La prévention de l'asthme et
des maladies allergiques
Fabienne RANCé, Jacques de BLIC, Pierre
SCHEINMANN
Les maladies allergiques sont un problème
majeur de santé publique dans les pays industrialisées. La prévalence
de l'asthme, de la dermatite atopique et de la rhino-conjonctivite allergique chez
l'enfant a considérablement augmenté au cours des trente dernières
années. La prévalence cumulée est estimée à 7-10 %
pour l'asthme, 15-20 % pour la dermatite atopique et la rhino-conjonctivite allergique
(1). Les maladies allergiques sont source de morbidité. L'asthme, la maladie
chronique la plus fréquente de l'enfant, est responsable d'un absentéisme
scolaire non négligeable. Le développement de programme de prévention
est donc largement justifié.
À la lumière des données
récentes de la littérature, que peut-on raisonnablement recommander aux
familles d'allergiques en terme de prévention du développement des maladies
allergiques ? La prévention est abordée après une mise au point sur
les points suivants : allergènes et manifestations atopiques, âge des
premières sensibilisations et autres facteurs favorisant le développement
des maladies allergiques.
Allergènes et manifestations atopiques
Il est primordial de déterminer s'il existe
un lien direct (ou indirect) entre les allergènes de l'environnement (D.
pteronyssinus, epithelias de chat...) et le déclenchement de l'asthme.
L'équipe berlinoise (2) a suivi prospectivement pendant 7 années une cohorte
de 1 314 nouveau-nés dont la moitié était issu de familles atopiques
(définie par deux membres de la famille au premier degré souffrant d'atopie
et/ou des IgE cordales supérieures à 0,9 kU/L). Un dosage de la charge
allergénique par analyse de la poussière puis méthode ELISA pour
les allergènes majeurs des acariens LA
PRéVENTION DE L'ASTHME ET DES MALADIES ALLERGIQUES 641
(Der p 1, Der f 1) et du chat (Fel d 1) fut
réalisé à l'âge de 3 ans et le matelas prélevé uniquement
à l'âge de 5 ans. La concentration la plus forte ne dépassait pas
quelques centaines de nanogrammes d'allergènes majeurs par gramme de poussière.
Les auteurs ont montré une association forte entre la sensibilisation établie
par le dosage des IgE spécifiques pour les acariens ou le chat et le wheezing.
L'association est statistiquement significative dès l'âge de 3 ans.
A l'âge de 7 ans, les enfants sensibilisés aux allergènes domestiques
présentaient une réactivité bronchique supérieure à celle
des enfants non sensibilisés. Une relation forte entre l'exposition allergénique
et la sensibilisation était objectivée aux âges de 3 et 7 ans. La
relation était plus forte pour les acariens que le chat. Les particularités
entre les allergènes seront discutées ultérieurement. En revanche,
l'analyse n'a pas observée de relation dose/réponse entre l'exposition
allergique et l'asthme maladie clinique et le wheezing. De même, aucune
relation n'a pu être démontrée entre l'exposition allergénique
à l'âge de 6 mois et la réactivité bronchique à l'âge
de 7 ans ou avec le VEMS. On peut donc énoncer que les facteurs déclenchant
de l'atopie sont partiellement différents de ceux qui conduisent à l'asthme
et aux sifflements.
La relation sensibilisation aux acariens et asthme
pourrait refléter la susceptibilité d'un individu asthmatique à développer
une sensibilisation à des allergènes perannuels sans pour autant refléter
un risque accru d'asthme par exposition aux mêmes allergènes. Il existe
donc des facteurs indépendants de l'exposition allergénique tel que la
génétique, ainsi que d'autres facteurs de l'environnement qui interviennent
dans le développement des différents phénotypes de l'asthme et qui
influencent des anomalies de structure des voies aériennes et du parenchyme
pulmonaire (3-6). En revanche, il est clairement défini que l'exposition aux
allergènes majore les symptômes et la consommation médicamenteuse
quand la sensibilisation est établie et l'asthme exprimé.
En conséquence, l'éviction
des allergènes ne peut être retenue en prévention primaire ; elle
est indispensable dans la prévention secondaire et tertiaire.
Âge d'apparition des premières sensibilisations
L'âge d'apparition des premières sensibilisations
est importante dans l'histoire naturelle des allergies chez l'enfant. Les sensibilisations
dès les premières années de vie sont observées chez les
642 F.
RANCé, J. de BLIC, P. SCHEINMANN enfants
qui développeront ultérieurement un syndrome asthme (7, 8). Illi et
al. (2) ont observé que l'asthme à l'âge de 7 ans était
significativement plus fréquent chez les enfants sensibilisés précocement
et durablement en comparaison avec les enfants non sensibilisés (15 % versus
4 %, p < 0,0001). Les sensibilisations précoces sont généralement
dirigées contre les allergènes alimentaires (œuf de poule, lait de vache).
Les sensibilisations aux allergènes respiratoires sont plus tardives et exceptionnellement
observées avant l'âge de deux ans (9). L'allergie alimentaire chez le
jeune enfant, de même que la simple sensibilisation alimentaire, constituent
un facteur de risque majeur pour le développement ultérieur de la rhinite
et ou de l'asthme (7, 8). Le travail incontournable de Burr et al. a été
réalisé chez 497 nouveau-nés suivis jusqu'à l'âge de 7
ans (8). Les auteurs ont montré que la simple positivité des prick-tests
à l'œuf au cours de la première année de vie était fortement
associée au développement d'un asthme (2,25 fois plus fréquent),
d'une rhinite et d'une sensibilisation aux acariens à l'âge de 7 ans (51
% versus 16,6 %) (8). Ainsi, la simple sensibilisation à l'œuf relevée
avant l'âge de un an constitue le marqueur le plus précoce d'un terrain
atopique prédisposant ultérieurement aux symptômes respiratoires.
En revanche, les sensibilisations aux aéro-allergènes
précoces (avant l'âge de deux ans), transitoires (non relevées à
l'âge de 6 ans) et sans association avec des sensibilisations alimentaires
ne constituent pas d'arguments pronostics spécifiques (2, 4). A l'âge
de 7 ans, le risque de développer un syndrome asthme est majoré chez les
enfants sensibilisés dès le plus le jeune âge et dont la sensibilisation
persiste jusqu'à l'âge de 7 ans (2, 4). Les sensibilisations précoces
et transitoires n'ont pas de répercussions sur le risque d'asthme. D'autres
facteurs doivent être pris en considération comme le terrain atopique
familial, la notion d'asthme familial et notamment maternel (10). A l'âge de
7 ans, une sensibilisation alimentaire isolée, sans association à une
sensibilisation aux pneumallergènes ne confère pas non plus de risque
accru d'asthme à l'âge scolaire. De plus, les allergènes perannuels
sont associés à l'asthme bien plus que les allergènes saisonniers.
Les résultats observés chez
les enfants souffrant de dermatite atopique sont démonstratifs (11). A l'âge
de 11 ans, 58 % des enfants sensibilisés dès l'âge de 2 ans sont
asthmatiques versus 22 % dans le groupe des enfants sensibilisés après
cet âge. De plus, l'asthme n'a jamais été enregistré chez les
enfants « non sensibilisés ». LA
PRéVENTION DE L'ASTHME ET DES MALADIES ALLERGIQUES 643
Il semble donc que la sensibilisation soit
une étape intermédiaire dans le développement de l'asthme et des
allergies. Les facteurs génétiques apparaissent essentiels avec en particulier
le rôle de l'asthme parental principalement lié à l'héritage
maternel. En conséquence, la période intra-utérine pourrait influencer
l'apparition des signes d'atopie. L'hypothèse soulevée est un développement
de l'asthme et de l'atopie chez l'enfant en parallèle, ce d'autant qu'il existe
des influences périnatales ou génétiques déterminantes. Il ne
s'agit pas d'étapes successives dans l'évolution de l'atopie. A l'inverse,
l'asthme pourrait déterminer le type et l'intensité de la sensibilisation
allergénique.
Influence de l'allergène sur le déclenchement des
manifestations atopiques
La sensibilisation est étroitement corrélée
au type d'allergène. Ainsi, la sensibilisation aux acariens de la poussière
de maison est dépendante de la charge allergénique. Une augmentation de
la concentration en acariens est associée à des sensibilisations aux acariens
plus fréquentes (12). En revanche, les études sont différentes pour
l'allergène du chat (13-15). Platts-Mills et al. ont évalué
chez 227 enfants âgés de 12 à 14 ans les IgE spécifiques, les
IgG et les IgG4 dirigés contre les épithélias de chat, les acariens
ainsi que les symptômes d'asthme et l'hyper-réactivité bronchique
(15). La fréquence des sensibilisations aux acariens est dépendante de
la concentration en allergènes ; elle s'accompagne d'une élévation
des IgG anti Der f 1. Les faibles expositions aux allergènes du chat s'accompagnent
d'une production faible d'IgE et d'IgG et également de sensibilisation rare
pour cet allergène. A des taux d'expositions modérées, il existe
une réponse immunitaire de type allergique. Aux fortes charges allergéniques
pour le chat, les sensibilisations sont rares mais le taux d'IgG4 pour Fel d 1 est
très élevé. En résumé, chez les enfants exposés à
de fortes concentrations d'allergènes, le risque de développer une sensibilisation
est 4 fois plus important lorsque qu'il s'agit des allergènes acariens en comparaison
avec les épithelias de chat (OR 4.0, IC 99 % 1.49-10.00). L'exposition aux
allergènes du chat produirait une réponse immunitaire de type IgG et IgG4
qui n'induit pas un risque de sensibilisation et d'asthme. Il n'est donc pas évident
que la meilleure prévention anti-chat soit de ne pas avoir de chat. Néanmoins,
nous ne disposons pas de données rationnelles pour expliquer le fait que certains
enfants soient plus 644 F.
RANCé, J. de BLIC, P. SCHEINMANN sensibles
que d'autres. On a pu impliquer la petite taille des allergènes du chat ainsi
que leur caractère volatil dans l'atmosphère qui favoriseraient une pénétration
facile dans l'appareil respiratoire à l'opposé des allergènes des
acariens plus lourds, plus volumineux, restant au ras du sol et de la literie en
dehors des périodes de grands ménages. La réponse immunitaire de
type IgG4 correspondrait, non pas à une réponse immunitaire Th1 qui favorise
l'immunité cellulaire retardée et les pneumopathies d'hypersensibilités,
mais à une réponse Th2 de type modifiée qui facilite la tolérance
immunitaire comme cela est observée dans l'immunothérapie spécifique.
La réponse Th2 modifiée pourrait être favorisée par un déficit
en cytokines IL12 et une production accrue d'IL10 (16, 17). La théorie «
hygiéniste » pourrait correspondre à ce profil Th2 modifié.
La présence de chats et de chiens au domicile très tôt dans la vie
de l'enfant aurait ainsi un effet protecteur pour le développement des allergies
en évitant le développement de sensibilisation ou de pathologies respiratoires.
L'hypothèse retenue pour les allergènes inhalés et aussi ingérés
est un effet dose-dépendant. Les évictions drastiques, impossible à
conduire en pratique, mettront l'enfant en contact avec des concentrations faibles
à modérées d'allergènes facilitant la réponse IgE. A l'inverse,
l'exposition à de fortes concentrations d'allergènes favorise la tolérance,
avant l'installation de la maladie asthmatique et des allergies. Le constat est
similaire avec les allergènes alimentaires comme le montrent les travaux conduits
chez le fœtus et en période néonatale (18, 19).
Influence de l'âge sur les mesures d'éviction des
allergènes
L'éviction des allergènes est-elle possible
pendant la grossesse et dans la période néonatale précoce ? Un environnement
appauvri en allergène acariens est réalisable sous couvert de mesures
associant housses spécifiques pour le matelas, utilisation d'aspirateurs munis
de filtres spéciaux, modification des sols pour du linoléum, application
de benzyl benzoate sur tapis et meubles capitonnés, lavage une fois par semaine
des éléments de la literie et des jouets d'enfants. Pourtant, l'efficacité
de ces mesures permettant d'obtenir des concentrations d'allergènes de l'ordre
du nanogramme par gramme de poussière conduites pendant par la période
prénatale (débutées dès la 16e semaine de gestation)
et post-natale semblent peu significatives. (20). Les résultats obtenus
LA
PRéVENTION DE L'ASTHME ET DES MALADIES ALLERGIQUES 645
chez des bébés nés de deux parents
atopiques montrent que les enfants qui ont bénéficié d'une prévention
ont moins de problèmes respiratoires durant la première année de
vie, en particulier moins de d'épisodes sévères. Néanmoins,
il n'existe pas de différence significative entre les groupes en ce qui concerne
les sensibilisations aux allergènes inhalés ou ingérés (20).
En définitive, la prévention la plus efficace serait de ne pas avoir de
parents atopiques. Cette mesure apparaît plus efficace que de limiter la charge
allergénique au domicile. De plus, les mesures environnementales limitant les
repaires aux acariens ne protège pas du développement de l'eczéma
ou des allergies alimentaires (21).
Autres facteurs favorisant le développement de l'asthme
et des maladies allergiques
Les allergènes ne représentent pas les
seuls facteurs favorisant l'asthme et les maladies allergiques. Selon les études,
parfois contradictoires, l'atopie représente un élément peu important
dans le déclenchement de l'asthme et des maladies allergiques. Ces données
suggèrent que l'inflammation liée à l'exposition allergénique
n'est pas à l'origine des altérations sévères et définitives
observées au niveau du tractus des voies aériennes. Les infections virales
respiratoires basses, répétées et surtout sévères, vont
entraîner des réponses inflammatoires infiniment plus intenses que celles
déclenchées par les allergènes. Les viroses survenant en période
de croissance de l'arbre aérien pourraient induire une hyper-réactivité
bronchique dirigée contre les irritants inhalés. Ces irritants inhalés
en permanence (allergènes perannuels comme les acariens) ajoutent alors de
manière permanente leurs effets inflammatoires à ceux provoqués par
les viroses. La multiplication d'interactions accroît considérablement
le risque de développement de sifflements permanents. Les effets à long
terme seraient facilités par le déficit en début de vie de production
d'interféron gamma (Th1) qui a un rôle de défense anti-virale capitale,
en particulier contre le VRS.
La nécessité de plusieurs
agents déclenchant du syndrome asthme est soulignée par une étude
récente étudiant les effets de l'ozone chez des enfants vivant en Californie
du Sud et pratiquant du sport à des degrés divers (22). Le risque d'asthme
ne varie pas en fonction du niveau d'ozone dans ces régions très ensoleillées.
En revanche, l'enfant grand sportif qui habite une zone très polluée
646 F.
RANCé, J. de BLIC, P. SCHEINMANN en
ozone a un risque accru de développer un asthme. L'exercice physique intense
entraîne une hyper-ventilation accompagnée d'une respiration buccale qui,
ajoutée à l'ozone, va concourir à majorer l'hyper-réactivité
bronchique. D'après les auteurs, l'intensité de l'exercice physique est
bien à l'origine du développement de la maladie asthmatique et non l'asthme
induit par l'exercice.
Récemment, d'autres facteurs environnementaux
ont été impliqués dans le développement de l'asthme chez l'enfant
d'âge scolaire. L'exposition microbienne favorisée par un mode vie rural
et à la ferme, objectivée par la mesure du taux d'endotoxines dans la
poussière des matelas où dorment les enfants, favorise le développement
d'une tolérance aux allergènes de l'environnement (23). Elle diminue donc
le risque allergique. Les nourrissons qui bénéficient au cour de leur
première année de vie d'un apport en lait de vache de ferme et qui vivent
à la ferme jusqu'à l'âge de 5 ans ont significativement moins d'asthme,
de rhino-conjonctivite pollinique et de sensibilisations à l'âge de 13
ans en comparaison avec les enfants « des villes » (24). Il semblerait
que vivre dans des conditions de propreté favorise les manifestations allergiques.
La prévention de l'asthme et des maladies allergiques
Il faut différencier la prévention primaire
qui vise à diminuer l'incidence des nouveaux cas d'allergie, la prévention
secondaire qui essaie de réduire l'évolution et la durée de l'allergie
quand elle est installée, et la prévention tertiaire dont l'objectif est
de limiter les invalidités fonctionnelles liées à la maladie.
Les facteurs déclenchant des crises
d'asthme quand la maladie est installée sont en définitive différents
de ceux qui initient la maladie asthmatique. Il est donc difficile de recommander
des mesures de prévention primaire efficace et unanimement reconnue.
Nous devons attendre les résultats d'études méthodologiquement irréprochables
qui évaluent les effets des mesures d'éviction précoce des allergènes
respiratoires. L'étude d'Arshad et al. (25) menée dans l'île
de Wight mesure les effets des mesures d'éviction des allergènes respiratoires
et alimentaires dans l'apparition des manifestations atopiques. Les premiers résultats
sont encourageants mais la cohorte est restreinte à un petit nombre d'enfants
suivis. D'autre part, les résultats encourageants des premières et
LA
PRéVENTION DE L'ASTHME ET DES MALADIES ALLERGIQUES 647
deuxièmes années de vie sont moins
probants les années suivantes.
Un fait établi était que l'allaitement
maternel diminuait l'incidence de l'eczéma, des allergies alimentaires et de
l'asthme s'il était poursuivi au moins 4 à 6 mois et s'associait à
une diversification retardée après l'âge de 4 mois (26-28). L'étude
récente de Sears et al. sur la base d'une cohorte de 1 037 nouveau-nés
suivis jusqu'à l'âge de 26 ans comportant 49 % de nouveau-nés allaités
au moins 4 semaines apparaît conflictuelle (29). Dans cette étude, les
enfants allaités sont plus souvent sensibilisés au chat, aux acariens
et aux pollens de graminées (tests cutanés Ž 2 mm). En cas d'allaitement
maternel, le risque de développer une sensibilisation est multiplié par
1,94 à l'âge de 13 ans et le risque d'être asthmatique multiplié
par 2,40 à l'âge de 9 ans. Aucun mécanisme plausible peut expliquer
un risque accru d'asthme en cas d'allaitement. Cette étude argumente plutôt
les difficultés de reconnaissance des différents phénotypes de l'asthme
chez l'enfant et aussi de l'interprétation des études épidémiologiques.
Nous disposons, par contre, de bien d'autres facteurs clairement établis pour
promouvoir l'allaitement maternel (infectieux, psychologiques...). Enfin, les régimes
d'éviction conduits chez la mère pendant la grossesse ou l'allaitement
n'apportent pas d'effet protecteur sur le développement des allergies (30).
Les probiotiques pourraient représenter une voie intéressante pour la
prévention primaire des maladies allergiques. Néanmoins, à l'heure
actuelle, s'ils diminuent la fréquence des manifestations atopiques, ils sont
incapables de réduire l'incidence des sensibilisations (31). D'autres études
sont nécessaires avant une large utilisation des probiotiques.
La prévention secondaire
est bien évidement indispensable chez tous les nourrissons quand l'allergie
est installée. L'éviction des allergènes est efficace pour le traitement
de l'allergie alimentaire, de l'asthme allergique et de la rhino-conjonctivite quand
l'allergène a été identifié et l'éviction réalisable.
Nous pouvons également retenir l'efficacité de la cétirizine (32).
Les enfants souffrants de dermatite atopique, âgés entre 12 à 24
mois, sensibilisés aux acariens et/ou aux pollens de graminées, traités
pendant 18 mois par la cétirizine et suivis pendant 36 mois, ont significativement
moins d'asthme que les enfants sous placebo (p = 0,005 et 0,002) (32). L'immunothérapie
spécifique représente une autre voie de prévention de l'asthme particulièrement
intéressante. L'immunothérapie précoce, par voie sous cutanée,
réduit le risque d'asthme chez les enfants qui présentent uniquement une
rhinite (33). Elle protégerait de la survenue d'autres sensibilisations chez
648 F.
RANCé, J. de BLIC, P. SCHEINMANN les
enfants mono-sensibilisés aux acariens ou aux pollens (33). L'immunothérapie
spécifique pourrait donc être proposée précocement pour modifier
l'histoire naturelle de la maladie allergique inflammatoire.
La prophylaxie tertiaire est évidemment
utile et s'adresse aux enfants qui ont une maladie bien établie. Pour un clinicien,
cependant, il est plus facile de démontrer la culpabilité d'un allergène
occasionnel que d'un allergène perannuel. C'est le cas pour les acariens, c'est
également le cas pour le chat (quand on enlève le chat d'une maison, il
faut au moins six mois pour réduire significativement le taux d'allergène
chat dans cette maison). Cela est plus évident pour des contacts occasionnels
avec un cheval, un rongeur, les pollens, quand l'enfant déclenche des crises
seulement quand il va dans un lieu précis (maison de campagne peu occupée
par exemple).
Pour terminer, l'implication des allergies
croisées entre les allergènes alimentaires et les allergènes inhalés
dans l'explosion de la fréquence de l'asthme et des maladies allergiques pourrait
constituer une nouvelle voie de recherche (34).
Conclusions pratiques
Les allergènes ont un rôle essentiel
chez l'enfant atopique. Une fois que l'asthme et la maladie allergique sont installés
(une fois seulement), les allergènes sont capables d'induire des symptômes
au niveau de toutes les voies aériennes supérieures et inférieures.
L'unicité de l'appareil respiratoire mérite ici d'être soulignée
(35).
Les allergènes ne sont pas égaux
: certains sont saisonniers et leur taille varie également. Cependant, il ne
faut pas se fier aux apparences. Ainsi, pour les pollens, on sait qu'ils sont contenus
dans l'anthère, c'est-à-dire le renflement de l'étamine (organe mâle
des plantes à fleurs). Les pollens peuvent avoir un diamètre de plusieurs
dizaines de microns. Ils ne peuvent donc se déposer que dans le nez. Cependant,
les cycles d'humidité et de sécheresse ainsi que les vents vont fragmenter
les pollens jusqu'à la libération de particules d'une taille inférieure
à 5 microns qui pourront parfaitement gagner les voies aériennes inférieures.
La susceptibilité génétique
a certainement une place capitale dans l'apparition de l'asthme et des maladies
allergiques (36). Les facteurs environnementaux sont tout aussi essentiels et ils
interagissent avec la susceptibilité génétique. Néanmoins, l'asthme
et les maladies allergiques sont des maladies complexes. D'après les
LA
PRéVENTION DE L'ASTHME ET DES MALADIES ALLERGIQUES 649
données physiopathologiques et immunologiques
actuelles, la persistance de l'asthme et des maladies allergiques à l'âge
adulte pourrait être déterminée par des évènements d'apparition
très précoce dans la vie de l'enfant. L'augmentation observée en
parallèle des affections auto-immunes et allergiques est bien liée à
un déficit des mécanismes régulateurs et non à la théorie
d'une voie prédominante Th1 ou Th2 anciennement retenue (37).
La prévention primaire de l'asthme et des
maladies allergiques est actuellement utopique (38). Les difficultés de la
prévention primaire sont certainement associées aux données récentes
concernant l'environnement avec un risque d'accru d'allergie dans notre mode de
vie « propre » (23, 24). La prévention secondaire est probablement
nécessaire. Peut-être l'immunothérapie spécifique trouve-t-elle
ici une place de choix. La prévention tertiaire est devenue indiscutable. Un
seul élément réunit les différents aspects de la prévention
: le tabac qui altère le développement des voies aériennes et favorise
certainement la sensibilisation aux allergènes (39). Il reste également
à déterminer les effets de la pollution de l'air, non seulement à
l'extérieur mais à l'intérieur des bâtiments. La réduction
de la charge allergénique ne devrait-elle pas s'accompagner d'une révision
des concepts architecturaux des lieux d'habitations ?
Il est donc indispensable de conduire
des études randomisées, contrôlées et prospectives sur la prévention
de l'asthme et des allergies afin de connaître les effets des mesures de prévention.
Il faut également préciser le rôle d'autres facteurs récemment
mis en avant comme l'obésité, la diététique (sel, anti-oxydants,
oméga-3 et oméga-6...), la flore intestinale et les probiotiques, les
infections virales ou bactériennes ainsi que les vaccinations.
Bibliographie
[1] ASHER MI, WEILAND
SK on behalf of the ISAAC steering committee. The International Study of Asthma
and Allergies in Childhood (ISAAC). Clin Exp Allergy 1998 ; 28 : suppl. 5:
52-66.
[2] ILLI S, VON
MUTIUS E, LUA S, NICKEL R, NIGGEMANN B, SOMMERFELD
C, WAHN U, and the Multicenter Allergy Study Group. The pattern of atopic sensitization
is associated with the development of asthma in childhood. J Allergy Clin Immunol
2001; 108 : 709-14.
[3] LEMANSKE,
RF. Issues in understanding pediatric asthma : epidemiology and genetics. J Allergy
Clin Immunol 2002; 109 : S 521-4.
[4] VON MUTIUS
E. Environmental factors influencing the development and progression of pediatric
asthma. J Allergy Clin Immunol 2002; 109 : S 525-32
650 F.
RANCé, J. de BLIC, P. SCHEINMANN [5] DJUKANOVIC
R. Airway inflammation in asthma and its consequences: implication for treatment
in children and adults. J Allergy Clin Immunol 2002; 109 : S 539-48.
[6] RENZ H, VON MUTIUS
E, ILLI S, WOLKERS F, HIRSCH T, WEILAND SK. Th1/Th2 immune response
profiles differ beetween atopic children in eastern and western germany. J Allergy
Clin Immunol 2002; 109 : 338-42.
[7] ZEIGER RS,
HELLER S. The development and prediction of atopy in high-risk children : follow-up
at seven years in a prospective rabdomized study of combined maternal and infant
food allergen avoidance. J Allergy Clin Immunol 1995; 95 : 1179-90.
[8] BURR ML, MERRETT
TG, DUNSTAN FDLJ, MAGUIRE MJ. The development of allergy in high-risk
children. Clin. Exp. Allergy 1997; 27 : 1247-53.
[9] RANCé
F, JUCHET A, BRéMONT F, DUTAU G. Incidence of sensitizations
during childhood asthma. Pediatry Pulmonology 1997; Suppl. 16 : 308-9.
[10] CELEDON
JC, LITONJUA AA, RYAN L, PLATTS-MILLS T, WEISS ST, GOLD
DR. Exposure to cat allergen, maternal history of asthma, and wheezing in first
5 years of life. Lancet 2002; 360 : 781-2.
[11] NOVEMBRE
E, CIANFERONI A, LOMBARDI E, BERNARDINI R, PUCCI N,
VIERUCCI A. Natural history of « intrinsic » atopic dermatitis.
Allergy 2001 ; 56 : 452-3.
[12] WAHN U, LAU
S, BERGMAN R, KULIG M, FORSLER J, BERGMAN K, BAUER CP,
Guggenmoos-Holzmann I. Indoor allergen exposure is a risk factor for sensitization
during the first three years of life. J Allergy Clin Immunol 1997; 99: 763-769.
[13] PLATTS-MILLS
TAE. Paradoxal effect of domestic animals on asthma and allergic sensitization.
JAMA 2002; 288 : 1012-4.
[14] OWNBY DE,
JOHNSON CC, PETERSON EL. Exposure to dogs and cats in the first year
of life and risk of allergic sensitization at 6 to 7 years of age. JAMA 2002;
288 : 963-72.
[15] PLATTS-MILLS
T, VAUGHAN J, SQUILLACE S, WOODFOLK J, SPORIK R. Sensitisation,
asthma, and a modified Th2 response in children exposed to cat allergen: a population-based
cross-sectional study. Lancet 2001; 357 : 752-6.
[16] SALVI SS,
BABU KS, HOLGATE ST. Is asthma really due to a polarized T cell response
toward a helper T cell type 2 phenotype? Am J Respir Crit Care Med 2001;
164 : 1343-6.
[17] SZEFLER
SJ. The natural history of asthma and early intervention. J Allergy Clin Immunol
2002; 109 : S549-53.
[18] WARNER JA,
WARNER JO. Early life events in allergic sensitisation. Br Med Bull 2000;
56: 883-93.
[19] JONES CA,
HOLLOWAY JA, WARNER JO. Does atopic disease start in fœtal life? Allergy
2000; 55:2-10.
[20] CUSTOVIC
A, SIMPSON BM, SIMPSON A, KISSEN P, WOODCOCK A, for the
NAC Manchester Asthma and Allergy Study group. Effect of environmental manipulation
in pregnancy and early life on respiratory symptoms and atopy during first year
of life: a randomised trial. Lancet 2001; 358 : 188-93.
[21] RIEDLER
J, BRAUN-FAHRLANDER C, EDER W, SCHREUR M, WASER M, MAISH
S, CARR D, SCHIERL R, NOWAK D, VON MUTIUS E, and the ALEX Study
Team. Exposure to farming in early life and development of asthma and allergy: a
cross-sectional survey. Lancet 2001; 358 : 1129-33.
[22] GAUDERMAN
WJ, GILLILAND GF, VORA H, AVOL E, STRAM D, MCCONNELL R,
THOMAS D, LURMANN F, MARGOLIS HG, RAPPAPORT EB, BERHANE
K, LA
PRéVENTION DE L'ASTHME ET DES MALADIES ALLERGIQUES 651
PETERS JM. Association between air pollution
and lung function growth in southern California children: results from a second
cohort. Am J Respir Crit Care Med 2002; 166 : 76-84.
[23] BRAUN-FAHRLANDER
C, RIEDLER J, HERZ U, EDER W, WASER M, GRIZE L, MAISH S,
CARR D, GERLACH F, BUFE A, LAUENER RP, SCHIERL R, RENZ
H, NOWAK D, VON MUTIUS E. Allergy and Endotoxin Study Team. H. N
Engl Jmed 2002; 347 :869-77.
[24] RIEDLER
J, BRAUN-FAHRLANDER C, EDER W, SCHREUER M, WASER M, MAISCH
S, CARR D, SCHIERL R, NOWAK D, VON MUTIUS E and Alex Study
Team. Lancet 2001; 358 : 1129-33.
[25] ARSHAD SH,
MATTHEWS S, GANT C, HIDE DW. Efect of allergen avoidance on development
of allergic disorders in infancy. Lancet 1992; 339 : 1493-7.
[26] FERGUSSON
DM, HORWOOD J, SHANNON FT. Early solid feeding and recurrent childhood
excema: a 19-year longitudinal study. Pediatrics 1990; 86 : 541-6.
[27] KAJOSAARI
M, SAARINEN UM. Prophylaxis of atopic disease by six months' total solid
food elimination. Acta Paediatr Scand 1983; 72 : 411-4.
[28] ODDY WH, HOLT
PG, SLY PD, READ AW, LANDAU LI, STANLEY FJ, KENDALL GE, BURTON
PR. Association between breastfeeding and asthma in 6 year old children: findings
of a prospective birth cohort study. BMJ 1999; 319 : 815-19.
[29] SEARS MR,
GREENE JM, WILLANAR, TAYLOR DR, FLANNERY EM, COWANJO,
HERBISON P, POULTON R. Long-term relation between breastfeeding and
development of atopy and asthma in children and young adults: a longitudinal study.
Lancet 2002; 360 : 901-7.
[30] SIGURS N,
HATTEVIG G, KJELLMAN B. Maternal avoidance of eggs, cow's milk, and
fish during lactation: effect on allergic manifestations, skin prick tests, and
specific IgE antibodies in children at age 4 years. Pediatrics 1992; 89 :
735-9.
[31] KALLIOMAKI
M, SALMINEN S, ARVILOMMI H, KERO P, KOSKINEN P, ISOLAURI
E. Probiotics in primary prevention of atopic disease: a randomised placebo-controlled
trial. Lancet 2001; 357 : 1076-9.
[32] WARNER JO,
for the ETAC Study Group. A double-blinded, randomized, placebo-controlled trial
of cetirizine in preventing the onset of asthma in children with atopic dermatitis:
18 months' tratment and 18 months' posttreatment follow-up. J Allergy Clin Immunol
2001; 108: 929-37.
[33] BOUSQUET
J, DEMOLY P. L'immunothérapie modifie l'histoire naturelle des maladies
allergiques et prévient l'apparition de nouvelles sensibilisations. Rev
fr Allergol Immunol Clin 2002 (sous presse).
[34] SICHERER
SH. Clinical implications of cross-reactive food allergens. J Allergy Clin Immunol
2001; 108 : 881-90.
[35] BOUSQUET
J, VAN CAUWENBERGE P, KHALTAEV N. Allergic rhinitis and its
impact on asthma. J Allergy Clin Immunol 2001; S 198-201.
[36] CLAYTON
D, MCKEIGUE PM. Epidemiological methods for studying genes and environmental
factors in complex diseases; Lancet 2001; 358 : 1356-60.
[37] BACH JF. Mechanisms
of disease: the effect of infections on susceptibility to autoimmune and allergic
diseases. N Engl J Med 2002; 347 : 911-20.
[38] Global Strategy
for Asthma Management and Prevention. National institutes of Health. Revised
2002.
[39] KULIG M,
LUCK W, LAU S, NIGGEMANN B, BERGMANN R, KLETTKE U, GUGGENMOOS-HOLZMANN
I, WAHN U. Effect of pre- and postnatal tobacco smoke exposure on specific sensitization
to food and inhalant allergens during the first 3 years of life. Multicenter Allergy
Study Group, Germany. Allergy 1999 ; 54 : 220-8. |