Chapitre XXXI
TAMOXIFENE ET ENDOMETRE
JANKY E., ABBOUD P., GALLAIS A.
Introduction
Connu depuis 1963, le Tamoxifène (TAM) est un anti oestrogène
triphénylénique largement utilisé dans le traitement des cancers du sein, chez la femme
ménopausée. Il inhibe la croissance tumorale en empêchant l'interaction des
oestrogènes avec leurs récepteurs. Mais, il agit également sur les autres tissus
sensibles aux oestrogènes : Utérus, Vagin, Hypothalamohypophyse .... avec des effets,
quelques fois paradoxaux.
La mise en évidence, chez certaines patientes sous tamoxifène, de
polypes utérins, d'une hyperplasie endométriale ou d'un adénocarcinome de l'endomètre
soulève le problème, non pas tant de l'intérêt du traitement mais plutôt des
modalités de son utilisation et de son suivi.
MECANISME D'ACTION DU TAMOXIFENE
1) Au niveau de la cellule tumorale mammaire
Le TAMOXIFENE se fixe sur le récepteur d'oestrogène ( RE) contenu dans
le cytoplasme de la cellule empêchant la liaison oestrogène-récepteur. Le complexe
TAM-RE pénètre dans le noyau de cellule et empêche la transcription du message
hormonal. Il s'en suit une absence de synthèse des protéines cellulaires stimulées
physiologiquement par l'oestradiol.
Mais, on ne peut résumer l'action du TAM à celle d'un simple
inhibiteur compétitif de la liaison oestrogène-récepteur (18). Des études effectuées
sur les récepteurs ont mis en évidence des sites récepteurs spécifiques du TAMOXIFENE
(3,20).
En effet, si les oestrogènes, dans les lignées cellulaires
oestrogénosensibles établies expérimentalement (2,3) à partir du cancer du sein,
stimulent la biosynthèse des protéines et d'activités enzymatiques, induisent les
récepteurs de la progestérone et ceux d'une glycoprotéine de poids moléculaire 52000 (
52K), le Tamoxifène s'oppose à la synthèse des protéines, se comporte en
Agoniste/antagoniste partiel pour l'induction des récepteurs de la progestérone, mais
surtout se comporte en antagoniste pur pour l'induction des récepteurs de la protéine
52K. La présence de cette protéine serait directement corrélée à la croissance
tumorale, permettant d'expliquer d'une part que les récepteurs d'oestrogène (RE) et
progestérone (RP) sont insuffisants pour prédire avec certitude l'hormonosensiblité
d'une tumeur et d'autre part que le TAM garde une activité même en absence de RE.
2) Au niveau de l'Endomètre
Le mécanisme d'action et les effets biologiques varient selon que la
femme est ménopausée ou pas.
a) Après la ménopause
Le TAMOXIFENE entraîne des effets oestrogéniques faibles.
Cette action oestrogénique paradoxale du TAM résulte d'un effet
spécifique de celui-ci sur l'utérus.
En effet, les taux plasmatiques d'oestrogènes (E2 et E1)restent bas,
par contre, les gonadotrophines FSH et LH sont diminuées témoignant vraisemblablement
d'un effet oestrogénique sur l'Hypothalamus.
Expérimentalement, CLARK ( in 9) a montré que le complexe TAM-RE est
responsable d'une rétention nucléaire entrainant une réponse précoce oestrogènes like
et une réponse tardive anti oestrogène.
b) Avant la ménopause
L'action du TAM est de type antioestrogénique. L'administration
continue de 10 mg/jour de TAM n'interrompt pas la rythmicité des cycles.
La FSH est faiblement augmentée, le taux de E2 est supérieur au taux
normal. Cette augmentation de E2 est attribuée à un effet CLOMID-LIKE par inhibition du
rétrocontrôle négatif hypothalamo-hypophysaire. Toutefois, l'absence d'augmentation
nette des gonadotrophines, leur absence d'effondrement par des concentrations élevées de
E2, témoigne plutôt d'une action directe du TAM sur les ovaires.
Renaud (17) dans une étude portant sur 12 cas, obtient une atrophie
endométriale dans plus de 2/3 des cas avec 40mg de TAM. Cet effet antagoniste est
possible que, si la concentration plasmatique du TAM est 100 à 200 fois supérieure à
celle de E2. Dans un cas où la tamoxifénémie était inférieure à 200 ng/ml, il
constate une hyperplasie glandulokystique corrigée par 60mg de TAM.
Cette constatation soulève le problème d'une variation individuelle de
la Tamoxifénémie.
EFFETS DU TAMOXIFENE SUR L'ENDOMETRE
( Après la menopause)
DE MUYLDER (9) trouve des lésions endométriales : polypes,
Hyperplasie, adénocarcinome, dans 50% des cas traités pour cancer du sein, de 6 à 36
mois.
Ces effets paradoxaux ne sont pas récents car les premières
observations ont été décrites en 1974 (4).
En 1986, dans une étude portant sur 58 cas de patientes traitées pour
cancer mammaire par du TAM, PONS (16) trouve des manifestations cervico-vaginales dans 24
cas ( 41%) dont 7 cas ( 7 sur 24) de métrorragie, de polype, de fibrome.
En 1988, dans une étude portant sur 45 patientes suivies sur une
période de 12-90 mois, le même auteur ( 17) trouve des manifestations du tractus
génital dans 38 cas ( 84%) dont 23 manifestations cervico-vaginales, 15 manifestations
utérines ( 11 cas d'hyperplasie, 2 fibrome, 2 adénocarcinome).
En 1991, DE MUYLDER (9) sur 46 patientes trouve un endomètre anormal 23
fois, 13 avaient un polype, 8 une hyperplasie et 2 un adénocarcinome.
En 1992, CORLEY (6) rapporta 4 cas d'hémorragie génitale chez des
patientes ménopausées traitées par du TAM et dans les 4 cas, il s'agissait d'un polype
endométrial.
LAHTI ( 13) effectue une surveillance par échographie vaginale à 103
patientes. Celles-ci avaient un cancer du sein et étaient divisées en 2
groupes : le groupe I composé de 51 patientes étaient sous
Tamoxifène, le groupe II composé de 52 patientes ne recevaient pas du TAM. Il obtient
28% d'atrophie endométriale dans le groupe I contre 87% dans le groupe II(P= O,0001)
quand l'épaisseur de l'endomètre était supérieure ou égale à 5mm, l'hystéroscopie +
biopsie trouve 36% de polype dans le groupe Iadénocarcinome dans le groupe I contre 2
adénocarcinomes dans le groupe II dit de contrôle.
PARMI LES EFFETS DU TAMOXIFENE SUR L'ENDOMETRE :
Les adénocarcinomes constituent le souci le plus important.
FORNANDER (10) trouve une augmentation significative des
adénocarcinomes de l'endomètre ( P : < 0,O1) chez des patientes recevant du TAM,
après une durée de traitement de 5 ans
Depuis 1985 de très nombreuses publications révèlent cette
association TAM + adénocarcinome de l'endomètre chez des patientes ayant un cancer du
sein.
En 1993, SEOUD (21) dans une revue de la littérature trouve 61 cas
d'adénocarcinome, 4 cas de sarcome ont été rapportés mais il ne semble pas avoir de
corrélation avec le TAM.
Ce nombre croissant d'adénocarcinome soulève le problème :
- des modalités d'action du TAM
- les relations dose, durée d'exposition
- de l'indication et du suivi du traitement
MODALITES D'ACTION
- Stimulation d'un néoplasme endométrial préexistant (1) .
En effet, l'association de cancer de l'endomètre et cancer du sein
n'est pas exceptionnelle.
- Réactivation post ménopausique d'un endomètre théoriquement
atrophique (17)
- Effet oestrogène-like dèjà décrit. Ce mode d'action permet de
rapprocher les cancers de l'endomètre bien différenciés survenus sous oestrogènes aux
adénocarcinomes endométriaux de grade I sous TAM.
Il a été proposé d'ajouter un progestatif chez les patientes
traitées avec du Tamoxifène dans le but de réduire les effets paradoxaux. Mais en
réalité les résultats attendus ne sont pas obtenus. En outre, le progestatif
entraverait l'action anti-tumorale du TAM ( in 9) et l'effet protecteur sur un 2è
Neoplasme mammaire ( 10).
LES RELATIONS DOSE, DUREE D'EXPOSITION AU TAMOXIFENE
Certains auteurs trouvent une fréquence cumulative étroitement
corrélée à la durée d'exposition. pour FORNANDER (10) cette fréquence est
significativement plus élevée dès la 3ème année d'exposition.
Le risque d'adénocarcinome serait également plus élevé en cas
d'utilisation de dose importante de TAM : supérieure ou égale à 4O mg /jour.
Mais les adénocarcinomes de l'endomètre se voient à des doses de
20mg/jour ( 9, 21) et déjà dans les 2 ans qui suivent le début du traitement .
La revue de la littérature effectuée par SEOUD ( 21) est riche
d'enseignement :
- Dans 57% des cas les patientes étaient traitées depuis moins de 2
ans et dans 43 % des cas plus de 2 ans .
- 40,6% des patientes avaient une dose quotidienne de TAM inférieure ou
égale à 30 mg/ jour, 59,4 % avaient une dose supérieure ou égale à 40 mg /jour.
- Enfin sur 27 cas bien documentés on note,
25 stade I ( 92, 60%) et 2 stade III ( 7,4%)
11 grade I ( 40, 7%) et 16 grade II et III ( 59, 3%)
Les Adénocarcinomes seraient découverts précocement.
Mais de pronostic histologique modéré à sévère.
La Prévention du cancer de l'Endomètre repose sur une meilleure
sélection des patientes à mettre sous Tamoxifène , une adaptation de la dose et de la
durée d'exposition et par une surveillance attentive des patientes.
- Meilleure sélection des patientes.
Dans une étude récente, FORNANDER trouve un nombre d'adénocarcinome
significativement plus élevé chez les patientes recevant du TAM comparées à celles ne
recevant aucun traitement adjuvant. Il réserve le TAM à des patientes ayant des risques
de récidive en recevant celles présentant une notion d'endomètre oestrogénique sur une
biopsie d'endomètre préthérapeutique.
- Adaptation de la posologie et de la durée d'exposition. Il semblerait
que la meilleure adéquation serait obtenue avec une dose de 20mg/jour sur une durée
d'exposition inférieure à 3 ans.
- La surveillance repose sur l'examen clinique tous les 6 mois.
L'echographie vaginale. L'augmentation de l'épaisseur de l'endomètre (
> 5mm) devrait faire pratiquer une hystéroscopie-biopsie.(13).
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