |
˙29 |
˙7 |
˙50 |
˙93 |
˙VPP (%) |
˙42 |
˙23 |
˙28 |
˙36 |
˙80 |
˙VPN (%) |
˙100 |
˙67 |
˙100 |
˙88 |
˙93 |
PRISE
EN CHARGE OBSTéTRICALE DES HYPOTROPHIES FTALES
PRéCOCES ET SéVèRES 39
40 L. BOUBLI,
C. d'ERCOLE
PRISE
EN CHARGE OBSTéTRICALE DES HYPOTROPHIES FTALES
PRéCOCES ET SéVèRES 41
42 L. BOUBLI,
C. d'ERCOLE |