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Titre: La supplémentation des femmes enceintes durant la grossesse : résultats d'une enquête auprès des Gyn-Obs
Année: 1995
Auteurs: - Rey J.
Spécialité: Obstétrique
Theme: Supplémentation vitaminique et grossesse

Chapitre 1

la supplémentation des femmes enceintes durant la grossesse 
résultats d'une enquête auprès de gynécologues-obstétriciens

J. REY ET P. SACHET

Introduction

Faute d'une politique cohérente de supplémentation des femmes enceintes durant ou avant la grossesse, l'insuffisance des réserves en fer, la carence en vitamine D et les déficits en folates demeurent un problème majeur de santé publique dans de très nombreux pays du monde, même parmi les plus développés. Nul n'ignore pourtant que les apports en fer des femmes sont souvent trop marginaux par rapport à leurs besoins pour leur permettre, sans que leurs réserves s'épuisent, de mener à bien plusieurs grossesses, en particulier multiples ou rapprochées. Il est bien établi d'autre part que l'hypocalcémie néonatale et le rachitisme précoce sont très souvent la conséquence d'un déficit en 25-hydroxycholécalciférol de la mère. Enfin, à de rares exceptions près, toutes les données démontrent que la récurrence ou la survenue d'un défaut de fermeture du tube neural (anencéphalie, spina bifida...) peuvent être prévenues dans une très large mesure par l'administration d'acide folique durant la période périconceptionnelle. Tous les comités et organismes qui se sont penchés sur ces questions sont dans l'ensemble d'accord sur les recommandations à cet égard [1-4]. C'est la raison pour laquelle, à l'occasion de cette table ronde, il nous a paru intéressant d'analyser les pratiques d'un certain nombre de gynécologues obstétriciens, exerçant en pratique libérale ou hospitalière, et de membres du Collège national des gynécologues et obstétriciens français.

 

I Méthodes  

Deux enquêtes distinctes ont été réalisées. La première a été effectuée par la SOFRES, par téléphone sur système CATI (Computer Assistance Telephone Interviews), les 1er et 2 juin 1994, auprès d'un échantillon représentatif de 100 gynécologues exerçant en ville ou, à temps partiel, en clinique ou à l'hôpital ; un tiers avait son activité en région parisienne et deux tiers en province ; un tiers avait une activité exclusive de gynécologie médicale et deux tiers une activité de gynécologie et d'obstétrique ; 56 % avaient de 35 à 45 ans, 8 % moins de 35 ans et 36 % plus de 45 ans ; la proportion des hommes et des femmes était pratiquement égale dans l'échantillon.

La seconde enquête a été effectuée par courrier entre le 26 juillet et le 25 septembre 1994, auprès de 165 membres du Collège, représentatifs de l'ensemble de ses membres. Elle a consisté en l'envoi d'une lettre et d'un questionnaire comportant 17 questions, très voisin de celui utilisé pour l'enquête téléphonique mais très légèrement simplifié, avec moins de réponses ouvertes, notamment sur les posologies d'acide folique et les circonstances de sa prescription. Deux lettres ne sont pas parvenues à leur destinataire ; 84 réponses ont été enregistrées, soit un taux de réponse de 52 %.

II Résultats et commentaires  

1. Supplémentation en acide folique  

Moins d'un tiers des gynécologues-obstétriciens répond qu'ils prescrivent systématiquement de l'acide folique : 26 % selon la SOFRES et 32 % parmi les membres du Collège ; on doit ajouter à ces 32 % les 8 membres du Collège (10 %) qui le font sans le dire, puisqu'ils répondent ultérieurement qu'ils prescrivent un complexe fer-folates dans le cadre d'une supplémentation systématique en fer. Les 58 % restants des membres du Collège en prescrivent parfois, aucun n'en prescrivant jamais, alors que c'est le cas de 13 % des gynécologues dans l'enquête SOFRES.

Sur les 35 membres du Collège qui en prescrivent systématiquement, 31 le font sous forme de complexe fer-folates. Sur les 27 qui précisent leur posologie, les deux tiers répondent 0,35 ou 0,4 mg et les autres 1 mg, ce dernier chiffre ne laissant pas de surprendre vu la teneur en folates des spécialités disponibles (tableau 1). L'incertitude sur les posologies est plus grande dans l'enquête SOFRES. Sur les 87 % qui supplémentent systématiquement ou parfois les femmes enceintes en folates, 61 utilisent un complexe fer-folates, mais seulement 15 % répondent 0,4 mg/jour ; 37 % répondent 1 mg ; 19 % ne savent pas ; pour les 29 % restants, les doses vont de 0,7 à 50 mg (!) par jour.

Les raisons d'une supplémentation occasionnelle sont pratiquement identiques dans les deux échantillons : 86 et 85 % en cas d'antécédents de défaut de fermeture du tube neural, 53 et 54 % en cas de macrocytose et/ou d'anémie, 14 et 13 % en cas de prise de poids insuffisante de la mère (?). Mais si la quasi-totalité des gynécologues ont le réflexe de prescrire des folates aux mères ayant donné naissance antérieurement à un enfant anencéphale ou atteint de spina bifida, 9 % seulement des gynécologues interrogés par téléphone répondent qu'ils le font avant la conception, et 44 % au cours du premier trimestre de la grossesse. Parmi les membres du Collège, aucun n'a répondu "avant la grossesse" et 23 % seulement "entre 1 et 3 mois". Ceci s'explique probablement par le fait 1) qu'on ne dispose d'informations sur les pratiques des membres du Collège que pour ceux qui prescrivent systématiquement de l'acide folique ; 2) qu'ils le font pour 85 % sous forme de complexe fer-folates et 3) qu'ils prescrivent le fer chez plus des trois quarts des femmes (79 % de ceux qui donnent systématiquement du fer) au cours de la deuxième moitié de la grossesse.

Quelles qu'en soient les justifications, on ne peut attendre de cette pratique aucune réduction de la fréquence des défauts de fermeture du tube neural. Il est important que les gynécologues le sachent et que les pouvoirs publics prennent des mesures pour que l'on dispose, pour les femmes qui souhaitent avoir un enfant ou dont la grossesse débute, de préparations dont la teneur en acide folique est comprise entre 0,4 et 1 mg, non enrichies en fer et en vitamine A, permettant ainsi une supplémentation précoce des femmes enceintes, si possible même avant la conception.

2. Supplémentation en fer  

L'attitude des gynécologues-obstétriciens vis-à-vis de la supplémentation en fer ne diffère pas notablement dans les deux enquêtes. Tous prescrivent du fer aux femmes enceintes, systématiquement (59 % dans l'enquête SOFRES et 56 % parmi les membres du Collège) ou occasionnellement (41 et 44 %, respectivement). Les trois quarts débutent cette supplémentation au cours du 2e trimestre et environ 20 % entre 1 et 3 mois de grossesse ; très peu (5 %) le font tardivement ou ne le précisent pas.

Les indications de cette supplémentation chez ceux qui ne la font pas systématiquement sont dans 65 à 75 % des cas un taux d'hémoglobine (Hb) inférieur à 11 g/100 ml et, parmi ceux-ci, une concentration d'Hb < 10 g/100 ml dans 15-20 % des cas. Les indications sont plus larges (Hb < 12 g/100 ml) chez 27 % des gynécologues interrogés, 2 % dans l'enquête SOFRES fixant la barre à 13 g. Deux membres du Collège mentionnent les données de la ferritine comme critère supplémentaire et un ajoute qu'il tient compte également de l'hématocrite, ce qui, compte tenu de la manière dont la question était posée, n'exclut pas que les autres en fassent autant.

Que la supplémentation soit systématique ou occasionnelle, le panel SOFRES fait appel à un complexe fer-folates dans 61 % des cas, à un sel de fer sans folates dans 38 %, un seul ne se souvenant pas. On retrouve à peu près les mêmes proportions parmi les 47 membres du Collège qui supplémentent systématiquement les femmes enceintes en fer à un moment ou un autre de leur grossesse. En effet, 66 % prescrivent toujours un complexe fer-folates ; 4 % le font parfois ; 7 % prescrivent du fer et des folates et 19 % du fer sans folates ; 4 % ne fournissent pas de réponse.

Les posologies utilisées diffèrent toutefois d'un panel à l'autre. Dans l'enquête SOFRES, 59 % des gynécologues qui prescrivent du fer systématiquement ou occasionnellement disent en prescrire moins de 50 mg, 21 % de 50 à 100 mg et 12 % plus de 100 mg/jour, 8 % ne précisant pas. En revanche, la quasi-totalité des membres du Collège qui en prescrivent systématiquement le font à des doses supérieures à 50 mg (73 % : 50-100 et 19 % > 100 mg), 4 % seulement en donnant moins de 50 mg et 4 % ne précisant pas. Compte tenu de leur pratique - 70 % prescrivent systématiquement ou occasionnellement un complexe fer-folates - et de la teneur en fer élément des préparations disponibles (tableaux 1 et 2), on ne peut s'empêcher de penser que ces réponses traduisent une certaine méconnaissance des spécialités existantes ou qu'une confusion est faite entre les teneurs en sels ferreux et en fer élément (tableau 2). Il ressort d'autre part des deux enquêtes l'absence quasi constante de prescription de zinc en association avec le fer (77 et 80 % des réponses), cette association n'étant utilisée que par moins de 20 % des gynécologues-obstétriciens interrogés. Quoi qu'il en soit, une réflexion s'impose sur les doses de fer réellement utiles et leurs effets indésirables éventuels [5].

3. Supplémentation en magnésium  

La moitié des gynécologues-obstétriciens interrogés estime utile de supplémenter les femmes enceintes en magnésium. La réponse est oui à 51 % dans l'enquête SOFRES ; 44 % des membres du Collège répondent oui et 5 % pas systématiquement. Parmi ceux qui répondent affirmativement, le magnésium est plus largement prescrit par les gynécologues-obstétriciens libéraux que par les hospitaliers : 40 % du panel SOFRES en prescrivent à plus de la moitié des femmes alors que 76 % des membres du Collège en prescrivent à moins de 40 % de leurs patientes. L'enquête auprès des membres du Collège permet d'autre part de remarquer que la prescription de magnésium est indépendante de celle du fer et/ou des folates.

4. Supplémentation en calcium et vitamine D  

Un faible pourcentage de gynécologues-obstétriciens conseille systématiquement aux femmes enceintes d'accroître leurs apports en calcium (9 % dans l'enquête SOFRES et 15 % dans l'enquête Collège). Parmi le panel SOFRES, 68 % disent qu'ils le font parfois et 23 % jamais ; la question était posée d'une manière moins détaillée aux membres du Collège dont 83 % répondent parfois, ce qui pourrait laisser croire qu'ils donnent ce conseil à 99 % des jeunes femmes, ce qui est probablement excessif. D'une manière globale, les deux tiers se limitent (sagement) à donner des conseils diététiques ; un tiers prescrit des suppléments calciques et 3 à 6 % associent les deux recommandations. Toutefois, 7 sur 13 (54 %) des membres du Collège qui supplémentent systématiquement les femmes enceintes en calcium le font sous forme médicamenteuse, ce qui traduit de la part de cette minorité une certaine inquiétude ou du moins une relative certitude de cette nécessité. Notons que les comités d'experts ne sont pas unanimes à cet égard, certains recommandant des apports plus élevés de calcium durant la grossesse [1,3], les autres estimant que cela n'est pas nécessaire [2,4].

 

Le comportement des gynécologues-obstétriciens vis-à-vis de la vitamine D est plus surprenant, voire inquiétant ; 51 % des membres du panel SOFRES répondent qu'ils n'en prescrivent jamais, alors que les comités d'experts sont unanimes pour recommander 10 mg (400 UI) par jour [1-4]. Cette attitude négative est moins répandue parmi les membres du Collège, dont 15 % seulement répondent jamais, 50 % parfois et 12 % en hiver et/ou au printemps. En définitive, seulement 23 % d'entre eux et 16 % du panel SOFRES en prescrivent systématiquement. A noter que ceux qui ne prescrivent jamais de vitamine D sont plus souvent ceux qui ne prescrivent pas systématiquement du fer et/ou des folates (23 % contre 9 % chez ceux qui prescrivent fer et folates et 11 % chez ceux qui prescrivent systématiquement du fer, avec ou sans folates). Vu que la fréquence des hypocalcémies néonatales et des rachitismes précoces dépend étroitement des réserves maternelles en 25-hydroxy-cholécalciférol, une action des Pouvoirs Publics s'impose sans tarder.

5. Supplémentation en fluor  

Près de 80 % des membres du panel SOFRES disent qu'ils supplémentent les femmes enceintes en fluor (33 % systématiquement et 43 % parfois), ce qui traduirait, si c'est exact, une médicalisation excessive des femmes enceintes, la nécessité de cette supplémentation n'étant nullement prouvée. Les membres du Collège ont dans l'ensemble une attitude plus réservée de ce point de vue, puisque 23 % seulement disent en prescrire systématiquement et 3 % parfois. Le fait de prescrire du fluor serait chez eux le témoin d'une attitude assez systématique de supplémentation en vitamines et en minéraux des femmes enceintes ; en effet, sur les 18 qui prescrivent systématiquement du fluor, 12 prescrivent systématiquement un complexe fer-folates (35 %) alors que le fluor n'est prescrit que par 14 % (5 sur 35) des gynécologues qui ne prescrivent ni fer, ni folates de manière systématique. Une relation analogue entre la prescription de fluor et celle de folates est retrouvée chez les membres du panel SOFRES qui prescrivent d'autant plus souvent du fluor qu'ils supplémentent plus systématiquement les femmes enceintes en folates ; il n'y a toutefois pas de corrélation dans ce groupe entre la prescription de fluor et celles de calcium, de magnésium ou de vitamine D, ce qui rend très hasardeux l'interprétation de ces données. Le plus sage est donc, en définitive, de considérer que ces associations, si elles existent, sont fortuites.

Remerciements

Nous sommes conscients de la multiplicité des enquêtes et questionnaires auxquels nos collègues sont soumis. Nous sommes sensibles au fait qu'une centaine de gynécologues aient bien voulu répondre à l'enquête téléphonique et que plus de la moitié des membres du Collège interrogés aient si aimablement répondu à notre demande. Nous remercions le professeur Michel Tournaire, secrétaire général du Collège, de son appui et de son accord à l'envoi de ce questionnaire, et le docteur Gérard Bréart (INSERM U149) pour son aide dans la sélection de l'échantillon. Ce travail n'aurait pu être réalisé sans l'aide financière et matérielle du CERIN.

BIBLIOGRAPHIE

1. National Research Council - Food and Nutrition Board. Recommended dietary allowances. 10th ed. Washington DC : National Academy Press, 1989.

 

2. Committee on Medical Aspects of Food Policy. Dietary reference values for food energy and nutrients for the United Kingdom. Report on Health and Social Subjects. London : HMSO, 1991.

3. CNRS-CNERNA. Apports nutritionnels conseillés pour la population française, 2e éd. Dupin H, Abraham J, Giachetti I, éds. Paris : Lavoisier, 1992.

4. Commission of the European Communities. Nutrient and energy intakes for the European Community. Reports of the Scientific Committee for Food (33th series). Luxembourg : Office for Official Publications of the European Communities, 1993.

5. US Prevention Services Task Force. Routine iron supplementation during pregnancy. Policy statement. JAMA 1993 ; 270 : 2846-54.

Tableau 1: Spécialités pharmaceutiques contenant de l'acide folique
(à l'exclusion des préparations à usage parentéral) (1)

  B9 (mg) Fer (mg) A (RE) D (mg) C (mg) Contre-
indications
A teneur élevée en acide folique
Spéciafoldine® 5 - - - -  
Complexes fer-folates
Azedavit® 0,4 27 1500 10 90 grossesse
Carencyl® 1 13 7500 1000 75  
Forvital® 0,4 27 - - 600  
Quotivit O.E.® 0,4 10 300 5 80  
Synergyl® 0,2 9 750 10 30  
Tardyféron B9® 0,35 50 - - -  
Vivamyne® 0,4 27 1500 10 90  
Spécialités dépourvues de fer et de vitamine D
Plenyl® 0,4 - 900 - 150  
Zédène C 600mg® 0,4 - - - 600  

(1) par comprimé, ou par capsule


Tableau 2: Spécialités pharmaceutiques contenant du fer
(à l'exclusion des complexes fer-folates) (1)

  Sel Sel ferreux
(mg)
Fer élément
(mg)
Vit C

(mg)
Ascofer® ascorbate ferreux 245 33  
Erythroton® betaïnate ferreux 100 15  
Fer UCB® chlorure ferreux   50 100
Fumafer® fumarate ferreux 200 66  
Inofer® succinate ferreux 100 33  
Tardyféron 80 mg® sulfate ferreux 256 80 30

(1) par comprimé, par gélule ou par ampoule.

Jean REY et Paul SACHET Hôpital des Enfants Malades et Centre d'Etudes et de Recherches d'Information Nutritionnelles (CERIN) Paris

 : JOURNÉES DE TECHNIQUES AVANCÉES EN GYNÉCOLOGIE OBSTÉTRIQUE ET PÉRINATALOGIE PMA, Fort de France 12 - 19 Janvier 1995