Effet
sur l'endomètre des estrogènes et des antiestrogènes
Christine
Bergeron
Laboratoire
Pasteur-Cerba, 95066 Cergy Pontoise Cedex 9
Pendant
la période de la reproduction, l'endomètre subit des modifications
morphologiques et physiologiques caractérisées par une croissance,
une différenciation sécrétoire et en l'absence de fécondation,
une menstruation et une régénération. Prolifération,
différenciation et menstruation impliquent surtout les deux tiers supérieurs
de la muqueuse qui correspondent à la partie fonctionnelle de la muqueuse.
Le tiers inférieur correspond à la partie basale où les
modifications morphologiques sont mimines. Cette partie est responsable de la
régénération de la muqueuse.
Ces modifications cycliques ont pour finalité de créer un environnement
adapté pour la nidation et se produisent sous l'influence des estrogènes
et de la progestérone sécrétés par l'ovaire de manière
cyclique. L'aspect morphologique de l'endomètre est un témoin
de l'intégrité de l'axe hypothalamus, hypophyse et ovaire et permet
de confirmer qu'une femme infertile a eu une ovulation. Au moment de la ménopause,
l'absence d'estrogènes conduit à une involution progressive de
l'endomètre pour aboutir à un endomètre atrophique. En
cas de persistance d'imprégnation estrogénique, d'origine endogène
ou iatrogène, sans progestérone associé après la
ménopause, l'endomètre présente un aspect prolifératif,
voire hyperplasique ou néoplasique dans un petit nombre de cas.
I.
Mécanismes d'action des estrogènes
L'action
des hormones stéroides sur l'épithélium, le stroma et l'endothélium
de l'endomètre se fait par l'intermédiaire de récepteurs
spécifiques qui sont des protéines présentes dans le noyau
des cellules endométriales et ont une affinité spécifique
pour les estrogènes et la progestérone. Ils sont localisés
par immunohistochimie au niveau des noyaux des glandes et du stroma. On ne les
trouve pas dans l'endothélium des vaisseaux. Le type classique de récepteurs
aux estrogènes est appelé ERalpha et correspond à une protéine
de 595 acides aminés. Le deuxième type de récepteur appelé
ERbêta correspond à une protéine de 485 acides aminés. La
synthèse des ERalpha et ERbêta est sous la dépendance des estrogènes
via les ERalpha. On ne connaît pas le rôle exact des ERbêta. Les récepteurs
de la progestérone existent aussi sous deux formes PRA (94 KDA) et PRB
(114 KDA) qui se lient avec la progestérone de manière similaire.
Les ERalpha et les ERbêta et les PRA et PRB sont les plus élevés durant
la période préovulatoire et la période post ovulatoire
précoce, durant lesquelles le niveau sérique des estrogènes
est le plus élevé. La progestérone inhibe la synthèse
des deux types de récepteurs des estrogènes. Le récepteur
PRB est la molécule la plus active et est régulé de manière
plus importante par les estrogènes que le PRA. Le PRB inhibe la synthèse
du PRB mais non du PRA tandis que le PRA inhibe la synthèse des PRA et
des PRB. Les récepteurs des estrogènes ERalpha et ERbêta diminuent puis
disparaissent pendant la phase sécrétoire à la fois dans
l'épithélium et le stroma. Le PRB disparaît également
dans la composante épithéliale pendant la phase sécrétoire
mais le PRA persiste dans le stroma.
Les estrogènes jouent un rôle important dans la prolifération
des cellules endométriales mais ne sont pas capables d'induire une prolifération
sur des cellules endométriales en culture. L'action mitogénique
des estrogènes se fait donc probablement de façon paracrine par
l'intermédiaire de facteurs de croissance, comme le facteur de croissance
épidermique, le facteur de croissance pour l'insuline I et II et le facteur
de croissance transformant que l'on détecte dans l'endomètre par
immunohistochimie. Les cellules endométriales ont des récepteurs
pour le facteur de croissance épidermique dont la synthèse est
sous la dépendance des estrogènes. L'oncoprotéine HER-2/neu
est une protéine transmembranaire qui est considérée comme
un récepteur de facteur de croissance. Cette oncoprotéine a été
identifiée dans l'endomètre normal mais son lien avec les récepteurs
des estrogènes n'est pas clair. Elle est localisée uniquement
dans les cellules épithéliales et il n'existe pas de variation
cyclique. Elle reste élevée pendant la phase sécrétoire
alors qu'il n'existe plus de récepteurs des estrogènes et de la
progestérone dans l'épithélium de l'endomètre. La
pS2 est une protéine estrogénodépendante qui a été
localisée dans le sein Cette protéine est également présente
dans l'endomètre et peut être détectée par immunohistochimie
exclusivement dans l'épithélium. Elle semble être également
induite par les estrogènes car elle est sécrétée
à un niveau maximum pendant la phase proliférative. Sa fonction
exacte reste mal définie. On identifie également des oncogènes
qui sont probablement en cause dans la stimulation de la croissance de la muqueuse
endométriale par un mécanisme paracrine. Ces oncogènes
sont régulés par les estrogènes.
II.
La phase estrogénique du cycle menstruel
La
phase estrogénique dite proliférative correspond aux 14 premiers
jours du cycle. Les modifications histologiques qui caractérisent cette
période ne permettent pas de donner le jour du cycle avec précision
et ne dépendent pas d'une possible ovulation. Le stroma, les glandes
et les vaisseaux proliférent pendant toute la phase proliférative,
avec un pic autour du 10ème jour du cycle, aboutissant à une augmentation
du volume de la muqueuse endométriale. Cette prolifération se
traduit par une augmentation des mitoses et de la synthèse de l'ADN et
de l'ARN cytoplasmique, que l'on met en évidence par une augmentation
du marquage de l'intensité de la radiothymidine et une diminuation de
la phase de synthèse de l'ADN. Ces modifications sont plus prononcées
au niveau de la partie fonctionnelle du fond et du corps de l'utérus
qu'au niveau de la partie basale, de l'isthme et des cornes utérines.
Les glandes sont droites et perpendiculaires à la surface au début
de la phase proliférative puis deviennent volumineuses et tortueuses
durant la phase proliférative intermédiaire et tardive. Elles
sont bordées par un épithélium pseudostratifié,
fait de cellules cylindriques aux noyaux en forme de cigare avec de nombreuses
figures de mitoses et un petit cytoplasme éosinophile. Sur le plan ultrastructural,
la phase proliférative se traduit par une augmentation des ribosomes,
des mitochondries, du golgi et des lysozomes primaires dans les glandes et les
fibroblastes. Ces organites servent à la synthèse de la matrice
protéique et des enzymes et à leur storage. Ces enzymes comme
la lactate déhydrogénase, l'hexokinase, la pyruvate kinase et
la glucose 6 phosphatase sont impliquées dans le métabolisme des
hydrocarbones durant la période postovulatoire. Des anticorps contre
des antigènes des mucines de type 3 reliés à la chaine
A, B, O permettent d'étudier la glycosylation pendant le cycle menstruel.
Les glandes de la partie fonctionnelle expriment les antigènes de type
3 de la chaine A, H et T pendant la phase proliférative alors qu'elles
n'expriment que les antigènes de la chaine T pendant la phase sécrétoire.
Enfin, il existe une augmentation du nombre des cils et des microvillosités
au niveau de l'épithélium de surface et les glandes qui sont synthétisées
sous l'influence des estrogènes.
Le stroma est fait de cellules peu différenciées rondes et régulières
avec un noyau hyperchromatique entouré par une fine bande de cytoplasme.
Des agrégats de cellules lymphoides sont souvent présents dans
le stroma de la phase proliférative. On identifie des IgA, IgM, IgG qui
ne semblent pas jouer un rôle important dans la défense immunitaire
locale. En effet, l'endomètre normal synthétise un nombre négligeable
d'immunoprotéines, ont peu de cellules de langerhans et n'ont pas de
plasmocytes. Toutes ces données semblent confirmer la nature stérile
de l'endomètre normal.
III.
Les hyperplasies et les cancers estrogénodépendants
Les
hyperplasies sont actuellement divisées en hyperplasies sans ou avec
atypie cytologique. Les hyperplasies sans atypie cytologique, qu'elles soient
simples ou complexes, sont de loin les plus fréquentes et correspondent
à 80% des cas. Elles se développent sur un terrain d'hyperestrogénie
au moment de la péri-ménopause. Elles contiennent de nombreux
récepteurs aux strogènes et à la progestérone,
ce qui explique pourquoi elles répondent bien au traitement progestatif.
Elles ne sont pas considérées comme des lésions précancéreuses
directes. Les hyperplasies avec atypie cytologique sont des lésions précancéreuses
directes qui évoluent dans 30% des cas vers un cancer invasif. Elles
se développent aussi bien sur un terrain d'hyperestrogénie que
sur une atrophie et surviennent à la péri-ménopause ou
à la ménopause. Elles contiennent des récepteurs aux strogènes
et à la progestérone qui sont répartis de manière
hétérogène dans la composante glandulaire et le stroma
sous-jacent. La biopsie à l'aveugle peut passer à côté
d'une hyperplasie avec atypie cytologique car cette lésion est parfois
focale. Seule l'hystéroscopie avec biopsie permet de dépister
ces lésions focales avec fiabilité. La composante glandulaire
de ces hyperplasies a un aspect morphologique comparable à celui d'un
cancer bien différencié, la seule différence étant
l'absence d'invasion du stroma qui n'est pas toujours facile de mettre en évidence
sur une biopsie ou un curetage. Il est donc proposé sur une biopsie ou
un curetage, d'appeler les hyperplasies avec atypie et les cancers bien différenciés
de l'endomètre, néoplasies endométriales, pour les différencier
des hyperplasies sans atypie qui sont des lésions bénignes. Le
traitement de l'hyperplasie avec atypie cytologique est l'hystérectomie
simple. En effet, ces lésions répondent de manière aléatoire
aux progestatifs. De plus, on retrouve, dans 50% des cas, un cancer de l'endomètre
invasif adjacent quand on pratique une hystérectomie pour une hyperplasie
avec atypie. Il est possible de prescrire un traitement progestatif chez la
femme jeune qui désire procréer.
On divise les cancers de l'endomètre en deux entités: le premier
type est dit le cancer de la femme "jeune", c'est à dire qu'il
survient autour de la ménopause ou après quelques années
de ménopause. Il est le plus souvent bien différencié et
n'envahit le myomètre que superficiellement. Il est associé à
une hyperestrogénie et contient des récepteurs aux estrogènes
et à la progestérone. Ces récepteurs sont répartis
de manière hétérogène dans la composante néoplasique
et sont présents également dans le stroma sous jacent. Le rôle
des strogènes semble être celui d'un facteur de croissance
qui favorise la multiplication d'une population de cellules néoplasiques
préexistantes. Le deuxième type de cancer beaucoup plus rare est
dit le cancer de la femme "âgée". Il survient chez des
femmes de plus de 70 ans qui n'ont le plus souvent jamais pris d'strogènes.
Il est de mauvais pronostic car il est peu différencié de type
séreux ou à cellules claires et envahit le myomètre profondément.
C'est un cancer le plus souvent non hormonodépendant.
IV.
Action des antiestrogènes sur l'endomètre
Le
tamoxifène est un antiestrogène largement utilisé comme
traitement adjuvant dans le cancer du sein chez les femmes ménopausées.
Mais de nombreuses inconnues persistent dans le mécanisme d'action du
tamoxifène au niveau de l'endomètre. Cette molécule a dans
la plupart des cas un effet anti-estrogénique au niveau de l'endomètre,
mais elle peut avoir un faible effet estrogénique. Cet effet estrogènique
s'exerce par l'intermédiaire des ERalpha et ERbêta que l'on détecte au
niveau de l'endomètre de patientes traitées par tamoxifène.
L'histologie la plus fréquente qui sera mis en évidence sous tamoxifène
est une atrophie glandulo-kystique qui correspond à une dilatation des
glandes qui sont bordées par un épithélium cubique aplati.
Cette modification est fréquente chez les femmes ménopausées
sans traitement et ne nécessite pas de prise en charge particulière.
L'ERalpha mais aussi l'ERbêta sont mis en évidence dans l'endomètre atrophique
des patientes traitées par tamoxifène à des quantités
similaires que chez des patientes non traitées. Il a été
suggéré que l'ERbêta disparaît plus rapidement que l'ERalpha dans
des tissus en prolifération et que l'ERbêta aurait une action anti-proliférative.
Ceci pourrait permettre de comprendre l'action estrogénique ou antiestrogénique
de molécules comme le tamoxifène, selon le niveau de chacun des
récepteurs.
Le polype est la lésion endométriale la plus fréquente
sous tamoxifène. L'aspect histologique de ces polypes sous tamoxifène
est particulier. Il est constitué le plus souvent de glandes kystiques
bordées par un épithélium atrophique comparables de manière
caricaturale à un endomètre atrophique et kystique de la ménopause.
Le stroma est oedémateux et bien vascularisé. Ces polypes, souvent
de grande taille, peuvent saigner ou donner des images échographiques
inquiétantes. Les polypes hyperplasiques existent sous tamoxifène
mais sont beaucoup moins nombreux que les polypes glandulokystiques. Les ERalpha
et surtout les ERbêta dans le stroma des polypes de patientes traitées sont
présents à des taux plus faibles que dans les polypes des patientes
sans traitement. Cette différence du rapport ERalpha/ERbêta dans le stroma des
polypes pourrait avoir une signification pronostique dans la progression de
ces lésions, qui reste à démontrer. Les hyperplasies sans
atypie cytologique diffuses dans toute la cavité endométriale
sont rares et beaucoup moins fréquentes que chez les femmes sous estrogènes
isolés. On ne sait pas clairement si les hyperplasies sans atypie cytologique
sont plus fréquentes chez les patientes traitées par tamoxifène
que chez les femmes du même groupe d'âge sans traitement. Elles
sont l'indication d'un traitement médical par des progestatifs. Le cancer
endométrial est diagnostiqué plus souvent chez les femmes sous
tamoxifène que chez les femmes ayant eu un cancer du sein sans traitement
antiestrogénique. L'augmentation du risque de développer un cancer
de l'endomètre est évaluée à 2 pour 1000 et est
associée à la dose et à la durée du traitement.
Les ERalpha et les ERbêta sont présents dans les cancers associés au
tamoxifène au même taux que dans les cancers détectés
chez des patientes ménopausées sans traitement. Ce cancer est
le plus souvent bien différencié et de type endométrioide.
Il reste de bon pronostic et ne modifie pas la survie. Quelques formes histologiques
plus rares ont été décrites sous tamoxifène, comme
des carcinosarcomes ou des cancers séreux qui ont un pronostic plus sévère
comme chez les patientes du même âge non traitées.
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