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Titre: Les conduites d'alcoolisation pendant la grossesse
Année: 2003
Auteurs:
Spécialité: Obstétrique
Theme: Intoxication et grossesse

Les conduites d'alcoolisation pendant la grossesse

M. UZAN, E. LACHASSINNE

Introduction

La fréquence de l'alcoolisation maternelle pendant la grossesse est difficile à évaluer. Nous ne disposons que de données statistiques qui sont très approximatives et qui ne sont en fait que des évaluations.

On constate cependant que l'alcoolisation au féminin a considérablement augmenté durant la dernière partie du XXe siècle puisque qu'en 1960 on estimait une femme alcoolique pour douze hommes et qu'en 1990 on est passé à une femme pour trois hommes.

Les seuils de l'OMS sont intéressants à connaître : en effet les repères pour une « consommation modérée » d'alcool sont les suivants :

•   jamais plus de 4 verres par occasion pour l'usage ponctuel ;

•   pas plus de 21 verres par semaine pour l'usage régulier chez l'homme ;

•   pas plus de 14 verres par semaine pour l'usage régulier chez la femme.

L'OMS précise que ces chiffres doivent être abaissés en cas de situation à risque (conduite, travail sur machine etc.) et en cas de risque individuel dont la grossesse fait partie...

L'âge du début de la consommation se situe en France vers 18-20 ans.

Les chiffres varient selon les zones géographiques de 0 à 30 % de la population féminine.

L'enquête de l'INSEE de 1986 a montré que 24 % des femmes de 25 à 34 ans boivent un à deux verres par jour et 5 % au moins 3 verres. En cas de grossesse le retentissement fœtal est fréquent :10 à 20 % des fœtus exposés sont atteints. Ceci entraînerait 0,5 à 3 nouveau-nés atteints pour 1 000 naissances.

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Qu'il y ait ou non un retard de croissance, une dysmorphie ou des malformations associées, le pronostic à long terme est essentiellement lié au risque de troubles du développement neuro-comportemental. L'alcoolisation maternelle et fœtale reste la première cause de retard mental d'origine non génétique.

La symbolique de l'alcool

En général les conduites d'alcoolisation ponctuent la vie : joies et peines sont toujours « arrosées ».

L'alcool est un produit désinhibant, anxiolytique qui permet de communiquer avec l'autre. De plus il est souvent considéré comme l'élément autour duquel il est agréable de se réunir. L'alcool représente le cadeau « type » que l'on va facilement offrir (même à son médecin) et qui fera toujours plaisir.

Ces comportements aboutissent à une banalisation de la prise de boisson, banalisation d'autant plus grave qu'elle peut s'associer à d'autres addictions : tabac, drogues ou psychotropes.

Chez la femme les conduites d'alcoolisation évoluent dans la solitude, la clandestinité et la culpabilité. Le déni ou la minimalisation sont quasi constants, ce d'autant que l'interrogatoire est souvent mal fait voire non fait. A la question « buvez-vous ? » la réponse est systématiquement « non »

Cette demande est inadéquate et totalement improductive.

Parler d'alcool devrait être simple, pourtant cela soulève un double questionnement : chez la femme pour qui cette attitude est assimilable à une prise de risque qu'elle aura tendance à dissimuler et chez le médecin chez qui parler d'alcool renvoie toujours à sa propre consommation .

Le terme « verre » désigne le « verre standard » ou unité internationale d'alcool (UIA) qui correspond à environ 10 grammes d'alcool pur.

Il y a autant d'alcool dans un verre de vin, de bière, un apéritif, un digestif ou une coupe de champagne c'est-à-dire entre 8 à 12 g d'alcool pur.

L'alcoolémie augmente rapidement après l'ingestion d'alcool. Le maximum est atteint environ au bout d'une heure si la boisson est prise au cours d'un repas et d'une demi-heure en cas de jeun.

L'ingestion d'un verre quel qu'il soit fait monter l'alcoolémie en moyenne de 0,20g/l chez un homme de 70 kg et 0,30g/l chez une femme de 50 kg.

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Le taux d'alcoolémie baisse par la suite lentement de 0,10 g par heure : il faut donc 2h pour éliminer un verre d'alcool.

Sur le plan physiopathologique les femmes sont plus vulnérables.

A consommation égale le taux d'alcoolémie est plus élevé chez la femme que chez l'homme. L'âge moyen de l'apparition de la cirrhose hépatique est d'environ 10 ans inférieur à celui des hommes.

L'alcoolisation maternelle comporte un risque fœtal évident lorsque la consommation quotidienne est supérieure à trois verres de boissons alcoolisées, quel que soit le type de boisson.

Physiopathologie

Les mécanismes de la tératogénicité de l'alcool ne sont pas tous connus, car il existe de nombreux facteurs intriqués. Les modèles animaux d'exposition prénatale permettent de comprendre de mieux en mieux les processus impliqués.

L'alcool passe de façon passive la barrière placentaire et se retrouve dans le liquide amniotique et le sang fœtal à concentration identique à celle du sang maternel, voire bien plus élevée car l'équipement enzymatique de détoxication (alcool déshydrogénase) n'apparaît chez le fœtus qu'au deuxième mois de la grossesse et reste assez réduit.

L'acétaldéhyde, premier produit de dégradation de l'éthanol semble beaucoup plus toxique que l'alcool lui-même. Comme la clairance hépatique du fœtus est faible sa durée d'exposition à l'alcool est plus longue que celle de sa mère.

Le risque d'atteinte fœtale est en général lié à la dose et à la durée de l'imprégnation maternelle. Cependant mère et fœtus n'ont pas la même courbe de tolérance à l'alcool. L'interaction entre l'exposition et les prédispositions génétiques explique qu'une imprégnation maternelle identique entraîne des retentissements différents comme cela a été montré sur des jumeaux dizygotes.

L'alcool et son métabolite acétaldéhyde vont entraîner un certain nombre d'anomalies :

•   une diminution de l'expression du gène msx2 (gène de la morphogénèse cranio-faciale) ;

•   une diminution de la méthylation de l'ADN en relation avec le retard de croissance in utero ;

•   une inhibition de synthèse d'acide rétinoïque qui joue un rôle important dans les mécanismes du développement du système nerveux central ;

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•   une diminution des récepteurs des neurotransmetteurs qui explique en partie les effets neurotoxiques ;

•   l'alcool interfère aussi dans la synthèse protéique et le transfert des acides aminés à travers le placenta. Il provoque ainsi une baisse des hormones thyroïdiennes fœtales, une hypoglycémie, une hypoinsulinémie et élève le taux d'érytropoïétine par hypoxie chronique.

Les données plus récentes concernent l'impact de l'alcool sur les structures cérébrales fœtales. L'atteinte est variable selon la période d'exposition à l'alcool mais aboutit toujours à une diminution de poids du cerveau.

•   il s'agit d'une diminution de la prolifération neuronale ;

•   d'anomalies de la giration neuronale : arrêt précoce, hétérotopies et altérations gliales ;

•   d'altérations de la synaptogénèse et mort neuronale ;

•   de retard de la myélinisation et des arborescences dendritiques.

Enfin des interactions avec une carence en zinc, en acide folique ou en vitamine B6 B1 A ou E sont très probables et peuvent intervenir sur le développement embryonnaire ou fœtal. Même si des points, concernant certains mécanismes d'action restent encore obscurs, l'alcool reste un des toxiques cérébraux les plus puissants et ce tout au long de la grossesse.

La microcéphalie est l'anomalie la plus constante, isolée ou associée à d'autres malformations cérébrales : anomalies de ligne médiane, malformations cérébelleuses, anomalies de la migration neuronale.

L'imagerie par résonance magnétique a montré une vulnérabilité particulière de certaines structures du cerveau : les noyaux gris, le corps calleux et le cervelet.

Le syndrome d'alcoolisme fœtal

Les dangers de l'exposition prénatale à l'alcool sont connus depuis des siècles, mais la description princeps a été faite par P. Lemoine dans L'Ouest médical en 1968. Il a décrit le syndrome d'alcoolisation fœtale (SFA) sous le titre : Les enfants de parents alcooliques. Anomalies observées : à propos de 40 cas. Puis viennent les publications de Jones et Smith en 1973 et les travaux importants de P. Dehaene en 1995 et A. Streissguth en 1997.Tout a été décrit de façon méthodique, dans les moindres détails.

Malheureusement ces publications sont encore peu connues des professionnels de la périnatalité.

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Même si sa fréquence est difficile à déterminer, les chiffres les plus optimistes font état de 0,5 à 3 nouveau-nés sur 1 000 soit une incidence de 400 à 2 400 enfants par an en France.

Ces chiffres sont largement supérieurs à ceux de la trisomie 21, du syndrome de l'X fragile, de l'hypothyroïdie, la phénylcétonurie ou la grande prématurité, et pourtant certains donnent lieu à un dépistage systématique pré ou néonatal.

A. Les effets pathogènes de l'alcool sur l'adulte en âge de procréer sont les suivants

•   il semble exister une diminution de la fécondité tant féminine que masculine ;

•   le taux de fausses couches serait multiplié par trois et le taux de mortalité périnatale augmenté, cependant il est malaisé de quantifier ses données en raison d'une part de la difficulté à fixer un seuil d'alcoolisation et d'autre part des facteurs pathogènes associés (tabac, contexte socio-économique etc.).

B. Les effets sur le fœtus

Le syndrome d'alcoolisme fœtal associe :

•   un retard de croissance in utéro qui apparaît dès le milieu de la grossesse, et qui intéresse tous les paramètres biométriques. La forme sévère associe un nanisme avec microcéphalie ;

   La quantité de liquide amniotique et l'épaisseur placentaire sont en rapport avec le volume fœtal. Les index Doppler, utérins et ombilicaux sont normaux ;

•   une dysmorphie crânio faciale qui peut être évoquée à l'échographie sur les caractéristiques du profil ; en fait en présence d'un retard de croissance in utéro avec microcéphalie on pourrait rechercher des petits signes qui pourraient orienter le diagnostic étiologique ;

•   des malformations sont retrouvées dans 25 % des cas environ et sont corrélées à l'importance de l'alcoolisation, les plus caractéristiques touchent :

ƒ   le cœur : défaut septal ;

ƒ   le squelette : synostose radio-cubitale, mains bottes, épiphyses ponctuées, anomalies vertébrales, thorax en carène, campodactylie ;

ƒ   l'appareil urogénital : rein en fer à cheval, duplication pyélique, hypospadias, cryptorchidie ;

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ƒ   la peau : angiome, cuti laxa, hirsutisme.

C. Après la naissance

La dysmorphie peut être évoquée avec un faciès caractéristique : bosse de tissu sous cutané entre les sourcils, fentes palpébrales étroites, ensellure nasale excessive, extrémité du nez recourbée et narines antéversées, philtrum long et bombant en verre de montre avec effacement des sillons et des arcs de Cupidon, lèvre supérieure mince avec une partie vermillon peu visible, microrétrognatisme, et bord supérieur des oreilles horizontal.

Avec l'âge le visage change, mais reste caractéristique et le diagnostic rétrospectif est possible.

Le diagnostic peut également être suspecté devant des anomalies neuro-comportementales.

Dans les premières heures de vie, un taux d'alcoolémie fœtale peut se traduire par un tableau de dépression du système nerveux avec bradypnée.

Le syndrome de sevrage apparaît secondairement, associant hyperexcitabilité troubles du sommeil, de la succion et de la déglutition.

Dans la petite enfance des désordres cognitifs et comportementaux apparaissent : hypotonie, anomalie de la motricité fine, instabilité psychomotrice.

Troubles de l'attention, de la mémoire et de l'intégration spaciale.

Des troubles de la vision à type d'hypoplasie des nerfs optiques et des anomalies des vaisseaux rétiniens vont encore aggraver les troubles de l'apprentissage.

L'environnement aggrave les déficiences et ce retard mental va conduire l'enfant en institution.

Si le retard mental est en règle d'autant plus important que la dysmorphie et la microcéphalie sont marquées, il peut dans certains cas être totalement isolé.

Le SAF est donc à distinguer des effets de l'alcool sur le fœtus (EAF) appelés aussi désordres neurodéveloppementaux liés à l'alcool (DNLA). Il s'agit d'un SAF partiel sans dysmorphie ni malformations qui présente des anomalies neurologiques et comportementales liées à la consommation d'alcool pendant la grossesse. Les lésions du système nerveux central semblent donc indépendantes de la dysmorphie et des malformations.

Il n'existe pas de seuil ni de période plus favorable ou plus défavorable. C'est tout au long de la grossesse que l'alcool peut agir

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sur le système nerveux central. Ceci aboutit malheureusement à des enfants peu ou pas reconnus et donc pas pris en charge

L'alcool rappelons le, représente la cause la plus fréquente en Occident de retard mental tératogène.

L'alcoolisation maternelle

Le risque fœtal est difficile à prévoir et on ne peut fixer de limite en deçà de laquelle une consommation d'alcool serait sans risque pour le fœtus. De plus l'effet sur le fœtus n'est pas seulement déterminé par la quantité d'alcool consommée quotidiennement ou de fortes alcoolisations occasionnelles, mais aussi par la tolérance à l'alcool, différente pour chaque mère et chaque fœtus.

On connaît cependant un certain nombre de paramètres qui lui sont
corrélés :

•   La dose ingérée : un verre d'alcool ingéré quelle que soit la boisson contient 10 g d'alcool pur. À partir de 30 grammes par jour (et probablement moins) le risque fœtal existe ;

•   Le terme auquel l'exposition s'est fait : la consommation au premier trimestre serait plutôt responsable de la dysmorphie et du risque malformatif alors que le risque de trouble du comportement existe toujours car le développement du cerveau dure tout au long de la grossesse et reste vulnérable à l'influence de l'alcool ;

•   l'ancienneté de l'alcoolisme est un facteur aggravant. Une femme dont le premier enfant est atteint a un risque de récurrence maximal si elle ne modifie pas sa consommation alors que le risque s'annule en cas d'abstinence ;

•   la façon de boire est aussi à considérer, c'est-à-dire la quantité d'alcool absorbée à la fois ; une femme qui boit un verre de vin chaque jour de la semaine expose semble-t-il son enfant à un risque moindre que celle qui boit sept verres en une fois ;

•   enfin le risque augmente avec l'âge de la femme et ce probablement de façon étroite avec l'ancienneté de l'exposition.

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I. Le diagnostic positif d'alcoolisation maternelle
est clinique et anamnestique

Celui-ci devrait être aisé et pourtant... Parler « alcool » n'est pas facile et renvoie à un sentiment de « culpabilité » de la patiente mais également du médecin...

Boire de l'alcool reste tabou et si le principe de prudence vis-à-vis des médicaments fonctionne souvent bien au cours de la grossesse, il est souvent moins efficace vis-à-vis de l'alcool.

L'interrogatoire doit rechercher de façon systématique la consommation d'alcool à travers l'enquête alimentaire même si apparemment il n'existe aucun signe de dépendance ou de troubles du comportement. Il est important de créer un climat de confiance et de poser un certain nombre de questions dès la première consultation prénatale dans le cadre d'une évaluation du mode de vie. Les questions vont concerner certaines habitudes alimentaires et consommation de boissons : les boissons sucrées, gazeuses et alcoolisées. Il ne faudra pas se contenter d'une réponse négative pour des boissons alcoolisées, mais aller plus loin sur les apéritifs du week-end, sur la bière désaltérante, sur la coupe de champagne lors d'un anniversaire etc. C'est cet « alcoolisme festif » qui est souvent assimilé à une consommation normale.

Dans tous les cas le fait de questionner les patientes sur leurs habitudes alimentaires sera l'occasion de passer quelques messages de prévention simples vis-à-vis des consommations de tabac, d'alcool, de drogues, de médicaments. Comme pour le tabagisme, il faut savoir remplir « la boite à message » qui finira bien un jour par déborder et amener la patiente à plus de tempérance.

Cette pratique doit être répandue auprès des professionnels de santé afin de délivrer si possible en pré conceptionnel un message adapté.

Certaines équipes proposent des questionnaires standardisés à remplir par les patientes sur leur consommation d'alcool. Le questionnaire DETA-CAGE est validé de façon internationale et consiste à poser quatre questions

1.   Avez-vous déjà ressenti le besoin de diminuer votre consommation de boissons alcoolisées ?

2.   Votre entourage vous a-t-il déjà fait des remarques au sujet de votre consommation ?

3.   Avez-vous déjà eu l'impression que vous buviez trop ?

   LES CONDUITES D'ALCOOLISATION PENDANT LA GROSSESSE   607

4.   Avez-vous déjà eu besoin d'alcool dès le matin pour vous sentir en forme ?

Deux réponses positives (ou plus) à ces questions sont évocatrices d'une consommation nocive.

Certains questionnaires déjà validés en population générale sont en train de l'être pour la femme enceinte.

Il semble que l'on puisse encore plus simplement poser ces questions :

« Est-ce que votre consommation d'alcool vous pose problème ? »

« Ce serait quoi pour vous une consommation d'alcool qui poserait problème ? »

« A quand remonte votre dernière consommation de boisson alcoolisée ? »

Cette façon de procéder a semble-t-il une grande sensibilité et peut permettre un dépistage précoce de l'alcoolisation maternelle.

Il est tout à fait inutile d'essayer d'obtenir des « aveux » de la patiente. C'est un véritable jeu de cache-cache. Une patiente alcoolique ne reconnaît pas qu'elle boit, mais elle le sait.

Il faut cependant ne délivrer que des messages positifs et ne jamais culpabiliser la patiente.

•   en cas de consommation épisodique il faut conseiller à la patiente d'arrêter toute consommation jusqu'à la fin de la grossesse et également pendant l'allaitement ;

•   en cas de consommation régulière il faut dire à la patiente qu'elle et son enfant se porteront beaucoup mieux sans alcool et lui proposer un soutien par un professionnel alcoologue ou une personne dans l'équipe ou le réseau formé à cette approche. La prise en charge de la patiente sera donc empathique et non culpabilisante.

Cet entretien clinique est un moment important auquel il faudra consacrer du temps. Qui est à même de mieux le faire ? L'accoucheur ou l'alcoologue ?

On voit déjà certaines équipes en fonction de leurs populations s'entourer de tabacologues ou d'alcoologues ou d'envisager une formation spécifique pour certaines sages femmes.

2. Les examens biologiques manquent de sensibilité
et de spécificité

•   l'alcoolémie et l'alcoolurie ne sont que des marqueurs de prise d'alcool récente et ne sont que de peu d'intérêt ;

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•   le dosage de la gamma glutamyl transférase (GGT) est un examen simple et peu coûteux. Il s'agit d'un marqueur d'alcoolisation chronique qui possède en population ciblée une sensibilité de 65 à 90 % si elles sont > à 30 ;

•   un VGM >=92 ou 95 μ3 (qui fait partie de la numération formule sanguine obligatoire) est un bon marqueur d'alcoolisme chronique ;

•   les transaminases ne sont utiles que dans le cadre d'un bilan hépatique en cas d'alcoolisme avéré.

La transferrine déficiente en carbohydrates (CDT) serait considérée comme un bon marqueur. Son résultat doit être exprimé en pourcentage car la transferrine sous l'effet des œstrogènes augmente au cours de la grossesse. Son usage est peu répandu.

La prise en charge

Un certain nombre d'actions peuvent être entreprises à différents niveaux de prévention.

Prévention tertiaire

Elle vise le fœtus de mère alcoolique. Elle a pour but de dépister le plus tôt possible le nouveau-né atteint et son niveau de handicap afin de proposer une prise en charge adéquate par un certain nombre de professionnels de santé : puéricultrices, pédiatre et médecins généralistes et informer les acteurs sociaux de terrain.

Un examen attentif à la naissance peut être attiré par la dysmorphie ou par des signes de sevrage.

Cette prévention passe aussi par la prise en charge maternelle. L'allaitement doit être encouragé s'il entre dans une dynamique de sevrage alcoolique

L'anticipation de l'avenir de l'enfant est amélioré par l'accompagnement et la qualité du suivi de la mère par une équipe de proximité : médecin traitant, alcoologue, psychologue et associations d'aide au sevrage d'autant qu'il peut y avoir plusieurs drogues associées.

La prise en charge et le sevrage maternel sont d'autant plus importants qu'ils constituent le meilleur garant pour une grossesse ultérieure d'avoir un enfant indemne de tout syndrome d'alcoolisme fœtal. Il s'agit, il faut le rappeler ici d'une embryofoetopathie évitable dont la prévention passe par un degré zéro de tolérance alcoolique pendant la grossesse.

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Prévention secondaire

Elle passe par le dépistage des femmes à risque pendant la grossesse et pour cela il ne faut pas faire l'impasse sur des messages de prévention et le dépistage des patientes à risque.

La consommation d'alcool peut faire partie d'un comportement à risque associant plusieurs drogues. Une femme enceinte sur vingt aurait une consommation excessive d'alcool et ce risque est très majoré en cas de tabagisme associé.

Il faut donc rester très attentif chez la femme enceinte déprimée, tabagique ou toxicomane car il est très fréquent que dans ces cas la consommation d'alcool soit également associée.

Même pendant la grossesse tout n'est pas forcement joué et une modification des pratiques même au deuxième trimestre peut encore être intéressante. Tout ceci implique un dialogue avec la patiente qui la soutiendra dans sa démarche.

Parallèlement un suivi régulier clinique et échographique du fœtus doit permettre de dépister un retard de croissance in utéro et de mettre en place une prise en charge adaptée.

Prévention primaire

C'est l'option « zéro » qui doit être recommandée au moins pendant la grossesse et l'allaitement. Les campagnes d'information sont très peu développées en France, notamment auprès des jeunes. Très peu des gens savent que l'alcool au cours de la grossesse est la première cause de retard mental acquis de l'enfant et que cette grave complication est totalement évitable.

Peu de gens savent que même les doses modérées d'alcool et les ingestions occasionnelles sont dangereuses pour le fœtus.

Il faut donc que le message soit délivré aux femmes en consultation de gynécologie et en consultation pré conceptionnelle.

Le Canada a élaboré dans cette optique en 1996 une déclaration conjointe sur la prévention du syndrome d'alcoolisme fœtal et des effets de l'alcool sur le fœtus et des recommandations fort intéressantes a été faites :

•   les efforts de prévention doivent être dirigés vers les femmes avant et pendant la période de procréation, mais également vers leur partenaire et leur famille ;

•   il faut diffuser auprès de tous les professionnels de la santé l'information concernant les risques liés à la consommation d'alcool pendant la grossesse et que le fait de cesser de boire à

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n'importe quel moment de la
grossesse sera bénéfique pour le fœtus et pour la future mère.

En France en septembre 2001, dans l'expertise collective de l'INSERM Alcool : effets sur la santé il est clairement précisé les recommandations suivantes :

•   il est conseillé aux femmes enceintes de ne pas boire de boissons alcooliques pendant la grossesse ;

•   les consommations excessives occasionnelles sont à éviter pendant toute la durée de la grossesse et même dès qu'elle est en projet afin d'éviter une exposition au tout début de la gestation.

Au vu des résultats d'études expérimentales, il n'est pas possible de démontrer l'existence d'une dose seuil en deçà de laquelle les risques pour la descendance de la consommation maternelle pendant toute la gestation sont nuls.

En janvier 2002 a paru le dossier de presse du CFES (Comité français d'éducation à la santé) et de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie qui stipule :

Alcool et tabac : La consommation zéro est recommandée pour les femmes enceintes.

En septembre 2002 l'Agence française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA) a fait paraître un document intitulé : La santé vient en mangeant, dans lequel il est noté dans un encadré en page 57 : Pour les femmes enceintes, il est recommandé de supprimer complètement la consommation d'alcool.

Enfin s'est tenue à Paris les 10 et 11 octobre 2002 une réunion de la Société française d'alcoologie, en partenariat avec l'ANAES qui a défini des recommandations pour la pratique clinique (RPC) concernant les conduites d'alcoolisation pendant la grossesse.

Celles ci se déclinaient en trois grands chapitres :

•   recommandations pour la diffusion des connaissances et des messages concernant l'exposition prénatale à l'alcool :

ƒ   conseiller l'abstinence ;

ƒ   former les professionnels ;

ƒ   informer le grand public.

•   recommandations pour le repérage et la prise en charge des conduites d'alcoolisation chez la femme enceinte :

ƒ   repérer les conduites d'alcoolisation pendant la grossesse ;

ƒ   aider et accompagner les femmes enceintes qui s'alcoolisent ;

ƒ   faciliter l'accès aux soins de la femme enceinte qui s'alcoolisent.

   LES CONDUITES D'ALCOOLISATION PENDANT LA GROSSESSE   611

•   aider et accompagner la mère et l'enfant lorsqu'il y a eu alcoolisation durant la grossesse :

ƒ   le diagnostic d'exposition prénatal doit être établi le plus rapidement possible ;

ƒ   la formalisation de réseaux autour de la problématique des conduites d'alcoolisation pendant la grossesse permettra une prise en charge multiprofessionnelle de la mère et l'enfant.

La prise en charge thérapeutique

Pendant la grossesse il faut envisager le traitement de fond de la future mère : Traiter la carence vitaminique et en oligoéléments .

L'acide folique est donné de façon systématique de même que du Fer et du Zinc. La prescription de vitamine B1 est également très large même si elle ne concerne que les tableaux de grande carence. C'est une étape fondamentale où il est capital d'établir un lien entre la femme enceinte en difficulté par rapport à son alcoolisation (même si celle ci est très souvent niée) et un interlocuteur privilégié. Le discours sera franc, empathique mais jamais culpabilisant si l'on veut favoriser la relation mère-enfant.

La patiente doit être prise en charge dans sa globalité par un réseau formé de plusieurs professionnels de la santé : personnel soignant, psychologues, PMI, travailleurs sociaux, associations anti-alcool.

La préparation à la naissance doit constituer une étape privilégiée permettant l'élaboration de la relation mère enfant.

Bien entendu il sera instauré un suivi rapproché sur le plan clinique avec un éventuel dépistage précoce d'un retard de croissance intra utérin, parfois des signes échographiques d'un syndrome d'alcoolisme fœtal peuvent être évoqués.

Dans certains cas un sevrage pourra être envisagé pendant la grossesse mais il devra être institutionnel parfaitement pris en charge dans le cadre d'une hospitalisation. Ceci est indispensable car il ne faut pas perdre de vue que l'on a affaire à une grossesse par définition à risque et que l'on cherche à obtenir une abstinence réelle.

On peut utiliser l'Oxazapam (Seresta®) ou le Diazépam (Valium®) en cure de 10 jours par voie orale.

Par la suite tout le personnel doit être sensibilisé et rester à l'écoute de la patiente en tenant compte de son aspect physique qui peut trahir un signe de manque : habillement, coiffure etc.

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Il faut envisager une stratégie d'accompagnement avec des conseils diététiques et esthétiques et être vigilant quant aux réalcoolisations pendant le week end.

Une abstinence complète peut entraîner une reprise de la croissance fœtale ce qui est très gratifiant pour la patiente.

Enfin une démarche de sevrage tardive si elle est inopérante sur le pronostic neurosensorielle sera la meilleure prévention pour la grossesse ultérieure.

Pour le nouveau-né la prise en charge du syndrome de sevrage néonatal est quelque fois l'étape qui permet de faire le diagnostic.

Il associe hyperexcitabilité, hypertonie et sommeil mal organisé.

Ce syndrome de sevrage devra être distingué (et ce n'est pas toujours facile) d'une hypoglycémie néonatale, conséquence de l'alcoolémie fœtale ou des premières manifestations cérébrales du syndrome d'alcoolisme fœtal.

Dans la mesure du possible l'allaitement maternel sera institué.

Dans d'autres cas, c'est un retard de croissance intra utérin qui n'a pas trouvé d'étiologie en anténatal ou simplement un nouveau né avec un petit périmètre crânien ou une dysmorphie qui vont orienter le diagnostic.

Dans la petite enfance, la dysmorphie persiste et peut permettre un diagnostic rétrospectif, l'enfant ne pousse pas bien et présente des troubles de l'apprentissage.

Dans l'enfance le rattrapage du retard de croissance est difficile et le retard intellectuel persiste avec des anomalies neuro-comportementales : hypotonie, instabilité, anomalies de la motricité fine, troubles de l'attention, de la mémoire et de l'intégration spatiale. Il existe un retard intellectuel avec un QI moyen à 80. C'est dire que ces enfants ont très vite des problèmes d'intégration scolaire et qu'ils sont plus ou moins rapidement orientés en institution. C'est dans ces structures lorsqu'ils peuvent être accueillis qu'ils pourront bénéficier du soutien de psychomotriciens, d'orthophonistes etc.

Adolescents et adultes, les troubles du comportement sont très fréquents avec un risque élevé de développement d'une délinquance plus ou moins aggravée par l'environnement.

Conclusion

Il existe en France toute une culture autour de l'alcool qu'il sera difficile de modifier.

Le mythe qui consiste à dire «un verre d'alcool n'a jamais fait de mal à personne » est à l'évidence extrêmement vivace.

   LES CONDUITES D'ALCOOLISATION PENDANT LA GROSSESSE   613

Il est étonnant que le message sur les médicaments soit parfaitement passé et que celui sur l'alcool ait tant de mal à faire son chemin.

Si l'alcool était un médicament il ne pourrait être commercialisé chez la femme enceinte car il est tératogène.

La consultation pré conceptionnelle doit être considérée comme un moment privilégié où un certain nombre de messages peuvent être entendus sur un mode moins culpabilisant que pendant la grossesse.

Les professionnels de la santé doivent être formés au dépistage de l'alcoolisation maternelle.

Il faut également impliquer le futur père dans les messages de prévention car l'alcoolisation peut se faire en couple et les messages de tempérance doivent être adressés à destination des deux futurs parents pour l'avenir de l'enfant : le risque d'accident mortel est multiplié par 2 à partir de 0,50 g /l d'alcoolémie et par 10 pour 0,80 g/l.

C'est un vaste chantier pour les professionnels de l'obstétrique dans lequel les enjeux politiques sont tels que l'on peut craindre malheureusement assez peu d'aide de la part des pouvoirs publics.

Et pourtant il s'agit de la plus fréquente embryofoetopathie qui reste totalement évitable, mais au prix d'efforts que notre société ne paraît pas (encore) prête à faire.

Bibliographie

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[6]   MIRLESSE V, Syndrome d'alcoolisation fœtale, médecine fœtale et échographie en gynécologie, n° 47, septembre 2001.

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[8°   Les conduites d'alcoolisation pendant la grossesse : Recommandations pour la pratique clinique :Paris 10 et 11 octobre 2002.