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2003 > Obstétrique > Intoxication et grossesse  Telecharger le PDF

Grossesse, nouveau-né et addictions : drogues illicites et poly-intoxications

F. Gold

Au cours de la dernière décennie, le regard porté sur cette situation particulière du couple mère-enfant a radicalement changé, et ceci notamment sous l'action de Claude LEJEUNE, ce qui a amené une modification profonde des modalités de prise en charge des femmes toxicomanes et de leurs enfants.

Grossesse et toxicomanie

Le point de départ de la réflexion tient dans les résultats d'une enquête rétrospective menée dans le département des Hauts-de-Seine sur une population observée de 1988 à 1993, et publiée en 1997. Portant sur 59 cas, elle a mis en évidence les résultats médico-sociaux pour le moins médiocres de l'attitude alors adoptée : à distance de la naissance, la moitié des nouveau-nés seulement sont encore dans leur famille (1/3 seulement avec leur mère), et 20 % seulement des femmes ont vu leur état stabilisé ; l'attention est particulièrement attirée sur le fait que les troubles de l'attachement mère-enfant résultent, certes des complications médicales inhérentes à la situation pathologique, mais aussi et peut-être surtout aux modalités de la prise en charge alors proposée.

Par la suite, les nouvelles recommandations issues de l'analyse de ces résultats visent désormais au maintien a priori de l'enfant dans sa famille chaque fois que c'est raisonnablement possible. Elles comportent principalement les mesures suivantes :

• une prise en charge précoce et non culpabilisante, ne faisant pas référence au caractère illicite de la situation maternelle ;

• la mise en place d'une équipe pluridisciplinaire (obstétriciens et sages-femmes, pédiatres, anesthésistes, psychologues, assistantes sociales, spécialistes adultes de la toxicomanie) en maternité, et qui travaille en étroite relation avec un réseau ville-hôpital ayant assuré en amont et prenant en charge en aval de la grossesse la situation globale du couple mère-enfant ;

• la prise en compte de la dépendance maternelle et du risque fœtal majeur encouru en cas de sevrage maternel brutal, ce qui conduit en règle générale à la prescription d'un traitement de substitution, avec le soutien médico-psycho-social qui doit l'accompagner.

Les résultats d'une telle attitude nouvelle font actuellement l'objet d'une étude multicentrique menée au sein du Groupe d'Etudes Grossesse et Addiction (GEGA), portant sur environ 250 cas. Ils démontrent dès à présent la nette amélioration de la qualité relationnelle au sein du couple mère-enfant, gage d'un meilleur pronostic ultérieur tant pour l'enfant que pour la mère.

Nouveau-né de femme toxicomane

Les drogues illicites courantes

Trois principales catégories de drogues sont consommées au cours de la grossesse :

• les opiacés, soit naturels (morphine, codéine, opium), soit synthétiques (héroïne, fentanyl, méthadone). En France, ce sont les femmes enceintes héroïnomanes qui constituent le groupe de très loin le plus important ;

• les stimulants : cocaïne et crack, amphétamines ;

Tableau 1 : Retentissement fœtal/néonatal (B.J. Rosenstein, 1997).

ÿHéroïne / méthadone

ÿCocaïne

ÿMarijuana

ÿSevrage

ÿ++

ÿ±

ÿ–

ÿRCIU

ÿ+

ÿ+

ÿ±

ÿMalformations

ÿ–

ÿ+

ÿ±

ÿTroubles neuro-comportementaux

ÿ++

ÿ++

ÿ+

ÿMortalité périnatale

ÿÏ

ÿ–

ÿ–

ÿPrématurité

ÿÏ

ÿÏ

ÿ–

ÿScore d'Apgar

ÿÓ

ÿÓ

ÿ±

• les dérivés du cannabis, dont le produit actif est le tétrahydrocannabinol (THC) : marijuana (herbe), haschisch (chit), etc.

Les principaux éléments du retentissement fœtal et néonatal de la consommation itérative de ces produits pendant la grossesse sont indiqués sur le tableau 1 (B. J. Rosenstein, 1997).

La naissance

Les complications obstétricales sont surtout le fait des produits stimulants, cocaïne et amphétamines : décollement placentaire, travail prématuré, accouchement rapide.

Une dépression respiratoire néonatale peut être observée en cas de consommation récente d'un opiacé.

L'asphyxie périnatale est fréquente, se manifestant notamment par un liquide amniotique teinté et/ou un mauvais score d'Apgar initial.

Prématurité (20-30 %) et retard de croissance intra-utérin (30-40 %) sont d'observation fréquente. De façon récente, le recours au traitement desubstitution (méthadone ou buprénorphine) a notablement diminué le taux d'accouchement prématuré, mais n'a que peu influencé le taux de RCIU, probablement en raison de la forte consommation de tabac, quasi-constante chez ces femmes.

Tableau 2 : Score de LIPSITZ.

SIGNES SCORE

ÿ

ÿ0

ÿ1

ÿ2

ÿ3

ÿTrémulations :

ÿ

ÿLégèrement Ï

ÿÏ Modérée ou forte

ÿÏ Forte ou

ÿactivité musculaire

ÿNormale

ÿpar des

ÿau repos, calmée

ÿcontinue au repos

ÿdes membres

ÿ

ÿstimulations

ÿpar l'alimentation

ÿ± mouvements de

ÿ

ÿ

ÿ

ÿou par le jeûne

ÿou le berçage

ÿtype convulsif

ÿIrritabilité

ÿ

ÿ

ÿÏ Modérée ou forte

ÿÏForte

ÿCris

ÿ0

ÿÏ Légère

ÿpar des stimulations

ÿmême au

ÿexcessifs

ÿ

ÿ

ÿou par le jeûne

ÿrepos

ÿRéflexes

ÿNormaux

ÿÏ

ÿTrès Ï

ÿTonus musculaire

ÿNormal

ÿÏ

ÿRigidité

Selles Liquides, en jet, Liquides, en jet Normales mais de fréquence et > 8/j normale

Lésions cutanées 0 Rougeurs Erosions genoux, coudes

FR/mn < 55 55-75 > 75

Eternuements non ouirépétés

Bâillements non ouirépétés

Vomissements non oui

Fièvre non oui

Il ne semble pas y avoir une augmentation du taux d'incidence des malformations en cas d'héroïnomanie isolée. Des malformations congénitales sont toutefois possibles en cas de polyintoxication, et notamment d'association avec la consommation d'alcool éthylique (syndrome d'alcoolisation fœtale). L'utilisation régulière de cocaïne ne provoque pas de syndrome de cocaïnisation fœtale, mais ce produit a une action particulière vasoconstrictrice et hypertensive, qui peut être à l'origine de lésions vasculaires, cérébrales (hémorragies) et non cérébrales (touchant le cœur, l'intestin, les membres, les voies urinaires) : cet effet vasculaire des stimulants est toutefois remis en cause dans certaines études récentes.

Le syndrome de sevrage

Il est surtout observé après consommation itérative d'opiacés, avec une fréquence qui varie suivant les études de 40 à 90 % (valeur moyenne : 70 % ; chez les nouveau-nés de femmes substituées, ce taux est de 65 %, avec une fréquence voisine sous méthadone et buprénorphine).

Chronologiquement, le syndrome débute en règle dans les 3 premiers jours de vie, et se termine avant la fin de la troisième semaine. Il faut toutefois connaître la possibilité d'un début ultra-précoce, dès la salle de naissance (voire début intra-utérin), et celle d'une prolongation subaiguë du syndrome pouvant atteindre 6 à 9 mois (phase dite de post-sevrage). Chez les nouveau-nés de femmes substituées, le sevrage débute en moyenne à H40, un peu plus tardivement sous méthadone que sous buprénorphine, et le score maximal est observé vers H80, justifiant un traitement médicamenteux du sevrage chez la moitié des enfants. Dans les cas de sevrage précoce et sévère, on retrouve souvent la notion d'une polyintoxication médicamenteuse (Néocodion, Temgesic, benzodiazépines) associée à la toxicomanie.

En règle générale, les manifestations du syndrome de sevrage associent : des signes d'irritabilité, une réduction du temps de sommeil, des troubles gastro-intestinaux et nutritionnels, et divers troubles « sympathiques » (fièvre, tachypnée, tachycardie, sueurs, et éternuements fréquents particulièrement caractéristiques). Pour documenter et suivre l'évolution du syndrome de sevrage, il est utile de recourir à une échelle ou score de gravité tel que le score de Finnegan ou le score de Lipsitz (tableau 2).

Le traitement du syndrome de sevrage comporte deux ordres de mesures :

• les petits moyens : emmaillotement, bercement, portage, pénombre, diminution des bruits ;

• des médicaments : chaque équipe a ses habitudes particulières ; de nombreux produits sont conseillés dans la littérature : Elixir Parégorique, Chlorpromazine, Phénobarbital, Clonidine, Diazepam, etc. Le traitement actuellement recommandé par le GEGA est le chlorhydrate de morphine administré par voie orale (1 ml = 1 mg), à la dose initiale de 0,5 mg/kg/j en 4 prises, éventuellement augmentée à 0,75 voire 1 mg/kg/j, puis progressivement diminuée par paliers de 2 à 4 jours en fonction du suivi biquotidien du score. Ce traitement est habituellement débuté en cas de score > 8 ; en plein sevrage, il faut viser à obtenir un score entre 3 et 6. Chez les nouveau-nés de femmes substituées, la durée du traitement est de 2 à 6 semaines (en moyenne 21-28 jours).

La pathologie infectieuse

Outre le syndrome de sevrage, la pathologie principale qui est observée chez les nouveau-nés de femme toxicomane est d'ordre infectieux. Il peut s'agir :

• d'infections bactériennes : Streptocoque du groupe B, E. Coli ;

• d'infections à Candida albicans ;

• de maladies sexuellement transmissibles, notamment Syphilis ;

• d'infections virales : VIH, VHC, VHB, CMV.

2.5. La relation mère-enfant

Au cours du séjour en maternité, il faut dans toute la mesure du possible éviter la séparation mère-enfant, et favoriser l'attachement malgré le syndrome de sevrage. Les possibilités d'allaitement doivent être évaluées au cas par cas, sachant que d'une façon générale on ne peut autoriser l'allaitement que si on a la certitude d'un arrêt au moins temporaire de l'intoxication.

La sortie et le retour à domicile se font presque toujours dans une situation psychosociale délicate. De plus, l'enfant renvoie pendant longtemps à la mère une image non-gratifiante qui ajoute aux difficultés. Enfin, le suivi éventuellement aléatoire de ces familles complique encore la tâche des professionnels de santé amenés à encadrer le nouveau-né et sa famille : c'est notamment à ce sujet que le recours à un réseau ville-hôpital modifie très positivement les conditions de la surveillance ultérieure.

Bibliographie

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