Tabac, gamètes et embryons
M. PLACHOT, J. BELAÏSCH-ALLART,
J.-M. MAYENGA, A. CHOURAQUI, L. TESQUIER, A.-M. SERKINE, F. ABIRACHED,
J. de MOUZON
Selon l'OMS (1997), environ un tiers
de la population de plus de 15 ans fume. Des études épidémiologiques
ont montré que de manière dose-dépendante, la consommation de tabac
conduisait à un retard à la conception (1) et à une ménopause
avancée d'environ 2 ans (2). Dans une première étude, nous avions
montré que le taux de grossesse après AMP était diminué chez
les grandes fumeuses (plus de 10 cigarettes/jour) comparé aux non fumeuses
(3). Or, la cotinine (métabolite de la nicotine) a été retrouvée
dans le liquide folliculaire des fumeuses et le plasma séminal des fumeurs
(pour revue, 4). Ces données suggèrent que certains composants de la fumée
de cigarette peuvent interagir de manière directe ou indirecte avec la qualité
des gamètes, affectant leur fonction et leur viabilité.
L'effet du tabac sur la qualité
des gamètes et des embryons est difficile à apprécier. En effet,
il convient de prendre en compte le type de tabagisme (actif ou passif), la consommation
journalière de cigarettes et la durée de la consommation. Le plus souvent,
ces paramètres sont imprécis dans la littérature. C'est la raison
pour laquelle, dans une deuxième étude, nous avons évalué la
qualité des ovocytes, du sperme et des embryons chez 4 groupes de patients
inclus dans un protocole de FIV/ICSI, en fonction de leur consommation de tabac.
Matériel et méthodes
Cent quatre vingt quatre couples ayant eu 270
cycles de FIV ou ICSI entre mars 2001 et juin 2002 et pour lesquels la consommation
de tabac était connue pour les 2 partenaires ont été
TABAC,
GAMèTES ET EMBRYONS 389
inclus dans cette étude. Les patients
ont été classés en 4 groupes :
• groupe 1 : aucun des
2 partenaires ne fume, 103 couples et 155 cycles ;
• groupe 2 :
seule la femme fume, 18 couples et 26 cycles ;
• groupe 3 :
seul l'homme fume, 43 couples et 63 cycles ;
• groupe 4 :
les 2 partenaires fument, 20 couples et 26 cycles.
Au total, 30 paramètres ont été
évalués incluant les données du couple, du traitement inducteur de
l'ovulation, de la qualité des ovocytes, du sperme et des embryons. Ainsi,
2472 ovocytes ont été recueillis, parmi lesquels 1149 ont été
inclus dans un protocole d'ICSI et 1323 dans un protocole de FIV ; 1287 embryons
ont été obtenus et analysés individuellement.
Les embryons ont été évalués
en fonction des critères classiques : nombre de blastomères à J2
(2 à 6), degré de fragmentation (0 à > 50 %), régularité
des blastomères (de taille égale ou inégale). Les embryons ont été
considérés comme « bons » lorsqu'ils présentaient des blastomères
égaux, réguliers et moins de 10 % de fragmentation, et « moyens »
lorsqu'ils présentaient des blastomères réguliers et 10 à 25
% de fragmentation ou des blastomères irréguliers et moins de 10 % de
fragmentation.
L'analyse statistique a porté
sur l'ensemble des 4 groupes et, lorsque nécessaire, un regroupement fumeuses
(groupe 2 et groupe 4) vs non fumeuses (groupe 1 et groupe 3), ainsi que fumeurs
(groupe 3 et groupe 4) vs non fumeurs (groupe 1 et groupe 2) a été réalisé.
Les résultats des tests statistiques sont mentionnés dans les tableaux
sous forme de P global ou P regroupé (reg).
Le traitement inducteur de l'ovulation
ainsi que les techniques de FIV et d'ICSI ont déjà été rapportées
(5).
Analyse statistique
Suivant la nature des variables, les comparaisons
entre les différents groupes ont été réalisées grâce
à des analyses de variance ou de c2. Un modèle de régression logistique
multivariée a été utilisé pour analyser les chances de grossesse
en fonction du tabagisme et des facteurs de succès habituels.
390 M.
PLACHOT, J. BELAÏSCH-ALLART, J.-M. MAYENGA, A. CHOURAQUI,
L. TESQUIER ... Résultats
1. Analyse de la population
Dans l'ensemble, les hommes inclus dans un protocole
d'AMP fument plus souvent que les femmes (34,2 % vs 20,6 %) et consomment en moyenne
plus de cigarettes (15 / jour vs 8) (tableau 1).
Il existe une différence dans
le taux de FSH à J3 chez la femme selon qu'elle fume ou pas. Ainsi, après
regroupement, le taux de FSH est de 6,0 + 1,7 UI/L chez les fumeuses et 6,8 + 1,9
UI/L chez les non fumeuses (p < 0,01). Ces résultats sont en contradiction
avec ceux de El Nemr et al. (6) qui montrent une augmentation du taux de FSH de
base chez les fumeuses.
En procédant au même regroupement,
il apparaît que l'âge des fumeuses (35,6 + 3,6 ans) est un peu plus élevé
que celui des non fumeuses (34,4 + 4,3, p = 0,05). Aucune différence n'a été
notée pour l'âge des hommes.
Tous les autres paramètres : type
de stérilité (féminine pure 28 %, masculine pure 37 %, mixte 24 %
et idiopathique 11 %), rang moyen de la tentative d'AMP (2,1 à 2,4), type de
traitement inducteur de l'ovulation (DTRP6 en protocole long et FSH rec dans 98
% des cycles), quantité totale de FSH administrée (2 657 à 3298 UI),
durée de la stimulation (11,4 à 11,7 jours) taux moyen d'estradiol le
jour du déclenchement (2 413 à 2 664 pg/ml) et nombre moyen d'ovocytes
recueillis (8,8 à 9,9) n'étaient pas différents entre les 4 groupes.
Qui plus est, il n'existait aucune différence Tableau
1 : Analyse de la population.
|
˙Groupe
1 |
˙Groupe 2 |
˙Groupe 3 |
˙Groupe 4 |
˙P |
˙P |
| |
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙ |
˙global |
˙regr. |
|
˙Nb de couples |
˙103 |
˙18 |
˙43 |
˙20 |
| | |
˙Nb
de cycles |
˙155 |
˙26 |
˙63 |
˙26 |
˙ |
˙ |
˙ |
NB
de cigarettes/J |
| | | | | |
˙ |
˙- femme |
˙0 |
˙7 + 9 |
˙0 |
˙9 + 6 |
|
˙ |
˙- homme |
˙0 |
˙0 |
˙14 + 7 |
˙16 + 7 |
|
˙FSH (femme) en
UI/L |
˙6,6 + 1,9 |
˙6,3 + 1,7 |
˙7,2 + 1,8 |
˙5,7 + 1,5 |
˙<0,01 |
˙<0,01 |
˙Age de la femme (ans) |
˙34,4 + 4,4 |
˙35,8 + 3,4 |
˙34,2 + 4,1 |
˙35,5 + 3,9 |
˙NS |
˙0,05 |
˙Age de l'homme (ans) |
˙36,8 + 5,9 |
˙37,2 + 6,8 |
˙37,1 + 5,9 |
˙35,2 + 4,9 |
˙NS |
˙NS |
TABAC,
GAMèTES ET EMBRYONS 391
significative, ni dans l'origine du sperme
utilisé (éjaculé frais dans 81 à 95 % des cas), ni dans le pourcentage
de cycles d'ICSI.
2. Effet du tabagisme sur les gamètes et les embryons
Les ovocytes
L'ICSI, qui nécessite la décoronisation
des ovocytes au recueil permet de connaître le stade de maturation et la qualité
des ovocytes. Ainsi, 12,6 % des ovocytes étaient immatures au recueil (8,6
% au stade de prophase I et 4 % au stade de métaphase I) et 6,8 % étaient
dégénératifs, sans différence statistiquement significative
entre les 4 groupes, et malgré un regroupement des fumeuses vs non fumeuses.
Les spermatozoïdes
Compte tenu des écart-types importants,
il n'existe pas de différence statistiquement significative entre les 4 groupes,
même après regroupement des fumeurs pour ce qui est de la numération
des spermatozoïdes émis le jour de la ponction (66 ± 93 pour les
non fumeurs vs 78 ± 85 millions/ ml pour les fumeurs), du pourcentage de spermatozoïdes
mobiles (47 ± 21 vs 46 ± 23 %) et du pourcentage de formes normales (33
± 19 vs 37 ± 17 %). Le calcul du nombre de spermatozoïdes mobiles
et morphologiquement normaux par ml (10,2, 10,4, 17,4 et 6,1 millions/ml dans les
groupes 1 à 4 , respectivement) ne montre non plus aucun effet délétère
de la consommation de tabac sur les paramètres spermatiques. Après stratification
en fonction de la consommation journalière de cigarettes (<10, 10 à
20, ou >20), aucune différence n'apparaît.
La fécondation
Le lendemain de la ponction, 57,0 %
des ovocytes inséminés ou microinjectés présentaient 2 pronuclei,
sans différence entre les 4 groupes et malgré le regroupement des fumeurs
d'une part et des fumeuses (tableau 2).
Des zygotes à 3 pronuclei résultant
soit de la pénétration simultanée de 2 spermatozoïdes, soit
de la non expulsion du globule polaire étaient observés à un taux
plus élevé dans le groupe où les 2 partenaires fument (8,9 %) que
dans les 3 autres groupes (3,8 à 4,5 %, p = 0,04).
392 M.
PLACHOT, J. BELAÏSCH-ALLART, J.-M. MAYENGA, A. CHOURAQUI,
L. TESQUIER ... Il
n'existait pas de différence pour ce qui concerne les ovocytes présentant
une activation parthénogénétique et donc 1 seul pronucleus.
Les embryons
Le nombre moyen d'embryons obtenus
varie de 4,4 + 3,1 à 5,6 + 3,3 sans différence entre les 4 groupes mais
une différence apparaît après regroupement chez les hommes fumeurs
(5,4 + 3,3 embryons vs 4,5 + 3,3 chez les non fumeurs, p < 0,05).
Les embryons présentant au moins
4 cellules à J2 (stade de développement considéré comme optimal)
sont observés à un taux statistiquement différent dans les 4 groupes.
Le regroupement des patients montre un taux d'embryons 4 cellules plus élevé
chez les fumeuses (59,8 %) que chez les non fumeuses (48,9 %, p = 0,002).
Pour ce qui concerne la morphologie
embryonnaire, il existe une différence entre les 4 groupes pour les embryons
considérés comme bons et moyens ; le taux le plus faible est observé
dans le groupe 2 (seules les femmes fument) (p = 0,004). Cette différence
Tableau 2 : Effets du tabac sur les embryons
et l'implantation. Groupe
1 Groupe 2 Groupe 3 Groupe 4 P P global regr.
Nb total d'ovocytes -
inclus en ICSI 714 101 205 129 -
inclus en FIV 650 152 421 100
Ovocytes normaux - à 2 pronucléi 55,5
% 59,7 % 59,1 % 59,6 % NS NS
Ovocytes anomaux - à 3 pronucléi 4,5
% 3,8 % 4,5 % 8,9 % 0,04 -
à 1 pronucléus 1,4 % 0 1,4
% 0,5 % NS
Nb moyen d'embryons 4,4 + 3,1 5,3
+ 4,6 5,6 + 3,3 4,9 + 3,4 NS <0,05 obtenus
Embryons > 4 cellules 46,8 % 66,4
% 52,9 % 53,2 % 0,0007 0,002 à
J2
Morphologie des embryons 82,5 % 70,8
% 79,3 % 86,7 % 0,004 NS (bons
et moyens)
Nb moyen d'embryons transférés 2,3
+ 1,2 2,6 + 1,4 2,7 + 1,0 2,5
+ 1,1 NS NS
Nb moyen d'embryons congelés 1,3 +
2,2 1,4 + 3,7 1,7 + 2,3 1,9 +
2,6 NS NS
Taux de grossesse / transfert 22,4 % 13,6
% 26,2 % 12,5 % NS 0,04
TABAC,
GAMèTES ET EMBRYONS 393
n'apparaît plus après regroupement
et semble donc être due à la petite taille des séries.
Transferts et grossesses
Le nombre moyen d'embryons transférés
et congelés varie de manière non significative de 2,3 à 2,7 et de
1,3 à 1,9, respectivement. Compte tenu de la petite taille des séries,
le taux de grossesse n'est pas statistiquement différent entre les 4 groupes
bien qu'il y ait une tendance très nette pour un taux de grossesse diminué
lorsque les femmes fument. D'ailleurs, après regroupement, une différence
apparaît avec un taux de grossesses par transfert de 23,5 % chez les non fumeuses
et 13,0 % chez les fumeuses (p=0,04). Cette différence n'existe pas en cas
de tabagisme masculin,
Discussion
L'analyse des 4 groupes de patients inclus dans
cette étude montre qu'ils sont comparables pour ce qui est du type de stérilité,
du rang moyen de la tentative d'AMP, du type de traitement inducteur de l'ovulation,
de la quantité totale de FSH administrée, de la durée de la stimulation,
du taux moyen d'estradiol le jour du déclenchement, et du nombre moyen d'ovocytes
recueillis. Outre leur consommation de tabac, ils diffèrent pour ce qui est
de la FSH à J3 (plus basse chez les fumeuses) et de l'âge de la femme
(plus élevé chez les fumeuses). La diminution du taux de FSH chez les
fumeuses n'a pas été rapportée par d'autres auteurs et peut être
due à la petite taille de la série.
Alors que nous ne l'avons pas observé
dans cette étude, l'analyse de la littérature montre une réduction
globale de 8 % du nombre d'ovocytes chez les fumeuses, pouvant atteindre 17,2 %
chez les fumeuses de plus de 10 cigarettes /jour. Avec l'âge, la diminution
du nombre d'ovocytes est plus rapide chez les fumeuses que chez les non fumeuses,
suggérant que la synergie entre l'âge et le tabac accélère la
destruction ovocytaire. Or, les ovocytes sont de meilleure qualité. En effet,
après correction pour l'âge, il existe une tendance pour une augmentation
de la proportion d'ovocytes mûrs lorsque la concentration de cotinine dans
le liquide folliculaire augmente. De manière concomitante, il y a une tendance
vers une diminution de la proportion d'ovocytes immatures. Les auteurs suggèrent
que les ovocytes sont préférentiellement éliminés aussitôt
394 M.
PLACHOT, J. BELAÏSCH-ALLART, J.-M. MAYENGA, A. CHOURAQUI,
L. TESQUIER ... après
la reprise de méiose. La conséquence de cette observation est que le taux
de fécondation peut être supérieur chez les fumeuses que chez les
non fumeuses par le biais d'un taux plus élevé d'ovocytes mûrs (4).
La morphologie ovocytaire peut également
être modifiée chez les fumeuses. Ainsi, sur une série de 169 femmes,
903 ovocytes et 456 embryons analysés une augmentation de l'épaisseur
de la zone pellucide des ovocytes et des embryons a été observée
chez des fumeuses (20,62 + 0,11 μm) comparé aux non fumeuses (15,32 +
0,10 μm, p < 0,0001), sans différence entre les fumeuses passives et
actives. Les auteurs suggèrent la réalisation d'une éclosion assistée
sur les embryons des fumeuses (passives ou actives) de manière à optimiser
les chances d'implantation (7).
L'intégrité du fuseau méiotique
peut être perturbée induisant des anomalies chromosomiques ovocytaires.
Ainsi, une plus grande proportion d'ovocytes diploïdes (par non expulsion du
1er globule polaire) et donc de zygotes triploïdes a été
notée chez les fumeuses (4).
Nous n'avons pas observé de différence
dans la numération, la mobilité et la morphologie des spermatozoïdes
des fumeurs comparé aux non fumeurs, et cela même en cas de consommation
de plus de 20 cigarettes/jour. Or, la littérature est là encore conflictuelle.
Selon Trummer et al. (8) la consommation de tabac n'affecte pas les paramètres
spermatiques conventionnels mais augmente de manière significative le nombre
de cellules rondes et de leucocytes, source majeure de radicaux libres. Holzki et
al. (9) observent un effet, mais uniquement sur le volume spermatique. A l'inverse,
une méta-analyse montre que la concentration spermatique est d'environ 13 %
inférieure chez les fumeurs que chez les non fumeurs, sans que cela ne soit
corrélé au taux de fécondation en AMP (10). Les tests spermatiques
fonctionnels sont plus informatifs. En effet, le test de fécondation interspécifique
homme-hamster (11), le test hypo-osmotique et les tests permettant de détecter
de l'ADN monobrin montrent un effet pervers de la consommation de tabac surtout
chez ceux qui consomment plus de 20 cigarettes / jour. Or, la fumée peut être
divisée en 2 phases : la phase gazeuse, comportant principalement du monoxyde
de carbone, du monoxyde d'azote, de l'ammoniac et des hydrocarbures volatiles, et
la phase solide, comportant des particules de nicotine. L'addition aux spermatozoïdes
de nicotine et de cotinine in vitro aux doses habituellement observées dans
le plasma séminal des fumeurs ne modifie pas la mobilité des spermatozoïdes
pendant les 24h de l'étude. Toutefois, l'injection de fumée de ciga
TABAC,
GAMèTES ET EMBRYONS 395
rette directement dans le système de culture
conduit à l'immobilisation des spermatozoïdes au bout d'une heure (12).
Ce ne serait donc pas l'action directe de la nicotine et de la cotinine du plasma
séminal sur les spermatozoïdes qui serait responsable de la diminution
des paramètres spermatiques observés dans certaines études.
La consommation de tabac produit environ 4000
composés, au moins 4 d'entre eux connus pour induire des anomalies chromosomiques
dans différents systèmes : l'acénaphtène (chez la drosophile),
l'acétone (chez la levure), le benzo-a-pyrène et l'anthracène (dans
les cultures cellulaires de mammifères). Des anomalies du fuseau méiotique
chez les fumeurs ont conduit à une augmentation du taux de disomies (YY, XX,
XY) dans les spermatozoïdes de 25 jeunes hommes. Cette augmentation était
corrélée à la concentration de cotinine dans les urines (13). Une
autre étude de 45 volontaires sains agés de 19 à 45 ans montre une
tendance - toutefois non significative - à une association entre la consommation
de plus de 20 cigarettes par jour et la disomie XX (14).
Chez les fumeurs, une altération
dose-dépendante de l'ADN spermatique a été mise en évidence
par la technique Comet, sans modification toutefois des autres paramètres spermatiques
(15). Il est important de savoir que les spermatogonies et les spermatocytes ont
la capacité de réparer l'ADN mais que cette activité cesse lors des
stades ultimes de la différentiation spermatique. Les spermatides et spermatozoïdes
n'ont à peu près aucune capacité de réparation et sont donc
à risque de transmettre des mutations.
Nous n'avons pas observé de différence
dans les taux de fécondation pour les 4 groupes de patients. Trois études
montrent une réduction du taux de fécondation sur des petites séries
tandis que 6 études comportant des effectifs plus importants montrent soit
aucune modification, soit une augmentation du taux de fécondation (4). L'augmentation
du taux de zygotes triploïdes observée dans notre étude est en accord
avec l'augmentation du taux d'ovocytes diploïdes et de zygotes triploïdes
rapportée par Zenzes et al. (4).
Il apparaît dans notre étude
que le nombre d'embryons disponibles est plus élevé chez les fumeurs que
chez les non fumeurs, sans différence pour ce qui est des fumeuses. La vitesse
de développement embryonnaire à J2 serait plus élevée chez les
fumeuses avec toutefois une diminution de la qualité embryonnaire en terme
de morphologie. Ces résultats sont en désaccord avec la littérature.
En effet, l'apoptose est un processus physiologique de mort
396 M.
PLACHOT, J. BELAÏSCH-ALLART, J.-M. MAYENGA, A. CHOURAQUI,
L. TESQUIER ... cellulaire
qui contrôle la normalité - entre autre - des cellules embryonnaires.
La nicotine et la cotinine sont dans plusieurs lignées cellulaires des inhibiteurs
de l'apoptose. Et en effet, le taux d'embryons de morphologie excellente ou bonne
augmente avec la concentration de cotinine. Ces résultats suggèrent une
inhibition de l'apoptose dans les embryons de fumeuses. L'acquisition de la résistance
à la fragmentation peut conférer un avantage de survie aux embryons porteurs
d'altérations génétiques.
La fumée de cigarettes peut induire des altérations
de l'ADN et conduire à la formation « d'adducts », c'est-à-dire
la fixation de résidus sur l'ADN spermatique. Comme les spermatozoïdes
ont peu ou pas de capacité de réparation, les adducts du spermatozoïde
peuvent être transmis aux embryons. Ainsi, 27 embryons préimplantatoires
de 4 à 8 cellules provenant d'individus fumeurs ou non fumeurs ont été
traités par un anticorps monoclonal contre le benzo-a-pyrène, et 83 blastomères
ont été analysés. La proportion de blastomères marqués
était près de 4 fois supérieure dans les embryons des fumeurs que
dans les embryons des non fumeurs. Il n'existait pas de différence que ce soit
l'homme seul ou les 2 partenaires qui fument. Cela indique que l'ADN modifié
provient principalement du père. La transmission paternelle d'ADN altéré
peut compromettre le développement embryonnaire, conduisant à des échecs
d'implantation, des pertes embryonnaires précoces ou à des perturbations
du développement postnatal. Dans une étude cas-témoin de 642 individus
d'une communauté chinoise où les femmes ne fument pas, la consommation
de tabac par le père pendant la période préconceptionnelle était
associée à un risque augmenté de cancer chez l'enfant au cours des
5 premières années (4).
La littérature est conflictuelle
pour ce qui est de l'effet du tabac sur le taux de grossesse en AMP. Nous avons
montré dans une première série et nous confirmons dans celle-ci la
diminution du taux de grossesse après AMP chez les fumeuses. D'autres équipes
ont observé les mêmes résultats (16). Alors que cela n'apparaît
pas dans notre étude, une diminution du taux de grossesse en cas de tabagisme
masculin a également été notée (22 % vs 38 % en FIV et 18 %
vs 32 % en ICSI) (17). L'altération de l'ADN du spermatozoïde pourrait
rendre compte de ces observations.
Pour conclure, notre étude n'a
pas mis en évidence d'effets délétères majeurs de la consommation
de tabac sur les gamètes et les embryons dans le cadre de l'AMP. Les séries
de patients étaient petites car cette information était rarement disponibles
pour les 2 partenaires. La littérature quand à elle est conflictuelle
sur de nom TABAC,
GAMèTES ET EMBRYONS 397
breux points. Cela est dû à de nombreux
facteurs : nombre de patients, consommation journalière moyenne de cigarettes,
durée de la consommation, quantité de cotinine dans les liquides biologiques,
etc. La réduction du taux de grossesse observée chez les fumeuses devrait
être mieux diffusée dans les médias de manière à inciter
les femmes à cesser de fumer en cas de désir d'enfant.
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