Chapitre XXVIII
HISTOPATHOLOGIE DES HYPERPLASIES DE L'ENDOMETRE
C CHARPIN , C DERCOLE , L. BOUBLI
Introduction
Les lésions frontières correspondent aux anomalies structurales de
l'endomètre à la frontière de la bénignité et malignité, c'est-à-dire aux
hyperplasies.
Le diagnostic des hyperplasies endométriales est difficile. Les
critères diagnostiques histologiques ont souvent été confus et peu précis et surtout
différents d'une classification à l'autre. La terminologie utilisée par les différents
auteurs est souvent complexe, difficile à saisir par un clinicien. Le diagnostic
histologique est néanmoins la base de la conduite à tenir par le praticien.
I - DEFINITION
Par souci de simplicité et de clarification, un certain nombre
d'auteurs ont proposé au cours des dix dernières années une classification des
hyperplasies de l'endomètre calquée sur la classification des proliférations
intra-épithéliales cervicales gradées en CIN 1, 2 et 3. Ceci a conduit successivement
aux termes de néoplasie intraépithéliale glandulaire (GIN) ou néoplasie
intraépithéliale endométriale (EIN) gradée de 1 à 3. Le grade 1 correspond à
l'hyperplasie kystique et l'hyperplasie glandulaire avec atypie cellulaire légère. Le
grade 2 correspond à l'hyperplasie glandulaire modérée et à l'hyperplasie glandulaire
atypique modérée. Le grade 3 correspond à l'hyperplasie glandulaire sévère et à
l'hyperplasie glandulaire atypique sévère ou au carcinome in situ. Néanmoins cette
classification est trop simpliste et les critères définis pour classer les lésions sont
théoriques et ne correspondent pas à la réalité. De plus cette classification ne tient
pas compte de la différence fondamentale de structure entre la muqueuse cervicale et la
muqueuse endométriale. En effet, l'association complexe des glandes et du stroma
endométrial sans limite nette constituée par la membrane basale entre l'endomètre
lui-même et le myomètre ne permet pas en pratique d'utiliser les mêmes critères que
dans la muqueuse épidermoïde du col utérin.
La classification proposée par Hendrickson et al [1] fait état de
critères beaucoup plus proches de la réalité. Ces auteurs définissent les hyperplasies
endométriales sur des critères histologiques et cytologiques. Selon cette
classification,
l'hyperplasie endométriale se distingue en deux groupes : l'hyperplasie
sans atypie et les hyperplasies avec atypies.
L'hyperplasie sans atypie se caractérise par (i) des critères
architecturaux : glandes tubulaires ou kystisées avec discrets bourgeonnements; un
rapport glandes/stroma comparable à l'endomètre prolifératif de première phase du
cycle; et (ii) par des critères cytologiques : absence d'atypie, pseudo-stratification
nucléaire et morphologie cellulaire comparable à celle de l'endomètre normal
prolifératif.
L'hyperplasie endométriale avec atypie se divise en trois
sous-groupes : hyperplasie avec atypie légère, hyperplasie avec atypie modérée et
hyperplasie avec atypie sévère. Ces trois sous-groupes se différencient par des
caractères architecturaux et cytologiques différents.
* L'hyperplasie avec atypie légère comporte (i) sur le
plan architectural : des structures glandulaires, bourgeonnantes avec branchements et
invagination intra-kystique discrets; une légère augmentation du rapport glandes/stroma;
et (ii) sur le plan cytologique : une pseudo-stratification nucléaire augmentée et des
atypies cytonucléaires légères.
* L'hyperplasie avec atypie modérée comporte (i) sur le
plan architectural des structures glandulaires bourgeonnantes avec branchements et
invagination intraglandulaire modérée; une augmentation nette mais modérée du rapport
glandes/stroma; et (ii) sur le plan cytologique avec des anomalies cellulaires modérées
comportant une augmentation de la taille cellulaire et du noyau, une clarification de la
chromatine et un nucléole proéminant.
* L'hyperplasie avec atypie sévère se caractérise (i)
sur le plan architectural : structures glandulaires bourgeonnantes avec branchements et
invagination papillaire intra-glandulaire sévère et majeure; une augmentation nette et
sévère du rapport glandes/stroma avec quasi disparition de la composante stromale et
(ii) sur le plan cytologique : une stratification nucléaire majeure associée à des
atypies cellulaires sévères.
Cette classification, satisfaisante à la fois sur le plan nosologique
et pratique, pose quand même quelques problèmes de reproductibilité. La distinction en
effet entre atypie légère et modérée d'une part et atypie modérée et sévère
d'autre part est souvent difficile et pas toujours reproductible d'un observateur à
l'autre. C'est pourquoi cette classification a été récemment remodifiée selon un
consensus international formulé récemment par la Société Internationale des
Gynéco-Pathologistes (ISGP) sous les auspices de l'OMS [2,3]. Cette classification
correspond globalement à celle proposée par Kurman et al [4] et qui est basée sur le
lien entre les aspects histopathologiques de ces lésions et leur caractère
pré-cancéreux. Sur le plan nosologique cette classification distingue :
1. L'hyperplasie simple (sans atypie)
2. L'hyperplasie complexe (sans atypie)
3. L'hyperplasie atypique simple
4. L'hyperplasie complexe atypique
Selon cette classification, et en accord avec le Consensus
International, le terme de carcinome in situ de l'endomètre est rejeté et l'utilisation
des termes "hyperplasie adénomateuse", "hyperplasie atypique", et
"hyperplasie adénomateuse atypique" sont déconseillés, n'ayant pas de
correspondance exacte avec la classification actuelle.
II - ASPECTS HISTOLOGIQUES DE L'HYPERPLASIE ENDOMETRIALE (ISGP/OMS)
Selon la classification de l'ISGP et de l'OMS, les différents
sous-groupes de l'hyperplasie endométriale se caractérisent histologiquement de la
façon suivante :
* l'hyperplasie simple (HS) est une lésion comportant une
densification des glandes avec augmentation du rapport glandes/stroma léger à modéré
mais homogène et une kystisation des glandes.
* l'hyperplasie complexe (HC) correspond aux lésions comportant
une très forte densification des glandes et une augmentation majeure du rapport
glandes/stroma avec hétérogénéité et complexité des structures glandulaires.
Néanmoins dans cette forme, comme dans l'hyperplasie simple, les invaginations
papillaires intra-glandulaires sont rarement observées.
* l'hyperplasie simple avec atypies (HSA) correspond aux lésions
d'hyperplasie simple associées à des atypies cellulaires identifiables par augmentation
du volume cellulaire, perte de la polarité avec cellules arrondies, hétérogénéité en
taille et forme des cellules, hyperchromatisme nucléaire, nucléole proéminent, perte de
la polarité nucléaire.
* l'hyperplasie complexe atypique (HCA) correspond aux lésions
d'hyperplasie complexe précédemment décrites selon les critères architecturaux dans
l'HC, associées aux atypies cellulaires et nucléaires identiques à celles
précédemment décrites dans l'HSA.
D'autres signes histologiques ont aussi été indiqués comme critères
du caractère atypique : bourgeonnements cellulaires, pont intra-glandulaire,
oblitération de la lumière. Néanmoins, l'aspect cribriforme est généralement reconnu
comme étant le critère histologique de l'adénocarcinome de grade 1.
Cette classification, basée sur l'étude de Kurman [4], repose
essentiellement sur le lien prouvé entre l'atypie et le développement d'un carcinome
endométrial. Il est démontré en effet qu'un adénocarcinome endométrial se développe
dans seulement 1,6% (2/122 cas) d'hyperplasie simple et complexe en comparaison de 22%
(11/48 cas) d'hyperplasie simple et complexe avec atypie. Les observations de Kurman
corroborent d'autres études montrant le même lien entre la présence des atypies
cytonucléaires et le développement du cancer [5,6,7,10-15]. Une étude plus récente a
aussi montré la valeur pronostique des atypies cellulaires [16] : 24% des hyperplasies
avec atypie contre 2,9% des hyperplasies sans atypie montrent une progression vers le
carcinome endométrial. Ces différentes études tendent à montrer que les hyperplasies
simples ou complexes sans atypie ne sont pas pré-cancéreuses tandis que les hyperplasies
atypiques simples ou complexes sont des lésions significativement pré-cancéreuses.
Cette nouvelle classification pose néanmoins aussi quelques problèmes
théoriques et pratiques :
- L'hyperplasie complexe sans atypie comporte en fait des anomalies de
l'architecture et cellulaires légères à modérées qui ne sont pas explicitées et qui
ne permettent pas de correspondance exacte entre les terminologies des anciennes
classifications et la terminologie actuelle.
- Les atypies cytonucléaires légères ne sont pas considérées comme
de réelles atypies dans la classification actuelle qui ne prend en compte en fait que les
atypies modérées et sévères des anciennes classifications.
- La terminologie actuelle ne tient pas compte de l'extension des
lésions, focales ou diffuses, dans la cavité endométriale. Or, cette donnée est
importante pour la conduite à tenir pratique. L'ISGP recommande de rajouter cette
information topographique à l'actuelle nomenclature ainsi qu'un "dialogue permanent
entre l'histopathologiste et le clinicien" [4].
- Cette classification ne fait pas de place particulière à
l'hyperplasie atypique sécrétoire (Fig. 7) qui est classée selon les mêmes critères
architecturaux et cytologiques. Néanmoins cette lésion englobe une sécrétion
cellulaire et sa signification pronostique n'est en fait pas encore reconnue. La
sécrétion cellulaire témoigne du caractère particulier des cellules et glandes
atypiques à répondre à l'imprégnation progestative.
BIBLIOGRAPHIE
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Professeur Colette Charpin, Service d'Anatomie Pathologique (DRED EA 875), Faculté
de Médecine Timone, 27 Bd Jean Moulin, 13385 Marseille Cedex 5
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