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Titre: Premier passage hépatique des estrogènes : mythe ou réalité ?
Année: 1995
Auteurs: - Rozenbaum H.
Spécialité: Gynécologie
Theme: Ménopause

Chapitre 1

premier passage hépatique des estrogènes : mythe ou réalité ?

H. ROZENBAUM

introduction

Il est fréquent d'entendre affirmer, en France, que la voie cutanée est préférable à la voie orale, cette voie permettant d'éviter l'effet de premier passage hépatique.

Aux U.S.A., au contraire, la voie orale est préférée car on lui attribue un effet bénéfique vis-à-vis de la prévention des affections coronariennes chez la femme après la ménopause.

Bon nombre de médicaments ou d'hormones couramment utilisés en thérapeutique transitent par le système digestif. Pourquoi les estrogènes suscitent-ils un tel débat quant à leur voie d'administration ?

Ce débat repose, selon nous, sur des bases de départ souvent discutables:

- Confusion fréquente entre effets des estrogènes naturels et de l'éthinyl-estradiol per os, alors que ces produits sont radicalement différents ;

- Considérations pharmacocinétiques discutables ;

- Positions de principes semblant parfois plus proches de considérations extra-médicales que des données épidémiologiques.

Rappelons que toute hormone plasmatique, quelle que soit sa provenance, endogène c'est-à-dire sécrétée par une glande, ou exogène, sera finalement métabolisée par le foie.

Il se produit, avec la voie orale, un "premier passage hépatique", les hormones arrivant au foie par la veine porte.

Ce phénomène peut avoir deux conséquences :

- Perte d'activité partielle du produit administré, dont une fraction plus ou moins importante peut d'emblée être transformée en métabolites inactifs.

- Induction d'effets métaboliques, et ce phénomène se situe bien entendu au coeur du débat

quelques remarques à propos de pharmacocinétique

 "L'effet de 1er passage hépatique"

Toute molécule subit dans l'organisme des mécanismes d'élimination précédés -ou non- de transformations métaboliques.

Le foie constitue la véritable "plaque tournante" des stéroïdes sexuels. Le flux plasmatique hépatique étant en moyenne de 2.000 l et le volume plasmatique de 2,5 l, chaque stéroïde subira statistiquement 2.000/2,5 = 800 "passages hépatiques" par jour.

Il est donc inexact de penser qu'une administration extra-digestive d'estrogène "court-circuitera" le foie.

Pour l'éthinyl-estradiol, on sait que ses effets métaboliques sont identiques, qu'il soit pris per os ou par voie vaginale.

 Le taux d'estrone (E1) supérieur à celui d'estradiol (E2) : après prise per os d'E2, les taux d'E1 sont supérieurs à ceux d'E2 par suite de phénomènes de conversion E2-E1 se produisant au niveau de la muqueuse intestinale.

Nul ne connaît la signification de ce phénomène.

S'il peut a priori paraître plus séduisant pour l'esprit d'observer un taux d'E2 supérieur à celui d'E1, il importe de remarquer que :

- le principal estrogène circulant avant et après la ménopause est le sulfate d'E1 dont les taux sont plus de 10 fois supérieurs à ceux d'E1 ou d'E2 ; il semble que le sulfate d'E1 se comporte comme un réservoir d'estrogènes. Ce taux s'élève nettement plus après prise d'estrogènes per os que par voie cutanée (SCOTT R.T. et coll.1991)

- selon un travail effectué par NILSON et coll. en 1984, les taux plasmatiques d'E2 libre sont identiques au 6ème cycle de traitement, quelle que soit la voie d'administration de l'E2 : orale ou percutanée.

Enfin rappelons que les cellules des organes cibles sont munies de systèmes enzymatiques convertissant l'E1 en E2 ; c'est donc finalement ce dernier qui se fixera sur le récepteur nucléaire.

effets métaboliques

1. Lipides plasmatiques

La perte de l'effet protecteur des sécrétions ovariennes vis-à-vis du risque vasculaire observé à la ménopause provient, en partie tout au moins, des modifications des lipides plasmatiques :

- Elévation des fractions athérogène : cholestérol total, cholestérol des LDL, et notamment LDL de petites tailles, considérées comme particulièrement athérogènes, apoprotéine B, triglycéridesÊ;

- Légère diminution de la fraction anti-athérogène : HDL et plus particulièrement HDL2 cholestérol et apoprotéine A1 (TURPIN 1991)

Aussi un des objectifs d'une hormonothérapie substitutive doit-il être de rétablir, si possible, le profil lipidique d'une femme non ménopausée.

Les estrogènes per os induisent :

- Une diminution du cholestérol total de l'ordre de 16% ; le taux de l'apoprotéine B diminue égalementÊ;

- Une élévation du HDL cholestérol de 8 à 15% environ : cette élévation porte plus particulièrement sur la fraction HDL2. Le taux de l'apoprotéine A1 s'élève également (WALSH et coll. 1991)

Des études plus détaillées du métabolisme lipidique ont permis de démontrer que la taille des particules des LDL augmentait chez les utilisatrices d'estrogènes per os. Rappelons que la ménopause provoque au contraire une élévation des particules de petite taille particulièrement athérogène (CASTELLI 1986).

D'autre part le taux de la Lp(a) diminue (Soma et coll. 1991)

On a reproché à la voie orale d'induire un effet hypertriglycéridémiant.

Il convient de préciser à cet égard :

 Que cet effet est dose-dépendant et molécule-dépendant.

Ainsi les estrogènes conjugués induisent, selon la majorité des études publiées, une élévation de l'ordre de 20% environ ; le 17 bE2 micronisé ou son valérianate induisent une élévation nettement plus modérée : de l'ordre de 4% environ ; pour certains auteurs il ne se produirait même pas d'élévation.

En tout état de cause, cette élévation, lorsqu'elle se produit, ne dépasse pas les limites de la normale ; Elle ne pourrait devenir préoccupante que chez les femmes préalablement atteintes d'hypertriglycéridémie familiale.

Rappelons que l'étude de FRAMINGHAM a permis d'établir qu'une élévation des triglycérides n'était dangereuse sur le plan vasculaire que si elle s'accompagnait d'une diminution du HDL cholestérol (CASTELLI 1986).

Or les estrogènes per os élèvent au contraire cette fraction lipidique.

D'autre part, lors d'une étude métabolique récente, WALSH et coll. ont démontré que si la production des VLDL de grande taille était stimulée par les estrogènes per os, la plupart de ces particules étaient ensuite épurées de la circulation et n'étaient pas transformées en VLDL de petite taille ou en LDL, seules celles-ci étant considérées comme dangereuses.

Aussi la quasi-unanimité des auteurs considère-t-elle les modifications induites par les estrogènes per os comme vraisemblablement bénéfiques.

2. Glucides

La carence estrogénique favorise des perturbations du métabolisme des glucides liées à une diminution de sécrétion d'insuline.

Quelle que soit sa voie d'administration, le 17 bE2 provoque une amélioration de la tolérance au glucose, et un diabète ne constitue pas une contre-indication à la prescription du 17 bE2. (Luotola et coll. 1986, Lindheim et coll. 1993)

3. Facteurs de la coagulation

(bibliographie in Rozenbaum H, 1994)

De nombreux auteurs semblent avoir été impressionnés par les effets induits par l'e.e. contenu dans les contraceptifs oraux (c.o.). Même à faible dose: 10 mcg par exemple dans une étude de LINDBERG et coll. (1989), des modifications de certains facteurs de la coagulation sont encore observées.

Avec le 17 bE2 per os les résultats publiés sont contradictoires :

- diminution modérée de l'antithrombine III pour certains, non retrouvée par d'autres auteurs ;

- Elévation du facteur VII pour certains, diminution pour d'autres

Dans l'ensemble toutefois les modifications induites par les estrogènes naturels per os sont discrètes ou absentes.

Ici encore, l'opposition "voie orale - voie cutanée" apparaît trop schématique :

BOSCHETTI et coll. (1991) comparant le effets de 0,625 mg d'estrogènes conjugués per os et de 50 mcg d'E2 transcutané, observent une élévation non significative du fibrinogène au 2ème mois avec la voie cutanée, et surtout une diminution de l'antithrombine III et une élévation du facteur VIII au 12ème mois de traitement avec les deux voies d'administration.

Selon eux, la durée du traitement est plus importante que la voie d'administration.

STEINGOLD et coll. (1991) observent également une diminution du taux de l'antithrombine III chez 5 femmes atteintes de défaillance ovarienne précoce traitées par doses relativement élevées d'E2 per os ou transcutané.

4. Pression artérielle

Les relations estrogènes - pression artérielle (PA) illustrent l'opposition entre théorie et réalité.

5. Voie orale

Plusieurs auteurs ont publié une élévation de l'angiotensinogène pendant la prise d'E2 per os.

La voie orale induisant une élévation des protéines synthétisées par le foie, ce phénomène n'a rien d'étonnant.

Cette élévation a fait conclure à un risque d'élévation de la PA chez les femmes traitées.

En réalité le taux d'angiotensinogène s'élève au cours de la grossesse sans induire d'élévation de la PA. Daniels et coll. ont constaté que l'angiotensinogène de la grossesse était de haut poids moléculaire et possédait une affinité réduite vis-à-vis de la rénine.

DERKX et coll. ont constaté chez des femmes prenant des contraceptifs oraux (c.o.) une élévation du substrat de la rénine mais une diminution des taux de prorénine et de rénine active, ce dernier phénomène traduisant, selon cet auteur, une diminution de production de rénine active par le rein. Autrement dit une élévation de l'angiotensinogène ne signifie pas ipso facto élévation de la PA.

D'autre part, il semble s'agir en l'occurrence essentiellement d'un effet-dose et d'un effet molécule :

- Avec les estrogènes conjugués, le substrat de la rénine s'élève après administration vaginale, mais seulement à très fortes doses: 2,5Êmg/j (Mandel 1989).

- Avec l'éthinyl-estradiol, 5 mcg per os suffisent pour induire une élévation retrouvée avec 20 mcg par voie vaginale, posologie équivalente étant donné que l'excipient utilisé lors de cette expérience réduisait la biodisponibilité du produit.

Un certain nombre d'études épidémiologiques de type cas-contrôle ou prospective ont en effet confirmé que la prise per os d'E2 n'induisait pas d'élévation de la PA. Ces traitements ont même été administrés à des femmes préalablement hypertendues sans provoquer de majoration des chiffres de la PA. Seuls quelques rares cas d'HTA idiosyncrasiques ont été relevés chez des utilisatrices d'estrogènes per os (Revue générale in Rozenbaum H. 1994)

Citons notamment l'étude contrôlée d'HASSAGER et coll. ayant porté sur 110 femmes ménopausées traitées pendant deux ans par estrogènes per os ou percutané ou par placebo. La PA diastolique ne s'est élevée que dans le groupe recevant un placebo et aucune corrélation ne fut observée entre le taux du substrat de la rénine, élevé avec l'E2 per os, et les chiffres de PA.

6. Risque vasculaire

Nous n'aborderons pas ici l'effet protecteur des estrogènes vis-à-vis du risque d'athérosclérose, désormais reconnu.

C'est essentiellement à propos des thromboses veineuses qu'existe une confusion entre les effets des contraceptifs oraux et ceux de l'hormonothérapie substitutive. Celle-ci a beau être utilisée depuis une cinquantaine d'années sans qu'aucun accident thrombo-embolique ne lui ait été attribué, les mises en garde et les contre-indications issues des faits observés chez les utilisatrices de c.o. continuent à lui être aveuglement appliquées.

Il n'existe pourtant aucune commune mesure entre les estrogènes de synthèse utilisés en contraception orale et les estrogènes naturels prescrits en hormonothérapie substitutive. Les premiers perturbent les facteurs de la coagulation de façon dose-dépendante, les seconds n'entraînent pratiquement pas de modifications à la posologie utilisée. Un effet dose-dépendant a également été observé entre posologie de l'éthinyl-estradiol contenu dans les c.o. et fréquence des accidents thrombo-emboliques ; aucune étude épidémiologique n'a incriminé l'H.S. à ce propos.

Ces études sont peu nombreuses, peut-être justement parce que, dans ce domaine, il n'y a rien à prouver. Soulignons cependant un point important : lors de deux de ces études le risque de thrombose a été trouvé nettement élevé chez les utilisatrices de c.o. et non chez les femmes soumises à une H.S.

La méthodologie utilisée étant la même dans les deux cas, les conclusions à propos de l'H.S. apparaissent difficilement contestables.

conclusion

Actuellement 10% à peine des femmes françaises suivent une hormonothérapie substitutive, et la durée moyenne d'un traitement est de 12 à 18 mois environ. Or l'efficacité d'un tel traitement est désormais reconnue par la communauté scientifique internationale.

Des préjugés et des faux-bruits continuent à limiter le nombre d'utilisatrice d'estrogènes.

A cet égard la querelle entre voies orale et cutanée, observées essentiellement en France paraît ridicule.

Les voies orales sont utilisées beaucoup plus couramment aux U.S.A. ou dans d'autres pays européens.

Arrêter d'utiliser abusivement le conditionnel ou les conclusions non fondées sur la réalité des faits permettrait une vision plus réaliste des avantages et inconvénients respectifs des différentes voies d'administration des estrogènes.

Pour souligner la fragilité de certaines théories ou de certains postulats assénés comme des vérités définitives, rappelons que toutes les études épidémiologiques ayant abouti à un effet protecteur des estrogènes sur le plan vasculaire ont porté sur les estrogènes conjugués administrés per os.

En pratique on peut résumer la situation de la façon suivante :

femme "normale" : lui laisser le choix de la voie d'administration, en lui expliquant qu'il s'agit de toute façon de produits similaires ; lui expliquer que l'on peut changer les modalités en cours de route si elle se lasse de la voie d'administration initialement choisie;

femme apparaissant "à risque" sur le plan thrombose (antécédents familiaux, trouble de la coagulation, etc...) : donner la préférence aux voies cutanées ;

femme hypertendue : des diminutions ont été observées avec la voie orale. Une HTA modérée ne constitue donc pas une contre-indication de principe, mais surveiller la PA.

BIBLIOGRAPHIE

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Henri ROZENBAUM

 : JOURNÉES DE TECHNIQUES AVANCÉES EN GYNÉCOLOGIE OBSTÉTRIQUE ET PÉRINATALOGIE PMA, Fort de France 12 - 19 Janvier 1995