Chapitre XXX
ENDOMETRECTOMIE ET CANCER DE L'ENDOMETRE
D. DARGENT
Introduction
L'endométrectomie ou ablation endométriale ou encore réduction
endométriale est volontiers présentée comme un moyen de traitement des états
prénéoplasiques et de prévention des cancers de l'endomètre. L'argumentation un peu
simpliste qui est avancée en faveur de cette nouvelle méthode n'est pas vraiment
satisfaisante. Beaucoup redoutent en effet que l'endométrectomie rende plus difficile la
détection précoce du cancer de l'endomètre et que son utilisation extensive aboutisse
à un résultat inverse de celui escompté: les faits, pour le moment, ne semblent pas
leur donner raison (pas encore ?).
REDUCTION ENDOMETRIALE = REDUCTION DU RISQUE DU CANCER DE L'ENDOMETRE
?
L'idée qu'en réduisant la surface de l'endomètre on réduit le risque
de cancer de l'endomètre est une idée non fondée. Veronesi, il y a 25 ans, avait
démontré que l'ablation d'une partie du sein augmentait le risque de cancer du sein et
avait émis l'hypothèse d'une sorte d'effet "dose intensité": en enlevant une
partie du tissu cible on augmenterait la nocivité des facteurs cancérigènes qui
continuent à agir avec la même intensité mais sur une cible plus petite donc plus
sensible. Cette hypothèse n'a pas résisté aux études multifactorielles qu'on a pu
faire depuis. Il n'en reste pas moins que l'idée "mécaniste" d'une diminution
du risque sous l'effet d'une diminution de la surface du tissu cible est une idée fausse.
Si une femme doit faire un cancer de l'endomètre elle le fera même si la surface de son
endomètre est réduite de 99 %. Il faudrait, en fait, pour que le risque soit réduit que
la réduction soit de 100 %, que soit détruite "la dernière cellule".
La question est donc de savoir si la réduction endométriale peut
détruire la totalité de l'endomètre. L'utilisation au laser YAG rend cette destruction
totale en principe possible: la fibre optique qu'on utilise est fine et se laisse conduire
partout. On commence par les cornes. On traite ensuite méthodiquement la cavité elle
même sans omettre le fond et on termine par l'entonnoir sus-isthmique. L'inconvénient
est évidemment qu'on ne dispose d'aucun contrôle histologique. Avec l'électrorésecteur
on sait mieux ce qu'on fait car l'examen des copeaux permet de mesurer la profondeur de la
résection. Mais il est impossible de traiter correctement le fond et les cornes et on
doit se servir de la boule coagulante (roller ball). Quant à l'entonnoir sus-isthmique,
on recommande généralement de ne pas y toucher pour éviter la synéchie et les
conséquences que peut avoir cette synéchie dans divers do-maines, le domaine du cancer
inclusivement.
La réduction endométriale totale apparaît donc impossible en théorie
comme en pratique si on utilise l'électrorésecteur. Si on se sert du laser YAG elle est
en théorie possible et les utilisateurs de cette méthode nous montrent les résultats de
contrôles hystéroscopiques et histologiques où le muscle utérin n'est plus recouvert
que d'une "muqueuse" mince et rudimentaire: une seule couche de cellules
aplaties reposant sur un stroma conjonctif étique et avasculaire. Mais dans la réalité
on sait qu'après l'endométrectomie au laser YAG 50 % des femmes environ restent
règlées ce qui indique bien évidemment qu'une muqueuse endométriale
hormonodépendante, quelque part, subsiste... qui, éventuellement, se transformera si la
biologie veut qu'elle se transforme. Il faut compter de plus avec l'adénomyose. On sait
que les implants endométriaux logés à l'intérieur du myomètre n'ont pas vocation
particulière à la transformation carcinomateuse. Mais ils ne sont pas non plus à l'abri
et l'électrorésection comme le laser YAG ne peuvent prétendre à les atteindre sauf à
utiliser des énergies dont la prudence élémentaire interdit l'usage.
CANDIDATES A LA REDUCTION ENDOMETRIALE = CANDIDATES AU CANCER DE
L'ENDOMETRE
Les considérations qui viennent d'être énoncées à propos de la
valeur préventive de la réduction endométriale n'auraient qu'une incidence médiocre si
les candidates à la réduction endométriale n'étaient précisément les candidates au
cancer de l'endomètre. Cette fâcheuse coïncidence est doublement embarrassante. Elle
l'est au plan théorique (épidémiologie) et au plan pratique (diagnostic précoce). On
envisage ici le domaine théorique.
Sans revenir en détail sur ce qui a été développé par les auteurs
des textes qui précèdent celui-ci on doit rappeler que le cancer de l'endomètre se
développe avec prédilection sur le terrain de l'hyperplasie. Il existe en la matière
des situations diverses que l'histologie permet de définir (le risque est modérément
augmenté en cas d'hyperplasie simple et fortement augmenté en cas d'hyperplasie
adénomateuse qui devient état prénéoplasique vrai quand apparaissent des atypies). Des
marqueurs plus spécifiques peuvent être recherchés et on pourrait finalement, par
l'étude de l'endomètre, définir quelles sont les femmes à risque celles qui, dans
l'idée des promoteurs de la réduction endométriale prophylactique, étaient les femmes
à traiter et qui sont en fait, dans mon opinion en tout cas, les femmes à ne pas traiter
(ou à traiter par l'hystérectomie).
Dans la réalité clinique les femmes qui présentent des saignements
anormaux même si elles ne sont pas, au moment où on les prend en charge, atteintes
d'hyperplasie véritable sont potentiellement des femmes à risque de cancer de
l'endomètre. L'examen histologique, chez elles, ne montrera qu'un certain degré
d'hyperactivité (endomètre prolifératif persistant) ou sera entièrement normal. Mais
le fait qu'elles présentent des règles d'abondance accrue indique qu'existe un
déséquilibre de la balance ostroprogestéronique et, ipso facto, une augmentation du
risque de cancer. Le symptôme n'est pas d'une spécificité de 100 % et on sait que
certaines diathèses peuvent inclure une séméiologie hémorragique utérine. On trouve
toutefois presque toujours chez les femmes présentant des ménométrorragies, et même si
leur endomètre parait normal ou subnormal, soit des signes d'accompagnement soit des
marqueurs de l'hyperoestrogénie (nulliparité ou pauciparité, syndrome des ovaires
polykystiques, obésité, fibrome, adénomyose etc...).
L'indication de la réduction endométriale est en quelque sorte
synonyme de risque de cancer endométrial et le fait est d'autant plus embarrassant que
les femmes qu'on traite sont le plus souvent en période préménopausique et qu'on les
traite précisément pour pouvoir, une fois la ménopause installée, leur donner une
hormonothérapie substitutive. Cette hormonothérapie va poser des problèmes théoriques.
Elle va poser aussi des problèmes pratiques de surveillance. Faut-il pour autant renoncer
à la réduction endométriale ? Les craintes théoriques qu'on vient d'exprimer
ont-elles, dans la pratique, été confirmées ?
LE CANCER DE L'ENDOMETRE CHEZ LES FEMMES REDUITES
La première observation mondiale de cancer de l'endomètre observé
chez une femme ayant antérieurement subi une ablation endométriale a été publiée dans
le numéro d'octobre 1993 de "Gynecology and Obstetrics". Cette observation
émane de l'équipe de Alan DeCherney de New Haven dans le Connecticut. Alan DeCherney est
l'un des promoteurs de la résection endométriale. Son observation est pleine
d'enseignements.
Il s'agit d'une femme de 56 ans obèse, hypertendue et diabétique
présentant un long passé de ménométrorragies fonctionnelles qu'une biopsie de
l'endomètre avait permis, 8 ans avant les faits, de relier à une hyperplasie
adénomateuse non accompagnée d'atypies. Un traitement progestatif avait été donné et
devant la récidive des saignements on avait décidé, après 3 ans, de recourir à
l'ablation endométriale car la patiente refusait l'hystérectomie. Cette ablation avait
été faite par électrocoagulation en utilisant l'uréthrorésectoscope.
L'opération endoscopique avait été suivie d'une aménorrhée. Une
colectomie segmentaire pour cancer (Dukes B) était faite 1 an plus tard et 4 ans après
survenaient à nouveau des saignements utérins. Une biopsie ambulatoire ayant révélé
l'existence d'un adénocarcinome une hystérectomie totale fut réalisée qui confirma
l'existence d'un adénocarcinome de grade 2 à 3 infiltrant superficiellement le myomètre
et ne dépassant pas les limites de la cavité utérine. Des foyers d'adénomyose étaient
visibles. Aucun d'entre eux n'étaient le siège d'une transformation carcinomateuse. Une
curiethérapie endovaginale fut réalisée à titre adjuvant.
Cette observation confirme certaines des craintes exprimées
précédemment et donne également certains apaisements. On doit en premier lieu faire
remarquer qu'il s'agit d'un fait clinique jusque là isolé alors que la résection
endométriale connaît un engouement très grand et que le nombre de procédures
exécutées augmente d'une façon exponentielle. Un calcul précis toutefois est
impossible et la question reste posée de formes pour le moment occultes et qui
n'émergerons que plus tardivement. De ce point de vue l'observation publiée est à la
fois rassurante et inquiétante.
L'observation de DeCherney est rassurante dans la mesure où le
diagnostic a été facilement fait et est intervenu, semble-t-il, au tout début de la
maladie. Mais elle nous démontre que l'aménorrhée qui, chez la patiente concernée,
s'était installée aussitôt après l'intervention ne constitue pas un gage de succès
définitif et/ou un marqueur de la disparition du risque de cancer. Cette leçon est à
prendre en compte dans l'élaboration des règles de sécurité à respecter dans la prise
en charge endoscopique des ménométrorragies fonctionnelles de la préménopause.
CONCLUSIONS
Les conclusions à tirer du raisonnement qu'on peut faire à propos du
problème "réduction endométriale et cancer de l'endomètre" concernent
essentiellement les indications:
- les hyperplasies atypiques de l'endomètre constituent une
contrindication: l'hystérectomie est à réaliser systématiquement
- les hyperplasies adénomateuses ne doivent être acceptées que sous
réserve surtout si existent d'autres facteurs de risque
- les hyperplasies simples et les saignements non accompagnés d'une
hyperactivité tissulaire évidente représentent la bonne indication mais il faut se
garder de laisser croire à la patiente qu'elle est définitivement à l'abri du cancer et
il faut au contraire la convaincre de consulter à la moindre alerte si de nouveaux
saignements surviennent.
Concernant la technique de la réduction endométriale l'observation de
DeCherney démontre que l'aménorrhée post-opératoire ne constitue pas une garantie. Il
apparaît donc inutile de chercher à l'obtenir à tout prix et d'autant plus qu'on peut
penser que les procédés par lesquels on obtient le plus régulièrement l'aménorrhée
sont aussi (bien que les deux faits ne soient pas synonymes) ceux qui exposent le plus aux
synéchies donc au retard de diagnostic en cas de développement d'un cancer. Il est donc
inutile d'utiliser le laser YAG, certainement plus efficace mais aussi plus délabrant. Et
si on se sert de l'uréthrorésectoscope il est inutile d'abraser l'entonnoir
sus-isthmique. Ces consignes, à vrai dire, sont justifiées tout autant par les
considérations carcinologiques qui sont le thème de ce papier que par les
considérations générales sur lesquelles je me permets de conclure.
La réduction endométriale a été présentée comme une méthode de
prévention du cancer de l'endomètre. On vient de voir ce qu'il en est. Elle a été
présentée aussi comme une alternative à l'hystérectomie. Il y a là matière à
réflexion. A entendre les communications concernant la nouvelle opération et à lire les
publications qui lui sont consacrées il apparaît que les objectifs du départ sont en
effet dores et déjà oubliés; Le nombre de cas publiés prouve en tout cas que les
indications vont bien au delà de ce qu'on considérait autrefois comme indication
légitime de l'hystérectomie quand, chez une femme présentant des hémorragies
fonctionnels, on avait épuisé toutes les ressources du traitement médical. Or les
réductions endométriales ne sont pas toujours couronnées de succès et plus le temps
passe et plus les échecs s'accumulent. Il faut compter par ailleurs avec une pathologie
douloureuse soit liée à l'adénomyose sous jacente soit créée de toute pièce par
l'intervention. Et le nombre des hystérectomies, on peut le craindre, loin de diminuer,
finira par augmenter. Cette dérive doit être combattue: commençons en réfutant
l'argument de la prévention du cancer de l'endomètre qui est aussi fallacieux que
pernicieux.
BIBLIOGRAPHIE
ALAN D. COPPERMAN, A.H. DECHERNEY & D. OLIVE A case of
Endometrial Cancer Following Endometrial Ablation for Dysfunctional Uterine Bleeding.
Obstetrics and Gynecology 1993, 82: 640-644.
|