DÉPISTAGE DES INFECTIONS À CHLAMYDIA TRACHOMATIS
PAR LA TECHNIQUE D'AMPLIFICATION ENZYMATIQUE DE GENE (PCR)
A. FARI et H.SARMINI
Les infections à Chlamydia trachomatis sont des maladies sexuellement transmissibles particulièrement préoccupantes par leur prévalence, l'étendue de leur spectre clinique et leurs séquelles. L'incidence de ces infections est estimée à 4 millions de nouveaux cas par an pour les seuls Etats-Unis. C. trachomatis peut entraîner des syndromes très variés : urétrites et épididymites chez les hommes ; endocervicites, urétrites, salpingites et endométrites chez les femmes ; conjonctivites et pneumonies chez les enfants nés de mères infectées. Les séquelles des infections à C. trachomatis sont particulièrement importantes chez les femmes : une proportion importante des patientes consultant pour infertilité doit celle-ci à une infection antérieure à C. trachomatis. Par ailleurs, dans de nombreux cas, les infections à C. trachomatis sont asymptomatiques ou associées à des symptômes modérés, non spécifiques. Le diagnostic précoce de ces infections est donc un élément important dans la prévention de la transmission de C. trachomatis.
Depuis l'introduction de la culture sur cellules de C. trachomatis par RIPA et MÅRDH en 1977 (1), cette technique est considérée comme la méthode de référence pour le dépistage d'infections à Chlamydia. La sensibilité de cette technique est de loin supérieure à celle des différentes méthodes de recherche directe d'antigènes de C. trachomatis dans les prélèvements par ELISA ou par immunofluorescence. Néanmoins, la culture cellulaire exige un matériel et un personnel spécialisés et les délais d'obtention des résultats sont relativement longs (3 à 4 jours). En outre, différents travaux ont démontré que la sensibilité de la recherche par culture de C. trachomatis, lorsqu'elle est effectuée une seule fois sur un seul prélèvement, est de l'ordre de 80 à 95% selon les auteurs.
Décrite par SAIKI en 1988 (2), la technique d'amplification enzymatique de gène (PCR : Polymerase Chain Reaction) permet de déceler l'ADN d'un micro-organisme même lorsque ce dernier est présent en très petite quantité (3,4,5,6). Nous avons voulu comparer l'efficacité de la technique PCR dans le dépistage des infections gynécologiques basses à C. trachomatis en la comparant à la culture cellulaire et à la recherche directe des antigènes de Chlamydia par immunofluorescence.
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Population étudiée
L'étude a porté sur 196 femmes ayant consulté pour leucorrhées, saignements, douleur abdominale et/ou infertilité ; ces patientes ont été sélectionnées au hasard (196 femmes consécutives à partir du début de l'étude).
Recueil des prélèvements
Les prélèvements ont été effectués en vue d'un examen bactériologique, mycologique et parasitologique complet. L'examen direct à l'état frais, l'étalement sur lames et l'ensemencement des milieux de culture ont été effectués extemporanément. Les milieux de transport pour la recherche de Chlamydia sont immédiatement congelés à -20°C. Des bâtonnets en plastique rigide sont utilisés pour la recherche directe des antigènes de C. trachomatis et pour la recherche de ce germe sur cultures cellulaires. Des écouvillons en alginate sont utilisés pour la recherche de C. trachomatis par la technique PCR. Dans tous les cas, la recherche de C. trachomatis est effectuée au niveau de l'endocol.
Recherche de Chlamydia par culture
Les cultures cellulaires sont effectuées sur microplaques utilisant les cellules HELA. Après 72 heures d'incubation à 37°C, la recherche des inclusions à Chlamydia est effectuée par immunofluorescence à l'aide d'un anticorps monoclonal (Micro Trak Chlamydia ; SYVA Diagnostic). La présence d'inclusions est estimée de manière quantitative et exprimée en croix :
+ à + + + +.
Recherche directe des antigènes de Chlamydia
La recherche directe des antigènes de C. trachomatis dans les prélèvements est effectuée par immunofluorescence à l'aide d'un anticorps monoclonal (Micro Trak Chlamydia ; SYVA Diagnostic). Les réactions positives sont exprimées d'une manière semi-quantitative.
Recherche de l'ADN de C. trachomatis par la technique PCR
Nous avons utilisé la trousse AMPLICORTM/C. trachomatis (ROCHE DIAGNOSTIC).La Polymerase Chain Reaction est une méthode de duplication de l'ADN in vitro. Elle comporte trois étapes : la dénaturation, l'hybridation et l'extension. Outre le choix de la séquence-cible plasmidique, la particularité de cette trousse est de contenir une enzyme (AmpErase
TM) qui permet d'éviter les contaminations par aérosol provenant d'un écouvillon d'ADN précédemment amplifié.
RÉSULTATS
Sur les prélèvements endocervicaux provenant des 196 patients, la recherche de C. trachomatis s'est révélée positive :
- 19 fois par AMPLICOR PCR, soit une prévalence de 9,6%
- 10 fois par culture cellulaire, soit une prévalence de 5,1%
Parmi les résultats culture-positifs, 9 se sont également révélés PCR-positifs, soit une proportion de PCR-faux négatifs de 1/10.
Parmi les résultats PCR-positifs, 9 se sont également révélés positifs par culture cellulaire, soit une proportion de culture-faux négatifs de 10/19 (tableau I).
Le tableau II résume les chiffres donnés ci-dessus.
Comparativement à la culture cellulaire, la technique PCR présente une sensibilité de 90% et une spécificité de 95%.
DISCUSSION
A l'heure actuelle, aucune des trois techniques utilisées pour la recherche de C. trachomatis ne permet de dépister avec certitude la totalité des sujets infectés. Il est vraisemblable que la technique PCR, qui permet de reproduire en quelques heures des millions de copies d'un fragment spécifique d'ADN, permet de déceler des infections à Chlamydia d'une manière nettement plus sensible que la recherche par culture cellulaire. Celle-ci peut, en effet se révéler faussement négative en cas d'infection très modérée ou par inhibition non spécifique de l'isolement par culture (facteurs toxiques ou immunologiques).
Nous nous sommes attachés à rechercher les causes éventuelles de la discordance dans le cas des 10 prélèvements culture-négatifs et PCR-positifs (tableau III). Parmi ces 10 prélèvements, nous avons retrouvé 4 fois des polynucléaires assez nombreux au niveau de l'endocol, sans retrouver de germes susceptibles d'expliquer cette réaction inflammatoire. On pourrait considérer ces 4 prélèvements comme correspondant à des faux négatifs par culture.
Par ailleurs, l'étude détaillée des prélèvements culture-négatifs et PCR-positifs n'a pas permis de retrouver d'infection associée qui puisse expliquer la négativité de la culture : une infection à Candida a été retrouvée 4 fois, une infection à corynébactéries 4 fois, une infection à Trichomonas ou à streptocoque du groupe B 1 fois. Mais de telles infections sont également observées dans le cas de prélèvements culture-positifs (tableau IV).
Il est possible que la technique PCR détecte du matériel génétique de C. trachomatis dans le cas de résidus non viables de ce germe, après traitement notamment. La sensibilité trop faible de la recherche directe des antigènes de Chlamydia par immunofluorescence ne permet pas de déterminer le pourcentage de résultats PCR-faux positifs.
Différents auteurs ont essayé de déterminer si les résultats culture-négatifs et PCR-positifs correspondent ou non à des sujets réellement infectés par C. trachomatis. L'étude des partenaires sexuels des sujets infectés, les critères épidémiologiques (âge jeune, contraception orale) ou cliniques (col oedémateux fragile, endocervicite mucopurulente) ne peuvent pas confirmer l'existence d'un taux important de résultats culture-négatifs et PCR-positifs sans pouvoir trancher quant à l'existence d'une infection évolutive à C. trachomatis.
Toutefois, il est intéressant de rappeler les observations de VOGELS qui constate une disparition du signal PCR après traitement de cas discordants PCR-positifs/culture-négatifs (5). Cette étude suggère que le traitement a éradiqué l'infection et souligne qu'un résultat PCR-positif pourrait représenter un critère diagnostique de l'infection.
D'autres travaux sont nécessaires pour pouvoir apprécier la spécificité exacte de la technique PCR : suivi à long terme des sujets culture-négatifs et PCR-positifs (positivation éventuelle de la culture, réponse au traitement). Mais il est probable que la très grande sensibilité de la technique PCR lui réserve un rôle important dans le dépistage des infections à C. trachomatis.
tableau I
LISTE DES DISCORDANTS
PCR-POSITIFS ET CULTURE-NÉGATIFS
|
|
PCR |
CULTURE |
IF |
CO-infection |
|
|
|
|
|
|
9304-00185 |
C---- |
+ (0,280) |
- |
- |
RAS |
|
|
|
|
|
|
----001233 |
V---- |
+ (1,120) |
- |
- |
CANDIDA |
|
|
|
|
|
|
-----243 |
L---- |
+ (0,330) |
- |
- |
Coryné |
|
|
|
|
|
CANDIDA |
-----733 |
M---- |
+ (0,385) |
- |
- |
Coryné |
|
|
|
|
|
frottis inflam. |
9303-4541 |
A---- |
+ over |
- |
- |
Strepto |
|
|
|
|
|
mycoplasme |
9303-4574 |
L---- |
+ (0,280) |
- |
- |
Trichomonas |
|
|
|
|
|
|
9303-4979 |
P---- |
+ over |
- |
- |
Coryné |
|
|
|
|
|
|
9304-1481 |
M---- |
+ (0,365) |
- |
- |
CANDIDA |
|
|
|
|
|
|
9304-1460 |
W---- |
+ over |
- |
- |
Coryné |
|
|
|
|
|
CANDIDA |
9304-287 |
D---- |
+ (0,270) |
- |
- |
RAS |
|
|
|
|
|
|
tableau II
RESULTATS CULTURE/AMPLICOR
Sensibilité AMPLICOR / CULTURE 90%
Spécificité AMPLICOR / CULTURE 95%
Concordance 94%
Discordance 5,6%
tableau III
ANALYSE DES DISCORDANCES
PCR-POSITIFS ET CULTURE-NÉGATIFS
|
AGE |
CONTRACEPTIF |
CLINIQUE |
POLYNUCLEAIRES |
BACTERIO |
|
|
|
|
V. COL |
|
185 |
31 |
CO |
Pertes |
- + + |
- |
|
|
|
|
|
|
1233 |
40 |
Grossesse |
Pertes |
- - |
CANDIDA (+) |
|
|
(33 semaines) |
|
|
|
213 |
37 |
|
0 |
|
CANDIDA (+) |
|
|
|
|
|
|
733 |
39 |
CO |
Prurit (+/-) |
0 +/- |
|
|
|
|
Coryné |
|
|
|
|
|
Frottis inflam. |
|
|
4541 |
41 |
0 |
0 |
- + + |
Strepto B + + |
|
|
|
|
|
UU 100 000 |
4574 |
61 |
0 |
Pertes + + |
+ + - |
TFR +++ |
|
|
(TT hormonal) |
|
|
UU 1000 |
4979 |
30 |
0 |
Pertes |
+ + + + |
Coryné |
|
|
|
|
|
UU 1000 |
1481 |
36 |
|
|
|
CANDIDA |
|
|
|
|
|
|
1460 |
24 |
Grossesse |
Pertes + + |
+ + + + |
CANDIDA +++ |
|
|
(32 semaines) |
|
|
|
287 |
25 |
CO |
Pertes + - |
- + + |
- |
|
|
|
|
|
|
Tableau IV
PRELEVEMENT PCR +
Présence d'une co-infection
1) PCR-positif 9 - 1 mycoplasme (culture +)
Culture-positif - 1 candida
- 1 corynébactéries
- 1 streptocoque du Groupe B
2) PCR-positif 10 - 2 RAS
Culture-négatif - 8 mycoplasme
Candida
Corynébactéries
Streptocoque du Groupe B
Trichomonas
BIBLIOGRAPHIE
1- RIPA KT et MÅRDH PA "New simplified culture technique for Chlamydia trachomatis" In : Dobson D and Holmes KK "Nongonococcal urethritis and related infections", American Society for Microbiology, Washington DC 1977 : 323-327.
2- SAIKI RK et coll "Primer-directed enzymatic amplification of DNA with a thermostable DNA polymerase" Science 1988; 239 : 487-491.
3- CLAAS HCJ et coll "Diagnostic value of the polymerase chain reaction for Chlamydia detection as determined in a follow-up study" J Clin Microbiol 1991; 29 : 42-45.
4- OSTERGAARD L et coll "Use of polymerase chain reaction for detection of Chlamydia trachomatis" J Clin Microbiol 1990; 28 : 1254-1260.
5- VOGELS WHM et coll "Chlamydia trachomatis infection in a high-risk population : comparison of polymerase chain reaction and cell culture for diagnosis and follow-up" J Clin Microbiol 1993; 31 : 1103-1107.
6- OSSEWAARDE JM et coll "Development and clinical evaluation of a polymerase chain reaction test for detection of Chlamydia trachomatis" J Clin Microbiol 1992; 30 : 2122-2128.
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