POURQUOI OPERER LES LESIONS INFRACLINIQUES : HISTOIRE NATURELLE DES
CANCERS DU SEIN IMAGES RADIOLOGIQUES INFRA-CLINIQUES
J P LEFRANC
Introduction
Différentes raisons expliquent l'extension des interventions
chirurgicales pour lésions infra-cliniques du sein :
- Histoire naturelle des cancers du sein.
- Développement du dépistage mammographique
- Rapports entre les images infra-cliniques d'une part, au premier rang
desquelles les microcalcifications, et les cancers in situ ou infiltrants et les lésions
à haut risque d'autre part.
- Rôle de la chirurgie tant au plan diagnostique qu'au plan
thérapeutique, la fiabilité des prélèvements par cytologie ou biopsies guidées étant
actuellement en cours d'évaluation.
-HISTOIRE NATURELLE DES CANCERS DU SEIN
L'hypothèse d'un continuum (18) allant de l'hyperplasie simple, aux
formes atypiques puis au cancer in situ n'a jamais été formellement démontrée, et
l'éventuel passage d'un stade à l'autre sous l'influence de facteurs promoteurs, serait
de toute façon inconstant.
Il n'existe pas dans le sein, contrairement à ce qu'on observe au
niveau du col utérin ou du colon, de lésions réellement pré-cancéreuses. La
dégénérescence des lésions bénignes, fibro-adénome, mastose fibro-kystique,
papillome..., est exceptionnelle. L'apparition d'un cancer au sein d'un centre
prolifératif d'Aschoff est discuté. Seules les hyperplasies atypiques constituent une
augmentation significative de risque ultérieur de cancer du sein, facteur qui se cumule
aux antécédents personnels ou familiaux (tableau I). Ainsi, des études nécropsiques
(12), ont révélé la présence de carcinomes in situ chez 20% de jeunes femmes, alors
que la fréquence cumulée des cancers invasifs n'est que de 5%. Il semblerait que 50%
tout au plus des cancers in situ évolueraient vers l'invasion. Des différences de
potentiel évolutif existent cependant entre les carcinomes intra-canalaires à petites
cellules (formes papillaires, micro-papillaires, cribriformes, solides) et à grandes
cellules (comédocarcinomes) comme le démontrent la pratique clinique et la biologie
(phase S, aneuploïdie, incorporation de la Thymidine tritiée).
Les cancers du sein naissent au niveau de la portion terminale des
canalicules (T.D.L.U)-(18). Leur genèse et leur extension le long de l'arbre
galactophorique aboutissent à une très fréquente multifocalité qui atteint 60% des
cas, mais qui intéresse en fait le plus souvent un même segment du sein, ce qui diffère
de la multi-centricité. Cette notion explique que les récidives après traitement
conservateur apparaissent dans plus de la moitié des cas dans le lit tumoral initial et
que la pratique d'une quadrantectomie avec radiothérapie abaisse très significativement
ce risque (17).
Le pronostic des cancers in situ traités, représentés essentiellement
par les formes intra-canalaires est excellent : le risque métastatique, théoriquement
nul, ne dépasse pas 1% à 2% dans les séries actuelles, risque explicable par
l'impossibilité d'affirmer formellement l'absence de franchissement de la membrane basale
.Cela est particulièrement vrai notamment pour les formes étendues multifocales surtout
si elles s'accompagnent d'une réaction stromale inflammatoire comme cela est très
souvent le cas des comédo-carcinomes. L'extension intra-mammaire des cancers
galactophoriques in situ constituent le paramètre essentiel guidant leur traitement : les
formes localisées bénéficient actuellement dans la majorité des cas d'un traitement
conservateur (exérèse en zone saine et radiothérapie), les formes multifocales,
étendues, d'une mastectomie totale avec curage axillaire et si possible reconstruction
mammaire immédiate. Aucun traitement adjuvant n'est justifié.
Le pronostic et l'envahissement ganglionnaire, dont il reste le premier
paramètre, des cancers infiltrants sont linéairement liés au volume tumoral, qu'il
s'agisse du risque de rechute locale ou de celui d'une évolution métastatique, bien que
d'autres facteurs entrent en ligne de compte. (différenciation histologique, récepteurs
hormonaux, phase S...). Il est démontré que, quel que soit le modèle de croissance
tumorale adopté, une dizaine d'années précède l'émergence clinique d'un cancer du
sein de un cm. Cette période infra-clinique est particulièrement riche en acquisition
par les cellules de leur potentiel métastatique, expliquant que 20 à 30% des tumeurs de
moins de 1cm puissent s'accompagner de métastases ganglionnaires et que le taux de survie
de ces lésions ne soient "que de" 95% à 10 ans.
Ainsi le dépistage n'est-il pas aussi précoce qu'on pourrait
l'espérer, et dans l'étude de HOLLAND (5), 50% des cancers intra-canalaires dépistés
mesurent plus de 5cm.
Cela a amené certains à penser que la réduction de la mortalité
liée au dépistage précoce par mammographie n'est qu'apparent et ne traduit en fait
qu'une avance au diagnostic et au traitement. Le bénéfice des traitements adjuvants
(chimiothérapie notamment), est cependant d'autant plus important que le volume cible est
petit. De plus, il semblerait pour KOSCIELNY (7) que l'avance de 12 mois par le diagnostic
mammographique réduirait de 30% le risque métastatique et pour TABAR (14) que la
pratique d'une mammographie tous les trois ans par rapport à sa pratique annuelle,
augmenterait le risque de métastases de 10%, que ce soit avant ou après 50 ans.
Les résultats des différents programmes de dépistage initiés aux
Etats-Unis en 1964 (13) ont confirmé les données sur l'histoire naturelle des cancers du
sein. Tous, sauf un (2) mettent en évidence une réduction importante par rapport à une
population témoin de la mortalité. Les chiffres varient d'une étude à l'autre, en
raison des modalités différentes (âge, périodicité, nombre de clichés, examen
clinique ou non)(tableau II) La mammographie reste actuellement l'examen le plus
performant, bien que le bénéfice, formel après 50 ans, reste discuté avant.
LES IMAGES RADIOLOGIQUES INFRA-CLINIQUES CONCERNENT :
Les microcalcifications, les opacités, de forme, de densité variables,
les désorganisations de la trame architecturale, toutes images plus ou moins associées.
* les microcalcifications constituent le mode de découverte
actuellement le plus fréquent des cancers du sein infra-cliniques, notamment des
carcinomes canalaires in situ, dont le mode de révélation s'est ainsi considérablement
modifié.
L'amélioration de la qualité des clichés, la pratique de clichés
agrandis et centrés, l'utilisation de l'écran-grille ont considérablement accru le
pouvoir de résolution de la mammographie et la fréquence des découvertes des
microcalcifications. Celles-ci sont présentes dans plus de 60% des cancers du sein et ne
s'accompagnent d'aucune traduction échographique à moins qu'il ne coexiste une
véritable masse tumorale. L'aspect protéiforme des microcalcifications (disposition,
régularité des contours, des formes, de leur taille...) a conduit LEGALL et
Collaborateurs (8) à proposer en 1976 une classification tendant à guider les
indications opératoires.
D'autres paramètres entrent en ligne de compte : nombre des
microcalcifications dans un foyer (> à 20 ou 30), âge des malades, contours
angulaires des amas, microcalcifications ébauchant l'arbre galactophorique selon un
triangle, se dirigeant vers le mamelon ; augmentation des microcalcifications à deux
examens successifs ... A l'exception peut-être des microcalcifications très nombreuses,
irrégulières, grossières, vermiculaires des carcinomes à forte nécrose
(comédocarcinome), il n'y a pas de corrélation exacte entre l'aspect des
microcalcifications et l'anomalie histologique sous-jacente. Il ne s'agit tout-au-plus que
d'une probabilité plus ou moins forte de rencontrer une lésion maligne (8).Cela explique
les divergences d'indication opératoire d'un praticien à l'autre devant une même image,
et justifie une double, voir en cas de divergence, une triple lecture dans les programmes
de dépistage.
La numérisation des microcalcifications n'a pas encore fait la preuve
de son efficacité. Les systèmes experts, les analyseurs d'image permettront peut-être
de mieux sélectionner les patientes devant bénéficier d'une biopsie.
- Les carcinomes intra-canalaires et micro-invasifs constituent la
lésion maligne le plus souvent diagnostiquée devant des microcalcifications, suivis des
formes invasives (4).
- Les carcinomes intra-canalaires, les carcinomes infiltrants avec
composante intra-canalaire extensive s'accompagnent presque constamment de
microcalcifications (4), (100% des comédocarcinomes - 91% des autres formes).La
corrélation entre extension histologique et radiologique est très forte pour les
comédocarcinomes,plus faible pour les autres formes (5).A l'inverse les cancers
lobulaires in situ s'accompagnent plus rarement de microcalcifications d'aspect d'ailleurs
différent et parfois légèrement à distance du carcinome lui-même.
- Parmi les lésions bénignes, l'adénose plus ou moins sclérosante
constitue la lésion le plus souvent découverte devant des microcalcifications. Les
lésions prolifératives atypiques ne semblent pas présenter d'aspect radiologique
particulier.
* Les opacités radiologiques infra-cliniques peuvent être dépistées
mammographiquement et/ou échographiquement.
* La mammographie :
- les opacités peu denses, rondes ou ovoïdes, régulières et sans
halo péri-tumoral, témoignent dans la quasi totalité des cas de lésions bénignes.
Certains cancers dits organoïdes (colloïdes, médullaires) ou des lobulaires invasifs
peuvent cependant adopter cet aspect, bien que globalement les lobulaires soient souvent
mammographiquement muets.
- Les opacités avec microcalcifications sont bien évidemment plus
suspectes, bien que certaines correspondent à des fibro-adénomes ou à des kystes en
voie de calcification : l'aspect radiologique en est globalement caractéristique. - Les
opacités stellaires avec ou sans microcalcifications témoignent plus souvent d'un
carcinome infiltrant, souvent de type tubuleux, que d'un nodule d'Aschoff, où les
spécules apparaissent prédominant par rapport au centre tumoral. Cette distinction est
cependant actuellement suffisamment aléatoire pour proposer systématiquement la biopsie
de toutes les opacités stellaires infra-cliniques.
* L'échographie
ne saurait constituer actuellement, dans les populations occidentales un
moyen de dépistage de masse.La sémiologie des lésions suspectes est actuellement bien
connue (11) : aspect irrégulier et hétérogène à grand axe vertical de l'anomalie,
oedème péri-lésionnel, anomalie acoustique sous-cutanée, ou absorption postérieure du
faisceau. L'apport de l'échographie apparait à certains très précieux (9,11) dans le
cas d'images mammographiques ambigües. La découverte de carcinome sur des images
uniquement échographiques restent cependant rare.
* Les désorganisations isolées de la trame architecturale,
d'interprétation souvent délicate, témoignent de lésions infiltrantes (carcinomes
tubuleux notamment) ou de lésions bénignes à type d'adénose sclérosante, de radial
scar.
La fréquence des fausses images mérite d'être soulignée et justifie
de refaire systématiquement des clichés agrandis et centrés, avant de décider de
l'intervention chirurgicale
La pratique de prélèvements cytologiques ou biopsiques
guidée par stéréotaxie et échographie permettra peut-être de mieux sélectionner les
malades à opérer, et pour celles présentant un épithélioma, de réaliser d'emblée
une intervention réellement carcinologique (exérèse au large avec ou sans curage
axillaire).
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